PRB 02-45F
L'ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ DANS LE CANADA RURAL
Rédaction :
Stephen Laurent
Division de l'économie
Le 1er décembre 2002
TABLE DES MATIÈRES
C. État de santé et besoins en
soins de santé
1. Le sexe
2. La catégorie
d’âge
3. La santé du travail
4. L’hygiène de l’environnement
5. La santé des Autochtones
LES PRESTATAIRES DE SOINS ET L’ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ DANS LE CANADA RURAL
A. La répartition des médecins
B. Le recrutement et le maintien en poste du personnel soignant
C. Le rôle des médecins diplômés étrangers
D. Les autres prestataires de soins
STRATÉGIES ET SOLUTIONS POSSIBLES
B. La recherche en santé rurale
C. La formation et l’éducation en santé rurale
D. Les récentes recommandations de la Commission Romanow et du Comité sénatorial permanent
L’ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ DANS LE CANADA RURAL
« S’il est une médecine à deux vitesses au Canada, ce n’est pas celle des riches d’un côté et celle des pauvres de l’autre, c’est celle de la ville par rapport à celle de la campagne »(1). C’est en ces termes que le conseiller spécial de Santé Canada en matière de santé rurale décrit la situation de plus en plus déplorable des Canadiens des milieux ruraux pour ce qui est de l’accès aux soins de santé. Il a été démontré que les résidents des régions rurales du Canada présentent un bilan de santé moins bon que celui des Canadiens qui habitent en milieu urbain. De plus, ils n’ont accès qu’à un nombre restreint de prestataires de soins, et ils sont confrontés à des fermetures d’hôpitaux et à un phénomène de centralisation des services de santé qui ne sont pas sans conséquences graves pour eux.
Le présent document décrit les enjeux et les défis qui concernent la prestation de soins de santé dans les régions rurales du Canada, et il analyse le rôle – actuel et potentiel – du gouvernement fédéral dans ce domaine(2). Il commence par présenter les caractéristiques démographiques et économiques du « Canada rural » et analyser l’état de santé et les besoins des Canadiens des milieux ruraux en matière de santé. Il examine ensuite les questions d’accès aux soins et d’effectifs disponibles en milieu rural. Enfin, il propose quelques stratégies et solutions possibles en vue de régler ce problème d’accès aux soins de santé. Le document comporte également une annexe qui décrit les approches de la santé rurale qui ont été adoptées par les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, de même que les enseignements que le Canada pourrait tirer de ces expériences.
La population rurale du Canada semble être en déclin(3), puisqu’elle est passée d’un peu plus de 8,6 à quelque 6,1 millions d’habitants de 1991 à 2001. Par contraste, en 2001, 79,7 p. 100 de la population du pays résidait dans des centres urbains, contre 68,4 p. 100 en 1991.
Il existe d’importants écarts d’une province et d’un territoire à un autre dans la répartition de la population entre les milieux urbains et ruraux (voir le graphique 1 et le tableau 1). Ainsi, en Colombie-Britannique et en Ontario, 15,3 p. 100 seulement de la population vivait dans des régions rurales en 2001, tandis que dans les provinces de l’Atlantique, la population rurale représentait de 42 à 55 p. 100 de la population totale. Au Nunavut, 67,5 p. 100 de la population vivait en milieu rural.
GRAPHIQUE 1
Répartition de la population du Canada entre les milieux urbain et rural, 2001
Source : Statistique Canada, Recensement de 2001, chiffres de population et des logements, « Urbains et ruraux ».
TABLEAU 1
La population rurale du Canada, répartition et âge
|
1991 |
2001 |
||||
|
POPULATION RURALE |
% RURALE |
ÂGE(a) |
POPULATION RURALE |
% RURALE |
ÂGE MÉDIAN(a) |
Canada |
8 626 086 |
31,6 |
35,5 |
6 098 883 |
20,3 |
39,0 |
Terre-Neuve-et-Labrador |
374 050 |
46,4 |
34,2 |
216 734 |
42,3 |
39,5 |
Île-du-Prince-Édouard |
85 624 |
66,0 |
34,5 |
74 619 |
55,2 |
37,9 |
Nouvelle-Écosse |
509 520 |
56,6 |
36,9 |
400 998 |
44,2 |
40,5 |
Nouveau-Brunswick |
469 265 |
64,8 |
35,2 |
361 596 |
49,6 |
39,1 |
Québec |
2 040 936 |
22,4 |
36,3 |
1 420 330 |
19,6 |
40,1 |
Ontario |
2 497 023 |
18,2 |
36,4 |
1 747 499 |
15,3 |
39,5 |
Manitoba |
412 445 |
27,9 |
33,9 |
314 262 |
28,1 |
36,0 |
Saskatchewan |
489 458 |
49,5 |
36,0 |
349 897 |
35,7 |
38,5 |
Alberta |
715 605 |
20,2 |
33,0 |
569 647 |
19,1 |
35,3 |
Colombie-Britannique |
874 909 |
19,6 |
36,3 |
597 885 |
15,3 |
40,2 |
Yukon |
11 462 |
41,2 |
32,4 |
11 831 |
41,3 |
36,9 |
Territoires du Nord-Ouest |
45 789 |
63,3 |
27,2 |
15 529 |
41,6 |
29,0 |
Nunavut |
S/O |
S/O |
21,4 |
18 056 |
67,5 |
22,1 |
Source : Population : Statistique Canada, Recensement de 1991, chiffres de population et des logements – régions urbaines, no de cat. 93-305, et Recensement de 2001, chiffres de population et des logements, « Urbains et ruraux »; âge : « âge médian, en région rurale et dans les petites villes, Canada, provinces et territoires, 1996 et 2001 », dans Recensement de 2001 – Profil de la population canadienne selon l’âge et le sexe : le Canada vieillit.
Notes : a) L’âge médian partage exactement la population en deux groupes égaux selon l’âge : les plus âgés et les moins âgés.
b) Données de 1996.
La population canadienne vieillit rapidement et celle du Canada rural vieillit encore plus vite que celle des milieux urbrains. L’âge médian rural a augmenté de 3,5 ans pour passer à 39 ans entre 1996 et 2001, alors que celui des régions métropolitaines n’a augmenté que de 1,8 an pour atteindre 37 ans pendant la même période(4).
Toutefois, l’âge médian de la population rurale canadienne n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire. Au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, il était respectivement de 22 et de 29 ans en 2001. Cet âge plus bas est en partie attribuable à la population inuite, qui est jeune et dont le nombre croît rapidement sous l’effet de taux de natalité supérieurs à la moyenne nationale. Les populations rurales de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador accusent un vieillissement important par rapport à ce qu’on a constaté dans les régions métropolitaines de ces deux provinces entre 1996 et 2001, et ce, en raison de la migration des jeunes vers les villes. Dans la formulation des politiques concernant la santé en secteur rural, il convient de tenir compte des écarts constatés dans les caractéristiques démographiques d’une province à l’autre.
Dans toutes les provinces, les revenus des régions dans les régions rurales sont inférieurs à ceux dans les régions urbaines (voir le tableau 2). Cependant, cet écart s’est quelque peu réduit depuis une vingtaine d’années, diminuant de 16 p. 100 entre 1980 et 1995(5). La Nouvelle-Écosse et le Manitoba sont les deux provinces présentant les plus importants écarts, sur le plan du revenu, entre les milieux urbains et ruraux. Comme l’indique aussi le tableau 2, les trois provinces qui avaient des revenus supérieurs à la moyenne dans les régions urbaines (Colombie-Britannique, Alberta et Ontario) avaient aussi des revenus supérieurs à la moyenne dans les régions rurales.
TABLEAU 2
Revenu et taux de chômage par habitant dans les régions rurales et urbaines
|
Revenu par habitant (1995) |
Taux de chômage (2000)(b) |
||
|
RÉGION RURALE |
RÉGION URBAINE |
RÉGION RURALE |
RÉGION URBAINE |
Canada |
16 120 $ |
19 543 $ |
7,2 % |
5,4 % |
T.-N. |
12 736 |
15 456 |
22,0 |
8,8 |
Î.-P.-É. |
15 316 |
S/O(a) |
16,7 |
7,8 |
N.-É. |
14 223 |
18 532 |
9,7 |
6,8 |
N.-B. |
14 887 |
16 838 |
12,0 |
6,4 |
QUÉ. |
14 792 |
17 696 |
8,9 |
7,0 |
ONT. |
17 585 |
20 696 |
4,3 |
4,7 |
MAN. |
14 638 |
18 164 |
3,9 |
4,1 |
SASK. |
14 916 |
17 985 |
4,2 |
4,3 |
ALT. |
16 681 |
19 900 |
4,0 |
3,7 |
C.-B. |
17 957 |
20 832 |
7,4 |
6,0 |
Source : Revenu par habitant : Vik Singh, « La disparité des revenus en milieu rural au Canada : Une comparaison entre les provinces », Bulletin d’analyse – Régions rurales et petites villes du Canada, vol. 3, no 7, Statistique Canada, no 21-006-XIF, 2002, annexe, tableau 1.
