PRB 02-41F
LES AÉROPORTS EN TRANSITION
Rédaction :
Joseph P. Dion
Division des sciences et de la technologie
Le 4 octobre 2002
TABLE DES MATIÈRES
CONTEXTE
A. Le Groupe de travail
sur la gestion des aéroports de 1979
B. Le Groupe de travail
de 1986 et la nouvelle politique sur la gestion des aéroports
C.
Les premières administrations aéroportuaires locales
LA POLITIQUE NATIONALE
DES AÉROPORTS DE 1994
A.
Les aéroports au Canada
B.
Les aéroports du Réseau national d’aéroports
C.
Les aéroports régionaux et locaux
D. Les petits aéroports
E.
Les aéroports éloignés et les aéroports dans l’Arctique
LES EXAMENS DE LA POLITIQUE
A. L’examen des baux des
administrations aéroportuaires locales, 1999
B.
Le Rapport du vérificateur général, 2000
C. Le
Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada
D.
La réaction du Comité des comptes publics au Rapport du vérificateur général,
2000
LES GRANDES QUESTIONS
A. Questions relatives
à certains aéroports : Toronto et Montréal
1. Toronto
2.
Montréal
B. Questions communes
à tous les aéroports cédés
1. Pouvoir de monopole
et bonne gestion
2. Recettes, bien-fondé
des frais d’améliorations aéroportuaires et loyers
a. Recettes
b. Frais d’améliorations
aéroportuaires
c. Loyers
d.
Viabilité économique des aéroports peu achalandés
e.
Enquête sur les aéroports locaux
f. Programme d’aide
aux immobilisations aéroportuaires
3.
L’intérêt national
4. Le contexte changeant
des transports
Les aéroports canadiens sont, depuis une dizaine d’années, en pleine période de transition, passant du statut d’organismes gouvernementaux à celui de sociétés privées. En effet, le gouvernement fédéral a mis en œuvre une politique de cession des aéroports qu’il détenait et exploitait à des sociétés privées locales, qui les exploitent sans but lucratif, pour le bien de la collectivité.
Il s’agit là d’un tournant important par rapport au régime précédent, qui remontait au moins aux années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale et sous lequel le gouvernement fédéral planifiait, construisait, détenait et exploitait tous les grands aéroports publics. Ce changement a été bien accueilli en général par l’industrie et la population, mais il a des conséquences nombreuses et qui ne sont pas encore toutes connues.
Un fait important, qui tranche avec la commercialisation des ports et du contrôle du trafic aérien, est que ce changement du régime de gestion, et souvent de propriété, des aéroports s’est effectué sans que la politique ne s’appuie sur une loi. L’absence de cadre législatif a fait naître des préoccupations concernant des questions comme la reddition de comptes et la surveillance gouvernementale, questions qui ont été portées à l’attention du gouvernement lors d’examens récents de sa politique(1). Certaines de ces questions ont aussi été soulevées par le vérificateur général(2). Le gouvernement s’apprête aujourd’hui à combler ce vide législatif.
Les changements récents et actuels de propriété et de gestion des aéroports constituent le point culminant d’une importante réorientation de la politique qui reflète divers facteurs importants : la croissance phénoménale du trafic aérien à la fin des années 1960 et au cours des années 1970, et la remise en question du rôle du gouvernement et la lutte aux déficits budgétaires qui ont marqué les années 1980.
Plusieurs études, commissions et énoncés de principe témoignent de cette évolution : le Groupe de travail sur la gestion aéroportuaire de Transports Canada (1979); le Groupe de travail sur l’avenir des aéroports canadiens de Transports Canada (1986); la Nouvelle politique concernant un futur cadre de gestion des aéroports au Canada (1987); les accords de cession d’aéroports de 1992; la Politique nationale des aéroports de 1994.
En outre, nombre de questions ont été examinées par la Commission royale sur le transport des voyageurs au Canada (1992) et, plus récemment, par le Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada (2001).
A. Le Groupe de travail sur la gestion des aéroports de 1979
La première grande étude sur la gestion des aéroports au Canada et les possibilités de changement a été réalisée par le Groupe de travail sur la gestion des aéroports de Transports Canada. Le Groupe de travail a remis son rapport en juillet 1979(3).
Selon le rapport, l’Administration des transports aériens de Transports Canada était propriétaire et responsable de l’exploitation de 169 aéroports (90 directement, les autres par l’intermédiaire de municipalités et d’autres organismes). À cela s’ajoutaient l’enregistrement et l’agrément des pilotes et des aéronefs, et la réglementation de la sécurité et des opérations aériennes en général.
Les recettes provenant des opérations aéroportuaires étaient versées au Fonds renouvelable, qui servait à financer les opérations aéroportuaires dans l’ensemble du réseau. Le Fonds était en effet un instrument d’interfinancement qui permettait de transférer les surplus des grands aéroports achalandés aux petits aéroports déficitaires.
La croissance rapide du trafic aérien dans les années 1960 et au début des années 1970 a exigé une intervention qui dépassait les moyens d’une grande structure bureaucratique. Cette croissance et les prévisions de croissance future ont créé l’impression qu’une augmentation importante de la capacité des aéroports s’imposait ainsi qu’une nouvelle façon de concevoir leur développement et leur exploitation.
La décision de doter les villes de Montréal et de Toronto d’un deuxième aéroport témoigne des lacunes du système centralisé de planification des aéroports. L’aéroport de Mirabel, près de Montréal, a bien été construit, mais n’a jamais été utilisé à sa pleine capacité. La construction de l’aéroport de Pickering, près de Toronto, a été bloquée à l’étape de la planification en raison d’un mouvement d’opposition important(4).
Le Groupe de travail de 1979 a recommandé la création d’une commission autonome pour chacun des grands aéroports du pays (essentiellement les mêmes que les 26 aéroports du Réseau national d’aéroports actuel, décrits ci‑dessous) et d’une administration aéroportuaire canadienne centralisée. Cet organisme central aurait présenté des analogies avec la Société canadienne des ports, dont la loi habilitante – la Loi sur la société canadienne des ports – a été adoptée à l’époque.
B. Le Groupe de travail de 1986 et la nouvelle politique sur la gestion des aéroports
Sans doute à cause de la difficulté qu’il y avait à réaliser un changement institutionnel important, on a peu fait pour donner suite aux recommandations du Groupe de travail de 1979. Dans les années 1980, la question de la gestion des aéroports a surgi de nouveau à cause du programme de déréglementation du nouveau gouvernement et a été réexaminée par le Groupe de travail sur les aéroports au milieu de la décennie. Le Groupe de travail a remis son rapport en 1986(5).
Le Groupe de travail a recommandé de céder les aéroports à des administrations locales, sans retirer à Transports Canada sa responsabilité en matière de sécurité. La navigation aérienne devait faire l’objet d’un traitement distinct. La réglementation du transport aérien et l’agrément des aéroports devaient être séparés de la gestion des aéroports.
