PRB 01-10F

L'IMPÔT UNIFORME VU DE PLUS PRÈS

 

Rédaction :
Marc-André Pigeon
Division de l'économie
Le 23 août 2001


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LA THÉORIE

BREF HISTORIQUE

L’IMPÔT UNIFORME À L’ÉTRANGER

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU RÉGIME FISCAL EN VIGUEUR AU CANADA

ARGUMENTS POUR ET CONTRE

LES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES D’UN IMPÔT UNIFORME

CONCLUSION

RÉFÉRENCES


L'IMPÔT UNIFORME VU DE PLUS PRÈS

INTRODUCTION

Les réformes visant à instaurer un impôt uniforme visent essentiellement à mettre en place un régime fiscal unique et simple comprenant deux caractéristiques fondamentales :

Pour les champions de l’impôt uniforme, ce dernier mènera à un régime fiscal plus simple, tout en améliorant l’efficacité de l’économie, ce qui signifie que les entreprises pourront plus facilement prendre leurs décisions en se fondant uniquement sur des raisons économiques et les particuliers, sur des préférences.  En réalité, la plupart des projets d’impôt uniforme n’atteignent pas ces objectifs et comportent un taux marginal d’imposition uniforme assorti d’un grand nombre – et dans certains cas de la totalité – des déductions et crédits actuels.  Depuis au moins le début des années 1980, des projets hybrides d’impôt uniforme sont apparus à plusieurs reprises aux États-Unis.  Au Canada, l’Alliance canadienne a remis la question à l’ordre du jour en proposant récemment un impôt uniforme; elle a depuis mis l’idée de côté, du moins temporairement(1).  À en juger par ce qui se passe aux États-Unis, cette question devrait réapparaître dans l’arène politique, compte tenu surtout de la nature évolutive et toujours plus complexe du régime fiscal et des fortes pressions qui s’exercent en vue d’une harmonisation internationale des impôts et des règlements.

Dans le présent document, nous avons trois objectifs :

LA THÉORIE

Avant de répondre à ces questions, il serait bon de revoir brièvement deux concepts clés d’équité fiscale issus de la théorie des finances publiques.

Il convient également de définir d’autres concepts – notamment ceux de régime fiscal progressif, proportionnel et régressif –, car ceux-ci sont souvent utilisés dans les débats et peuvent être aisément confondus ou mal utilisés.  Pour la plupart des économistes, un régime fiscal progressif est un régime où les personnes ou les familles à faible revenu paient une part moindre de leur revenu total en impôts que celles à revenu élevé.  Un régime fiscal régressif est à l’opposé : les personnes ou les familles à faible revenu paient une portion plus importante de leur revenu en impôts que celles à revenu élevé.  Un régime fiscal proportionnel est un régime dans lequel le même taux marginal d’imposition s’applique à tous, quel que soit leur revenu, si bien que chacun paie la même proportion de son revenu en impôts.

En poussant les choses à l’extrême, un régime régressif signifierait que les particuliers à faible revenu paieraient un taux d’imposition plus élevé que ceux à revenu élevé.  Les régimes régressifs sont plus courants qu’on ne le pense en général.  Les taxes sur les aliments sont les mêmes pour tous et sont considérées comme régressives, car les aliments représentent une portion plus importante du revenu total pour les particuliers ou les familles à faible revenu que pour les mieux nantis.  Le tableau ci-après illustre les différences entre chaque type d’impôt.

Tableau 1 : Comparaison des différents régimes fiscaux

Progressif
(sur tous les revenus)

Proportionnel
(sur tous les revenus)

Régressif
(taxe de
vente sur les aliments)

Famille A – Revenu élevé
Revenu

150 000 $

150 000 $

150 000 $

Montant imposable

150 000 $

150 000 $

10 000 $

Taux d’imposition

26 %

17 %

6 %

Impôt payé

39 000 $

25 500 $

600 $

Pourcentage du revenu

26 %

17 %

0,4 %

Revenu après impôt

111 000 $

124 500 $

149 400 $

 
Famille B – Revenu plus modeste
Revenu

40 000 $

40 000 $

40 000 $

Montant imposable

40 000 $

40 000 $

10 000 $

Taux d’imposition

22 %

17 %

6 %

Impôt payé

8 800 $

6 800 $

600 $

Pourcentage du revenu

22 %

17 %

1,5 %

Revenu après impôt

31 200 $

33 200 $

39 400 $

On s’interroge souvent sur la progressivité effective d’un impôt uniforme, c’est-à-dire proportionnel au sens strict.  Par exemple, une famille ou une personne à faible revenu paierait-elle effectivement une proportion moindre de son revenu global en impôts qu’une famille ou une personne à revenu élevé?  Cela est certain si l’on applique une exemption de base suffisamment importante(3).  Pour savoir pourquoi, il convient d’étudier le tableau ci-après, où nous comparons un régime fiscal régressif avec un régime fiscal proportionnel pour deux familles (les Dupont et les Tremblay, ayant chacune un seul revenu).