Taux de chômage : Neil Rothwell, « Situation de l’emploi dans les régions rurales et petites villes du Canada – mise à jour jusqu’en 2000 », Bulletin d’analyse – Régions rurales et petites villes du Canada, vol. 3, no 4, Statistique Canada, no 21-006-XIF, 2001, annexe, tableau 1 : Régions urbaines – Statistique Canada, CANSIM II, tableau 282-0066.
Notes : a) D’après les définitions qu’il a retenues, l’auteur doit considérer que l’Île-du-Prince-Édouard est entièrement rurale.
b) Le taux de chômage pour 2000 concerne le groupe des 25 à 54 ans.
Le taux de chômage au Canada a toujours été plus élevé dans les régions rurales que dans les régions urbaines(6) (voir les données de 2000 dans le tableau 2). Cela tient en partie au travail saisonnier, plus courant dans les campagnes que dans les villes. À cause de la variation des niveaux d’emploi et de ressources d’un mois à l’autre, encore une fois à cause du caractère saisonnier du travail, il est difficile de maintenir une croissance économique régulière et à long terme(7). Par ailleurs, les taux de chômage en région rurale varient considérablement d’une province à l’autre, passant de 22 p. 100 à Terre-Neuve à 3,9 p. 100 au Manitoba en 2000 (cela aussi peut s’expliquer en partie par le caractère saisonnier des industries qui dominent dans les régions rurales; la pêche, qui est l’industrie la plus saisonnière de toutes, est pratiquée à un taux supérieur à la moyenne dans les provinces de l’Atlantique).
On a toujours considéré que la main-d’œuvre du Canada rural travaillait essentiellement dans le secteur primaire. Toutefois, cette situation change rapidement. Le tableau 3 présente les données d’emploi par groupe d’industrie pour 1996 et 2000 (dans les secteurs ruraux) exprimées en pourcentage de l’emploi total en région rurale et en termes d’intensité relative par rapport à l’ensemble du Canada(8). Il semble que les industries rurales traditionnelles, comme l’agriculture(9) et la foresterie, la pêche, l’exploitation minière, le pétrole et le gaz constituent maintenant une plus petite partie de l’emploi total en région rurale. Le secteur manufacturier, le commerce, les soins de santé et l’aide sociale, les services d’enseignement, les services d’hébergement et de restauration, le transport et l’entreposage de même que la gestion d’entreprises (qui n’apparaît pas au tableau 3) ont gagné en importance et en intensité relative dans les régions rurales du pays.
Dans l’ensemble, l’effectif rural semble désormais dépendre moins des industries saisonnières traditionnelles. Cependant, le déplacement des emplois des secteurs saisonniers et primaires aux secteurs de la fabrication, du commerce, du transport et des services sociaux pourrait causer des difficultés économiques dans les régions rurales qui ont traditionnellement misé sur ces anciens secteurs d’activité. D’ailleurs, le passage à d’autres groupes d’activités risque d’être extrêmement difficile pour ces régions.
TABLEAU 3
Emploi en milieu rural, par groupe d’activité économique
|
1996 |
2000 |
||
|
En % |
Intensité relative/ tout le Canada(b) |
En % de l’emploi total en milieu rural(a) |
Intensité relative/ tout le Canada(b) |
Fabrication |
14,2 |
99,3 |
15,6 |
101,7 |
Commerce |
14,1 |
90,4 |
14,3 |
92,3 |
Soins de santé et aide sociale |
9,7 |
93,6 |
10,0 |
97,6 |
Agriculture |
12,1 |
381,4 |
9,2 |
369,3 |
Construction |
6,5 |
122,1 |
6,6 |
120 |
Services éducatifs |
6,0 |
89,2 |
6,1 |
92,9 |
Hébergement et restauration |
5,8 |
90,8 |
6,1 |
95,2 |
Transport et entreposage |
5,0 |
99,5 |
5,6 |
107,4 |
Foresterie, pêche, exploitation |
5,0 |
230,1 |
4,7 |
248,9 |
Source : Rothwell (2001), tableau 3.
Notes : a) Niveau d’emploi du groupe d’activité en milieu rural, exprimé en pourcentage de l’emploi total en milieu rural.
b) À partir de quotients d’emplacement, l’intensité relative mesure l’intensité de l’emploi dans un secteur d’activité donné en région rurale, par rapport à l’emploi dans le même groupe d’activité économique au Canada pris dans son entier. Un quotient de 100 indique un même degré d’intensité entre les régions rurales et l’ensemble du Canada.
C. État de santé et besoins en soins de santé
La politique canadienne en matière de soins de santé a pour premier objectif, selon la Loi canadienne sur la santé, de protéger, de favoriser et d’améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d’ordre financier ou autres(10). Malheureusement, l’état de santé de la population varie d’une région à l’autre(11). L’espérance de vie dans les régions rurales est inférieure à la moyenne canadienne et l’espérance de vie dans les collectivités éloignées du Nord est la plus basse au pays(12). En outre, les résidents des régions rurales font plus souvent que la moyenne des Canadiens mention d’états de santé passables à médiocres. S’agissant des modes de vie, le tabagisme, la consommation d’alcool et l’obésité sont plus importants en milieu rural qu’ailleurs au Canada(13).
Plusieurs études corroborent l’existence de différences d’état de santé, de mode de vie et de régime d’utilisation des soins de santé entre les milieux urbain et rural, entre autres(14) :
Selon le Bureau de santé rurale de Santé Canada :
Dans ces régions, les réalités et les besoins en matière de santé diffèrent de ceux des centres urbains. Ces besoins peuvent être reliés spécifiquement à l’environnement (par exemple : le besoin de formation en prévention de renversement de tracteur), aux changements démographiques (par exemple : l’augmentation de la population d’aînés dans certaines régions rurales), à un besoin en santé commun existant dans un environnement rural donné (par exemple : l’état de santé des communautés des Premières nations), ou à la nécessité de s’attaquer aux préoccupations de santé selon une perspective qui tient compte de la réalité rurale (par exemple : des services d’obstétrique qui n’obligent pas les femmes des milieux ruraux à se déplacer sur de longues distances).(15)
D’après les renseignements disponibles, il semble que les besoins en soins de santé de certains groupes en milieu rural ne sont souvent ni comblés ni compris. La diversité des populations dans les régions rurales et éloignées est synonyme d’importants défis pour les systèmes de soins de santé de ces régions. De plus en plus, selon les spécialistes des questions de santé en milieu rural, les systèmes de soins de santé doivent reconnaître le sexe, l’emploi, la scolarisation, l’environnement et le contexte culturel comme déterminants de la santé; en retour, ces mêmes facteurs peuvent servir à profiler toute la gamme des services qu’il convient de fournir dans les collectivités rurales(16).
En général, les rapports sur les questions de santé rurale n’analysent pas l’état de santé de la population selon le sexe. Pourtant, les femmes ont des contacts plus fréquents et plus intimes avec le système de santé que les hommes. Ces contacts concernent le plus souvent les soins génésiques et les soins à la mère et au nouveau-né. Les femmes peuvent avoir besoin de services spéciaux dans les domaines suivants : troubles menstruels, contrôle des naissances, naissances non désirées, maladies transmises sexuellement, infertilité, accouchements et ménopause. Toutefois, les services gynécologiques, obstétriques et de soins à la mère et au nouveau-né sont de moins en moins accessibles en dehors des centres urbains et ils sont rarement faciles à obtenir pour les femmes des régions rurales. Ces dernières ont aussi de plus en plus de difficultés à pouvoir accoucher dans leur collectivité, même s’il s’y trouve un hôpital. Dans le Nord de l’Ontario, le nombre déclaré d’hôpitaux communautaires qui ont fermé leur service de maternité a quintuplé depuis 1981(17).
Les cancers de la femme, surtout ceux du sein, des ovaires et du col de l’utérus, soulèvent le problème de l’accès aux centres d’oncologie en milieu rural. Le faible taux de participation des femmes aux programmes de dépistage pose également problème. De récentes données montrent, en effet, que les taux de dépistage sont nettement inférieurs chez les femmes vivant en milieu rural et chez celles qui appartiennent à des milieux socioéconomiques défavorisés(18).
Qui plus est, les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes par des problèmes sociaux comme la pauvreté et la violence. Des chercheurs du Centre d’excellence pour la santé des femmes, région des Prairies, remarquent que :
l’avantage accordé au milieu urbain en matière de prestation de services spécialisés axés sur la violence familiale, combiné à la centralisation de services à caractère plus général (comme les services sociaux, l’aide juridique et certains volets des services policiers) n’est pas sans créer un grave problème d’accessibilité pour les femmes vivant en milieu rural et pour leur famille. C’est pourquoi ces femmes doivent trouver les ressources nécessaires pour aller en ville afin de se prévaloir de tels services ou elles doivent y renoncer carrément. Les femmes victimes de violence sont souvent pauvres et peuvent n’avoir ni le temps ni l’argent voulus pour se rendre dans un grand centre urbain. Les femmes des régions rurales sont aussi désavantagées par le manque de garderies subventionnées, la pénurie de possibilités d’emploi et l’absence de logements abordables.(19)
Les jeunes enfants, les adolescents et les personnes âgées sont souvent sur-représentés dans les régions rurales. Ces groupes d’âge présentent des problèmes tout à fait particuliers pour le système de soins de santé dans ces régions. La promotion de la santé et l’éducation des enfants et des adolescents en matière de santé laissent plutôt à désirer dans un grand nombre de collectivités rurales. Les jeunes des milieux ruraux pourraient tirer profit d’une information précoce sur plusieurs sujets : la condition physique et les régimes alimentaires sains, la sexualité sans danger et les risques associés à la consommation de tabac, d’alcool et de drogue. De plus, en milieu rural, les enfants et les adolescents victimes de violence sont géographiquement isolés, ils sont mal informés, sont peu mobiles et peuvent ne pas avoir accès à des services de soutien adaptés.