Le Groupe de travail était d’avis qu’il fallait légiférer pour mettre en œuvre la politique. Selon son rapport, la mise sur pied réussie d’administrations aéroportuaires exigeait l’adoption d’une loi fédérale approuvant leur création, ce qui ferait en sorte que le Parlement se prononcerait sur cette importante modification apportée à la politique(6).
Se fondant sur les recommandations du Groupe de travail, le ministre des Transports a annoncé, en avril 1987, une nouvelle politique concernant un futur cadre de gestion des aéroports au Canada. Cette politique reposait sur le principe qu’une administration locale (plutôt que centrale) pourrait servir une collectivité d’une façon plus efficace tout en étant plus sensible à ses besoins. La politique se résumait ainsi : 1) le gouvernement serait disposé à recevoir des propositions de cession de la propriété ou de l’exploitation des aéroports fédéraux (les cessionnaires pouvant être une province, une municipalité, une administration locale ou le secteur privé) et 2) le gouvernement envisagerait une nouvelle approche commerciale de la gestion des aéroports non cédés.
Aucun projet de loi n’a été présenté pour donner un cadre législatif à cette nouvelle politique, mais le projet de loi C-15 : Loi relative aux cessions d’aéroports, a été adopté en 1991 pour régler les questions de ressources humaines et de langues officielles avant la création de toute administration locale.
C. Les premières administrations aéroportuaires locales
Forts de l’énoncé de politique sur la gestion des aéroports canadiens, les fonctionnaires de Transports Canada ont entrepris de négocier la cession des grands aéroports, en commençant par ceux des cinq villes (voir ci‑dessous) comptant pour la majorité du trafic aérien au pays. Ils ont traité avec des sociétés de représentants locaux constituées à cette fin.
En 1992, le gouvernement a conclu des ententes et créé quatre administrations aéroportuaires locales privées, à but non lucratif : Vancouver, Calgary, Edmonton et Montréal (aéroports de Dorval et de Mirabel). Chaque cession a été officialisée par un accord de cession – un contrat passé entre le gouvernement et l’entité locale constituée conformément aux directives fédérales pour gérer l’aéroport.
Les accords de cession étaient des documents longs et complexes. Leurs principales dispositions concernant les premiers aéroports du Réseau national d’aéroports (RNA) prévoyaient que : 1) les accords étaient des baux, le gouvernement demeurant propriétaire, et 2) les baux devaient être en vigueur pour une période de 60 ans. Une autre disposition importante portait sur le loyer à verser au gouvernement par l’administration locale, et ce montant variait d’un aéroport à l’autre.
L’administration aéroportuaire de Toronto a vu le jour dans la controverse quelques années plus tard. Les négociations sur sa création ont été conclues une première fois en 1993. Après les élections fédérales de la même année, toutefois, le nouveau gouvernement fédéral est revenu sur l’accord proposé et l’a annulé. L’actuelle administration aéroportuaire de Toronto a été créée par l’adoption du projet de loi C‑28 : Loi sur certains accords concernant l’aéroport international Pearson, en 1996.
LA POLITIQUE NATIONALE DES AÉROPORTS DE 1994
La nouvelle politique des aéroports, élaborée en 1987, a été rajustée en 1994, deux ans après la cession des quatre premiers grands aéroports. La politique de 1994 respectait la stratégie fédérale relative aux autres catégories d’infrastructure de transport, notamment la commercialisation des ports maritimes et du contrôle du trafic aérien (cédé à NAV Canada), et la privatisation d’Air Canada et du Canadien National. La principale différence, comme il a été mentionné, était que tous les changements concernant les infrastructures autres que les aéroports ont été apportés en vertu de lois précises.
Transports Canada a résumé comme suit la politique nationale des aéroports de 1994 :
La PNA a créé trois principales catégories d’aéroports sujets à cession : 1) les aéroports du RNA, cédés à bail et non vendus, 2) les aéroports régionaux et locaux, et 3) les petits aéroports. Les aéroports des deux dernières catégories devaient être vendus ou cédés d’une autre façon à des entités locales, publiques ou privées. La politique prévoyait aussi deux autres catégories : 4) les aéroports éloignés, non sujets à cession, et 5) les aéroports de l’Arctique, qui devaient être offerts aux gouvernements territoriaux.
La PNA s’appuyait sur l’hypothèse que les forces du marché dicteraient l’importance et le niveau des services correspondant à la demande des voyageurs dans les petits aéroports. La politique n’excluait pas l’abandon des petits aéroports ne trouvant pas d’acquéreurs.
Comme dans d’autres pays, le nombre total d’aéroports au Canada est étonnamment élevé. Pour l’année 2001, Transports Canada a répertorié 354 aéroports qui avaient reçu son agrément, en plus de 746 autres qui sont simplement enregistrés et probablement rudimentaires. Le nombre d’aéroports offrant un service régulier de vols passagers s’élève à 264, mais le niveau de service régulier n’est pas précisé(8).
Un bon nombre des aéroports canadiens sont petits, ont toujours appartenu à des intérêts privés ou à des municipalités et servent une clientèle limitée. Dans la catégorie des aéroports enregistrés, beaucoup ne sont guère plus qu’un terrain d’aviation sans revêtement. Plus de 90 p. 100 de l’ensemble du trafic aérien passe par les 26 aéroports du RNA (voir ci‑dessous) et 60 p. 100 de l’ensemble du trafic, uniquement par les trois plus grands aéroports : Toronto, Vancouver et Montréal (plus précisément, la société Aéroports de Montréal).
B. Les aéroports du Réseau national d’aéroports
Le RNA est composé de 26 aéroports jugés essentiels au réseau de transport aérien du Canada. Les aéroports du RNA acheminent environ 94 p. 100 de tout le trafic passagers au Canada. Ces aéroports doivent soit offrir un service régulier de vols passagers toute l’année et acheminer au moins 200 000 passagers par an ou encore être situés dans une capitale provinciale ou territoriale.
La PNA permet la location à long terme (un bail de 60 ans accompagné d’options de renouvellement de 20 ans) des aéroports du RNA à des administrations aéroportuaires canadiennes(9), qui sont des sociétés sans but lucratif dirigées par un conseil d’administration constitué d’intérêts locaux et comptant des représentants d’organisations telles que des chambres de commerce, des groupes de consommateurs, des groupes syndicaux et des groupes professionnels, et des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux.
Une fois les aéroports cédés, ces entités locales deviennent responsables de leur gestion, de leur développement et de leur exploitation. Les trois aéroports du RNA dans l’Arctique font exception : ils ont été cédés aux gouvernements territoriaux(10).
En 1997, le gouvernement du Canada a renégocié les baux de trois des quatre premières AAL (Vancouver, Calgary et Edmonton), pour les aligner davantage sur les exigences de la politique de 1994. Ces renégociations ont été critiquées par le vérificateur général (voir ci‑dessous la rubrique « Les examens de la politique »).