Tableau 2 : Progressivité

Régime fiscal progressif à deux vitesses

Impôt uniforme assorti d’exemptions importantes

Impôt uniforme sans exemption

Famille Dupont – Revenu élevé
Revenu

150 000 $

150 000 $

150 000 $

Revenu exonéré

10 000 $

20 000 $

0 $

Revenu imposable

140 000 $

130 000 $

150 000 $

Taux marginal d’imposition

17 % et 25 %

17 %

17 %

Impôt payé

27 000 $

22 100 $

25 500 $

Taux marginal d’imposition effectif

18,0 %

14,7 %

17,0 %

Économies en impôts par rapport à un régime progressif

s/o

4 900 $

1 500 $

 
Famille Tremblay – Revenu plus modeste
Revenu

40 000 $

40 000 $

40 000 $

Revenu exonéré

10 000 $

20 000 $

0 $

Revenu imposable

30 000 $

20 000 $

40 000 $

Taux marginal d’imposition

17 %

17 %

17 %

Impôt payé

5 100 $

3 400 $

6 800 $

Taux marginal d’imposition effectif

12,8 %

8,5 %

17,0 %

Économies en impôts par rapport à un régime progressif

s/o

1 700 $

-1 700 $

La première colonne illustre un hypothétique régime fiscal progressif (avec une exemption de base de 10 000 $) qui prévoit un taux marginal d’imposition de 17 p. 100 sur la première tranche de revenu de 100 000 $ et de 25 p. 100 au-delà.  Parce que les Dupont gagnent plus de 100 000 $, ils paient des impôts sur les deux tranches, soit en tout 27 000 $ ou 18 p. 100 de leur revenu.  Les Tremblay, quant à eux, ne paient que 5 100 $ ou 12,8 p. 100 de leur revenu.  Ce système est progressif à deux égards.  Premièrement, il est progressif « au sens strict », selon la définition de William Vickrey, c’est-à-dire qu’il impose des taux marginaux d’imposition distincts à des niveaux de revenu distincts (17 p. 100 et 25 p. 100).  Deuxièmement, le taux d’imposition moyen (après prise en compte des exemptions de base) est moindre pour les familles à faible revenu.  Que les Dupont paient un montant d’impôts supérieur à celui des Tremblay est peu révélateur de la progressivité réelle du régime, du moins dans le sens que donnent à ce terme la plupart des économistes.  Les Dupont paieraient davantage que les Tremblay même dans un système extrêmement régressif (et improbable) qui imposerait un taux de 4 p. 100 sur tous les revenus des familles à revenu élevé mais un taux d’imposition de 17 p. 100 sur les revenus des familles à faible revenu.  Dans ce cas extrême, les Dupont paieraient 5 600 $ d’impôts et les Tremblay, 5 100 $.

Supposons maintenant que l’on passe à un système d’impôt uniforme.  La deuxième colonne illustre la façon dont un impôt uniforme ou proportionnel – étant donné une exemption de base suffisamment importante (dans l’exemple, l’exemption a été portée des 10 000 $ du régime progressif à 20 000 $) – peut être au moins aussi progressif, sinon plus, qu’un impôt progressif au sens strict(4).  Selon ce scénario, les Dupont paient des impôts à un taux effectif moindre de 14,7 p. 100 et réalisent une économie nette de 4 900 $ par rapport au régime progressif, tandis que les Tremblay paient des impôts à un taux effectif moindre de 8,5 p. 100 et réalisent une économie nette de 1 700 $ par rapport au régime progressif.  Il faut de nouveau insister sur le fait que ce n’est pas parce que les Dupont économisent davantage que les Tremblay que le régime est régressif.  Les Dupont consacrent toujours une proportion plus importante de leur revenu aux impôts que les Tremblay et il serait difficile d’éviter que la famille à revenu élevé réalise une économie d’impôt plus importante en termes absolus lorsque les taux marginaux d’imposition sont abaissés de façon importante.  De façon générale, le meilleur moyen de donner plus aux familles à faible revenu sans permettre aux mieux nanties de réaliser des économies encore plus importantes est d’instaurer des déductions et des exemptions ciblées.

