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LES RÉGIMES DE TAUX DE CHANGE :
LES CHOIX POSSIBLES

 

Rédaction :
Blayne Haggart
Division de l'économie
Le 27 octobre 1999


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

EFFETS DU TAUX DE CHANGE

TAUX DE CHANGE FIXES

   A. Le bon choix

   B. Avantages et inconvénients : crédibilité et réserves

   C. Le Canada et les États-Unis : une zone monétaire optimale?

   D. Un cas spécial : les caisses d’émission

   E. Un cas spécial : l’adoption d’une nouvelle monnaie

TAUX DE CHANGE FLOTTANTS

   A. Pourquoi un taux de change flottant?

   B. Instabilité des taux flottants

   C. Quels pays devraient utiliser des taux flottants?

SYSTÈMES INTERMÉDIAIRES

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE


LES RÉGIMES DE TAUX DE CHANGE :
LES CHOIX POSSIBLES

 

INTRODUCTION

Les événements survenus récemment au pays et à l’étranger ont relancé le débat sur ce qui constitue un régime de taux de change adéquat pour un pays donné. Au milieu de 1997, la Thaïlande a déclenché la crise financière en Asie lorsqu’elle est devenue incapable de défendre sa devise surévaluée, le baht, et qu’elle a dû interrompre l’ancrage de celle-ci au dollar américain et la laisser flotter. Au fur et à mesure que la crise prenait de l’ampleur, les dirigeants politiques des pays asiatiques ont été forcés de puiser dans leurs réserves de devises étrangères pour défendre leurs taux de change liés, la plupart du temps sans succès. Les pays asiatiques ont ainsi perdu des années de développement chèrement acquis à cause de cette crise, qui a même menacé la stabilité politique de l’Indonésie, le quatrième pays du monde pour ce qui est de la population et un baril de poudre sur le plan politique.

Au Canada (qui applique un régime de taux de change flottant), où il s’est produit une dépréciation à long terme du dollar par rapport au dollar américain —  le dollar canadien, qui valait 1,04 $ US en mai 1974 valait moins de 65 cents US en décembre 1998 (il vaut actuellement environ 67 cents US) —, on se demande de plus en plus si la faiblesse du dollar ne porte pas préjudice à la productivité et au niveau de vie des Canadiens. Ceux qui estiment que le Canada devrait abandonner le régime de taux de change flottant ont donc suggéré que celui-ci envisage d’adopter un taux de change plus fixe par rapport dollar américain, et examine même les options de la dollarisation et de l’adoption d’une monnaie commune, peut-être nord-américaine.

Le Canada est très préoccupé par le choix de son propre régime de taux de change et par le régime qu’adoptent d’autres pays. Les avantages d’un régime de taux de change interne approprié sont évidents, et toute mesure tendant à stabiliser le système financier international doit être la bienvenue. Comme l’ont démontré les problèmes financiers récents en Asie, il est possible, au sein d’une économie mondiale, que les crises financières qui surviennent en un endroit du globe s’étendent à d’autres régions de la planète.

Dans le présent document, nous examinons les avantages et les inconvénients des différents régimes de taux de change. Les lecteurs y trouveront des renseignements qui sont pertinents pour l’expérience canadienne; toutefois, ceux d’entre eux qui désirent obtenir des informations ayant plus particulièrement trait au Canada sont priés de se reporter au texte Une devise commune pour le Canada et les États-Unis : le pour et le contre que Peter Berg a rédigé en 1999 à l’intention du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

EFFETS DU TAUX DE CHANGE

À cheval sur l’économie financière et sur l’économie réelle des biens et services, le taux de change(1) d’une monnaie est un bon indicateur de la vigueur, de la stabilité et de la productivité d’une économie ainsi que de la valeur de ses titres financiers. Les fluctuations du taux de change peuvent avoir un effet bien réel sur les particuliers et sur les entreprises. Si le taux de change chute, le niveau de la dette libellée en devises étrangères s’accroît et le prix des importations augmente. Tout bien importé utilisé dans la production nationale devient alors plus cher, ce qui fait augmenter le prix des biens produits et peut mener à l’inflation. Si le gouvernement hausse ses taux d’intérêt pour combattre l’inflation, il y aura dégringolade de la production et de l’emploi.

Le régime de taux de change que choisit un gouvernement peut avoir des conséquences importantes pour l’ensemble de l’économie. S’il opte pour un régime convenablement structuré, le pays bénéficiera d’une stabilité accrue, car le taux de change est l’indicateur qui permet de diriger les flux de capitaux internationaux vers les utilisations les plus productives. S’il choisit un régime mal adapté à ses besoins, il peut y avoir instabilité ainsi que crise monétaire et crise financière généralisée, comme cela s’est produit récemment en Asie.

