PRB 01-8F

 

CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES POSSIBLES
DE L'ATTENTAT TERRORISTE DU 11 SEPTEMBRE 2001

 

Rédaction :
Marc-André Pigeon
Division de l'économie
Le 17 septembre 2001


 

TABLE DES MATIÈRES

 

CONSÉQUENCES SUSCEPTIBLES DE RALENTIR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

   A.  Baisse de la confiance des consommateurs/Réduction de la consommation

   B.  Retards à la frontière

   C.  Augmentation du prix de l'énergie

   D.  Ralentissement du tourisme/Manque à gagner des compagnies aériennes et des constructeurs d'avions

   E.  Resserrement du crédit

CONSÉQUENCES SUSCEPTIBLES DE STIMULER LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

   A.  Dépenses de reconstruction

   B.  Augmentation des dépenses militaires

   C.  Augmentation des liquidités/Abaissement des taux d'intérêt

   D.  Augmentation du prix des matières premières


CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES POSSIBLES
DE L'ATTENTAT TERRORISTE DU 11 SEPTEMBRE 2001

Il est extrêmement difficile de prédire l’impact économique global de l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 contre les États-Unis.  Ce genre de prédiction reviendrait à déterminer dans quelle mesure certaines de ses conséquences susceptibles de stimuler la croissance économique pourraient ou non compenser à la fois un apparent début de récession et ses conséquences susceptibles de ralentir la croissance économique.  Il est donc peut-être plus utile de passer en revue ces diverses conséquences individuellement.

CONSÉQUENCES SUSCEPTIBLES DE RALENTIR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

   A.  Baisse de la confiance des consommateurs/ Réduction de la consommation

Par temps de guerre ou de crise, notamment après des événements aussi inattendus et soudains que l’attentat terroriste contre New York et Washington, les consommateurs ont tendance à stocker de la nourriture et du carburant (pétrole et gaz en particulier) parce qu’ils craignent d’autres perturbations ou des restrictions de l’offre.  L’économie pourrait s’en trouver temporairement stimulée, mais l’attentat entraînera probablement une baisse de la confiance des consommateurs.   Moitié par inquiétude pour leur emploi, moitié par peur d’une guerre, les consommateurs vont peut-être retarder leur achat de biens de consommation durables comme les cuisinières, les laveuses et les automobiles.  Il y aura donc probablement peu d’achats de remplacement, surtout aux États-Unis, où les consommateurs ont fait l’acquisition d’un grand nombre de ces biens au cours des cinq ou six dernières années.  C’est légèrement moins le cas au Canada où le revenu réel a stagné par rapport aux États-Unis et où, par exemple, le véhicule moyen est plus vieux qu’aux États-Unis(1).

   B.  Retards à la frontière

Après l’attentat terroriste, les gouvernements canadien et américain ont resserré la sécurité à tous les postes frontaliers, ce qui a retardé les livraisons de biens et de pièces manufacturés et de produits agricoles entre le Canada et les États-Unis.  Quelques jours après l’attentat, par exemple, la société General Motors a fermé une usine de voitures en Ontario(2) et la société Ford a annoncé que ses revenus seraient moins élevés que prévu au troisième trimestre à cause des retards à la frontière et des annulations de vols.  D’autres entreprises manufacturières (automobiles et autres) se heurteront sans doute à des problèmes semblables.

Cependant, les retards à la frontière n’auront pas seulement l’effet à court terme d’entraîner des fermetures d’usines, des mises à pied et la réduction de la consommation.   Ils risquent également de mener à une baisse de la productivité, qui est mesurée en production par heure de travail.  Les gains de productivité au Canada et aux États-Unis pendant la deuxième moitié des années 90 ont été dus, en partie du moins, à la livraison juste à temps, à la réduction des stocks et à la diminution des cycles de production. Comme les retards à la frontière font qu’il est beaucoup plus difficile de garantir la livraison à temps, les entreprises peuvent devoir augmenter leurs stocks, ce qui risque d’aggraver le ralentissement économique, d’autant plus à un moment où la plupart des fabricants essaient de réduire leurs stocks.  Les retards à la frontière vont probablement à tout le moins réduire l’efficience globale de l’économie.  Ils risquent de faire monter le prix des fruits et des légumes frais qui ne peuvent pas être produits au Canada et dont la durée de conservation est brève.   Au bout du compte, cependant, l’impact du renforcement de la sécurité aux frontières dépendra de la période pendant laquelle les mesures de sécurité supplémentaires resteront en vigueur : s’il s’agit de mesures à court terme, l’impact pourrait être passager.