À la date du présent document, 25 des 26 aéroports du RNA avaient été cédés, et la cession du dernier (Prince George) faisait l’objet de négociations(11).
C. Les aéroports régionaux et locaux
Les 71 aéroports régionaux et locaux offrent régulièrement un service régulier de vols passagers, mais acheminent moins de 200 000 passagers par an. Selon la PNA, ces aéroports devaient être cédés sans bail à des gouvernements régionaux ou locaux, à des commissions aéroportuaires sans but lucratif, à des entreprises privées ou à d’autres intérêts, qui devaient les exploiter pour au moins 10 ans.
Soixante et un de ces aéroports ont été cédés et 10, situés dans quatre provinces, sont toujours exploités par Transports Canada.
À l’origine, Transports Canada possédait et exploitait 31 petits aéroports qui n’offraient pas de service régulier de vols passagers, acheminaient moins de 1 000 passagers par an et servaient principalement à des vols récréatifs. Ces aéroports devaient être cédés à des intérêts locaux qui les devaient les exploiter en fonction des besoins du milieu pendant au moins 10 ans. Vingt-huit de ces aéroports ont été déjà cédés.
À la date du présent document, 114 des 128 aéroports classés dans les trois principales catégories prévues dans la PNA avaient été cédés, pour la plupart à des entités locales à but non lucratif.
E. Les aéroports éloignés et les aéroports dans l’Arctique
En vertu de la PNA, Transports Canada continue d’être propriétaire de 13 aéroports éloignés, qu’il exploite et appuie financièrement(12), car ils sont le seul moyen fiable de desservir des collectivités isolées durant toute l’année. Le gouvernement fédéral prévoit revoir son rôle à long terme concernant les aéroports éloignés.
Les aéroports dans l’Arctique ont été cédés aux gouvernements territoriaux.
A. L’examen des baux des administrations aéroportuaires locales, 1999
Dans le cadre de la création des quatre premières AAL, le gouvernement a exigé du Ministre la tenue, après cinq ans d’exploitation, d’un examen des baux qui leur seraient consentis. L’examen a été effectué et le rapport a été rendu public en avril 1999. Les rapports des experts-conseils eux-mêmes ne sont pas publics.
Les conclusions générales de l’examen sont les suivantes : la décision d’effectuer les cessions est bonne, les administrations aéroportuaires se sont bien acquittées de leur mandat et la sécurité n’a pas été compromise. Toutefois, une politique plus globale et un contrôle plus serré de la gestion s’imposent, ainsi qu’un accroissement de la surveillance économique, de la transparence et de la représentation des intérêts des usagers.
D’autres questions importantes ont aussi été soulevées dans le cadre de l’examen : le bien-fondé du niveau de loyer exigé, la création par les administrations aéroportuaires de filiales à but lucratif et l’imposition généralisée par les administrations aéroportuaires de « frais d’améliorations aéroportuaires », exigés principalement des passagers en partance des terminaux.
Le Ministère entendait poursuivre les consultations pendant 18 autres mois avant de se prononcer sur ces questions.
B. Le Rapport du vérificateur général, 2000
Si l’examen de 1999 permet de conclure que la politique a donné des résultats, le vérificateur général, dans son Rapport de 2000, se demande à quel prix. Le chapitre 10 du Rapport est entièrement consacré aux cessions d’aéroports. La principale réserve du vérificateur général est que la Couronne n’a pas touché une rémunération suffisante pour les actifs cédés.
Dans son rapport, le vérificateur général est très critique, soulignant « de nombreux points faibles non négligeables dans les pratiques de gestion », notamment :
Il faut savoir que des pressions politiques favorisaient les cessions, autant au moment des quatre premières (1992) qu’à celui des cessions subséquentes (1994 et après). Il se peut donc que les fonctionnaires participant aux négociations aient préféré renoncer à certains revenus pour réussir à conclure une cession.
Il est plus difficile d’expliquer l’absence de directives de Transports Canada concernant les questions qui se sont posées au moment de la mise en œuvre et par la suite. Le vérificateur général a soulevé ce point, en le qualifiant de préoccupation capitale concernant les cessions d’aéroports :
Nous nous soucions du fait que Transports Canada, dans les huit années du processus de cession, n’a pas défini clairement son rôle en tant que locateur et surveillant du Réseau national d’aéroports. Sa façon de traiter les nouvelles questions clés comme celles qui sont liées aux frais d’améliorations aéroportuaires, aux filiales et aux marchés à fournisseurs uniques s’est révélée en général inadéquate et, jusqu’en 1997, il ne s’en est pratiquement pas occupé.(14)
C. Le Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada
Le Comité d’examen sur la Loi sur les transports au Canada a effectué un examen quinquennal réglementaire de la Loi et remis son rapport en juillet 2001(15). Un chapitre du rapport est consacré à la gestion des fournisseurs d’infrastructure commercialisés récemment.
Lorsque le Comité a tenu ses audiences en 2000 et 2001, les points qu’il a soulevés concernant les aéroports s’apparentaient aux conclusions du rapport de l’examen des baux des AAL publié en 1999. Le Comité a souligné qu’il fallait pouvoir générer des revenus pour faire de nouveaux investissements, tout en évitant l’abus d’un pouvoir de monopole.
On peut supposer que, du moins dans une certaine mesure, le projet de loi sur les aéroports et une étude parallèle et indépendante du gouvernement sur la question des loyers (l’un et l’autre annoncés par le Ministre en juin 2001) constituent la réponse du Ministère aux examens susmentionnés.
D. La réaction du Comité des comptes publics au Rapport du vérificateur général, 2000
Le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes a examiné le Rapport du vérificateur général, 2000, en ce qui concerne les cessions d’aéroports, et a remis son rapport en mai 2002(16).
Le Comité a entendu plusieurs témoins de Transports Canada et du Bureau du vérificateur général. En général, les témoignages ont abondé dans le sens de l’évaluation du vérificateur général concernant le processus de cession des aéroports. Le Comité a formulé 10 recommandations qui reprenaient les préoccupations soulevées par le vérificateur général et a demandé à Transports Canada de dire au Comité de ce qu’il entendait faire pour mettre en œuvre les recommandations contenues dans le Rapport du vérificateur général, 2000.
La commercialisation des aéroports du Canada a marqué un important changement de politique, qui devait s’opérer en tenant compte de la sécurité, des ressources humaines et de l’aliénation financièrement acceptable des avoirs publics importants.
En général, les cessions se sont effectuées avec succès. Il y a toutefois lieu de se demander si elles ont été effectuées à un prix juste et si toutes les conséquences importantes ont été prises en compte. Certains aéroports et certaines questions ont suscité la controverse à cause de la façon dont la politique a été mise en œuvre.