Le régime de taux de change que doit choisir un pays dépend de sa situation particulière(2). En gros, ces régimes vont du régime de taux de change fixe (le cours de la monnaie nationale est fixé par rapport à la monnaie d’un autre pays ou, dans les cas extrêmes, le pays adopte la monnaie d’un autre pays à la place de la monnaie nationale et lui donne cours légal) au régime de taux de change flottant (le cours de la monnaie s’établit en fonction de la demande, sans aucune intervention). Le lecteur trouvera au tableau 1 les neuf principaux régimes de taux de change, du plus souple au plus rigide.

 

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Le facteur qui sert normalement à déterminer le régime de taux de change est la vulnérabilité aux chocs extérieurs. En cas de choc externe, le régime de taux de change flottant permettra les ajustements nécessaires, tandis qu’en régime de taux de change fixe, ce sont les salaires et les prix qui devront s’ajuster. Selon la théorie économique, les petites économies ouvertes devraient fixer leur taux, tandis que le taux des grands pays devrait flotter.

Le régime de taux de change est particulièrement important pour les pays en développement. Dans un pays dont le secteur financier est peu développé et dont les titres sont peu diversifiés, le taux de change constitue pour les investisseurs le principal indicateur des prix. Par conséquent, des fluctuations très marquées du taux de change déstabiliseront davantage les investisseurs s’il s’agit d’une économie émergente que s’il s’agit d’une économie mieux assise.

En règle générale, depuis l’effondrement des accords de Bretton Woods en 1973, les pays les plus importants — tels que les États-Unis, le Japon et l’Allemagne — laissent flotter leur monnaie sur le marché mondial, tandis que les pays de plus petite taille rattachent le cours de leur monnaie à celui d’une des grandes monnaies, et que les pays de taille moyenne poursuivent une approche se situant entre ces deux extrêmes. Lorsque l’Union européenne s’est constituée, les monnaies des pays de l’Union ont été rattachées au cours du mark allemand; elles ont ensuite été remplacées par l’euro, dont le taux de change évolue librement. Après son échec en Asie, en Russie, au Brésil et au Mexique, l’approche des régimes intermédiaires, censée présenter les avantages des deux extrêmes, est devenue très impopulaire, de nombreux économistes recommandant l’adoption d’un taux de change entièrement fixe ou entièrement flottant. Selon un analyste, l’adoption de tout régime se situant entre le régime de taux de change fixe et le régime de taux de change flottant est par trop dangereuse(3).

Cette préoccupation a pour fondement la notion de la « trinité impossible », selon laquelle un pays doit renoncer à l’un ou l’autre des trois objectifs suivants : la stabilité du taux de change, l’indépendance monétaire et une mobilité élevée des capitaux sur la scène internationale. Dans un monde où les capitaux sont de plus en plus mobiles, un pays a trois choix : il peut adopter un taux fixe, mais il doit alors renoncer à une politique monétaire indépendante; il peut opter pour le flottement du taux de change et jouir de l’indépendance monétaire, mais il doit alors renoncer à la stabilité du taux de change; il peut conserver le contrôle sur les capitaux, mais il doit alors renoncer à l’intégration financière internationale.

On ne s’accorde pas sur un régime idéal qui conviendrait à tous les pays à toutes les époques. Le taux de change fixe et le taux de change flottant présentent tous deux des avantages et des inconvénients. Compte tenu de la mobilité croissante des capitaux, les pays doivent choisir entre la stabilité que présente un taux de change fixe et l’autonomie monétaire qu’offre un taux de change flottant. Si le choix d’un régime de taux de change est peut-être toujours évident pour les pays tels que les États-Unis (taux de change flottant) et le Panama (dollarisation, forme extrême du taux fixe), il n’en est pas de même pour la plupart des pays, qui doivent opter pour un régime se situant entre ces deux extrêmes. Les régimes intermédiaires ne recueillant pas la faveur populaire, le choix d’un régime de taux de change n’a jamais été aussi difficile, surtout pour les économies émergentes.

Il est crucial pour la coordination économique et la planification des affaires que la monnaie soit stable. Et, bien sûr, tous les pays souhaitent éviter les perturbations que causent les crises monétaires. Mais cela étant, le choix demeure difficile. Par ailleurs, au cours des 30 dernières années il y a eu, selon la Banque mondiale, davantage de crises dans les pays dont le taux de change est flottant que dans ceux ayant un régime de taux de change fixe, bien que les crises aient été plus graves dans ces derniers. Même si certains régimes conviennent mieux à certains pays qu’à d’autres, il faut noter que les erreurs des pouvoirs publics pouvant causer une crise financière internationale peuvent se produire sous n’importe quel régime. De plus, tous les régimes de taux de change devraient être ancrés dans une réglementation du secteur financier stricte et des politiques monétaires et budgétaires appropriées.