La troisième colonne illustre ce que l’on pourrait appeler un impôt uniforme « pur », car il ne s’assortit d’aucune déduction de base.  Dans ce régime, la situation des Tremblay est de toute évidence pire que dans les deux autres.  Les Dupont, quant à eux, s’en tirent mieux que dans le régime progressif, mais pas aussi bien que dans le régime d’impôt uniforme assorti de déductions de base importantes.  Cette analyse illustre deux points fondamentaux:

BREF HISTORIQUE

L’idée d’un impôt uniforme s’est répandue surtout depuis 1981, année où Robert Hall et Alvin Rabushka l’ont présentée sur la tribune politique.  Ces deux universitaires de Stanford ont publié un livre intitulé The Flat Tax, dans lequel ils décrivaient les principales caractéristiques de leur projet, qui peuvent être résumées ainsi :

Pour Hall et Rabushka, l’impôt uniforme n’aurait pas seulement l’avantage de la simplicité – les déclarations d’impôt pour la plupart des particuliers et des entreprises feraient au plus une demi-page –, mais il favoriserait également l’efficacité et donc, à long terme, la croissance économique.  Pour eux, le système actuel est trop complexe et mal conçu, et il a des conséquences inattendues et négatives.  Par exemple, les avantages complémentaires sont de plus en plus courants aux États-Unis comme forme de rémunération, car ils sont déductibles à titre de dépenses pour les employeurs et exonérés d’impôt pour les employés.  Un régime d’impôt uniforme s’appliquerait également à ces formes de rémunération, de sorte que les employés toucheraient une rémunération plus importante et auraient plus de latitude pour prendre les décisions qui correspondent à leurs intérêts (assurance-vie par exemple) plutôt que de se les voir imposer par un employeur dont la motivation dépend uniquement du régime fiscal.  L’économie y gagnerait en efficacité.

De même, Hall et Rabushka estiment que la provision pour amortissement ponctuel la première année augmenterait l’investissement, puisque les entreprises seraient fortement encouragées à accroître leur capital physique (machines, bâtiments, usines) pour moins payer d’impôts.  Les deux universitaires affirment également que l’investissement augmenterait, car leur régime fiscal constitue un véritable impôt sur la consommation.  Dans la mesure où l’économie souffre d’une épargne insuffisante, un impôt uniforme améliorerait les chances de croissance de l’économie en encourageant l’épargne, ce qui permettrait d’abaisser les taux d’intérêt et stimulerait l’investissement en capital physique.

Vers le milieu des années 1990, il y avait aux États-Unis au moins huit projets d’impôt uniforme, la plupart se situant entre la proposition de Hall et Rabushka et le régime fiscal du moment.  Ce sont essentiellement les candidats républicains à la présidence qui ont avancé ces projets, bien que certains aient été présentés par des représentants du Parti démocratique (Banks, 1996).  Le fait que ces projets soient provenus des deux partis montre bien que l’impôt uniforme est susceptible d’être équitable pour les familles et les particuliers à faible revenu, à condition de comporter une déduction de base importante.  La plupart des propositions étaient fidèles à l’esprit du plan Hall-Rabushka, mais n’éliminaient pas les déductions clés, l’une des plus importantes étant celle des paiements d’intérêt sur les emprunts hypothécaires à l’habitation, si chère au cœur des Américains; le secteur de la construction a d’ailleurs tout intérêt à conserver cette particularité du régime fiscal.  Il en est résulté des projets d’impôt uniforme qui n’étaient pas neutres du point de vue des recettes : sans baisse radicale des dépenses, ils auraient entraîné des déficits plus importants, ce qui n’était pas au goût des politiciens de l’époque.

L’idée d’un impôt uniforme sur le revenu, sans en porter le nom, remonte à beaucoup plus loin.  En fait, l’idée d’imposer tous les revenus des particuliers et des entreprises au même taux est aussi vieille que l’impôt sur le revenu lui-même, du moins aux États-Unis.  À la fin du XIXe siècle, par exemple, les défenseurs d’un impôt proportionnel (ou uniforme) aux États-Unis y voyaient essentiellement le moyen de corriger l’effet régressif des taxes d’accise et des droits tarifaires, qui constituaient à l’époque le gros des revenus du gouvernement(5).  Dans le contexte de l’époque, tout type d’impôt sur le revenu, y compris l’impôt uniforme, était considéré comme un moyen juste de corriger la montée spectaculaire de l’inégalité qui a accompagné l’évolution technologique rapide et l’industrialisation vers la fin du XIXe siècle(6).