A. Questions relatives à certains aéroports : Toronto et Montréal
La convergence de plusieurs facteurs a donné lieu à des situations uniques dans les aéroports des deux plus grandes villes canadiennes.
Plusieurs facteurs ont joué à l’avantage de l’Aéroport international Pearson de Toronto. Premièrement, certains effets de réseau font augmenter le trafic dans les grands nœuds d’un réseau. Ensuite, ces effets ont été amplifiés par la tendance qu’a connue le trafic des compagnies aériennes à se développer selon le principe de la plaque tournante après la déréglementation. Troisièmement, l’accord canado-américain « Ciels ouverts » de 1995 a entraîné une augmentation générale du trafic transfrontalier, dont la plus grande partie transite par Toronto, pour les raisons susmentionnées. Enfin, tous ces facteurs relatifs au transport ont joué dans le contexte du déplacement général de l’activité économique de Montréal vers Toronto durant les années 1960 et 1970.
En tant que premier aéroport au pays et l’un des plus prometteurs sur le plan des recettes, l’aéroport de Toronto est devenu une affaire très intéressante. Plusieurs sociétés privées ont fait des offres, et le choix de l’entité et des personnes à qui devrait revenir la responsabilité de l’exploitation a suscité un vif débat politique lors des élections de 1993(17). Un accord de cession a été conclu entre le gouvernement sortant de l’époque, qui ne devait pas être réélu, et un groupe local de Toronto choisi par lui. Le nouveau gouvernement a annulé l’accord, puis une nouvelle administration s’est constituée et a conclu un accord avec le gouvernement. Le nouvel accord a été sanctionné par le projet de loi 22, devenu par la suite C-28 : Loi sur certains accords concernant l’Aéroport international Pearson, qui a été adopté en 1996.
La prépondérance de Toronto, tant par l’importance et le type de son trafic que par son rôle de plaque tournante pour les grands transporteurs aériens du pays, est telle que les aéroports canadiens peuvent pratiquement être classés en deux groupes : Toronto et les autres. Actuellement, l’aéroport de Toronto compte pour environ le tiers du trafic passagers du pays(18).
Montréal a souffert de deux façons. Premièrement, comme il a été mentionné, le trafic y a fléchi de façon importante à mesure que l’activité économique s’est déplacée vers Toronto. Selon une étude de 1986, le nombre de passagers à Toronto dépassait le nombre de passagers à Montréal de 27 p. 100 en 1969 et de 116 p. 100 en 1983(19); pareillement, le nombre de passagers en transit par Toronto dépassait le nombre de passagers en transit par Montréal de 14 p. 100 en 1971 et de 165 p. 100 en 1983(20).
Ensuite, alors même que Montréal voyait son trafic aérien décliner considérablement, la construction de l’aéroport de Mirabel augmentait sa capacité. Cependant, l’éloignement du nouvel aéroport a nui à la réalisation d’économies d’échelle et, en fait, a contribué à faire empirer la situation. Montréal tente depuis lors de concilier une baisse de trafic et la présence d’infrastructures aéroportuaires excédentaires réparties entre deux endroits éloignés.
L’aéroport de Montréal (plus précisément, la société Aéroports de Montréal, qui est responsable des aéroports de Dorval et de Mirabel) est actuellement le troisième au pays pour le nombre de passagers, après Toronto et Vancouver (une ville dont la population et l’activité commerciale et industrielle sont beaucoup moins importantes), devançant à peine Calgary. Récemment, tout le trafic passagers régulier a été concentré à Dorval, dont les installations datent des années 1950; Mirabel, dont les installations datent des années 1970, ne reçoit plus que les transporteurs de fret.
Par conséquent, il reste d’importants problèmes à régler dans les aéroports des deux plus grandes villes du Canada. À Toronto, le problème est de savoir si le loyer reflète ou devrait refléter les avantages additionnels dont l’aéroport profite à cause de sa situation, non officielle, de plaque tournante nationale et de point canadien d’entrée aux États-Unis(21). À Montréal, l’administration aéroportuaire cherche toujours à se sortir de la situation difficile que créent ses deux aéroports et un nombre insuffisant de passagers.
B. Questions communes à tous les aéroports cédés
Les questions qui reviennent le plus souvent(22) au sujet des administrations aéroportuaires portent en général sur le contrôle que doit exercer gouvernement sur la gestion des aéroports pour éviter l’abus de pouvoir; sur les revenus réalisés par les administrations aéroportuaires et le loyer payé par les aéroports à bail au gouvernement; sur ce qui peut être fait pour les aéroports qui ne sont pas financièrement autonomes; et sur la façon dont l’intérêt national peut être servi par un amalgame d’entités indépendantes séparées. Une autre préoccupation est le contexte changeant des transports dans lequel s’est opérée la cession des aéroports. La question du nombre d’aéroports à intégrer dans le RNA a aussi été soulevée.
1. Pouvoir de monopole et bonne gestion
En général, un aéroport a un pouvoir de monopole sur son marché. Par conséquent, le défaut de réglementation gouvernementale des activités de l’aéroport et des frais qu’il exige entraîne un risque d’abus, comme dans toute autre situation de monopole. Ainsi, en tant que monopole non réglementé et à défaut de concurrence, un aéroport peut accroître ses revenus en augmentant simplement les frais qu’il perçoit en échange de ses services; les usagers de ces services n’ont d’autre choix que de payer. Cette situation est injuste pour les usagers et nuit à l’économie. La Commission royale sur le transport des voyageurs au Canada a soulevé sans équivoque le danger d’une telle possibilité dans son examen du projet de politique de commercialisation des aéroports(23).
De même, l’indemnisation des hauts dirigeants et les offres commerciales à risque échappent à tout contrôle. Ainsi, certaines administrations aéroportuaires ont créé des filiales à but lucratif qui vendent des services de consultants dans diverses parties du monde. Le gouvernement ne vérifie aucunement les activités de ces filiales, pas plus qu’il n’évalue si elles servent les intérêts des usagers ou du propriétaire de l’aéroport, c’est-à-dire le gouvernement.
La direction d’un aéroport pourrait nourrir de grandes ambitions et agrandir ses installations dans l’espoir d’une éventuelle croissance. Une telle attitude présente certains risques si plusieurs exploitations concurrentes ciblent la même clientèle pour financer leur croissance. Il est très facile, surtout si on s’adresse à une clientèle locale, de faire la promotion d’un dossier axé sur la croissance et de convaincre la population de faire d’un aéroport la plaque tournante de la région. On peut alors construire l’aéroport pour répondre à la demande future et même, comme on l’espère souvent, pour la susciter. Toutefois, si la demande escomptée fait défaut, ce sont le gouvernement et les contribuables qui finissent par régler la note.