Selon plusieurs universitaires, l’adoption, par l’ensemble des pays, d’une monnaie universelle serait un moyen d’éliminer les crises de taux de change. Mais cette idée est généralement très vite abandonnée en raison de la forte connotation symbolique des monnaies, l’absence d’un prêteur mondial de dernier ressort et le consensus politique qui serait nécessaire à la mise en œuvre d’une telle monnaie.

TAUX DE CHANGE FIXES

Dans un régime de taux de change fixe, la monnaie est rattachée à celle d’un autre pays (ou d’un ensemble d’autres pays) à un taux fixé, et les autorités du pays ont manifesté leur intention de maintenir cette politique. Dans ce type de régime entrent les cas extrêmes de caisse d’émission et d’adoption de la monnaie d’un autre pays en remplacement de la sienne (la dollarisation, c.-à-d. l’adoption du dollar US comme monnaie ayant cour légal, est un exemple particulier que nous étudions plus loin). Pour une description des questions soulevées par l’adoption d’un type particulier de régime de taux fixe, le lecteur est prié de se reporter au tableau 2 ci-après.

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En règle générale, un régime de taux de change fixe est à l’avantage d’un pays de petite taille 1) fortement ouvert au commerce, 2) dont la mobilité de la main-d’œuvre est grande, 3) qui dispose de mécanismes budgétaires propres à modérer les récessions et 4) dont le cycle économique est intimement lié à celui du pays auquel sa monnaie est rattachée. Ces pays auraient avantage à former une zone monétaire optimale (ZMO)(4).  Les États-Unis constituent un exemple d’une ZMO; l’Union européenne, malgré sa politique monétaire et sa monnaie communes, n’en est pas une à strictement parler. En outre, un tel régime serait conseillé aux pays désirant importer la stabilité monétaire associée au pays à la monnaie duquel ils désirent rattacher la leur, qui manquent d’institutions publiques crédibles ou qui sont attaqués par des investisseurs exceptionnellement fébriles(5), car ils importeraient la stabilité monétaire du pays plus important.

   A. Le bon choix

Il est essentiel de choisir le « bon » taux de change fixe. Si le taux choisi est trop élevé, le coût relatif des exportations augmentera et le coût relatif des importations baissera, ce qui se soldera par une escalade du déficit commercial, laquelle donnera lieu à des attaques spéculatives sur la monnaie, à la perte de devises et, à la limite, à une chute « correctrice » du taux de change. Si les banques détiennent un fort volume de titres libellés en monnaies étrangères, tout le système bancaire pourrait être mis en péril.

La Thaïlande est un des pays dont les politiques budgétaires et monétaires étaient incompatibles avec son taux de change. Le baht a souffert de son rattachement au dollar, lequel s’appréciait vis-à-vis du yen, traînant le baht à sa suite. La surévaluation de la monnaie thaïlandaise a suscité un énorme déficit du compte courant de ce pays (la Thaïlande commerce essentiellement avec le Japon), qui a dû être financé à même une entrée de fonds tout aussi importante provenant du reste du monde. Lorsque ces entrées de fonds se sont taries, la Thaïlande n’a pas eu d’autre choix que de dévaluer sa monnaie (donc la laisser flotter), pour que ses exportations soient moins onéreuses et ses importations plus chères et que, conséquemment le solde de son compte courant se corrige.

Les crises monétaires et les crises bancaires vont souvent de pair, car elles s’accompagnent d’un exode massif de capitaux, ce qui amplifie le volume des mauvaises créances, les crises monétaires et les crises bancaires. Il est donc essentiel, comme pour tous les régimes de taux de change, que le système financier fasse l’objet d’une supervision et d’une réglementation adéquates.

   B. Avantages et inconvénients; crédibilité et réserves

En régime de taux de change fixe, les coûts de transaction des investissements et des opérations commerciales internationales sont plus faibles. Cela revêt une importance particulière pour le Canada, qui réalise la plupart de ses échanges avec les États-Unis. Lorsque le taux de change est constant et que les investisseurs sont convaincus qu’il demeurera constant, il n’est nul besoin de se prémunir contre les variations du cours de la monnaie par des opérations de couverture. Il est également plus facile pour les investisseurs, les entreprises et les décideurs de faire des prévisions et des projets. Lorsqu’un pays décide de rattacher le cours de sa monnaie à celui de la devise d’un pays ayant une inflation faible, cela peut symboliser la détermination de son gouvernement de réaliser et de maintenir une inflation basse, ce qui est surtout le cas des pays en quête de désinflation rapide par suite d’une période d’hyperinflation.