Les personnes âgées, quant à elles, constituent le plus important segment de consommateurs de soins de santé, surtout parce qu’elles sont plus sujettes que le reste de la population à la maladie et à l’incapacité. Pour ce qui est de la santé mentale, la dépression est très répandue chez les Canadiens âgés. Les aînés qui résident dans des régions isolées ou rurales, en particulier, se heurtent à des obstacles qui nuisent à leur aptitude à protéger leur santé mentale. Pour ce qui est de leur santé physique, les Canadiens âgés sont plus susceptibles que les autres de souffrir de malnutrition, d’ostéoporose, de problèmes de vision et d’ouïe ainsi que d’autres déficiences physiques qui peuvent considérablement réduire leur mobilité. D’après Statistique Canada, les résidents des régions rurales présentent, en moyenne, la plus faible « espérance de vie sans limitation d’activité » au Canada(20). Dans des régions comme les provinces de l’Atlantique, par exemple, où l’on constate une très importante émigration rurale chez les jeunes, de plus en plus de personnes âgées vivant en milieu rural peuvent devoir composer seules avec leurs problèmes de santé.
Les régions rurales doivent lutter pour leur survie économique. L’isolement géographique, la dépendance par rapport aux ressources naturelles, un taux de chômage chronique élevé et la vulnérabilité des villes mono-industrielles sont autant de problèmes économiques que connaissent un grand nombre de collectivités rurales. De plus, les activités économiques dont ces collectivités dépendent peuvent avoir des répercussions négatives sur la santé des résidents. Plusieurs secteurs d’emplois typiquement concentrés en milieu rural, comme l’exploitation forestière, les pêches, l’exploitation minière, l’agriculture et l’industrie de la viande, sont à l’origine d’importants problèmes de santé.
La foresterie et la pêche, par exemple, sont parmi les secteurs d’activité les plus dangereux. Les taux élevés d’accidents, la forte incidence de maladies professionnelles et les départs anticipés à la retraite sont très courants dans ces deux secteurs. Si la sécurité ne cesse de s’améliorer dans l’industrie minière depuis les années 1960, l’exposition constante à la silice et aux radiations est une cause fréquente de silicose et de cancer des poumons chez les mineurs(21). On peut aussi attribuer au travail dans les mines tout un ensemble de maladies respiratoires obstructives et de cancers de l’intestin, de l’estomac, des os, de la vessie et du pancréas.
Il est établi que les emplois présentent plus de risques pour la santé dans le secteur agricole que dans n’importe quel autre secteur d’activité au Canada(22). En 2000, près de 9,2 p. 100 des actifs en milieu rural travaillaient en agriculture (voir le tableau 3 ci-dessus). La plupart des agriculteurs travaillent en isolement, sur de grandes parcelles de terrain, ce qui veut dire qu’ils n’ont que peu de voisins et qu’ils n’ont pas facilement accès à des services. Ils utilisent des équipements lourds et dangereux et sont exposés à toute une gamme de produits nocifs, comme les pesticides. En outre, leur exploitation agricole est à la fois leur lieu de travail et leur résidence, ce qui veut dire que les personnes âgées et les enfants sont exposés aux mêmes risques sur les plans de la santé et de la sécurité. La plupart des autres métiers dangereux sont réglementés et les travailleurs sont protégés contre des conditions de travail dangereuses par voie de législation, mais dans le monde agricole, essentiellement dominé par des exploitants-propriétaires indépendants, on n’accorde pas toujours toute l’attention voulue aux règlements sur la santé et la sécurité.
Récemment, le nombre d’agriculteurs autonomes n’ayant pas d’employés a considérablement diminué, la tendance étant à des exploitations de plus en plus grandes(23). L’expansion très rapide des élevages intensifs de bovins et de porcs est stimulée, surtout en Alberta, par les aides financières gouvernementales et par un climat industriel favorable aux affaires (le niveau de syndicalisation dans les abattoirs, par exemple, est relativement faible). L’industrie du conditionnement de la viande est d’ailleurs caractérisée par des milieux de travail plutôt dangereux, par de bas salaires et par des taux d’accident du travail élevés (en 1996, en Alberta, le taux d’accident du travail dans ce secteur était le double de la moyenne provinciale pour le secteur manufacturier)(24). Un taux élevé d’accidents au travail sollicite fortement le système de soins de santé d’une région. De plus, selon une étude récente, les villes où l’industrie du conditionnement de la viande domine sont peut-être sujettes à d’autres problèmes de santé moins visibles. À cause de la nature du travail, les compagnies ont tendance à recruter des hommes jeunes, célibataires, dont la plupart viennent de l’extérieur de la province. Les travailleurs de ce groupe, qui se retrouvent dans une nouvelle collectivité et dont les conditions de travail sont stressantes, sont particulièrement susceptibles de sombrer dans l’alcoolisme et de souffrir des problèmes connexes. Il semblerait que l’essor rapide de l’industrie du conditionnement de la viande dans les collectivités rurales exacerbe les problèmes d’abus d’alcool et de violence familiale(25). Il est difficile, pour les petites villes rurales, de faire face à ce genre de problèmes à cause d’un manque de personnel de services de santé qualifié.
4. L’hygiène de l’environnement
Il existe très souvent une tension entre la croissance économique régionale et la santé des résidents de secteurs ruraux. Par exemple, l’élevage intensif du bétail (parcs d’engraissement ou sociétés d’agriculture industrielle) joue un rôle déterminant dans l’économie de certaines provinces (plus particulièrement en Alberta, qui compte pour 60 p. 100 de la production de bétail au Canada) et dans la vie d’un grand nombre de résidents des régions rurales. Bien que ces entreprises revêtent une grande importance pour les économies des petites villes et des régions rurales, elles peuvent aussi constituer une menace pour l’approvisionnement en eau, la qualité de l’air et du sol et la santé des résidents en général. C’est dans la « Feedlot Alley », zone de 500 kilomètres carrés située près de Lethbridge (Alberta), que l’on trouve la plus forte concentration d’élevages de bétail au Canada. Cette région a connu une expansion économique remarquable puisque, au cours des 20 dernières années, les élevages ont triplé d’importance. Cependant, la Chinook Regional Health Authority (Autorité sanitaire régionale de Chinook), qui s’occupe de la région de Feedlot Alley, signalait en 1998 l’un des taux de maladies gastro-intestinales les plus élevés en Alberta, soit une fois et demie la moyenne provinciale(26). Quand des centaines de milliers de têtes de bétail (on estime à 520 000 têtes de bovins et 180 000 porcs le cheptel de Feedlot Alley) sont ainsi concentrées sur de petites superficies, le fumier – avec les bactéries, les parasites et le phosphore qu’il contient – risque de se retrouver dans les lacs, les rivières et les nappes aquifères souterraines avoisinantes et donc de poser de graves problèmes pour la santé. Les récentes tragédies de North Battleford en Saskatchewan et de Walkerton en Ontario prouvent que ces menaces sont bien réelles.
Plus de la moitié des Canadiens autochtones vivent dans des collectivités rurales. Leur santé, par rapport à celle de la population en général, est relativement mauvaise. Les indicateurs font état d’une prévalence plus élevée de maladies chroniques, de suicides, d’abus d’alcool et de drogues, de cas de violence familiale et de maladies transmissibles, pour ne nommer que ces problèmes.
LES PRESTATAIRES DE SOINS ET L’ACCÈS AUX SOINS DANS LE CANADA RURAL
A. La répartition des médecins
Les médecins ne sont pas répartis également sur l’ensemble du territoire canadien. Cette « inégalité » est particulièrement marquée dans les régions rurales et éloignées, outre que le problème semble s’aggraver : en 1991, 14,9 p. 100 des médecins exerçaient dans des régions rurales; en 1996, ils n’étaient plus que 9,8 p. 100 (voir le tableau 4). Ce qui est plus sérieux encore, c’est que le déclin des effectifs de médecins en milieu rural se produit plus rapidement que le déclin de la population rurale canadienne(27). En outre, certaines projections donnent à penser que le ratio médecins-habitants en région rurale devrait diminuer pour passer de 0,79 pour mille qu’il était en 1999 à 0,53 pour mille en 2021(28).
TABLEAU 4
Pourcentages des médecins et de la population en région rurale
|
% de population résidant en région rurale |
% de médecins exerçant en région rurale |
1991 |
29,2 % |
14,9 % |
1996 |
22,2 % |
9,8 % |
Source : Pitblado et Pong (1999), p. 3.34.