L’administration aéroportuaire peut aussi avoir trop de jeu pour définir son mandat. Ainsi, la direction pourrait décider que la meilleure façon de servir sa clientèle est de maximiser ses recettes dans un espoir de croissance. Cette politique pourrait profiter au trafic nord‑sud vers les États-Unis, au détriment du trafic est‑ouest à l’intérieur du Canada. Elle pourrait aussi favoriser l’émergence d’entreprises commerciales, telles que les filiales susmentionnées, dont les activités seraient étrangères à la mission principale de l’aéroport.
Il y a lieu d’espérer que la mesure législative qui sera proposéedonnera au gouvernement le pouvoir dont il a besoin pour procéder à des vérifications et éviter les abus.
2. Recettes, bien-fondé des frais d’améliorations aéroportuaires et loyers
Avant la commercialisation des aéroports de 1992, les frais exigés dans les aéroports canadiens détenus et exploités par le gouvernement étaient essentiellement les redevances d’atterrissage et d’autres frais d’utilisation des terminaux imposés aux compagnies aériennes. Ces frais étaient établis en fonction de l’ensemble du réseau et variaient peu d’un aéroport à l’autre(24). Une taxe fédérale sur le transport aérien était imposée aux passagers, essentiellement pour recouvrer les coûts de contrôle du trafic aérien. Les revenus de certaines concessions aéroportuaires (beaucoup moins importantes à l’époque) couvraient une partie des coûts des installations aéroportuaires(25). Les recettes produites étaient versées dans ce qu’on appelait le Fonds renouvelable, qui était ensuite réparti dans l’ensemble du réseau(26).
Un grand nombre d’aéroports étrangers exigeaient des passagers, souvent des voyageurs internationaux, des frais d’utilisation. Traditionnellement, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui a pour mission d’assurer l’équité et la saine concurrence dans le secteur du transport aérien, ne s’est pas opposée aux frais d’utilisation. Son principal souci était de s’assurer que ces frais n’étaient pas prélevés séparément, ce qui aurait pour effet de ralentir le mouvement des passagers dans les aéroports. L’OACI semble toutefois avoir changé d’idée concernant les frais d’utilisation imposés aux passagers. Elle se préoccupe de plus en plus des problèmes de trop-perçu et des aspects anticoncurrentiels de ces frais(27).
Les États-Unis ont adopté une loi en 1992 pour permettre la perception de frais d’utilisation auprès de tous les passagers afin de financer certains aspects des activités aéroportuaires. Cette loi prévoyait toutefois certaines restrictions. Les frais étaient en général limités à 3 $ et faisaient l’objet d’un contrôle de la Federal Air Administration. Cette politique a été révisée en 1999(28).
Passer d’un régime de frais applicables à l’ensemble du réseau et susceptibles d’être répartis selon les besoins à l’intérieur du réseau – par exemple le Fonds renouvelable – à un régime obligeant chaque aéroport à faire ses propres frais permet certes de réaliser des gains d’efficience, mais ce passage n’est pas sans inconvénients. Chaque aéroport doit alors réaliser suffisamment de recettes pour équilibrer ses dépenses, même en cas de baisse du trafic passagers, ce qui l’incite à imposer des frais inappropriés, voire inefficaces. Un tel régime ne tient pas compte des avantages que procure le réseau aux plaques tournantes. De plus, certains gains en efficience ne peuvent être réalisés qu’à l’échelle du réseau, comme l’indique l’analyse suivante :
S’il n’y avait qu’un aéroport, il n’y aurait aucun avantage de réseau. Avec chaque aéroport additionnel, le nombre de liens augmente géométriquement en fonction du nombre d’aéroports. Si les coûts de tous les aéroports étaient mis en commun, comme ils l’étaient lorsque Transports Canada gérait le réseau, de nouveaux aéroports s’ajouteraient au réseau jusqu’à ce que ce les coûts marginaux du dernier arrivé soient égaux aux avantages marginaux qu’il apporte au réseau. Si on ne tient pas compte des avantages de réseau et si chaque aéroport doit faire tous ses frais, le système risque d’être sous-optimisé.(29)
Selon certains, aux termes de la politique actuelle, le gouvernement ne prend pas des mesures suffisantes pour exiger des exploitants d’aéroports qu’ils répartissent leurs coûts équitablement entre les usagers des aéroports(30). Une telle situation semble entraîner des frais qui sont répartis de façon inéquitable entre les différents groupes d’usagers, ce qui serait contraire à la lettre et à l’esprit des recommandations de l’OACI visant à éviter que soient imposés des frais d’utilisation inéquitables et inappropriés.
b. Frais d’améliorations aéroportuaires
Pour réduire leurs coûts au minimum, surtout lorsque le trafic passagers diminue, les compagnies aériennes ont tendance à exercer des pressions sur les aéroports pour faire réduire leurs frais d’utilisation. Les aéroports peuvent, en conséquence, vouloir imposer des frais aux passagers, qui, en situation de monopole, n’ont d’autre choix que de payer.
Ces suppléments sont rarement exigés au titre de frais d’utilisation de l’aéroport, mais le plus souvent à celui de frais d’améliorations aéroportuaires. Ces frais sont élevés, en général de l’ordre de 10 $, et ils continuent d’augmenter. L’aéroport d’Ottawa, par exemple, a annoncé qu’il fixera ses frais d’utilisation pour les passagers à 15 $ en 2003. Les frais peuvent être perçus séparément ou ajoutés au prix du billet d’avion.
Selon Transports Canada, 38 aéroports au total ont perçu des frais d’améliorations aéroportuaires en 2001. Ces frais variaient entre 5 $ et 28 $ et plusieurs avaient augmenté par rapport à l’année précédente. Ils étaient perçus séparément du prix du billet dans 12 aéroports (dont Vancouver et Montréal) et ajoutés au prix du billet ailleurs. L’aéroport de Toronto impose deux types de frais, les deux ajoutés au prix du billet : 10 $ des passagers en partance et 7 $ des passagers en correspondance(31). Il est intéressant de savoir que l’aéroport de Thunder Bay n’impose plus de frais d’améliorations aéroportuaires depuis octobre 2001.
Selon les administrations aéroportuaires, ces frais servent à l’aménagement de nouvelles installations. Toutefois, un voyageur se trouve à subventionner une installation qui n’est pas encore en service et qu’il n’utilise donc pas le jour où il voyage (et qu’il n’utilisera peut-être jamais). De fait, les passagers doivent payer les frais d’améliorations aéroportuaires pour utiliser les installations dans l’état où elles se trouvent ce jour-là. Il s’agit donc de frais d’utilisation présentés sous un autre nom.
Un gros transporteur aérien peut compter sur sa taille et son importance pour essayer de négocier quelque rabais sur ses redevances d’atterrissage, mais les passagers ne disposent d’aucun moyen analogue. Il se peut donc qu’un grand changement de pratique se soit opéré dans les aéroports : ce sont maintenant les voyageurs qui paient la note au lieu des transporteurs. Ainsi, les frais d’améliorations aéroportuaires sont devenus une importante source de revenu pour les administrations aéroportuaires locales, dépassant les frais d’aéronautique, les redevances d’atterrissage et les frais généraux d’utilisation des terminaux(32).