Pour qu’un régime de taux de change fixe fonctionne, il faut que le pays qui l’adopte soit fermement déterminé à défendre le cours fixé, même en cas de chocs externes et de pressions exercées pour qu’il laisse flotter la monnaie. Il doit aussi disposer de réserves suffisantes pour pouvoir défendre la monnaie contre les assauts des spéculateurs. Cette crédibilité, assise sur des réserves suffisantes et l’engagement vis-à-vis de solides politiques monétaires et budgétaires, devrait convaincre les investisseurs que toute attaque contre la monnaie se ferait en pure perte et que, dans l’éventualité d’assaut des spéculateurs, la banque centrale pourra et voudra défendre sa devise.

Un pays qui adopte un régime de taux de change fixe est sensible aux crises monétaires, car un tel régime permet aux spéculateurs de faire des paris à sens unique; comme un économiste l’a fait remarquer, la moyenne entre une tendance à la stabilité et une tendance à la baisse est une tendance à la baisse. Pour qu’un régime de taux de change fixe soit crédible, il faut absolument que le pays qui en est doté maintienne des réserves monétaires suffisantes. En cas de déficit tenace de la balance courante, les spéculateurs vendront la devise, dans l’espoir de la déstabiliser, car ils auront senti l’éventualité d’une dévaluation devant rendre les exportations moins chères et les importations plus chères. Mais, si le pays dispose de réserves de change suffisantes, il pourrait les dépenser afin de défendre sa monnaie dans l’espoir de « punir » les spéculateurs.

La Chine dispose, par exemple, de plus de 140 milliards de dollars en réserves de change, ce qui signale clairement aux spéculateurs qu’elle ne pourra être contrainte à dévaluer sa devise. Bon nombre de pays mesurent l’ampleur de leurs réserves par rapport au niveau des biens qu’ils importent, mais ils devraient le faire en fonction des risques de vente de l’actif en cas de crise.

Le maintien de réserves n’est pas sans coût. Il est onéreux de défendre sa monnaie — c’est l’équivalent d’exporter sa devise — et il y a toujours risque de dévaluation si les spéculateurs obligent les autorités monétaires à vendre une bonne part des réserves ou s’il devient trop coûteux de maintenir le taux de change fixé. En second lieu, détenir des réserves signifie qu’il faut consacrer des recettes d’exportation à des investissements dont le rendement est relativement faible (habituellement des bons du Trésor américains), ce qui réduit la consommation et l’investissement nationaux. Par ailleurs, le gouvernement doit verser, sur les obligations nationales qu’il vend dans le but d’acquérir les devises, un taux d’intérêt supérieur à celui qu’il obtient sur ses réserves. Les pays peuvent toutefois adopter différentes stratégies d’investissement pour abaisser le coût des réserves.

Il faut également du temps pour constituer des réserves, mais il est toujours possible de le réduire en contractant des emprunts à l’étranger qui sont assortis d’échéances à plus long terme et en investissant ces fonds dans des titres internationaux liquides (c’est la stratégie que la Chine a adoptée). La constitution de réserves peut aussi être passablement coûteuse, étant donné l’écart entre les montants à payer sur les obligations à long terme et le rendement qui pourrait être obtenu si les fonds étaient investis en bons du Trésor américains, mais ce coût doit être évalué à la lumière des avantages que constituent les réserves. De même, une augmentation des réserves a souvent pour effet d’abaisser le coût de l’endettement privé et des capitaux propres(6).

De plus, même si les gouvernements peuvent acquérir une certaine crédibilité grâce aux politiques qu’ils adoptent et à l’importance des réserves de change de leur pays, il n’est jamais possible de jouir d’une crédibilité absolue en régime de taux de change fixe. Qu’il soit possible pour le gouvernement de dévaluer la monnaie suffit à jeter le doute dans l’esprit des investisseurs ? plus la crédibilité perçue est faible, plus le doute est grand. Les régimes de taux de change fixe dont la crédibilité laisse à désirer sont devenus suspects pour les mêmes raisons que les régimes intermédiaires; en fait, si un gouvernement adopte un régime de taux de change fixe peu crédible, il poursuit en fait un régime de change intermédiaire relativement flou et se trouve face aux mêmes problèmes (voir plus bas). Comme le fait remarquer un observateur :

Si les marchés émergents veulent des taux de change fixes, il faut que leur engagement et leur détermination soient parfaitement crédibles. […] Autrement, le pays devrait se doter d’un taux de change flottant. Toute solution intermédiaire est par trop dangereuse(7).

Choisir un régime de taux de change fixe revient à sacrifier l’autonomie monétaire du pays, c’est-à-dire la capacité de réduire les taux d’intérêt de manière à stimuler la demande intérieure en cas de récession. Si cet incitatif monétaire a pour effet d’abaisser les taux d’intérêt à court terme, les investisseurs seront moins portés à conserver la monnaie et le taux de change (fixe) pourrait faire l’objet d’une attaque. Il y a également des conséquences à long terme qui sont incompatibles avec un taux de change fixe. Avec une politique monétaire incitative, on s’attendrait vraisemblablement à une inflation plus élevée, d’où une valeur d’équilibre plus faible de la monnaie interne. À long terme, les taux d’intérêt nominaux augmenteraient pour tenir compte des attentes d’une dépréciation monétaire.