Au Canada, c’est en 1917 que le gouvernement fédéral a commencé à imposer le revenu des particuliers, de manière à pouvoir assurer les grandes dépenses requises par l’effort de guerre(7).  Jusque là, les ministres des Finances avaient cherché presque chaque année, dans leur discours de présentation du budget et à l’aide des statistiques les plus inadéquates, de prouver à leur satisfaction que le Canada était un des pays les moins imposés au monde (Perry, 1955, p. 144)(8).  Bien que considérés à l’origine uniquement comme une mesure temporaire destinée à répondre à des besoins pressants, les impôts sur les revenus sont vite devenus un moyen pour le gouvernement de se procurer des fonds, surtout lors de la Grande crise et de la Seconde Guerre mondiale, qui ont toutes deux contribué à consolider le pouvoir du gouvernement fédéral dans ce domaine(9).

Dès le début, le régime d’imposition du revenu canadien a été progressif, peut-être du fait qu’un grand nombre de personnes craignaient que les industriels s’enrichissent indûment grâce à l’effort de guerre.  Tous les revenus étaient imposés au taux dit normal de 4 p. 100, avec des surtaxes progressives après certains seuils, allant de 2 p. 100 sur les revenus de 6 000 $ à 25 p. 100 sur les revenus de 100 000 $ ou plus.  Le régime fiscal comprenait également des exemptions personnelles de base de 3 000 $ pour les personnes mariées et de 1 500 $ pour les célibataires à l’égard du taux d’imposition normal (et non des surtaxes), ce qui a ajouté un autre élément important de progressivité.  Il semblerait que le régime d’impôt sur le revenu touchait à l’origine au plus 1 p. 100 de la population(10).

La Loi de l’impôt de guerre sur le revenu d’origine était un document simple, qui comptait une dizaine de pages.  Elle a peu varié jusqu’en 1962, date à laquelle la Commission Carter a recommandé une assiette fiscale plus large.  Après diverses audiences publiques et un livre blanc sur la réforme fiscale, une nouvelle loi a été présentée en 1972; elle a actualisé l’ancienne, en abrogeant et remplaçant la quasi-totalité de l’ancienne législation fiscale, et constitué le fondement du système actuellement en vigueur au Canada(11).

L’IMPÔT UNIFORME À L’ÉTRANGER

Malgré l’attrait que présente au premier abord l’idée d’un impôt uniforme et la grande visibilité du débat sur le sujet aux États-Unis, une poignée de pays seulement ont adopté ce genre d’impôt.  L’exemple le plus souvent cité est celui de Hong Kong, où le taux maximal d’imposition est de 15 p. 100(12).  Le milieu des affaires estime que ce régime d’impôt est une composante importante de l’économie de Hong Kong, dont la vigueur tient toutefois à bien d’autres facteurs.  En fait, il est peu probable que l’impôt uniforme explique, en tout ou même en partie, le succès de Hong Kong, car d’autres économies ayant des structures fiscales bien différentes mais des caractéristiques culturelles et géographiques similaires (comme le Japon) affichent des comportements analogues en matière de commerce.

Les économies en transition (anciens pays de l’Est) semblent être les plus disposées à faire l’expérience d’un impôt uniforme.  L’Estonie l’a fait en 1994, suivie par la Lettonie en 1995.  En août 2000, la Russie a décidé de taxer tous les revenus au taux de 13 p. 100 dans le but de répondre à ses besoins de trésorerie.  Dans l’ancien régime fiscal russe, qui comportait un taux d’imposition progressif variant entre 12 et 30 p. 100, le gouvernement manquait systématiquement de recettes fiscales, du fait de l’évasion fiscale et de son incapacité de faire appliquer les lois fiscales.  Il est trop tôt pour dire si l’impôt uniforme a un effet positif sur la croissance économique ou les recettes publiques en Russie; à notre connaissance, aucune étude ne l’a encore démontré.

À la lumière des données historiques mentionnées plus tôt, l’attrait que présente l’impôt uniforme pour les économies en transition s’inscrit dans une certaine logique : l’idée d’un impôt uniforme a fait son apparition pratiquement au même moment que l’impôt sur le revenu et c’est peut-être à ce moment qu’elle aurait eu les meilleures chances de s’implanter(13).  Dans la mesure où le capitalisme est relativement nouveau pour les économies de transition et que celles-ci repartent sur des bases entièrement nouvelles, il n’y aurait guère d’obstacles à l’imposition d’un régime d’impôt uniforme.  Un grand nombre des défenseurs de ce régime aux États-Unis et au Canada reconnaissent que le plus grand obstacle politique est que le régime fiscal en vigueur est ancré au niveau institutionnel et personnel, étant donné qu’un grand nombre de gens vivent de la complexité du système (fiscalistes et comptables, par exemple) ou sont subventionnés par le régime (secteur de la construction aux États-Unis, par exemple).