Plusieurs spécialistes de la question ont fait remarquer que, bien qu’inquiétants, ces ratios médecins-population ne tiennent pas compte de tous les facteurs, par exemple de la différence de productivité des médecins, de la mobilité des médecins et des patients, de la relève assumée par d’autres prestataires de soins et des besoins médicaux de la population(29). Ces mêmes spécialistes soutiennent qu’une autre méthode d’analyse du problème de la répartition (l’« indice de Gini ») pourrait permettre de savoir dans quelle mesure l’effectif de médecins est réparti également sur le territoire.
L’indice de Gini compare la proportion de médecins à la proportion de la population d’une même région géographique, par rapport à la population totale du pays. Les valeurs obtenues varient de 0 à 100, 0 représentant une répartition parfaitement égale et 100 une répartition totalement inégale (tous les médecins d’un pays étant alors regroupés dans un seul endroit). Donc, plus l’indice de Gini est faible et plus la répartition géographique des médecins est proportionnelle à celle de la population. Le tableau 5 compare la répartition du nombre de médecins au nombre de résidents d’un secteur de recensement au Canada grâce aux indices de Gini et dresse un classement par spécialité médicale.
TABLEAU 5
Répartition territoriale des médecins –
Indices de Gini appliqués aux secteurs de recensement
Source : Pitblado et Pong (1999), tableau 3.11.
La catégorie de médecins répartie le plus également entre les différents secteurs de recensement était celle des généralistes/médecins de famille. Pour ce qui est des spécialités, c’est la chirurgie générale qui était répartie le plus également en 1996, et la biochimie, le moins également.
La majorité des chercheurs en santé rurale conviennent que les résidents des secteurs ruraux sont de plus en plus éloignés des fournisseurs et des installations de soins, les médecins et les hôpitaux étant davantage concentrés dans les secteurs urbains ou à proximité de ces derniers(30). D’après une étude récente, plus des deux tiers des résidents de collectivités éloignées du Nord se trouvent à plus de 100 kilomètres du médecin le plus proche(31).
La plupart des spécialités sont réparties inégalement sur le territoire national. Le Dr Stuart Iglesias, médecin de campagne en Alberta, a constaté que les diplômés de spécialités comme la chirurgie et l’obstétrique ne veulent pas aller travailler dans des hôpitaux communautaires ruraux à cause du faible volume d’interventions, de leur relative simplicité et de la proportion excessive d’appels de nuits et de fins de semaine. Ainsi, les médecins de famille et les généralistes n’ont d’autre choix que d’effectuer un large éventail d’interventions puisqu’ils se chargent, par exemple, de la majorité des accouchements en région rurale à la place de leurs collègues obstétriciens(32). L’on craint que si les régions rurales continuent à perdre ainsi leurs spécialistes, les hôpitaux qui desservent leur population ne seront plus en mesure de lui offrir toute la palette des soins et qu’ils finiront par ne dispenser guère plus que des soins ambulatoires et des services de transport vers les établissements urbains(33). Les progrès technologiques réalisés en télésanté permettront évidemment d’améliorer cette situation en réduisant les déplacements nécessaires, mais la perte d’autonomie et l’absence de capacité locale dans les régions rurales demeureront problématiques. Dans son témoignage devant le comité sénatorial, le secrétaire général et chef de la direction de l’Association médicale canadienne a déclaré : « Il est facile de comprendre que, dans certains cas, il n’est pas rentable d’assurer aux habitants des régions rurales et éloignées un accès raisonnable aux services de santé. Toutefois, il faut savoir reconnaître, même si un tel accès n’est pas rentable, qu’il est la seule solution valable. »(34)
B. Le recrutement et le maintien en poste du personnel soignant
À l’été 2001, le Globe and Mail publiait une lettre dans le courrier des lecteurs sous le titre « Pourquoi je refuserai d’être médecin de campagne »(35). L’auteur de cette lettre, un jeune diplômé d’une école de médecine, expliquait que, bien qu’il ait lui-même grandi dans une petite ville, il est maintenant un citadin à part entière et que ses habitudes et sa vie sont désormais ceux d’un citadin. Voici ce qu’il déclarait ensuite :
Mes camarades de promotion en médecine me ressemblent beaucoup. La plupart d’entre eux s’intéressent à la médecine rurale, mais rares sont ceux qui iront pratiquer dans des villes de moins de 50 000 habitants. Ils peuvent déjà être en couple ou vouloir l’être avec une personne qui doit penser à sa propre carrière. Ils veulent avoir du temps de libre. Après avoir étudié dix ans ou plus dans une université en ville, ils ont pris goût aux commodités de la vie urbaine. C’est pour cela que le problème du manque de médecins dans le Canada rural est loin d’être réglé. Les jeunes médecins et leurs compagnons ou compagnes ne sont pas prêts à faire les sacrifices voulus pour habiter dans une collectivité rurale.
Cette lettre illustre les obstacles très importants que les régions rurales doivent surmonter pour recruter et retenir les médecins. Ces obstacles, qui tiennent principalement à des différences de mode de vie, persistent malgré toutes les politiques gouvernementales. Quand vient le moment de décider du lieu où ils exerceront, les médecins invoquent systématiquement les facteurs personnels comme étant les plus importants dans leur choix. Une étude récente des raisons pour lesquelles certains médecins ont quitté les régions rurales de l’Ontario concluait qu’il fallait, si l’on voulait les retenir assez longtemps dans une telle région, rechercher des moyens d’assurer la satisfaction de leur conjoint ou conjointe, de régler les questions liées aux enfants et de briser leur isolement social(36).
La difficulté d’attirer des médecins dans les régions rurales tient aussi à des considérations d’ordre professionnel. La pratique médicale en milieu rural diffère de celle en milieu urbain. À cause de leur petit nombre, les médecins de famille en milieu rural travaillent normalement plus d’heures que leurs collègues des villes et, à cause du manque de spécialistes, ils sont aussi obligés de fournir une gamme beaucoup plus étendue de services : visites sur appel, soins d’urgence, soins de patients hospitalisés et soins à l’accouchement. Parmi les autres considérations d’ordre professionnel, mentionnons : moins d’accès à un réseau de soutien professionnel (constitué de collègues et de spécialistes), moins d’installations, moins d’équipement, moins de fournitures et moins de possibilités d’assurer sa formation continue ou de profiter de possibilités de perfectionnement.
D’aucuns affirment que les récentes politiques des autorités provinciales et territoriales en matière d’agrément et de formation sont une troisième cause du problème(37). Comme les collectivités rurales sont peu peuplées, elles ne justifient pas la présence de spécialistes, et la majorité des médecins y sont des généralistes/médecins de famille, souvent considérés, en raison l’étendue de leurs connaissances et de leurs compétences, comme les mieux placés pour répondre aux besoins globaux des résidents locaux en matière de soins de santé. Ainsi, toute augmentation du nombre de diplômés en médecine optant pour une spécialité au détriment de la médecine générale/familiale risque d’avoir un effet négatif particulièrement important sur les régions rurales. Or, au début des années 1990, les ordres des médecins (qui délivrent les permis d’exercer) des provinces et des territoires, se fondant sur les avis reçus de leur fédération nationale et du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC), ont décidé de remplacer le principe de « l’internat par rotation » par un double choix : soit la résidence en spécialité conduisant à un agrément du Collège royal des médecins et des chirurgiens, soit une résidence en médecine familiale de deux ans conduisant à l’agrément du CMFC. À cause de cette décision, il semble que moins d’internes optent pour la pratique familiale. Tout d’abord, en vertu de ce modèle à deux voies, ceux qui choisissent la médecine familiale doivent effectuer une année de formation supplémentaire. Deuxièmement, l’élimination de l’internat par rotation semble avoir obligé les jeunes médecins à choisir leur spécialité plus tôt que dans le passé. Enfin, certains soutiennent que les médecins qui avaient été formés dans le cadre du programme d’internat par rotation avaient bénéficié d’une plus grande expérience et étaient mieux outillés que leurs cadets pour faire face à la multitude de situations qui attend les médecins de campagne.
Selon deux chercheurs dans le domaine de la politique de la santé, l’incidence de ces changements de politiques sur le recrutement des médecins de campagne, si elle peut paraître relativement modeste, n’en est pas moins très importante :
Avant l’élimination de l’internat par rotation, quelque 900 médecins formés au Canada choisissaient chaque année la médecine générale. Après l’entrée en vigueur d’un internat obligatoire de deux ans en médecine familiale, il semble que leur nombre ne soit plus que d’environ 700 par an. En moyenne, 15 à 20 p. 100 de ces derniers décident d’aller exercer dans des régions rurales ou éloignées. Ainsi, même si l’effectif des « diplômés » de ce domaine a diminué de 200 environ, on peut s’attendre à ce que la baisse du nombre de ceux qui sont susceptibles d’exercer en région rurale ou éloignée diminue d’environ 30 à 40 par an, et ce, pour l’ensemble du Canada.(38)
Pour essayer de garantir aux résidents des régions rurales un accès adéquat aux soins de santé, les provinces et territoires ont élaboré tout un ensemble de stratégies et de programmes d’incitation pour attirer des médecins dans les régions rurales et éloignées et pour les encourager à y rester. Selon Barer et Wood, on peut regrouper ces politiques en quatre grandes catégories : les politiques de nature réglementaire ou administrative, les politiques axées sur l’enseignement, les politiques d’ordre financier et les solutions du type « laisser-faire » voulant qu’on s’en remette aux seules forces du marché(39).