Il s’ensuit qu’un taux de change fixe est contraignant pour la politique monétaire d’un gouvernement. L’inflation et, partant, les taux d’intérêt, doivent être maintenus à des niveaux compatibles avec le taux de change choisi, ce qui assure la crédibilité du gouvernement et du taux de change. Il est également plus difficile de financer un déficit. En règle générale, la monétisation des déficits et de la dette ne cadre pas avec un taux de change fixe, sauf bien entendu si la monnaie étrangère à laquelle on a rattaché la monnaie interne fait l’objet du même genre de politique. Même les déficits financés par une dette de marché sont problématiques. Comme les déficits provoquent de l’incertitude au sein du marché en ce qui concerne la politique monétaire, les investisseurs exigeraient une prime de risque. Par conséquent, même en l’absence d’un changement d’orientation de la politique monétaire, les taux d’intérêt qui vont de pair avec un taux de change fixe doivent augmenter.

En régime de taux de change fixe, les chocs externes sont absorbés par des variations des prix et des salaires. Toutefois, il arrive souvent que les prix et les salaires soient relativement rigides et ne s’ajustent pas facilement à la baisse, notamment en raison de l’influence des syndicats et des contrats de travail. Il peut alors se produire des pressions (déséquilibres) pouvant mener à des assauts spéculatifs sur la monnaie.

Il est toutefois possible qu’un régime de taux de change fixe soit bénéfique pour un pays en quête d’une plus grande discipline, c’est-à-dire qui désire maîtriser ou abaisser les salaires ou les prix. Comme nous l’avons déjà noté, lorsqu’un tel régime est en place, les chocs économiques — exode de capitaux, baisse de la productivité, etc. — doivent être absorbés par les salaires et les prix. Il faut que les taux d’intérêt augmentent pour que les investisseurs soient incités à augmenter leur stock de devises, ce qui permettra de réduire la demande nationale et d’exercer des pressions à la baisse sur les salaires et les prix.

Défendre la monnaie peut être également onéreux. S’il s’agit d’un relèvement des taux d’intérêt, la monnaie nationale devient plus attrayante pour les investisseurs, mais cela a pour effet d’étouffer la croissance de l’économie nationale. De même, il peut être coûteux de dépenser les réserves de liquidités internationales, car cela revient à exporter des monnaies fortes.

Même lorsque les autorités monétaires et budgétaires pratiquent des politiques saines, il est toujours possible que la monnaie du pays fasse l’objet d’assauts de la part des spéculateurs. De par leur nature même, les marchés financiers sont imparfaits, car leurs participants n’ont pas connaissance de toutes les données de la situation. Comme la crise asiatique l’a démontré, les investisseurs se mettent en troupeaux, si bien que les mouvements de panique ont des effets même dans les pays dotés de politiques saines, ce qui a des conséquences désastreuses. Par conséquent,

on s’accorde de plus en plus à dire que les régimes de taux de change fixe ne peuvent être profitables qu’à deux conditions : que l’on contrôle strictement les mouvements de capitaux, de manière à limiter directement leur vulnérabilité face à la spéculation privée, ou que l’on s’engage à maintenir la fixité du taux de façon tellement crédible que les marchés y croiront ferme et ne chercheront même plus à spéculer contre la monnaie(8).

En fin de compte, si le taux de change de même que les politiques monétaires et budgétaires internes ne conviennent pas, les flux de capitaux forceront tôt ou tard une réévaluation de la monnaie.

   C. Le Canada et les États-Unis : une zone monétaire optimale?

Dans le débat sur la réforme du régime de taux de change du Canada, on a beaucoup parlé de l’éventualité de l’adoption d’une devise commune au Canada et aux États-Unis (ou pour toute l’Amérique du Nord). Si l’on fait abstraction pour le moment des obstacles politiques considérables que cette solution présenterait, il faut, pour voir si cette option convient, déterminer techniquement si le Canada et les États-Unis constituent une zone monétaire optimale et, en particulier, si les économies des deux pays sont suffisamment semblables pour justifier l’adoption d’une monnaie unique. Entre 1989 et 1997, les exportations interprovinciales sont passées de 22,7 à 19,7 p. 100 du PIB, tandis que les exportations internationales sont passées de 26,1 à 40,2 p. 100 du PIB(9); la majeure partie des échanges du Canada (plus de 80 p. 100) se font avec les États-Unis. Pourtant, l’opportunité d’une union monétaire n’est pas encore établie de façon concluante. Comme le fait remarquer l’économiste en chef de la Banque Royale, John McCallum, la variabilité du taux de change associée à une devise flottante devrait théoriquement nuire au commerce puisque les entreprises doivent procéder à des opérations de couverture pour contrer le risque de change. Par conséquent, une devise commune devrait réduire le risque de change et stimuler les échanges. Or, les échanges canado-américains ont littéralement explosé durant les années 90, durant une période de très grande variabilité du taux de change(10).

