PRB 01-9F
L'ARTICLE 41 DE LA LOI SUR LES LANGUES
OFFICIELLES :
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
LARTICLE 41 DE LA LOI SUR LES
LANGUES OFFICIELLES :
INTRODUCTIONLe concept de droit linguistique est étroitement lié à celui des droits collectifs des minorités. Au Canada, la judiciarisation des droits linguistiques est un fait relativement récent. Depuis 1982, le français et langlais jouissent dune reconnaissance juridique égale garantie par la Constitution canadienne au niveau fédéral. Par cette reconnaissance, le gouvernement canadien a voulu raffermir lunité nationale en créant un équilibre juridique entre deux communautés linguistiques et assurer ainsi la paix sociale. LÉtat canadien naurait probablement pas reconnu les droits linguistiques sil navait au préalable reconnu les principes de diversité et de pluralisme dans sa vision de la société canadienne. En effet, les aménagements plurilinguistiques à lintérieur dun État passent inéluctablement par la reconnaissance des droits collectifs. La plupart des droits linguistiques doivent faire lobjet de garanties juridiques(2). Au niveau fédéral, larchitecture des droits linguistiques prend assise essentiellement dans deux textes législatifs. Il sagit de la Loi constitutionnelle de 1982, plus précisément les articles 16 à 23, et de la Loi sur les langues officielles, adoptée la première fois en 1969 et révisée en 1988 dans le contexte du nouvel ordre constitutionnel découlant de 1982. La partie VII (articles 41 à 45) de la Loi sur les langues officielles de 1988 (LLO) a constitué un fait marquant dans lédification des droits linguistiques et la protection des minorités au Canada. Linterprétation et la portée de larticle 41 ont depuis fait lobjet de nombreux débats. Selon larticle 41 de la LLO :
Treize ans après son adoption, a-t-on rendu justice aux intentions du législateur? De quelle façon la jurisprudence a-t-elle contribué à préciser la portée de larticle 41? Le gouvernement fédéral a-t-il préconisé une approche proactive et mis en place un régime dapplication adéquat afin de donner suite à lengagement quil a contracté en 1988? Voilà autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre dans ce document. En premier lieu, nous nous efforcerons de circonscrire la problématique liée à linterprétation de larticle 41. Ensuite, nous étudierons les intentions du législateur à laide des débats parlementaires qui ont précédé ladoption de la LLO et lincidence de la jurisprudence sur linterprétation de larticle 41. Enfin, nous nous arrêterons au régime dapplication établi par le gouvernement fédéral depuis 1988. En posant linfrastructure juridique relative aux langues officielles, dabord par la loi initiale de 1969, ensuite par les articles 16 à 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 et enfin par la nouvelle loi de 1988, le gouvernement fédéral a fait de la dualité linguistique un fondement de lidentité canadienne. Quen est-il de lintervention positive du gouvernement fédéral dans lapplication de ce fondement? En dautres mots, comment le gouvernement fédéral a-t-il fait usage des pouvoirs qui lui sont dévolus par la Constitution tels que son pouvoir de dépenser pour concrétiser lengagement consacré dans larticle 41 de la LLO, à savoir le développement et lépanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada? Larticle 41 constitue-t-il en fait une déclaration dintentions ou crée-t-il une obligation dagir pour le gouvernement fédéral(3)? Sil entraîne une obligation dagir, de quelle façon pourrons-nous tracer les limites de laction gouvernementale et dans quelle mesure les tribunaux pourront-ils intervenir pour en assurer le plein respect? Voilà les principales interrogations qui sous-tendent la problématique de lapplication de larticle 41 et de la partie VII de la LLO.