Dans leur enquête de 1999 portant sur les politiques provinciales destinées à améliorer l’accès aux services de santé dans les régions rurales, les chercheurs Barer, Wood et Schneider ont formulé l’observation suivante :
Si toutes les régions du pays disposent de politiques visant à améliorer l’accès aux services médicaux dans les régions rurales et éloignées, il semble qu’aucune mesure ou presque n’existe à l’échelle du pays. Cette carence est sans doute due, pour une bonne part, au fait que la « santé » est, selon la Constitution, de compétence provinciale ou territoriale. Ainsi, le gouvernement fédéral ne dispose que de peu de leviers politiques (la politique de l’immigration étant la seule grande exception). En revanche, l’absence de politiques « nationales » (par opposition aux politiques « fédérales ») est moins facilement compréhensible […] Toutes les provinces et tous les territoires sont confrontés aux mêmes problèmes et se trouvent à essayer un grand nombre des mêmes approches générales sur le plan des politiques, avec une touche de couleur locale. Cette façon de procéder peut mener à un certain piétinement et à un travail en vase clos. L’absence d’initiatives pancanadiennes a donné lieu dans le passé à l’apparition d’une concurrence destructive à la place d’une coopération souhaitable […] Il semble qu’aucune administration, agissant seule, ne pourra jamais vraiment trouver de solution au problème de l’accès aux services de médecins dans les régions rurales et éloignées.(44)
C. Le rôle des médecins diplômés étrangers
Le Canada rural a toujours beaucoup compté sur les diplômés d’écoles de médecine étrangères pour les soins primaires et avancés. Tous les ans, près de 400 médecins formés à l’étranger arrivent au Canada. En raison, notamment, des permis conditionnels et des autres restrictions qui leur sont imposées, nombre d’entre eux se retrouvent dans des collectivités rurales ou éloignées(45). D’ailleurs, la moitié des médecins de campagne en Saskatchewan a été formée à l’étranger(46). Pour ce qui est des spécialités en chirurgie, près de la moitié des chirurgiens généralistes et un tiers des anesthésistes généralistes exerçant en milieu rural au Canada ont été formés ailleurs. De tous ces diplômés étrangers, le groupe le plus important a reçu sa formation en Afrique du Sud(47).
Bien que ces médecins formés à l’étranger permettent de combler un vide très important dans nos régions rurales, d’aucuns soutiennent que cette solution ne peut être viable à long terme : en fin de compte, le Canada devra se doter d’un plan national pour être autonome sur le plan des effectifs de médecins dans les régions rurales(48). D’autres, en revanche, croient qu’il faut non seulement continuer de dépendre des diplômés formés dans des écoles de médecine à l’étranger, mais aussi augmenter leur effectif, ne serait-ce que parce que les options de politique visant à atteindre l’autonomie sur ce plan prendront trop de temps.
D. Les autres prestataires de soins
Certes, la répartition des médecins retient l’essentiel de l’attention dans la littérature qui traite des questions de santé en milieu rural, mais il est généralement admis que la demande d’autres prestataires de soins est elle aussi très forte. Ainsi, les infirmiers et infirmiers praticiens, les ergothérapeutes, les physiothérapeutes, les orthophonistes, les audiologues et les podologues sont toujours en demande dans toutes les foires et les tournées de recrutement en milieu rural. D’ailleurs, le recours à un personnel non-médecin pourrait considérablement contribuer à alléger le problème du sérieux manque de médecins dans un grand nombre de régions et à améliorer l’accès des résidents aux soins de santé primaires.
De plus, à condition qu’il soit déployé en plus grand nombre, ce personnel pourrait appuyer le travail des médecins de campagne par trop sollicités, en assurant notamment un service de visites sur appel. Cependant, tout comme dans le cas des médecins, le recrutement et le maintien en poste des autres prestataires de soins posent problème.
STRATÉGIES ET SOLUTIONS POSSIBLES
La télésanté s’entend de l’application des technologies d’information et de communication (TIC) dans le domaine des soins de santé. Elle vise à répondre à deux objectifs : favoriser la circulation des renseignements sur la santé entre les prestataires de soins et les établissements dispensateurs, et offrir des services de soins à distance(49). Nombre d’experts conviennent que la télésanté, parce qu’elle vient prolonger la compétence et le savoir des prestataires de soins en milieu rural, peut jouer un rôle très important dans l’amélioration des soins de santé dispensés aux résidents des régions rurales.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont montrés enthousiasmés par les projets de télésanté et, avec l’aide du gouvernement fédéral (principalement par le truchement du Programme des partenariats pour l’infostructure canadienne sur la santé), ils travaillent à mettre au point des sites de télésanté et à accroître leur nombre dans tout le pays.
En région rurale, la télésanté présente d’importants avantages à la fois pour les patients et pour les prestataires de soins. Elle permet aux premiers d’avoir un meilleur accès aux médecins spécialistes, de bénéficier de diagnostics et de traitements plus rapides et plus précis et de réduire les temps et les coûts de déplacement. Aux seconds, elle permet de réduire l’isolement professionnel et d’accroître les possibilités de formation continue. La Société de la médecine rurale du Canada rappelle toutefois que la télésanté ne doit pas remplacer la compétence locale : l’engouement pour des TIC améliorées ne doit pas provoquer un détournement de ressources au point que les collectivités rurales en viennent à dépendre uniquement des compétences professionnelles hors région(50). De plus, la technologie doit être utile à la collectivité. Ainsi, si les prestataires de soins des collectivités rurales disposent de tout l’équipement nécessaire, mais ne savent pas comment numériser une radiographie pour l’acheminer sur Internet, la télésanté sera peu utile et représentera un gaspillage d’argent.
B. La recherche en santé rurale
En 2000, les participants à une conférence sur la santé en milieu rural ou isolé tenue l’Université de Northern British Columbia ont conclu que la politique publique actuelle ne permet pas toujours de tenir compte des défis particuliers auxquels sont confrontés les fournisseurs de services dans les collectivités rurales ou éloignées, et ce, à cause d’un manque de recherche. Tout d’abord, on ne dispose pas de suffisamment de données ou de renseignements de base sur la santé en milieu rural; la plus grande partie des recherches actuelles en santé concernent des milieux urbains et sont rarement applicables aux réalités rurales. Ensuite, aucune des recherches effectuées ne fait un lien avec les politiques publiques(51).
La plupart des spécialistes de la question s’entendent pourtant sur le fait que la recherche en santé rurale pourrait contribuer de façon importante : 1) en aidant les collectivités et les résidents à préciser les problèmes de santé et à agir à leur égard; 2) en aidant tous les échelons concernés à formuler des politiques de santé qui soient favorables au milieu rural. On a soutenu que les efforts consacrés jusqu’ici à la recherche étaient fragmentés, non coordonnés et qu’ils n’ont eu que peu d’effets sur l’élaboration des politiques(52). Récemment, plusieurs initiatives ont été entreprises pour produire une approche intégrée. En 2001, le gouvernement fédéral a annoncé que les Instituts canadiens de recherche en santé (IRSC) – l’organisme fédéral chargé de la recherche en santé – affecteraient un million de dollars au financement de plusieurs études sur l’état de santé en milieu rural(53). Jugeant que la santé en milieu rural est une priorité en matière d’investissement, les IRSC comptent se doter sous peu d’un programme de santé rurale à long terme. En outre, depuis 1999, les IRSC ont financé la Canadian Rural Health Research Society (anciennement Rural Health Research Consortium), résultat d’une initiative entreprise par 12 universités, dont l’objet était de renforcer la capacité du Canada en recherche sur la santé dans les régions rurales(54).
C. La formation et l’éducation en santé rurale
Certains ont affirmé que l’actuel système d’enseignement produit des médecins de campagne non à dessein mais par accident(55). Les écoles de médecine sélectionnent la majeure partie de leurs candidats dans des villes et les forment dans un milieu urbain qui met l’insistance sur les sous-spécialités, la recherche et le monde universitaire. Il en découle que les diplômés tiennent davantage à exercer dans une sous-spécialité et en milieu urbain. On constate que les postes de formation en médecine familiale sont de moins en moins remplis et que les diplômés en médecine familiale ne possèdent même pas les compétences nécessaires pour exercer en milieu rural. Le président de la Société de la médecine rurale du Canada, Peter Hutten-Czapski, estime que le système actuel de formation des médecins ne reconnaît pas l’importance d’une formation pratique en médecine rurale ni le fait que les diplômés d’origine rurale sont les plus susceptibles d’aller pratiquer en milieu rural(56).
Qui donc produit les médecins des régions rurales du Canada? D’après les données, la probabilité qu’un médecin déménage dans une région éloignée et y demeure dépend en grande partie de l’université où il aura obtenu son diplôme. Ainsi, l’Université Memorial à Terre-Neuve et l’Université Laval au Québec ont toujours produit le plus grand nombre de médecins de campagne au Canada, contrairement à l’Université de Toronto, qui en produit le moins(57). Cet état de fait est en partie attribuable à l’importance que Memorial et Laval accordent aux réalités rurales aux divers cycles de la formation et au fait qu’elles attirent et recrutent activement des étudiants en médecine dans les régions rurales. Ce n’est que récemment que l’Université de Toronto a ouvert un bureau de formation en médecine rurale (1999) où l’on retrouve une majorité d’étudiants provenant de milieux ruraux.