Parallèlement, le Canada dépend davantage des exportations de produits de base que les États-Unis (celles-ci représentent actuellement 40 p. 100 du total des exportations canadiennes), ce qui donne à penser que la structure de l’économie canadienne et celle de l’économie américaine ne sont pas suffisamment compatibles pour permettre une intégration monétaire. Il reste cependant que certaines régions du Canada ont des liens plus étroits avec les États-Unis qu’avec les autres régions du Canada. On pense par exemple aux liens entre le Québec et l’Ontario et les États qui bordent des Grands Lacs et entre la Colombie-Britannique et les États du nord-ouest des États-Unis.

Le lecteur qui désire en savoir davantage sur les avantages et les inconvénients d’une union monétaire est une fois de plus prié de se reporter au document de Peter Berg. Il importe cependant de noter qu’une union monétaire est une question politique tout autant qu’une question économique. À cet égard, Benjamin Cohen a fait remarquer que le choix de l’union monétaire (mais non pas de la dollarisation ou de l’adoption d’une autre devise) était toujours motivé par des considérations politiques(11).

   D. Un cas spécial : les caisses d’émission

Soucieux de maintenir la crédibilité de leur régime de taux de change fixe, certains pays ont envisagé d’instaurer des caisses d’émission, lesquelles sont garantes de l’engagement du pays vis-à-vis d’une politique anti-inflationniste. Il y a déjà eu des caisses d’émission dans plus de 60 pays et il en existe actuellement dans 14. Hong Kong est dotée d’une caisse d’émission depuis 1983 et l’Argentine, depuis 1991. Dans ce dernier pays, la caisse d’émission a aidé le gouvernement à juguler l’hyperinflation qui y sévissait(12).

La caisse d’émission établit le cours de la monnaie nationale, normalement pour toujours, en fonction du cours d’une devise étrangère ou d’un panier de devises; ce cours est défendable car la caisse d’émission détient des réserves de devises étrangères équivalant au minimum à une fois la valeur de la monnaie nationale au sens étroit. Les caisses d’émission de Hong Kong et d’Argentine détiennent en réserve 1 $ US pour chaque unité monétaire locale en espèces ou en réserve dans les banques commerciales; il est possible d’échanger la monnaie locale contre la monnaie de réserve. Par définition, ces caisses d’émission ne peuvent donc jamais être à court de réserves. La masse monétaire du pays réagit en fonction de l’évolution de la balance des paiements : lorsqu’il y a afflux de devises étrangères dans le pays, la masse monétaire (et les réserves) s’accroît et, dans la situation inverse, elle chute. Tout glissement à la baisse des réserves contraindrait la caisse d’émission à réduire la masse monétaire et à relever les taux d’intérêt jusqu’à ce que le cours de la monnaie soit suffisamment attrayant pour attirer de nouveau les investisseurs.

Une caisse d’émission présente trois grands avantages : la crédibilité (attribuable au haut niveau des réserves et à la rigidité des politiques), un niveau d’inflation faible et des taux d’intérêt plus élevés (la monnaie étant perçue comme stable). Elle permet également aux pays de conserver la majeure partie des recettes provenant du seigneuriage, c’est-à-dire de l’émission de monnaie nationale, puisque le gros des réserves de devises étrangères se trouve sous forme de titres négociables.

À la différence d’une banque centrale, la caisse d’émission ne peut faire office de prêteur de dernier ressort pour les institutions financières nationales en difficulté (bien que la caisse d’émission de Hong Kong puisse parfois jouer ce rôle, étant donné que les réserves qu’elle détient sont supérieures à une fois la masse monétaire). Lorsque la caisse d’émission choisit de venir en aide à une banque en difficulté en imprimant davantage de monnaie nationale, cela réduit la proportion des réserves de devises étrangères garantissant la monnaie nationale et ouvre la voie à la spéculation contre la monnaie. Le spectre de la dévaluation fait alors son apparition.

Le prix à payer pour acquérir la crédibilité est, nous le rappelons, l’abandon complet de la politique monétaire comme moyen d’intervention, même lors des ralentissements économiques. (L’éventualité d’un retour au flottement de la monnaie est néanmoins toujours présente, puisque l’on ne peut jamais être totalement certain du comportement des pouvoirs publics.)