La politique linguistique du gouvernement canadien a évolué considérablement depuis ladoption de la loi initiale en 1969. Donnant suite aux principales conclusions de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme (Laurendeau-Dunton), la Loi de 1969 comportait trois grands objectifs :
Les articles 16 à 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 ont eu pour effet de constitutionnaliser légalité du français et de langlais au sein des institutions du Parlement et du gouvernement du Canada et légalité des droits des minorités de langue officielle, notamment en matière déducation. En 1988, le gouvernement fédéral a voulu harmoniser les dispositions de la Loi de 1969 avec la nouvelle réalité constitutionnelle découlant de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. Les objectifs généraux qui ont présidé à ladoption de la loi étaient les suivants(5) :
Quels étaient les objectifs poursuivis par le législateur lorsquil a élaboré la partie VII de la LLO, et plus particulièrement larticle 41? Une brève étude de quelques déclarations ministérielles qui ont précédé ladoption de la LLO savère ici fort utile. Le 22 mars 1988, devant le comité législatif de la Chambre des communes chargé détudier le projet de loi C-72 sur les langues officielles, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, lhonorable Ray Hnatyshyn, affirmait que :
Le 20 juillet 1988, lors dune comparution devant le comité sénatorial chargé détudier le projet de loi, lhonorable Lucien Bouchard, alors Secrétaire dÉtat du Canada, déclarait que :
On peut conclure de ces déclarations quen introduisant la partie VII, et plus particulièrement larticle 41, le législateur ne se limitait pas à une déclaration dintentions, mais créait une obligation positive pour le gouvernement fédéral dagir en vue de respecter lesprit des paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte. Ladoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 a considérablement modifié les règles dinterprétation du judiciaire en matière de droits linguistiques. Bien que la Cour suprême ne se soit jamais prononcée sur la portée de larticle 41 ou de la partie VII, certaines décisions quelle a rendues depuis 1982 sont révélatrices. En 1986, dans laffaire Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick c. Association of Parents for Fairness in Education(8), le juge Beetz, au nom de la majorité, a affirmé que les droits linguistiques étaient fondés sur un compromis politique et ne faisaient pas lobjet des mêmes règles dinterprétation que les garanties juridiques inscrites aux articles 7 à 15 de la Charte. Cette interprétation restrictive des droits linguistiques a toutefois été largement modifiée par trois décisions subséquentes rendues par la Cour. Il sagit du Renvoi sur la sécession du Québec et des affaires R. c. Beaulac et Arsenault-Cameron et al. c. Gouvernement de lÎle-du-Prince-Édouard(9). En 1998, le Renvoi(10) a établi le respect des droits des minorités comme lun des cinq principes structurels fondamentaux de la Constitution, les autres étant le fédéralisme, la démocratie, la primauté du droit et le constitutionnalisme. Selon Michel Doucet, un juriste spécialiste de la question des langues officielles, ces principes « sont investis dune force normative puissante et lient à la fois les gouvernements et les tribunaux. [ ] [I]ls [les principes] peuvent, en vertu dune disposition écrite, donner naissance à des obligations juridiques substantielles qui fixent des limites importantes à laction ou même à linaction gouvernementale »(11). Peut-on, dès lors, conclure à un renforcement substantiel de lobligation du gouvernement dagir en vertu de larticle 41 de la LLO? Dans laffaire Beaulac(12), le juge Bastarache, au nom de la majorité, a affirmé que les droits linguistiques ne sont ni des droits passifs, ni des droits négatifs et ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. LÉtat a-t-il le devoir de prendre des mesures positives pour mettre en application les garanties linguistiques quil a reconnues? Selon Doucet, les garanties juridiques inscrites dans la Charte créent des obligations pour lÉtat et un « engagement concret de la part de lappareil étatique tant sur le plan financier que sur le plan administratif »(13). Dans son jugement, la Cour a tenu à se distancer de linterprétation restrictive découlant de laffaire(précitée) Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick c. Association of Parents for Fairness in Education. Elle a statué que :