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU RÉGIME FISCAL EN VIGUEUR AU CANADA

L’essentiel du régime fiscal canadien a peu changé depuis 1988.  Entre 1988 et le début de 2001, trois taux marginaux d’imposition se sont appliqués, à savoir 17 p. 100, 26 p. 100 et 29 p. 100(14).  Les taux d’imposition et les seuils d’imposition ont peu varié pendant cette période(15), apportant un élément de régressivité à un système fiscal par ailleurs progressif : en effet, les particuliers dont le revenu augmentait parallèlement à un taux d’inflation inférieur à 3 p. 100 se retrouvaient souvent dans une tranche d’imposition plus élevée, bien que leur revenu réel (après inflation mais avant impôt) n’ait pas varié(16).  Le Budget de 2000 représente donc, faute d’autres changements importants au fil des ans, un des changements les plus fondamentaux du régime d’impôt sur le revenu survenus depuis 1988.

Depuis, le gouvernement a procédé à d’autres réductions d’impôt.  En janvier 2001, le taux d’imposition le plus bas est tombé à 16 p. 100, le taux intermédiaire a été abaissé à 22 p. 100 et le taux marginal d’imposition de 29 p. 100 sur la tranche de revenu située entre 60 000 et 100 000 $ est passé à 26 p. 100.  Les revenus de plus de 100 000 $ seront toujours imposés au taux de 29 p. 100.  Le taux d’inclusion des gains en capital a été de nouveau diminué, soit à 50 p. 100, et le plan de réduction de tous les taux d’imposition des sociétés pour les porter à 21 p. 100 a été accéléré (les entreprises dans le secteur des services et les entreprises de haute technologie sont généralement taxées à un taux plus élevé – dans le Budget de 2000 ce taux est tombé à 27 p. 100).

ARGUMENTS POUR ET CONTRE

Comme tout projet de politique, le projet d’impôt uniforme(18) a ses détracteurs et ses défenseurs.  Du point de vue politique, ses champions affirment qu’il présente trois grands avantages :

Il existe un certain nombre d’arguments économiques moins tangibles en faveur d’un impôt uniforme, qui portent pour la plupart sur des considérations d’efficacité.  Ce type d’impôt signifie :

– La rémunération au moyen d’avantages complémentaires par opposition à un traitement ou un salaire (voir plus haut).  Cette pratique manque d’efficacité dans la mesure où l’employeur effectue des choix pour ses employés qui ne sont pas nécessairement ceux que les employés auraient faits s’ils avaient touché des salaires plus importants.

– La double imposition des économies.  Selon l’impôt uniforme, les revenus sous la forme de dividendes ne seraient imposés qu’une seule fois, tout comme les gains en capital qui seraient imposés au niveau de la société et non pas au niveau du particulier(19).  Les sociétés pourraient alors prendre leurs décisions en matière financière (emprunts, vente d’actions ou émission d’obligations) indépendamment de la structure fiscale.

– Les distorsions du marché du travail.  Dans un régime progressif, certains employés hésitent parfois à accepter un travail mieux rémunéré si cela signifie qu’ils devront payer plus d’impôts.  Lorsque cela se produit, le système actuel entraîne une perte d’efficacité, car la société dans son ensemble gagne à ce que ses membres donnent toute la mesure de leur talent.

Il existe bien sûr plusieurs arguments contre un impôt uniforme, dont les détracteurs invoquent généralement deux raisonnements populaires.

– La plupart des gens remplissent déjà une déclaration de revenus très simple – Aux États-Unis par exemple, les contribuables peuvent utiliser un formulaire de déclaration simplifié d’une seule page.  Cette « simplification » du régime fiscal ne concerne donc que les contribuables aisés.