Si elle fonctionne correctement, la caisse d’émission est extrêmement contraignante en matière monétaire et budgétaire : il n’est plus possible d’éponger les déficits publics en faisant marcher la planche à billets et il devient nécessaire pour ce faire de vendre des titres de l’État; on ne peut avoir recours aux taux d’intérêt pour stimuler l’économie et les ajustements doivent se faire par l’entremise des salaires et des prix.

Dans certains pays, comme l’Argentine, les politiciens doivent se concentrer plus que jamais sur l’amélioration du marché du travail et ce, en raison de l’existence d’un tel carcan [la caisse d’émission](13).

Outre qu'elle ne pourrait abaisser les taux d’intérêt afin de stimuler une économie stagnante, la caisse d’émission serait forcée, en cas de chute des réserves de changes, de réduire la masse monétaire et de relever les taux d’intérêt jusqu’à ce que ces derniers soient suffisamment élevés pour que les ventes de monnaie nationale cessent. « En principe (néanmoins), ce mécanisme d’autorégulation décourage la spéculation si bien que les taux d’intérêt ne grimpent jamais très haut ». Les investisseurs perdraient confiance s’ils estimaient que la caisse d’émission n’est pas disposée à laisser grimper les taux d’intérêt à mesure que les réserves chutent(14).

   E. Un cas spécial : l’adoption d’une nouvelle monnaie

Certains ont proposé que le Canada adopte carrément la devise américaine pour résoudre le problème de la grande variabilité du cours du dollar canadien. La même idée a circulé en Amérique latine et en Amérique du Sud. Certains petits pays, comme le Panama, utilisent déjà le dollar américain comme monnaie légale. Le président de l’Argentine, Carlos Menem, a proposé de renoncer à une caisse d’émission en faveur d’une pleine dollarisation(15). Comme le signalent Courchene et Harris, la dollarisation peut prendre deux formes, la dollarisation du marché (l’adoption du dollar par le secteur privé) et la dollarisation au niveau politique (l’adoption du dollar par le gouvernement).

En pratique, l’adoption d’une nouvelle monnaie (ce qu’on appelle dollarisation lorsque le pays choisit le dollar américain) est une forme extrême du régime de taux de change fixe. L’argument avancé en faveur de la dollarisation se résume ainsi : un (petit) pays qui abandonne son autonomie en matière monétaire n’aura plus à se soucier des fluctuations très fortes de son taux de change et les investisseurs auront donc l’assurance que la monnaie de ce pays ne pourra jamais être dévaluée. Une telle pratique a également pour effet d’ancrer la stabilité monétaire, puisque le pays ne pourra pas imprimer de billets. Les coûts de transaction baisseront entre le pays et celui dont il a choisi la monnaie, puisqu’il ne sera plus nécessaire d’effectuer des opérations de couverture et de convertir les devises, ce qui, en théorie, favorisera l’essor des échanges commerciaux ainsi que l’intégration, et encouragera l’intégration à plus long terme. Dans un tel cas, le pays n’aura pas à se doter de réserves.

L’adoption de la monnaie d’un autre pays comme monnaie légale a pour revers l’abandon de toute autonomie en matière de politique monétaire et de politique de taux de change, puisque l’économie du pays qui choisit ce scénario est totalement dépendante d’une banque centrale étrangère sur laquelle il n’a aucune influence. Il faut noter par ailleurs que la monnaie d’un pays a une valeur symbolique considérable et que la décision de l’éliminer sera, au mieux, politiquement difficile. La création d’une zone yen parmi les économies asiatiques supposerait, par exemple, un degré considérable de collaboration et d’abdication de souveraineté impensable dans le contexte actuel. . L'adoption du dollar US par le Canada donnerait sans aucun doute à un intense débat public. Une fois éliminée la nécessité de faire marcher la planche à billets, une banque centrale ne se justifie plus et il faudrait donc probablement créer un autre prêteur de dernier ressort, qui ne pourrait cependant pas imprimer de la monnaie.

Cette option pourrait séduire un pays de petite taille dont l’économie ouverte serait entravée par les fluctuations du taux de change et déjà fortement intégrée à celle du pays étranger dont il adopterait la monnaie, ou encore qui aurait une peur panique de l’hyperinflation(16).

TAUX DE CHANGE FLOTTANTS

À l’opposé des taux de change fixes se trouvent les taux de change flottants. En régime de taux de change flottant, le cours de la monnaie est déterminé par l’offre et la demande. Le nombre de pays dotés d’un tel régime a augmenté régulièrement depuis le milieu des années 70 et, à l’issue de la crise asiatique, de nombreux économistes ont laissé entendre que, étant donné l’incapacité générale des pays en cause à défendre leur monnaie, il fallait s’orienter davantage vers un flottement des monnaies(17). Toutefois, comme les taux de change fixes, les taux de change flottants présentent des avantages et des inconvénients et ne conviennent pas à tous les pays.