L’Université McMaster et l’Université d’Ottawa sont également connues pour leur programme de formation médicale avancée axé sur la médecine en milieu rural. Depuis 1991, l’Université McMaster offre deux années de formation en médecine familiale à l’école Family Medicine North, à Thunder Bay (Ontario). Ce programme, qui est destiné à former les médecins de famille appelés à exercer en milieu rural avec pour objectif de les maintenir en poste dans les régions rurales, associe des séances magistrales à Thunder Bay à une expérience clinique dans les collectivités rurales du Nord-Ouest de l’Ontario. En 2001, la Société de la médecine rurale du Canada a décerné à ce programme le trophée Keith destiné à récompenser la formation de qualité en médecine rurale et le maintien des diplômés dans les régions rurales : la moitié des diplômés de Family Medicine North (25 sur 50) exercent effectivement en région rurale(58). Le Northeastern Ontario Family Medicine Program (Programme de médecine familiale du Nord-Est de l’Ontario), qui est offert à Sudbury et affilié à l’Université d’Ottawa, répond à des objectifs semblables. Toutefois, son taux de maintien en poste des diplômés dans les régions rurales est nettement inférieur : en 1998, seulement six des 50 diplômés du programme (12 p. 100) exerçaient dans des régions rurales. Même l’Université d’Ottawa, la cousine urbaine de Northeastern Ontario, a produit un plus fort pourcentage de médecins de campagne (18 p. 100)(59).
D. Les récentes recommandations de la Commission Romanow et du Comité sénatorial permanent
À l’automne 2002, deux études importantes sur l’avenir du système de soins de santé au Canada ont été publiées : le rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (octobre) et celui de la Commission Romanow sur l’avenir des soins de santé au Canada (novembre). Le Comité sénatorial permanent prévoit, par ailleurs, de tenir des audiences essentiellement consacrées à la santé en région rurale et de publier un rapport thématique assorti de recommandations détaillées en 2003 ou en 2004.
Les rapports du Comité sénatorial et de la Commission Romanow prennent acte de la nécessité de répondre à l’important défi que soulève l’amélioration de l’accès aux soins de santé dans le Canada rural. Ils réclament une augmentation du nombre de prestataires de soins dans les petites collectivités et l’application plus généralisée d’approches novatrices, comme la télésanté. La Commission Romanow propose plus particulièrement la mise sur pied d’un fonds d’accès aux régions rurales et éloignées, avec un financement initial de 1,5 milliard de dollars sur deux ans, en vue d’améliorer l’accès aux soins de santé dans les collectivités rurales. Ce fonds servirait à attirer et à maintenir en poste des prestataires de soins, à exposer davantage les médecins et les autres prestataires à des expériences de traitement en milieu rural dans le cadre de leur formation et de leur instruction, et à financer la généralisation de la télésanté.
Il est certes facile de dire que le Canada rural ne représente que le cinquième ou le quart de la population canadienne répartie sur 95 p. 100 du territoire, mais les régions rurales diffèrent énormément, tant sur le plan démographique que sur le plan économique. Les populations des régions rurales du Canada atlantique vieillissent rapidement tandis que, dans les régions rurales du Nord, surtout sous l’effet des taux de naissance élevés chez les Inuits, elles demeurent relativement jeunes. Sur le plan de l’activité économique, les régions rurales du Canada atlantique sont confrontées à des taux de chômage très élevés par rapport au reste du pays. Par contraste, l’activité économique est, relativement parlant, plus vigoureuse en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.
Il est établi que les Canadiens n’ont pas tous le même état de santé et qu’en général ceux qui résident dans les régions rurales sont en moins bonne santé que le Canadien moyen. Récemment, le gouvernement fédéral s’est montré disposé à s’attaquer à ce déséquilibre. C’est ainsi qu’il a créé le Bureau de santé rurale, en 1998, pour faire en sorte que l’on tienne davantage compte des besoins du Canada rural dans la politique nationale sur la santé. Plusieurs autres initiatives fédérales ont eu pour objet d’améliorer nos connaissances et d’accroître la recherche sur l’état de santé et sur les besoins du Canada rural en matière de santé, puisqu’il s’agit d’un domaine qui, d’après les spécialistes de la question, nécessite plus d’attention.
On pourrait soutenir que la plus grande difficulté à laquelle se heurte le Canada rural est celle de l’accès aux prestataires de soins. À cause de la diminution grandissante du nombre de médecins dans ces régions, de plus en plus de résidents doivent se déplacer et parfois parcourir des distances considérables pour se faire soigner. Les médecins spécialistes sont aussi très en demande dans les régions rurales, puisqu’ils confèrent souvent une certaine autonomie aux collectivités sur le plan médical. Là où il n’y a pas de spécialistes, il faut s’en remettre aux médecins généralistes et aux autres prestataires de soins, qui sont donc appelés à dispenser une gamme plus étendue de services. Ces endroits ont davantage besoin que les autres de la technologie de la télésanté et ils sont souvent obligés d’envoyer leurs résidents à la ville pour s’y faire traiter et soigner.
Les spécialistes des questions de santé rurale ont recommandé que le gouvernement fédéral assume un rôle de premier plan dans le domaine de la recherche, de la technologie, de l’éducation et de la coordination des initiatives provinciales et territoriales. Bien que chaque gouvernement provincial et territorial dispose de ses propres politiques visant à améliorer l’accès aux soins de santé dans les régions rurales, nombre d’experts estiment qu’un effort coordonné, d’envergure nationale, parviendrait mieux à combler l’écart sur le plan de l’état de santé et de l’accès aux soins de santé que l’on constate actuellement entre les secteurs urbains et les secteurs ruraux.
(1) Entrevue avec le Dr John Wooton, « Nouveau Bureau de la santé rurale », La santé de la famille agricole, vol. 7, no 1, printemps 1999.
(2) Pour une analyse des récentes mesures du gouvernement fédéral en matière de santé rurale, voir Nancy Miller Chenier, Le rôle du gouvernement fédéral en santé rurale (PRB 00-20F), Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, 2000.
(3) Ce document reprend la définition de région rurale de Statistique Canada : toutes les régions situées à l’extérieur de centres urbains, présentant une concentration de population minimale de 10 000 habitants et une densité de population d’au moins 400 personnes au kilomètre carré. Il n’existe pas de définition universellement acceptée; en fait, il en existe plusieurs qui sont utilisées par les chercheurs. Pour une analyse en profondeur de ce qu’il faut entendre par le qualificatif « rural » appliqué à une unité géographique, voir J.R. Pitblado et R.W. Pong, Geographic Distribution of Physicians in Canada, Sudbury, Centre for Rural and Northern Health Research, 1999, p. 2.7, et Valerie du Plessis, Définitions de « rural », série de documents de travail sur l’agriculture et les régions rurales, no 61, Ottawa, Statistique Canada, 2002.
(4) Statistique Canada, Recensement de 2001 – Profil de la population canadienne selon l’âge et le sexe : le Canada vieillit, infraprovincial.
(5) Vik Singh, « La disparité des revenus en milieu rural au Canada : Une comparaison entre les provinces », Bulletin d’analyse – Régions rurales et petites villes du Canada, vol. 3, no 7, Statistique Canada, no 21-006-XIF, 2002, p. 6.
(6) Singh (2002), p. 28.
(7) Katherine Marshall, « La saisonnalité de l’emploi », L’observateur économique canadien, vol. 12, mai 1999, p. 3.1.
(8) L’intensité relative exprime la concentration des emplois dans une industrie donnée constatée dans les régions rurales par rapport à l’ensemble du Canada. Les économistes du travail emploient souvent des quotients pour exprimer l’intensité relative : 100 indique une d’intensité égale dans les régions rurales et l’ensemble du Canada, alors que toute valeur supérieure à 100 indique que la concentration des emplois est plus élevée dans les régions rurales que dans l’ensemble du pays pour une industrie donnée.
(9) La perte apparente d’emplois dans le secteur agricole tient sans doute beaucoup plus à la méthode de compte rendu statistique qu’à la réalité du marché. L’Enquête sur la population active répartit les travailleurs par catégories, selon leur principal emploi déclaré. Or, dans le monde agricole, un nombre appréciable de personnes a un second emploi. Toute augmentation du nombre de personnes déclarant un emploi principal ailleurs que dans une ferme se traduit forcément par une diminution des chiffres d’emploi dans le secteur agricole.
(10) Loi canadienne sur la santé, ch. C-6, art. 3.
(11) Voir Margot Shields et Stéphane Tremblay, La santé dans les collectivités canadiennes, supplément aux rapports sur la santé, vol. 13, Statistique Canada, no de catalogue 82-003, 2002.
(12) Statistique Canada, « La santé dans les collectivités canadiennes », Le Quotidien, 4 juillet 2002.
(13) Shields et Tremblay (2002), tableau 2.
(14) Raymond W. Pong, « La santé rurale et la télésanté », Le Fonds pour l’adaptation des services de santé – séries de synthèse, Santé Canada, 2002, p. 2.