– Les régimes d’impôt uniforme sont difficilement neutres du point de vue des recettes de l’État puisque, au départ, ils visent à réduire le taux marginal d’imposition supérieur et comportent par ailleurs d’importantes exemptions de base pour les contribuables à faible revenu.  De ce fait, l’élargissement de l’assiette fiscale ne suffit pas à compenser le manque à gagner, non plus que la croissance économique, les économies et la meilleure observation de l’impôt que l’on fait miroiter.  En supposant que cet impôt ne soit pas neutre, il risque donc d’entraîner une diminution des dépenses consacrées aux programmes sociaux, notamment à ceux qui ciblent les gagne-petit.   En conséquence, les personnes à faible revenu paieront peut-être moins d’impôt (et recevront en fait peut-être des remboursements d’impôt plus importants), mais elles perdront au moins autant par la réduction des transferts.

Il existe bien sûr un certain nombre d’arguments économiques contre l’impôt uniforme.

LES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES D’UN IMPÔT UNIFORME

Nous avons parlé jusqu’ici de notions plutôt abstraites.  Nous nous efforcerons maintenant de donner une idée des conséquences concrètes d’un régime d’impôt uniforme qui conserverait une bonne partie du système actuel de déductions et de crédits d’impôt.  Il importe de souligner que ce type de régime est très différent de celui que proposent Hall et Rabushka et que nous avons étudié dans le présent document.  Cependant, il est utile d’étudier ce système hybride d’impôt uniforme quand on sait qu’on apporte rarement des changements radicaux, sauf en période de crise.  Il importe de se poser d’abord la question suivante : quel est le taux d’imposition uniforme le plus bas possible si l’on veut conserver tous les éléments (réductions d’impôts et mesures de dépenses) mis en oeuvre dans les plus récents documents budgétaires (le Budget et la Mise à jour économique de 2000) et si l’on part de l’hypothèse que les gouvernements futurs tiendront a) à préserver un budget équilibré, b) à augmenter les dépenses nominales en fonction de l’accroissement démographique augmenté de l’inflation et c) à réduire la dette d’au moins 6 milliards de dollars par an?  Il est manifestement très difficile de répondre à cette question en raison de la complexité du régime fiscal.  Fort heureusement, Statistique Canada a élaboré un modèle appelé Base de données et modèle de simulation de politique sociale (BD/MSPS) qui permet de se faire une idée du coût d’un régime d’impôt uniforme dans ces conditions.  Avant d’étudier les résultats, il importe de faire deux mises en garde.

Les graphiques 1 et 2 illustrent les résultats pour les années civiles 2000 et 2001(26).  Ils montrent clairement qu’un impôt uniforme neutre sur le plan des recettes fiscales – compte tenu des augmentations prévues des dépenses publiques, des plans de réduction de la dette et du système actuel de déductions et de crédits – devrait se situer autour de 19 ou 20 p. 100.  Rappelons encore une fois que les chiffres mentionnés dans le présent document ont été calculés par rapport au cas de référence, à savoir le régime fiscal modifié en fonction des changements annoncés dans le Budget et dans la Mise à jour économique de l’automne de 2000.  Il faut aussi noter que les chiffres sur les coûts totaux tiennent compte des effets de l’instauration d’un impôt uniforme, d’une augmentation annuelle de 1 p. 100 des dépenses publiques (correspondant à l’accroissement démographique) et d’une réduction annuelle de la dette publique de 6 milliards de dollars.

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CONCLUSION

Nous avons tenté ici de brosser un tableau contextuel relativement complet de l’impôt uniforme en étudiant d’abord ses origines, ses usages contemporains et le pour et le contre de ce type d’impôt.  Nous avons aussi analysé certaines des conséquences budgétaires probables de l’impôt uniforme en fonction d’un projet politiquement plausible et du régime fiscal courant.  Ces calculs ne sont là qu’à titre indicatif.  Bien des choses peuvent se passer en un ou deux ans qui pourraient rendre ce type de solution plus ou moins faisable.  S’il faut tirer une conclusion de cette analyse, c’est la suivante : les données historiques et internationales montrent que la probabilité de l’adoption d’un régime d’impôt uniforme est le plus élevée après un échec brutal et retentissant du régime fiscal courant (Russie) ou dans les premiers stades de l’établissement d’un régime fiscal (Estonie, Lettonie et Hong Kong).  En dehors de ces cas, l’inertie inhérente au régime fiscal courant a invariablement pour effet de rendre méconnaissables les projets d’impôt uniforme au point d’amoindrir ou de faire carrément disparaître la plupart des avantages de ce type d’impôt et, en dernière analyse, de compromettre le potentiel de génération de recettes de ce type de régime, ce qui ne peut que mettre en danger les programmes essentiels et, partant, entraîner éventuellement des coûts politiques élevés.