Il faut maintenant répondre à deux questions. Premièrement, convient-il de demander aux usagers d’aujourd’hui de payer le coût des installations de demain? Deuxièmement, le montant des frais est-il vraiment versé dans un compte séparé pour ne servir qu’à l’aménagement de nouvelles installations ou peut-il être réaffecté par la direction pour donner une meilleure impression de la santé financière de l’aéroport? L’étude des états financiers de certains aéroports révèle que les frais d’améliorations aéroportuaires figurent parmi les recettes.
La possibilité que les frais d’améliorations aéroportuaires servent à arrondir les recettes aux dépens des voyageurs est ce que laisse soupçonner un récent rapport selon lequel les recettes ont dépassé les dépenses à l’aéroport d’Ottawa, et ce, malgré une baisse du nombre de passagers :
Les recettes ont dépassé les dépenses de 6,7 millions de dollars durant la période de six mois, et le surplus provenait presque entièrement des frais de 10 $ que l’aéroport exigeait de tous les passagers en partance. Ces frais passeront à 15 $ le 1er janvier [2003].(33)
Le problème tient à l’absence de contrôle gouvernemental et au fait que l’administration aéroportuaire peut fixer à sa guise des frais d’utilisation ou d’améliorations aéroportuaires.
La question du loyer s’applique aux aéroports du RNA qui ont été loués à des administrations locales, et non aux aéroports régionaux et locaux qui ont été vendus ou autrement cédés. Les baux sont les mêmes dans tout le RNA, à quelques détails près. Le loyer à verser pour la durée du bail est établi au cours des négociations et précisé dans chaque bail.
Certains ont demandé s’il fallait exiger un loyer dans tous les cas et si les montants convenus étaient justes. Dans son Rapport de 2000, le vérificateur général se dit d’avis que, durant la deuxième série de cessions, le Ministère n’a pas déterminé la juste valeur marchande des aéroports avant de négocier. Il ajoute que, en renégociant les baux des aéroports cédés durant la première série de cessions, le Ministère a renoncé à plusieurs centaines de millions de dollars en loyer(34).
Lorsque le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes a examiné le Rapport du vérificateur général sur les cessions d’aéroports au printemps 2002, il a accepté l’analyse dans son ensemble et a fait plusieurs recommandations pour que Transports Canada donne suite aux recommandations du vérificateur général(35).
Le Ministère a rejeté les critiques du vérificateur général et déclaré que les loyers étaient justes, mais le Ministre a commandé une étude sur la question. L’étude est en cours, mais se fait en marge du projet de loi et des questions connexes(36). L’examen tentera d’établir si les loyers exigés conviennent et, probablement, si les commentaires du vérificateur général sont justifiés.
Neuf administrations ont versé un loyer au cours de l’année financière 2000-2001 totalisant 236 millions de dollars : Toronto, Vancouver, Calgary, Montréal, Edmonton, Ottawa, Winnipeg, Victoria et Kelowna (1 $). Les quatre premières administrations ont à elles seules contribué à 95 p. 100 de ce montant.(37)[souligné par l’auteur]
Puis :
Au cours de la même année, sept administrations n’ont pas versé de loyer, et cinq ont, quant à elles, reçu un total de 20 millions de dollars en subventions pour couvrir leur manque à gagner.[souligné par l’auteur]
Ces chiffres démontrent que quelques aéroports paient une forte somme, la plupart paient peu ou ne paient rien, et certains, au lieu de verser un loyer, sont subventionnés. La situation ne diffère pas beaucoup du système d’interfinancement sous l’ancien régime du Fonds renouvelable des années 1970 et 1980, sauf qu’elle évolue au cas par cas, sans s’appuyer sur une politique précise.
d. Viabilité économique des aéroports peu achalandés
Il y a lieu de se demander si la plupart des aéroports canadiens ont un nombre suffisant de vols et de passagers pour être économiquement viables sans aide financière extérieure. Il faut aussi se demander si le trafic augmentera suffisamment dans un avenir prévisible pour qu’ils le deviennent.
Des 26 aéroports du RNA, ce ne sont sans doute que les huit ou dix plus grands (pour ce qui est du trafic passagers) qui sont rentables ou éventuellement rentables. Bon nombre de ces aéroports sont situés dans des collectivités très peu populeuses si l’on considère les villes dotées d’aéroports ailleurs dans le monde; ils sont souvent situés assez près d’autres grands aéroports offrant plus de correspondances directes; et la grande majorité des déplacements interurbains se font en voiture (95 p. 100 des déplacements de 300 kilomètres ou moins, et 82 p. 100 des déplacements de 800 kilomètres ou moins(38).
D’autres facteurs interviennent également : l’amélioration des routes à quatre voies et des services commerciaux de transport sur terre et l’augmentation des coûts et de la durée des procédures de sécurité des aéroports pourraient entraîner une plus forte concentration des services dans les grands aéroports. De plus, selon les modalités de l’acquisition des Lignes aériennes Canadien par Air Canada, cette dernière n’est tenue d’assurer certains services de transport aérien actuels que jusqu’en décembre 2002. Certains services ont déjà été interrompus, et il faut s’attendre à une diminution plus importante.
En plus des 26 aéroports du RNA, 71 aéroports régionaux et locaux offrent, en principe, un service régulier, mais acheminent moins de 200 000 passagers par an. La viabilité de ces aéroports semble précaire.
e. Enquête sur les aéroports locaux
Transports Canada reconnaît l’insuffisance des données de base sur les activités, la situation financière et le trafic passagers des petits aéroports du RNA et des 71 aéroports régionaux et locaux. Certaines données ont toutefois été publiées par la Fédération canadienne des municipalités(39).
L’étude, intitulée Community Airports Survey, a été effectuée avec l’aide financière de l’Association du transport aérien du Canada et la participation du Conseil des aéroports du Canada. Cinquante‑huit questionnaires ont été remplis et retournés par les administrations de huit provinces et d’un territoire (Yukon), la plupart provenant de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta.
Les réponses reçues ont permis de tirer les grandes conclusions suivantes :
Bref, les petits aéroports semblent survivre financièrement, quoique à coups de déficits, grâce à un peu d’aide des gouvernements fédéral (Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires) et provinciaux et à beaucoup d’aide des municipalités. Les frais d’utilisation sont d’un secours limité à cause du faible trafic passagers. Les recettes proviennent essentiellement de la location de terrains ainsi que d’autres activités commerciales et de détail.
f. Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires
À court terme, nombre d’aéroports reçoivent des subventions du Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires. Le gouvernement a affecté 190 millions de dollars à ce programme pour les cinq prochaines années. Comme son nom l’indique, le Programme offre une aide aux immobilisations, mais les critères de recevabilité des projets sont généraux et peuvent s’appliquer à des projets concernant la sécurité ainsi qu’à la protection des biens et à la réduction des coûts d’exploitation, ces deux derniers critères se rapprochant des définitions habituelles d’entretien et d’exploitation.