(15) Voir la « Foire aux questions » de Santé Canada sur la santé rurale.
(16) Pour une analyse plus détaillée du problème de manque de services aux groupes qui ont des besoins spéciaux dans les régions rurales, voir Thérèse Jennissen, Les problèmes de santé dans le Canada rural (BP-325F), Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, 1992.
(17) Peter Hutten-Czapski, State of Rural Healthcare, présentation au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 2001, p. 3.
(18) Jan Roberts et M. Falk, Women and Health: Experiences in a Rural Regional Health Authority, Centre d’excellence pour la santé des femmes, région des Prairies (CESFP), 2002, p. 16.
(19) D.J.F. Martz et D.B. Saraurer, Domestic Violence and the Experiences of Rural Women in East Central Saskatchewan, CESFP, 2000, p. ii [traduction].
(20) Shields et Tremblay (2002), tableau 2. « L’espérance de vie sans limitation d’activité » correspond au nombre d’années qu’une personne peut espérer vivre sans limitation d’activité et sans être placée dans un établissement de soins de santé.
(21) Elliott Leyton, Dying Hard: The Ravages of Industrial Carnage, Toronto, Oxford University Press, 1997, p. 11.
(22) Mary Smillie, Programme de santé et de sécurité dans l’agriculture : Prévention et promotion, Fonds pour l’adaptation des services de santé (Santé Canada) projet SK325, 2001, p. 2.
(23) Statistique Canada, « Exode des agriculteurs », Le Quotidien, 22 février 2002.
(24) Michael J. Broadway, « Message in a Bottle: Community Health Issues for Meatpacking Towns », Health in Rural Settings: Contexts for Action, University of Lethbridge, 1999, p. 69.
(25) Broadway (1999), p. 80.
(26) Mary Nemeth, « Raising a Big Stink », Maclean’s, vol. 111, no 32, 10 août 1998, p. 16.
(27) Pitblado et Pong (1999), p. 3.34.
(28) Hutten-Czapski (2001), State of Rural Healthcare, p. 1.
(29) Pitblado et Pong (1999), p. 2.6.
(30) Ibid., p. 4.3.
(31) Judith Kulig, Consortium pour la recherche rurale, témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 31 mai 2001, fascicule 17.
(32) Neal Stretch et C. Knight, « Community obstetrics: a new look at group obstetrical care in rural communities », Journal canadien de la médecine rurale, vol. 7, no 3, été 2002, p. 183.
(33) Stuart Iglesias, « The future of rural health: Comprehensive care or triage? » Journal canadien de la médecine rurale, vol. 4, no 1, hiver 1999, p. 33.
(34) William Tholl, Témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 31 mai 2001, fascicule 17.
(35) James Worrall, « Why I will refuse to be a rural doctor », The Globe and Mail, 24 juillet 2001, p. A14 [traduction].
(36) Ian Sempowski, M. Goodwin et R. Seguin, « Physicians who stay versus physicians who go: results of a cross-sectional survey of Ontario rural physicians », Journal canadien de médecine rurale, vol. 7, no 3, été 2002, p. 173-179.
(37) Morris L. Barer et G.L. Stoddart, Améliorer l’accès aux services médicaux nécessaires dans les collectivités rurales et éloignées du Canada : Le recrutement et le maintien en poste en question, document préparé à l’intention du Comité consultatif fédéral/provincial/territorial sur les ressources humaines en santé, Centre for Health Services and Policy Research, 1999, p. 3.
(38) Ibid., p. 4 [traduction].
(39) Morris L. Barer et L. Wood, « Common Problems, Different ‘Solutions’: Learning from International Approaches to Improving Medical Services Access for Underserved Populations », Dalhousie Law Journal, vol. 20, automne 1997, p. 324. Toutes les politiques provinciales ou territoriales ne se répartissent pas suivant ces quatre catégories; dans la réalité, beaucoup se recoupent.
(40) Barer et Stoddart (1999), p. 11.
(41) Gouvernement de la Colombie-Britannique, ministère de la Santé, Rural Programs 02/04: A Guide for Rural Physician Programs in British Columbia, p. 15.
(42) Gouvernement de l’Ontario, ministère de la Santé et des soins à long terme.
(43) Voir, par exemple, Barer et Stoddart (1999), p. 13.
(44) Morris L. Barer, L. Wood et D.G. Schneider, Toward Improved Access to Medical Services for Relatively Underserved Populations: Canadian Approaches, Foreign Lessons, Centre for Health Services and Policy Research, Université de la Colombie-Britannique, 1999, p. 38-39 [traduction].
(45) Tholl (31 mai 2001).
(46) Peter Hutten-Czapski, Société de la médecine rurale du Canada, témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 31 mai 2001, fascicule 17.
(47) Iglesias (1999), p. 32. En 2001, le Haut-Commissariat d’Afrique du Sud au Canada a demandé que le Canada cesse de recruter des médecins sud-africains, dont la présence était nécessaire dans leur pays.
(48) Tholl (31 mai 2001).
(49) Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, « Volume deux : Tendances actuelles et défis futurs », La santé des Canadiens – le rôle du gouvernement fédéral, rapport intérimaire, 2002, p. 106.
(50) Hutten-Czapski (2001), State of Rural Healthcare, p. 4.
(51) D.J. Manson et T. Thornton, Workshop Summary of the British Columbia Rural and Remote Health Conference, Université de Northern British Columbia, 2000.
(52) Renée Lyons et P. Gardner, Building a Strong Foundation for Rural and Remote Health Research in Canada, Actes du Forum de St. John sur la recherche en santé rurale, instituts de recherche en santé du Canada, 2001, p. 5.
(53) Instituts de recherche en santé du Canada, « Rock annonce des initiatives stratégiques dans la recherche sur la santé rurale », 2001.
(54) Bruce Minore, J. Kulig, N. Stewart et G. Mack, Rural Health Research Training in Canada: Where Do We Stand?, Centre for Rural and Northern Health Research, rapport préparé pour le consortium sur la recherche en santé rurale, 2001, p. 1.
(55) Hutten-Czapski (31 mai 2001), témoignage.
(56) Hutten-Czapski (2001), State of Rural Healthcare, p. 2.
(57) Peter Hutten-Czapski et A.D. Thurber, « Who makes Canada’s rural doctors? », Journal canadien de médecine rurale, vol. 7, no 2, printemps 2002, tableau 2.
(58) Anne Robinson, « Family Medicine North: This is the life! », Canadian Family Physician, vol. 47, septembre 2001; et Hutten-Czapski et Thurber (2002), tableau 2.
(59) Hutten-Czapski et Thurber (2002), tableau 2.
LES APPROCHES ADOPTÉES À L’ÉTRANGER
ET LES ENSEIGNEMENTS À EN TIRER(1)
LES ÉTATS-UNIS
La plupart des observateurs s’entendent sur le fait qu’il existe de graves problèmes sur le plan de la répartition géographique des médecins aux États-Unis. On estime qu’environ 20 p. 100 de la population américaine réside dans des régions rurales, régions qui ne sont desservies que par 9 p. 100 des médecins(2). Les décideurs, au gouvernement fédéral et dans les États, s’en sont remis principalement aux forces du marché pour régler cette question de répartition, politique qu’ils ont prolongée par des programmes d’incitatifs financiers et d’éducation. Presque toutes les activités ont lieu à l’échelon des États et ont été qualifiées « d’efforts à la petite semaine visant à répondre à des problèmes géographiques […] et n’obéissant à aucune stratégie uniforme destinée à rationaliser la répartition des ressources en santé de manière à améliorer l’accès aux soins »(3).
L’approche générale du gouvernement fédéral ou des gouvernements des États consiste à financer les régions qui sont considérées comme « mal desservies sur le plan médical » ou pour lesquels il existe une « pénurie de professionnels de la santé ». Ces régions sont surtout désignées en fonction des ratios médecins-population et, dans une moindre mesure, de la proportion de personnes âgées, du nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, du taux de mortalité infantile et d’autres indicateurs de besoins locaux. Les régions doivent faire une demande tous les trois ans pour être prises en compte en vertu de l’une des deux catégories possibles (« région médicalement mal servie » ou « région où existe une pénurie de professionnels de la santé ») et avoir droit à des fonds. Une région qui ne fait pas de demande, même si sa situation est désespérée, ne peut prétendre à un financement.
Les deux principaux programmes d’incitation en vigueur aux États-Unis sont le National Health Service Corps (NHSC) et le Medically Underserviced Area Program (Programme pour les régions mal desservies sur le plan médical). Le second a pour objet de financer les régions admissibles pour que celles-ci encouragent l’installation des Health Management Organizations (organisations de soins de santé intégrés, qui coordonnent l’assurance-maladie, la prestation et l’achat de soins de santé au nom de leurs membres). Le NHSC, créé par une loi fédérale, a pour mission de recruter et de maintenir en poste les médecins de premier recours dans les régions mal desservies(4). Il le fait au moyen de bourses et de prêts en échange d’un engagement de service obligatoire. Cependant, d’après des évaluations basées sur des données empiriques, le taux de réussite du NHSC est décevant. Selon une étude de 1992, le pourcentage de maintien en poste à long terme (huit ans) des médecins ayant bénéficié du programme du NHSC n’était que de 12 p. 100, contre 39 p. 100 pour leurs collègues n’ayant pas bénéficié de ce programme(5). L’année suivante, une autre étude révélait qu’environ 60 p. 100 des médecins subventionnés par le NHSC avaient quitté leurs cabinets ruraux dans les quatre ans suivant leur arrivée(6). On peut en conclure que les médecins qui ont eux-mêmes choisi de s’installer dans des régions où existent des pénuries de professionnels de la santé semblent être plus déterminés à demeurer en milieu rural que leurs collègues qui se sont laissé attirer par un programme d’incitation financière. Bref, ce ne sont pas les incitatifs financiers qui permettront de régler le problème de façon efficace.