RÉFÉRENCES

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(1)  Le député Dennis Mills a également proposé un impôt uniforme.   Le Parti progressiste-conservateur a brièvement envisagé l’idée, tout comme le Parti réformiste, prédécesseur de l’Alliance canadienne.

(2)  Il peut évidemment arriver que la famille sans enfant ait d’importants frais médicaux, pour l’un ou l’autre conjoint, ou s’occupe de grands-parents malades.

(3)  Voir, par exemple, la définition de fiscalité progressive et régressive que donne le lauréat du prix Nobel William Vickrey dans le dictionnaire New Palgrave.  Ce qu’il appelle un régime « progressif au sens strict » comporte des taux marginaux d’imposition différents selon les catégories de revenu.  Il note toutefois que même les impôts et les régimes fiscaux normalement considérés comme régressifs peuvent être modifiés pour réduire leur degré de régressivité ou même les rendre modérément progressifs.  Il y aurait une autre façon d’obtenir un impôt uniforme progressif : imposer tous les revenus (sans exemption) également, mais assortir ce système d’un crédit d’impôt important, et instaurer ainsi un impôt négatif ou un revenu de base garanti.  Voir, par exemple, S. Lerner, C.M.A. Clark et W.R. Needham « Basic Income:  Economic Security for All Canadians ».  Selon une autre formule, un régime fiscal comportant des exemptions et/ou des déductions adéquates – comme celui que proposent Robert Hall et Alain Rabushka et certaines de ses variantes – pourrait combiner équité horizontale et équité verticale dans les mêmes proportions.

(4)  En supposant que, toutes choses étant égales par ailleurs, l’impôt uniforme ne mène pas forcément à des compressions des programmes d’aide sociale qui transfèrent des fonds directement aux familles à faible revenu.

(5)  Cela était également vrai au Canada; voir Perry (1997).  Les droits tarifaires et les taxes d’accise étaient et sont toujours régressifs lorsqu’ils s’appliquent aux biens et services auxquels est consacrée une portion plus importante du revenu d’une famille ou d’un particulier à faible revenu que de celui d’une famille ou d’un particulier plus à l’aise, car les fabricants sont en général capables de répercuter les taxes sous forme de hausse de prix.  Par exemple, les taxes d’accise sur l’essence sont généralement considérées comme régressives, car les familles et les particuliers à faible revenu dépensent une portion plus grande de leur revenu en essence que les familles ou particuliers à revenu élevé.  Toutefois, comme l’indique Gillespie (1991), les Canadiens ont de tout temps hésité à imposer des taxes d’accise sur des articles de base (café, thé, alimentation) par souci d’attirer et de retenir les immigrants qui avaient tendance à consacrer une plus forte proportion de leur revenu à ces articles.  La plupart des taxes visaient des produits associés au « péché », comme l’alcool, ce qui a été possible sur le plan politique en raison des forces encourageant la prohibition.

(6)  C’est en Grande-Bretagne, en 1799, que le premier impôt généralisé sur le revenu a été instauré, pour financer en l’occurrence les Guerres napoléoniennes.  L’impôt a ensuite été abrogé puis réintroduit dans les années 1880, et est devenu un trait permanent des finances publiques.

(7)  Dans certaines provinces, des impôts sur le revenu ont été perçus avant la Première Guerre mondiale.

(8)  Perry estime qu’il y a lieu de douter des déclarations selon lesquelles le Canada d’avant-guerre aurait été un paradis fiscal, citant le travail de O.D. Skelton, d’après lequel le montant moyen d’impôt par habitant était de 31,50 $ au Canada, de 24,63 $ en Angleterre et de 30,90 $ aux États-Unis (p. 145).

(9)  Voir David B. Perry, « Financing the Canadian Federation, 1867-1995: Setting the Stage for Change », Toronto, Association canadienne d’études fiscales, 1997.

(10)  Cet apercu historique est de Gillespie (1991).

(11)  Le résumé de la Loi de l’impôt sur le revenu de la CCH Canadienne Limitée – notes techniques, amendements à venir, communiqués du ministère des Finances et avis des voies et moyens compris – compte environ 1 890 pages.

(12)  Les résidents de Hong Kong peuvent choisir entre un taux d’imposition uniforme de 15 p. 100 de leur revenu ou un régime fiscal plus traditionnel, avec déductions et exemptions.  Certains ont proposé ce modèle, appelé MAXTAX, pour les États-Unis.   Voir Moore (1997) pour en savoir plus sur ce projet.

(13)  Le concept d’impôt uniforme est inextricablement lié à celui d’impôt sur le revenu, même s’il s’oppose à un certain régime d’impôt sur le revenu (taxes à la consommation).