Comme il a déjà été mentionné, les aéroports du RNA ne peuvent pas participer au Programme. D’autres catégories d’aéroports le peuvent, y compris ceux qui acheminent aussi peu que 1 000 passagers par an, soit un volume d’à peine 20 passagers par semaine.
Il est possible que le problème de la viabilité de nombreux aéroports régionaux et locaux soit méconnu ou négligé en raison de l’aide à court terme fournie par le Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires. À long terme, toutefois, le problème devra être réglé. Il serait utile, dans un premier temps, d’évaluer le montant des subventions de fonctionnement nécessaire pour assurer un niveau donné de service dans les aéroports régionaux et locaux et de se demander qui devrait en faire les frais. Comme on considère souvent que ces aéroports contribuent au développement économique régional, il faudrait obtenir des fonds de sources appropriées (même s’il demeure très difficile de déterminer exactement qui retire des avantages du développement économique régional et de quantifier ces avantages).
La politique de cession des aéroports à des administrations locales reposait sur l’hypothèse selon laquelle une entité locale qui connaît bien une région et qui possède un bon sens des affaires serait naturellement apte à diriger une entreprise efficace, adaptée aux besoins de la collectivité et axée sur les intérêts de celle-ci. Cette approche présentait certainement des avantages par rapport à l’approche centralisée du gouvernement. Toutefois, même si les localités ont bien accueilli le fait que la bureaucratie se retire de l’administration courante des aéroports, certains observateurs ont estimé que la nouvelle approche non interventionniste du fédéral allait trop loin dans l’autre sens(40). Comme il a déjà été mentionné (voir la rubrique « Pouvoir de monopole et bonne gestion » ci‑dessus), l’absence du gouvernement de la gestion des aéroports peut donner lieu à de sérieux inconvénients.
Une autre question importante, mais peu abordée, est celle de l’intérêt national(41). La politique actuelle présuppose que si un bon nombre d’éléments d’un système tendent vers l’optimisation, le système dans son ensemble devrait en faire autant. Selon ce raisonnement, si les aéroports de Toronto, de Montréal et de Vancouver adoptaient le fonctionnement qui convient le mieux à leurs villes respectives, le RNA devrait être à la fois efficient et équilibré. Il est peu probable qu’un tel raisonnement donne des résultats souhaitables où que ce soit, à plus forte raison à l’échelle d’un pays comme le Canada, où l’essentiel de la population est concentré dans un étroit corridor le long de sa frontière méridionale.
Certains ont fait remarquer qu’il n’y a pas de moyen bien défini de faire en sorte que les grandes décisions prises par les administrations aéroportuaires, qui n’ont de comptes à rendre que dans leur localité ou leur région, n’auront pas de conséquences défavorables pour le système national de transport aérien(42). Il s’agit là d’une question que le projet de loi ne devrait pas négliger.
4. Le contexte changeant des transports
Comme il a été mentionné plus tôt, il a fallu 25 ans pour élaborer et mettre en œuvre la nouvelle politique des aéroports. Puisque le Parlement s’apprête à lui donner une assise législative, il conviendrait d’examiner les changements qui se sont produits depuis le milieu des années 1970 et leur effet possible sur l’environnement dans lequel les aéroports canadiens doivent fonctionner aujourd’hui.
Plusieurs facteurs, souvent évoqués dans les tribunes publiques et politiques, devraient être pris en compte avant de donner force de loi à une politique-cadre pour les années à venir.
Tous ces facteurs indiquent que la demande et les tendances actuelles et prévues dans le secteur du transport aérien ne peuvent garantir l’autonomie financière des 71 aéroports régionaux et locaux du Canada. Ils soulèvent également la question de savoir si les 26 aéroports du RNA peuvent, isolément, être viables compte tenu du nombre actuel et prévu de passagers.
Il conviendrait sans doute de s’interroger sur la façon dont bien des aéroports existants sont appuyés financièrement – grâce à un ensemble de subventions municipales, provinciales et fédérales – et de se demander s’il ne faudrait pas adopter une approche différente. Ou si le réseau aéroportuaire actuel ne souffre pas d’un excès de capacité.
Il faudrait peut-être aussi revoir les critères d’appartenance des aéroports au RNA Comme il a déjà été mentionné, les 26 aéroports du RNA sont presque les mêmes que les aéroports « principaux » de l’étude du Groupe de travail de 1979.
Le gouvernement voulait présenter un projet de loi sur les aéroports à l’automne 2002, pour donner une assise législative à la politique actuelle des aéroports. À l’origine, le projet de loi devait être déposé à l’automne 2001, mais sa présentation a été retardée.
Le projet de loi n’était pas disponible lorsque le présent document a été rédigé. Toutefois, le gouvernement a produit un document intitulé « Loi sur les aéroports du Canada proposée », dans lequel il indique ce qu’il entend inclure dans la future loi :
Loi sur les aéroports du Canada proposée [extrait]Le projet de loi sur les aéroports s’appuie sur la Politique nationale des aéroports […] du Canada. L’objectif de la législation est de préciser clairement les obligations des aéroports du Réseau national d’aéroports […] et du gouvernement du Canada. La législation traitera des questions stratégiques clés. Elle verra entre autres à :
clarifier le rôle et les responsabilités du gouvernement du Canada ainsi que des administrations aéroportuaires;
mettre à jour et renforcer le régime de gestion des administrations aéroportuaires;
établir les exigences en matière de transparence et de consultations entre les administrations aéroportuaires et les parties intéressées;
établir des principes pour les redevances imposées par les administrations aéroportuaires, dont des dispositions spéciales sur les redevances d’améliorations aéroportuaires, ainsi qu’un processus d’appel;
traiter des questions de concurrence, entre autres de l’accès équitable des transporteurs aériens aux installations aéroportuaires et aux créneaux;
veiller à ce que les activités aéroportuaires du RNA soient conformes aux obligations internationales du Canada, entre autres en matière de commerce;
établir des paramètres pour les activités non essentielles entreprises par les administrations aéroportuaires;
établir des mécanismes appropriés d’application.Les objectifs principaux seront de :
moderniser les pratiques et principes de gestion des administrations aéroportuaires du RNA;
établir des normes élevées de transparence et d’imputabilité publique, dont la divulgation des renseignements appropriés sur les coûts et leur relation aux redevances;
créer des possibilités adéquates pour les utilisateurs des installations aéroportuaires, y compris pour les transporteurs aériens, le public voyageur, et les résidents de la région aéroportuaire, et formuler des commentaires pertinents pour la prise de décisions importantes des aéroports en matière de redevances et de dépenses matérielles ayant une incidence sur les redevances;
veiller à maintenir la souplesse actuelle du modèle de cession aéroportuaire qui permette aux aéroports de générer les recettes nécessaires pour atteindre la viabilité financière et la maintenir, tout en guidant les aéroports dans l’établissement de redevances aéroportuaires […](44)
Ce passage laisse entendre que le projet de loi visera avant tout les 26 aéroports du RNA, sans indiquer s’il s’appliquera aux aéroports régionaux et locaux. Il ne faut pas oublier que 61 des 71 aéroports de cette catégorie ont déjà été vendus ou cédés d’une autre façon à des administrations locales.