Selon Doucet, par cette décision, « la Cour reconnaît quelle a un pouvoir de sanction judiciaire efficace dans le domaine des droits linguistiques et quelle ne laissera pas les collectivités minoritaires à la merci de ceux qui, autrefois, ont manifesté une plus grande tendance à ignorer ces droits quà en assurer la promotion »(15). Fait tout aussi important, sinon plus, larrêt Beaulac a confirmé que la LLO était une loi quasi constitutionnelle :
Dans larrêt Arsenault-Cameron et al c. Gouvernement de lÎle-du-Prince-Édouard, la Cour suprême sest surtout penchée sur la portée et lapplication de larticle 23 de la Charte, qui confère des droits à linstruction aux minorités de langue officielle. Fidèle à lesprit de larrêt Beaulac, la Cour a indiqué que les gouvernements doivent tenir compte des exigences de la Charte dans lexercice de leur pouvoir discrétionnaire et dans la conduite des affaires publiques. Que doit-on conclure de ces arrêts relatifs à la portée de larticle 41 et de la partie VII? Il semble que les jugements récents de la Cour suprême en matière de droits linguistiques ajoutent un poids évident à la portée de larticle 41 de la LLO et des obligations gouvernementales qui y sont énoncées, principalement parce quelle assujettit clairement la LLO aux règles dinterprétation de la Charte. Aux termes des articles 42 et 43 de la LLO, le ministre du Patrimoine (anciennement le Secrétaire dÉtat) assume des responsabilités essentielles dans la mise en uvre de larticle 41. Cest lui qui, en consultation avec ses collègues du Cabinet, doit « susciter et encourager la concertation dans la mise en uvre par les institutions fédérales de cet engagement » (LLO, article 42). En plus dêtre consacré comme maître duvre de laction du gouvernement fédéral pour lapplication de larticle 41, le Ministre doit prendre toutes les mesures possibles « pour favoriser la progression vers légalité de statut et dusage du français et de langlais dans la société canadienne » (LLO, article 43). Pour respecter ses engagements découlant de la LLO, le gouvernement fédéral a-t-il mis des programmes de soutien à la disposition des collectivités de langue officielle? Il semble que la plupart de ces programmes existaient déjà avant ladoption de larticle 41 de la LLO en 1988. Il sagit entre autres du programme des langues officielles dans lenseignement des langues première et seconde (immersion), du programme daide aux minorités de langue officielle, qui est destiné aux groupes communautaires, et du programme de promotion des langues officielles, qui sadresse aux organismes des secteurs bénévole et privé. Le 24 mars 1988, devant le Comité des communes chargé détudier le projet de loi C-72, le Secrétaire dÉtat, lhonorable David Crombie déclarait que :
Puisque le ministère du Patrimoine canadien nest pas un organisme « central » au sein de lappareil fédéral, en ce sens quil na pas de pouvoir coercitif à légard des autres ministères, peut-on conclure que lengagement du gouvernement aux termes de larticle 41 est partagé et fait partie des priorités de tous les ministères et de toutes les agences gouvernementales? Rappelons quen juin 1996, le Comité mixte des langues officielles avait recommandé à cet égard que le Bureau du Conseil privé coordonne la mise en uvre de larticle 41 et de la partie VII de la LLO. En août 1994, le Cabinet approuvait un cadre de responsabilisation ministérielle pour lapplication des articles 41 et 42 de la partie VII de la LLO. Aux termes de cette décision, 27 institutions fédérales désignées étaient dorénavant tenues de consulter les communautés minoritaires de langue officielle en vue délaborer un plan daction annuel et de soumettre au ministre du Patrimoine canadien un rapport sur leurs réalisations de lannée précédente. Depuis, le ministre du Patrimoine canadien dépose annuellement un rapport au Parlement sur les résultats atteints. Il sagissait de la première initiative gouvernementale visant lapplication de la partie VII depuis ladoption de la LLO. Aussi, en mars 1994, le greffier du Conseil privé réactivait-il un comité de sous-ministres chargé des langues officielles. Au-delà des programmes et des politiques déjà consacrés aux langues officielles, les ministères fédéraux tiennent-ils compte de lengagement du gouvernement découlant de larticle 41 de la LLO dans leur processus de prise de décisions? Dans le discours du Trône prononcé le 30 janvier dernier à louverture de la 37e législature, le gouvernement fédéral affirmait que :