(14)  Avant 1988, il existait dix taux marginaux d’imposition allant de 6 p. 100 sur la première tranche de 1 320 $ à 34 p. 100 sur les revenus imposables supérieurs à 63 347 $.

(15)  En 1988, les seuils étaient de 27 500 et de 55 000 $, alors qu’ils se situaient à 29 590 et 59 180 $ au début de 2000.  Cela représente une hausse de 7,6 p. 100 sur 12 ans, alors que l’indice des prix à la consommation a augmenté de 30 p. 100 pendant la même période.

(16)  Bien que les fourchettes de revenu aient été indexées sur l’inflation lorsque celle-ci était supérieure à 3 p. 100, cela a eu peu d’effet, puisque la Banque du Canada a mené une politique de maintien de l’inflation au-dessous de ce chiffre et y est parvenue pendant la majeure partie de la décennie.

(17)  Ce sont les effets à court terme du plan fiscal.  Le plan à moyen terme visait à réduire à 23 p. 100 le taux d’imposition des revenus moyens et de relever à 35 000 $ le plafond de la tranche de revenu imposée au taux marginal le plus bas et à une fourchette de 35 000 à 70 000 $ la tranche de revenu imposée au taux intermédiaire.  Ces chiffres plus élevés résultent d’un relèvement des seuils et du rétablissement de la pleine indexation.  L’indexation devait également accroître l’exemption personnelle de base pour la porter de 7 131 $ à 8 000 $ d’ici cinq ans.   Le plan prévoyait également l’augmentation de la prestation canadienne fiscale pour enfants, la portant à 2 400 $ d’ici 2004, et l’élimination de la surtaxe de 5 p. 100 pour les particuliers dont le revenu est d’au plus 85 000 $.

(18)  Le terme d’impôt uniforme fait référence au projet de Hall et Rabushka qui semble être le système proposé le plus complet et le plus débattu.

(19)  L’argument est le même que pour l’imposition unique des dividendes.  Prenons l’exemple des actions d’entreprises, qui représentent en théorie la valeur actuelle capitalisée des gains futurs après impôt.  Il y a gain en capital lorsque le prix des actions augmente du fait que l’on s’attend à une hausse des profits futurs.  Ces profits seront imposés le moment venu, s’ils se réalisent (il arrive que les marchés se trompent).  Parce que l’objectif est de n’imposer qu’une fois tous les revenus, il n’est pas logique de les imposer lorsqu’ils se trouvent entre les mains des actionnaires qui réalisent ce gain en capital.

(20)  D’après des recherches récentes dans le domaine en expansion rapide de l’économie et de la psychologie, l’idée que les gens se font de l’équité diverge considérablement de la définition qu’utilisent les économistes.

(21)  Ce revenu, cependant, est imposé à la source (c.-à-d. au niveau de la société).

(22)  Lars Osberg, « Poverty in Canada and the USA:  Measurement, Trends and Implications », exposé du président devant l’Association canadienne d’économique, Vancouver, 3 juin 2000, disponible en anglais sur Internet à l’adresse http://is.dal.ca/~osberg/uploads/Povtrend.PDF.

(23)  Cet argument plaît à certains des partisans de l’impôt uniforme qui y voient une façon d’encourager les mères ou les pères qui restent à la maison pour s’occuper de leurs enfants.

(24)  L’inégalité peut aussi avoir des conséquences économiques directes.   Par exemple, J. Barkley Rosser et Marina Vcherashnaya Rosser (2001) présentent des données empiriques selon lesquelles le creusement des inégalités pourrait encourager le développement de l’économie souterraine, phénomène qui prive le gouvernement de recettes fiscales.

(25)  Certains économistes sont d’avis que les avantages proviendraient des gains d’efficacité puisque l’impôt a des effets nuls à long terme.

(26)  Il importe de noter qu’il s’agit ici d’années civiles, tandis que les projections budgétaires portent généralement sur des exercices financiers se terminant le 31 mars.  Pour compenser, nous posons en hypothèse que le quart de l’excédent pour 1999-2000 et les trois quarts de l’excédent projeté pour 2000-2001 représentent l’équivalent de l’excédent de l’année civile 2000.  Cela produit des excédents projetés de 12 milliards de dollars pour l’année civile 2000, au lieu de 11,9 milliards de dollars pour 2000-2001, et de 9,2 milliards de dollars pour l’année civile 2001, au lieu de 8,3 milliards de dollars pour 2001-2002.