LES ENSEIGNEMENTS QUE LE CANADA PEUT TIRER DE L’EXPÉRIENCE AMÉRICAINE
D’après Barer, Wood et Schneider, il semble que l’expérience américaine puisse enseigner au Canada ce qu’il ne faut pas faire plutôt que ce qu’il faudrait faire. Premièrement, les États-Unis n’ont pas réussi à régler les problèmes des régions rurales en augmentant simplement l’offre de médecins et en s’en remettant aux forces du marché – en espérant que l’excédent de médecins des centres urbains finisse par s’établir dans les régions rurales. Deuxièmement, les mesures d’incitation financière ne sont pas très efficaces pour attirer les médecins qui ne veulent pas vraiment s’installer à la campagne. Il est difficile de savoir si une version canadienne du NHSC (le programme d’incitation financière du gouvernement fédéral américain) contribuerait à régler le problème au Canada. Ce genre de programme, à l’échelon fédéral, pourrait réduire la concurrence entre les provinces, mais il risquerait aussi d’empiéter sur les domaines de compétences provinciales en matière de santé.
L’AUSTRALIE
À l’instar du Canada, l’Australie présente une population relativement peu nombreuse répartie sur un vaste territoire. De plus, ce pays s’est trouvé aux prises avec les mêmes défis que le Canada en matière de répartition de médecins, et il a appliqué le même agencement de stratégies que le Canada. Toutefois, l’Australie est extrêmement active dans le domaine de l’éducation et de la formation. En 1992, le gouvernement du Commonwealth australien a dévoilé sa première stratégie nationale visant à régler le problème du sous-effectif de médecins en milieu rural. Les principales politiques formulées dans le cadre de la National Rural Health Strategy (NRHS – Stratégie nationale en matière de santé rurale) comprenaient le financement du General Practitioner Rural Incentives Program (Programme d’incitation des médecins à pratiquer en région rurale) – qui visait à répondre aux problèmes de recrutement et de maintien en poste – et la création d’un institut de recherche en santé rurale (Australian Rural Health Research Institute), un consortium de cinq universités ayant des campus en région rurale.
Les débats concernant la politique qui ont mené à la formulation de la NRHS ont permis de dégager deux types de programmes susceptibles de répondre à l’objectif visé à long terme consistant à garantir des effectifs de médecins stables et acceptables pour les résidents des régions rurales et des régions éloignées. Ces programmes à long terme comprenaient des initiatives qui devaient permettre :
1. d’amener davantage de candidats des milieux ruraux à étudier la médecine;
2. d’offrir plus de formation en milieu rural aux étudiants en médecine de tous les cycles.
Le gouvernement s’est engagé à verser 2,5 millions de dollars en 1992 à l’appui de la première initiative, surtout pour contribuer au recrutement d’étudiants de médecine dans les régions rurales. Plusieurs écoles de médecine ont également révisé à la baisse leurs critères d’admission pour les candidats de milieux ruraux. Le dernier budget fédéral (2001-2002) a affecté des fonds à l’ouverture de neuf écoles d’enseignement clinique en milieu rural et de trois départements universitaires de santé rurale, qui sont venus s’ajouter à un réseau national de formation et d’éducation en santé rurale qui a pour objet d’assurer une formation spécifique dans ce domaine et d’encourager les médecins et les autres professionnels de la santé de se tourner vers l’exercice de la médecine rurale(7).
LES LEÇONS QUE LE CANADA PEUT TIRER DE L’EXPÉRIENCE AUSTRALIENNE
L’Australie a été extrêmement active dans le domaine de l’éducation et de la formation et de nombreuses initiatives qu’elle a adoptées pourraient inspirer les décideurs canadiens. Les spécialistes des questions de santé rurale estiment que l’intérêt de l’Australie pour tout ce qui touche à l’éducation est une stratégie prometteuse qui devrait permettre de réduire à long terme l’écart entre les milieux urbain et rural en matière de santé(8). Toutefois, on peut se demander jusqu’à quel point des démarches axées essentiellement sur l’éducation peuvent donner des résultats : malgré une stratégie axée sur l’éducation, nombre d’obstacles continuent de nuire à un accès raisonnable aux soins primaires dans de nombreuses parties de l’Australie rurale.
LE ROYAUME-UNI
Depuis la création du National Health Service (Service national de santé) en 1948, le Royaume-Uni a toujours régi la répartition des médecins généralistes suivant une politique « d’orientation négative ». Le Medical Practices Committee (Commission de contrôle de l’exercice de la médecine) est l’organisme central chargé d’approuver les demandes de permis d’exercer provenant de tous les généralistes et il est habilité rejeter une demande si le nombre de médecins dans une région est suffisant (ce qui est déterminé par le nombre de patients par médecin : les régions où les généralistes ont en moyenne 1 700 patients ou moins ne sont pas ouvertes aux nouveaux venus).
De plus, le Royaume-Uni a recours à des politiques d’ordre financier. Le gouvernement verse des indemnités d’installation aux médecins généralistes qui s’établissent dans des régions désignées. Il existe une seconde forme d’incitation financière, le rattachement de primes spéciales aux résidents des régions « défavorisées », primes dont le montant est fixé en fonction d’un indice qui tient compte de facteurs comme le pourcentage de personnes âgées vivant seules chez elles, de familles monoparentales, de chômeurs, etc. Les médecins généralistes qui s’occupent des patients de ces régions reçoivent un supplément de capitation (variant de 15 à 25 $US). Toutefois, l’application de cette politique se solde souvent par le versement de primes pour certains quartiers « défavorisés » de grandes villes, plutôt que pour des régions rurales qui peuvent être encore moins bien desservies. Il existe plusieurs autres régimes d’incitation : logement de fonction, cabinet avec équipement que les médecins peuvent louer (« surgery for rent ») et indemnités pour retenir les services de suppléants afin de permettre aux médecins de prendre des congés annuels ou des congés d’étude.
LES ENSEIGNEMENTS QUE LE CANADA PEUT TIRER DE L’EXPÉRIENCE BRITANNIQUE
Dans l’ensemble, les observateurs s’entendent pour dire qu’au Royaume-Uni, la combinaison d’une planification centrale effectuée par le Medical Practices Committee et d’un financement basé sur le nombre et le type de patients d’un cabinet médical a plus ou moins permis de régler les problèmes de la répartition géographique des médecins de premier recours. D’ailleurs, les chercheurs en soins de santé Barer, Wood et Schneider soutiennent que le Canada pourrait s’inspirer de la formule britannique, qui s’articule autour d’un ensemble équilibré d’incitatifs administratifs et financiers(9). Pourtant, plusieurs provinces canadiennes ont tenté d’appliquer des politiques administratives semblables à la politique d’orientation négative du Royaume-Uni, mais elles se sont heurtées à des contestations juridiques, dont certaines en vertu de la Constitution. Il pourrait donc être difficile de transplanter en sol canadien des stratégies qui peuvent être utiles au Royaume-Uni.
(1) Une grande partie de cette section est extraite du document de Barer, Wood et Schneider (1999), p. 17‑32.
(2) T. Konrad, « The Problem of Shortages of Physicians and Other Health Professionals in Rural Areas: Empirical Evidence and Policy Recommendations », rapport préparé pour le Council on Graduate Medical Education Workgroup on Health Professions Workforce Policy and Geographic Distribution, Caroline du Nord; North Carolina Rural Health Research Program, Université de Caroline du Nord, 1996.
(3) D.H. Taylor, « The Natural Life of Policy Indices: Geographical Problem Areas in the U.S. and U.K. », Social Science and Medicine, vol. 47, no 6, 1998, p. 714 [traduction].
(4) À remarquer qu’il ne s’agit pas nécessairement de régions rurales. Une région métropolitaine qui fait sa demande et qui répond au critère établi peut être considérée comme « mal desservie ».
(5) D. Pathman, D.R. Konrad et T.C. Ricketts, « The Comparative Retention of National Health Service Corps and Other Rural Physicians », Journal of the American Medical Association, vol. 268, no 12, 1992, p. 1552.
(6) T. Konrad et al., « The Rural HPSA Physician Retention Study », Agency for Health Care Policy and Research, Université de Caroline du Nord, 1993.
(7) Ministère australien de la santé et du vieillissement de la population, « Rural Health Policy – Federal Budget », 2002.
(8) Hutten-Czapski (31 mai 2001), témoignage.
(9) Barer, Wood et Schneider (1999), p. 21.