   C.  Augmentation du prix de l’énergie

Le prix de l’énergie et notamment du pétrole est monté en flèche immédiatement après l’attentat terroriste, bien qu’il soit redescendu dans les jours suivants.  Là encore, le marché s’attend à ce que les États-Unis engagent une action militaire potentiellement déstabilisatrice au Moyen-Orient, grande région productrice de pétrole à l’échelle mondiale.  Bien que les Canadiens et les Américains dépendent beaucoup moins du pétrole qu’auparavant, une hausse du prix de l’énergie se répercuterait presque certainement sur l’économie sous la forme d’augmentations de prix généralisées et risque de diminuer le rythme et l’ampleur des ajustements des taux d’intérêt auxquels la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine envisageaient de procéder pour soutenir une économie défaillante.  Toutefois, un ralentissement important de la croissance aurait un effet stabilisateur sur les prix ou pourrait même entraîner leur chute en affaiblissant la demande.

   D.  Ralentissement du tourisme/Manque à gagner des compagnies aériennes et des constructeurs d’avions

Les voyageurs vont probablement retarder ou annuler leurs projets de voyage, entre autres parce qu’ils ont peur d’un autre attentat terroriste, qu’ils trouvent insupportable le renforcement de la sécurité ou simplement qu’ils craignent de ne pas avoir les moyens de voyager par avion – le prix du billet d’avion augmentera probablement du fait que les assureurs vont augmenter les primes des compagnies aériennes.  L’industrie aérienne ressent déjà les répercussions de l’attentat, une petite compagnie américaine, Midway Airlines, ayant suspendu tous ses vols, rendu tous ses avions aux entreprises de crédit-bail et mis à pied ses pilotes.   Le ralentissement pourrait être particulièrement pénible pour Air Canada, qui enregistre déjà une perte importante cette année, et pour Air Transat, qui est déjà aux prises avec les préoccupations des voyageurs concernant la sécurité de ses appareils(3). Une éventuelle diminution des voyages touristiques pourrait avoir des répercussions sur l’industrie de fabrication d’avions et des entreprises comme Bombardier et Boeing.

   E.  Resserrement du crédit

Il se peut que les banques hésitent à accorder du crédit à leurs clients parce qu’elles craignent une récession ou peut-être d’autres attentats terroristes.  Cependant, c’est peut-être là la conséquence défavorable la moins probable de la crise, ne serait-ce que parce que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine se sont toutes deux engagées à fournir tout le crédit nécessaire, comme elles l’ont fait après le krach boursier de 1987.

CONSÉQUENCES SUSCEPTIBLES DE STIMULER LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

   A.  Dépenses de reconstruction

Les grands indicateurs de croissance économique ne font pas la différence entre les nouvelles dépenses de construction d’usines et de logements et les dépenses de remplacement des équipements détruits.  Le 14 septembre, le gouvernement américain a débloqué 40 milliards de dollars pour venir en aide aux secteurs sinistrés – ainsi que pour appuyer la lutte contre le terrorisme et accroître la sécurité dans le secteur du transport et d’autres secteurs.  D’un point de vue purement comptable donc, la reconstruction du centre-ville de New York va ajouter à la production mesurée des États-Unis et par le fait même engendrer une demande de biens canadiens, notamment de matériaux de construction. La destruction des immeubles new-yorkais n’aura pas d’incidence sur la croissance dans la mesure où les entreprises qui y logeaient peuvent fournir leurs services à partir d’autres locaux.  Cependant, de façon globale, il devrait s’agir d’un stimulant relativement mineur et à court terme, de nature ponctuelle.

   B.  Augmentation des dépenses militaires

De même, l’augmentation des dépenses militaires engagées par les États-Unis pour lancer une attaque ou augmenter leur puissance militaire pourrait donner un coup de pouce à l’économie américaine, encore que les dépenses militaires soient qualitativement différentes des dépenses d’investissement puisque les équipements produits (chars d’assaut, avions, etc.) ne servent généralement pas à produire d’autres biens.  En d’autres termes, le matériel militaire mobilise des ressources parfois rares (et éventuellement vouées à la destruction) et sa production n’ajoute guère à la capacité de production de la société, du moins en ce qui concerne les biens de consommation(4). Les dépenses militaires risquent donc d’être inflationnistes parce qu’elles mobilisent des ressources sans augmenter d’autant la capacité de la société à produire des biens.