Enfin, le 25 avril dernier, le premier ministre Chrétien annonçait la nomination du président du Conseil privé, lhonorable Stéphane Dion, à titre de « coordonnateur » du dossier des langues officielles(18). Treize ans après ladoption de larticle 41 de la LLO, il est difficile daffirmer avec certitude si le gouvernement fédéral a rendu justice aux intentions exprimées par le législateur en 1988. Il est toutefois évident que les intentions du législateur au moment de ladoption de la LLO et les arrêts de la Cour suprême relatifs aux droits linguistiques depuis le Renvoi sur la sécession du Québec tendent à démontrer quil existe pour lÉtat canadien une obligation positive dagir en vertu des objectifs décrits aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte, qui trouvent leur application dans larticle 41 de la LLO. Les moyens utilisés pour se conformer à cette obligation peuvent évidemment varier et leur efficacité doit être mesurée en fonction des résultats obtenus. BIBLIOGRAPHIEBastarache, Michel (dir.). Les droits linguistiques au Canada, Éditions Yvon Blais, 1986. Black-Branch, Jonathan L. « Constitutionnal Adjudication in Canada: purposive or political? », Statute Law Review 21:163-187 no 3, 2000. Chambre des communes. Comité mixte permanent des langues officielles. La mise en uvre de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, Rapport intérimaire du Comité mixte permanent des langues officielles, Chambre des communes, juin 2000. Commissariat aux langues officielles. Un tracé pour agir : rapport du Commissaire aux langues officielles sur la mise en uvre par le gouvernement fédéral de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, Ministère des Approvisionnements et Service Canada, 1996. Commission royale denquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Rapport préliminaire, Imprimeur de la Reine, 1965. Doucet, Michel. « Les droits linguistiques : une nouvelle trilogie », Revue de droit de lUniversité du Nouveau-Brunswick, tome 49, 2000. Eliot, Robin. « References, structural argumentation and the organizing principles of Canadas Constitution », The Canadian Bar Review 80:67-142, mars/juin 2001. Magnet, Joseph. Official Languages of Canada, Éditions Yvon Blais, 1995. McLachlin, Beverley. « Democracy and rights: a Canadian perspective », Canadian Speeches, Issues of the Day 14:36-45, janv./févr. 2001. (1) Beverley McLachlin, « Democracy and rights: a Canadian perspective », Canadian Speeches, Issues of the Day, 14:36-45, janv./févr. 2001 (traduction). (2) A. Braen, « Les droits linguistiques », dans Michel Bastarache (dir.), Les droits linguistiques au Canada, Éditions Yvon Blais, 1986, p. 15. (3) Dans laffaire Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001CFP1239, le procureur général du Canada a soutenu quon ne saurait trouver dans la partie VII une obligation pour le gouvernement fédéral de toujours prendre les mesures favorisant le plus lépanouissement et le développement des communautés minoritaires. De plus, le procureur général a soutenu quil fallait interpréter les droits linguistiques avec prudence. (4) Pierre-E. Trudeau, cité dans Lac Meech, Trudeau parle, Éditions Hurtubise, 1989, p. 44. (5) Débats des communes, Déclaration de lhonorable Ray Hnatyshyn, ministre de la Justice et procureur général du Canada le 8 février 1988, 33e législature, p. 12704. (6) Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-72, Chambre des communes, 33e législature, 22 mars 1988 (passage souligné par lauteur). (7) Délibérations du Comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-72, 33e législature, 20 juillet 1988 (passages soulignés par lauteur). (8) (1986) 1 R.C.S. 549. (9) Pour une analyse plus exhaustive de ces trois jugements, voir Michel Doucet, « Les droits linguistiques : une nouvelle trilogie », Revue de droit de lUniversité du Nouveau-Brunswick, tome 49, 2000. (10) (1998) 2 R.C.S. 217. (11) Doucet, op. cit., p. 5. (12) (1999) 1 R.C.S. 768. (13) Doucet, op. cit., p. 10. (14) R. c. Beaulac, p. 850-851 (passage souligné par lauteur). (15) Doucet, op. cit., p. 11. (16) R. c. Beaulac, p. 788 (passage souligné par lauteur). (17) Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-72, Chambre des communes, 33e législature, 24 mars 1988, 3:5. (18) Dans le communiqué de presse publié par Bureau du premier ministre le 25 avril dernier, il est indiqué « quen plus de coordonner les dossiers où la question des langues officielles est soulevée, le ministre Dion sera à lavant-garde des efforts du gouvernement fédéral en faveur du bilinguisme. Il aura notamment pour tâche de formuler un nouveau cadre daction pour renforcer le programme des langues officielles ». Le premier ministre ajoute : « Jai demandé au ministre Dion denvisager de nouvelles mesures énergiques pour continuer dassurer lépanouissement des collectivités de langue officielle en situation minoritaire et faire en sorte que les langues officielles du Canada soient mieux reflétées dans la culture de la fonction publique fédérale ». |