Depuis une dizaine d’années, les aéroports canadiens connaissent une période de transition importante, celle de leur transformation d’organismes gouvernementaux en sociétés privées.
Le fait que les aéroports passent d’une administration publique à une administration privée, voire deviennent des entreprise privées, s’inscrit dans le sens de l’orientation générale que s’est donnée le gouvernement fédéral dans le secteur des transports (transporteurs et infrastructure) et dans le sens de la tendance mondiale. En général, cette transformation s’est opérée avec succès et a donné lieu à nombre d’avantages. Certaines lacunes importantes demeurent cependant, et le gouvernement entend les corriger par une prochaine mesure législative et un examen des loyers.
Il reste à régler la question de l’autonomie financière des nombreux aéroports peu achalandés, dont un grand nombre d’aéroports régionaux et locaux ainsi que plusieurs aéroports du RNA, dans le contexte de la nouvelle politique-cadre. Quel devrait être le sort des aéroports qui ne parviennent pas à cette autonomie : s’ils demeurent ouverts, devront-ils être subventionnés, et par qui?
L’étude de nombre de ces questions a été reportée en attendant la présentation du projet de loi. Une fois qu’il aura été déposé, le débat précédant son adoption sera capital : ce sera l’occasion de déterminer l’orientation de ce qu’on pourrait appeler la seconde moitié de la transition des aéroports au Canada.
(1) Transports Canada, Rapport de consultation d’examen des baux des AAL, avril 1999 (ci‑après « Examen des baux des AAL »), et l’Examen de la Loi sur les transports au Canada, Vision fondée sur l’équilibre, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2001 (ci‑après « Examen de la LTC »).
(2) Vérificateur général du Canada, Rapport du vérificateur général à la Chambre des communes – décembre 2000, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2000 (ci‑après « Rapport du vérificateur général, 2000 »).
(3) Transports Canada, Administration canadienne des transports aériens, Groupe de travail sur la gestion des aéroports, Rapport d’étape, volume I et volume II (annexes), Ottawa, juillet 1970 (ci‑après « Groupe de travail de 1979 »).
(4) Commission d’enquête sur l’aéroport, Rapport, Ottawa, 1974; et Walter Stewart, Paper Juggernaut, Toronto, McClelland et Stewart, 1979.
(5) Transports Canada, Groupe de travail sur les aéroports, L’avenir de la gestion des aéroports canadiens, 1986 (ci‑après « Groupe de travail de 1986 »).
(6) Groupe de travail de 1986, p. 5 et 6.
(7) Site Web de Transports Canada [texte adapté par l’auteur].
(8) Transports Canada, Les transports au Canada 2001 : Rapport annuel, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2002, p. 88.
(9) Cette expression remplaçait l’ancienne expression « administration aéroportuaire locale ». Dans le présent document, nous utilisons l’expression « administration aéroportuaire locale » ou simplement « administration aéroportuaire ».
(10) Site Web de Transports Canada.
(11) Ibid.
(12) Ces aéroports éloignés sont pour la plupart situés au Québec, d’après Mary R. Brooks et Barry Prentice, Airport Devolution: The Canadian Experience, mai 2001, non publié.
(13) Rapport du vérificateur général, 2000, ch. 10, p. 10‑5.
(14) Ibid.
(15) Pour une étude détaillée du rapport, voir Joseph P. Dion, Le rapport de l’examen de la Loi sur les transports au Canada, PRB 01‑12F, Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, octobre 2001.
(16) Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Vingt-deuxième rapport, mai 2002 (ci‑après « Comptes publics, 2002 »).
(17) Mollie Dunsmuir, Projet de loi C‑28 : Loi sur certains accords concernant l’Aéroport international Pearson (LS-253F), Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, avril 1996.
(18) Examen de la LTC, p. 150.
(19) Le Conseil consultatif des aéroports de Montréal, Recommandation d’une structure de gestion locale pour les aéroports de Montréal et l’avenir des aéroports de Montréal, septembre 1986, Annexe C II, p. 9, 11.
(20) Ibid.
(21) Voir la partie II ci‑dessous. L’Administration aéroportuaire de Toronto perçoit des « frais d’améliorations aéroportuaires » aussi bien des passagers en correspondance que des passagers en partance.
(22) Voir Examen des baux des AAL; Rapport du vérificateur général, 2000; Examen de la LTC; Brooks et Prentice (2001); et J. A. A. Lovink, « Improving the Governance of Airport Authorities », Policy Options, 6 avril 2001.
(23) Commission royale sur le transport des voyageurs au Canada, Orientations, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services, 1992, p. 121-126 (ci‑après« Commission royale »).
(24) Commission royale, vol. 1, p. 94.
(25) Ibid.
(26) Groupe de travail de 1979, vol. 1, p. 19.
(27) Voir Organisation de l’aviation civile internationale, Airport Economics Manual, 1991, et Report of the Conference on the Economics of Airports and Air Navigation Service: Air Transport Infrastructure for the 21st Century, Montréal, 2000.
(28) États-Unis, General Accounting Office, Passenger Facility Charges: Program Implementation and the Potential Effects of Proposed Change, Washington, mai 1999.
(29) Brooks et Prentice (2001), p. 13 [traduction].
(30) Lovink (2001), p. 50-56.
(31) Transports Canada, Les transports au Canada – Rapport annuel 2001,Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2001.
(32) Examen des baux des AAL, p. 30.
(33) « Fee helps airport turn a profit », Ottawa Citizen, 17 août 2002 [traduction].
(34) Rapport du vérificateur général, 2000, p. 10-5, 10-37.
(35) Comptes publics, 2002, p. 3-8.
(36) Transports Canada, Le ministre des Transports prévoit élaborer une législation et réviser la politique des loyers à des aéroports du Canada, communiqué, et Examen de la politique des loyers, document d’information, 12 juin 2001.
(37) Ibid.
(38) Commission royale, vol. 1, p. 22.
(39) Fédération canadienne des municipalités, Community Airports Survey: Final Report, Ottawa, novembre 2001, annexe D, section sur Transports Canada (ci‑après « Enquête sur les aéroports locaux »).
(40) Le Comité des comptes publics a critiqué cette évaluation (2002).
(41) Cette question est soulevée dans Lovink (2001).
(42) Ibid.
(43) Commission royale, vol. 2, p. 220-228.
(44) Site Web de Transports Canada.