   C.  Augmentation des liquidités/Abaissement des taux d’intérêt

Peu après l’attentat, la Réserve fédérale américaine (et d’autres banques centrales, dont la Banque du Canada) a annoncé qu’elle accéderait à toutes les demandes de liquidités des milieux bancaires.  Ce faisant, elle joue son rôle de prêteur de dernier recours, dont beaucoup estiment qu’il est la raison d’être des banques centrales : sans cette mesure de stabilisation, il aurait fort bien pu se produire une ruée sur les banques commerciales les plus touchées par la crise, ce qui aurait causé de la panique et des fermetures(5). Cette mesure a cependant pour effet d’augmenter la masse monétaire du fait que les banques demandent des crédits d’urgence (au nom de leurs clients et en leur nom propre) pour pouvoir traverser la crise(6). Il est difficile de dire comment ces crédits vont être utilisés, mais ils pourraient servir, par exemple, à remplir des engagements de prêt, auquel cas l’augmentation de la masse monétaire pourrait être « neutralisée », ou à engager des dépenses d’investissement ou de consommation, ce qui pourrait stimuler la croissance.

On s’attend également à ce que la banque centrale abaisse les taux d’intérêt dans la foulée de la crise, surtout si elle estime que l’attentat risque de précipiter une récession.  Déjà, les rendements des obligations d’État du gouvernement américain à échéance de deux ans frôlent leur niveau le plus bas depuis 50 ans, ce qui donne à penser que le marché croit que les réductions de taux d’intérêt sont inévitables et nécessaires et que la plupart des agents économiques croient qu’une reprise de l’inflation est peu probable dans un avenir rapproché.

   D.  Augmentation du prix des matières premières

Pendant des crises comme celle de l’attentat terroriste contre les États-Unis, le prix des matières premières tend à augmenter dès lors que les investisseurs cherchent à investir dans des valeurs considérées comme sûres.  Par exemple, tout de suite après la crise, le prix de l’or a fait un bond.  Il pourrait donc en résulter quelques gains essentiellement à court terme pour les producteurs canadiens de minéraux.  Le prix de l’énergie a également augmenté après l’attentat parce que les investisseurs ont supposé que les États-Unis lanceraient des attaques militaires au Moyen-Orient, grande région de production pétrolière.   Ces attaques pourraient non seulement s’avérer politiquement déstabilisatrices, mais encore conduire à des représailles sous la forme de réduction de la production des pays de l’OPEP.  Toutes choses égales, l’augmentation du prix de l’énergie pourrait bénéficier aux producteurs d’énergie canadiens.


(1)  Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, mai 2001, p. 10.

(2)   Bill Koeing, « General Motors Shuts Ontario Plant Because of Parts Shortages », Bloomberg, 14 septembre 2001.

(3)   Allan Swift, « Airlines facing more pain:  Carriers facing more losses to pay security costs, passenger drop », The Edmonton Journal, 13 septembre 2001, p. G7.

(4)  Ce n’est pas dire que les dépenses militaires soient inutiles d’un point de vue économique.  La sécurité nationale est un élément important du contexte économique global, comme l’ont montré clairement les événements du début de septembre 2001.  En outre, les dépenses militaires ont conduit par le passé à des percées scientifiques qui ont eu d’importantes ramifications économiques (la technologie nucléaire, les ordinateurs et l’Internet, entre autres).  Il n’en reste pas moins qu’on aurait pu faire ces découvertes dans le cadre d’efforts concertés de recherche et de développement, civils ou militaires.

(5)  La fermeture de la bourse est une autre grande mesure de « stabilisation » qui, selon certains, pourrait être envisagée à l’échelle mondiale en temps de crise.

(6)   Dans les trois jours qui ont suivi l’attentat, la Réserve fédérale américaine aurait, selon les médias, injecté jusqu’à 188 milliards de dollars dans l’économie américaine.  Voir Marian Stinson, « Fed Injects Records Cash Into System », The Globe and Mail, 15 septembre 2001.