Le Canada a un taux de change flottant depuis 1970. Actuellement, la Banque du Canada mène une politique monétaire visant à maintenir le taux d’inflation à l’intérieur d’une fourchette variant entre 1 et 3 p. 100. Concrètement, la Banque fait varier les taux d’intérêt en fonction des fluctuations du marché. En outre, la Banque juge l’orientation de la politique monétaire au moyen de l’Indice des conditions monétaires, lequel tient compte des fluctuations de la valeur externe du dollar. La Banque réagit souvent à une baisse de cette valeur en haussant les taux d’intérêt, non pas tant pour soutenir le dollar mais pour s’assurer que l’action de la politique monétaire est conforme aux objectifs d’inflation. Quoi qu’il en soit, la Banque essaie parfois soutenir temporairement la valeur externe du dollar canadien si elle estime que les marchés sont turbulents.

Les tenants de ce type de régime affirment qu’il a pour principal avantage de permettre à l’économie d’absorber plus facilement les chocs tant externes qu’internes, et de faire fonction de soupape de sécurité. Lorsque les taux de change sont fixes, les chocs externes se répercutent sur les salaires et les prix, tandis qu’une monnaie dont le cours flotte évolue au gré des conditions économiques, notamment des flux de capitaux ou des cycles économiques.

Un tel régime est également compatible avec l’autonomie monétaire et donc avec une plus grande souplesse en matière de politiques macroéconomiques; les gouvernements peuvent en effet recourir aux taux d’intérêt pour stimuler ou freiner l’économie sans avoir à se soucier de défendre un cours particulier.

Au Canada, les partisans d’un régime de taux de change souple comme le gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, affirment qu’il a permis à l’économie canadienne d’absorber les chocs extérieurs, comme la crise financière en Asie, par le jeu des fluctuations du cours du change au lieu de modifications plus perturbatrices de la production, de l’emploi et des prix. Un taux flottant aide une économie fondée sur les ressources à s’adapter aux variations des cours des matières premières.

D’un autre côté, un taux de change flottant se prête davantage à une forte instabilité et aux surréactions. Si l’information qui circule était toujours parfaite, les taux de change pourraient refléter fidèlement la valeur de la monnaie. Lorsqu’un pays perd du terrain en matière de productivité, son taux de change chuterait pour tenir compte de cette réalité. Malheureusement, la réalité est toute autre. Dans les années 80, par exemple, les fluctuations excessives que le dollar américain a enregistrées par rapport au yen japonais ne traduisaient aucun changement fondamental dans les économies américaines ou japonaises.

Ces variations s’expliquent en fait par les rumeurs qui circulent sur les marchés financiers — les courtiers réagissent à des rumeurs, à ce qu’ils pensent être la conséquence des dernières décisions des pouvoirs publics. Les investisseurs ont également tendance à se mettre en troupeau, les moins compétents emboîtant le pas aux plus compétents, et le taux de change enregistre ainsi des fluctuations excessives.

   A. Pourquoi un taux de change flottant?

Comme la crise asiatique l’a bien montré, il est coûteux et risqué pour un pays de défendre sa monnaie et cela n’est pas toujours couronné de succès. Pour revenir à l’exemple de la Thaïlande, les assauts dont a fait objet la monnaie, le baht, ont été si acharnés que le gouvernement a été contraint de laisser la monnaie flotter. En effet, comme le bath était ancré au dollar, il a été tiré vers le haut par rapport au yen à la suite de conditions économiques qui n’avaient rien à voir avec la Thaïlande. Cet exemple témoigne des risques que présente l’établissement de liens impropres entre des devises. En régime de change flottant, les autorités n’auraient eu théoriquement qu’à laisser tomber le baht aussi bas que l’exigeait le marché.

Lorsque l’on laisse le marché déterminer le cours de la monnaie, il est beaucoup moins nécessaire pour un pays d’intervenir sur le marché des changes pour défendre sa monnaie. (En pratique, même les pays dont le cours de la monnaie est flottant gardent en général des réserves dans l’éventualité de crises de liquidités à court terme, lesquelles pourraient se produire, par exemple, si l’endettement à court terme devait dépasser les réserves de change, s’il y avait un mouvement de panique chez les spéculateurs ou un effet de contagion.)

Les régimes de taux de change flottant s’accompagnent aussi explicitement de risques allant dans les deux sens. On suppose que, en régime de taux de change fixe, il n’y a pas de risque pour ce qui est du change, puisque le cours de la monnaie est établi une fois pour toutes. Les investisseurs en viennent à penser qu’il ne leur est donc plus nécessaire de se prémunir contre une éventuelle dévaluation. Or, si le cours de la monnaie est modifié (comme en Thaïlande), les entreprises peuvent se retrouver avec des obligations et des emprunts non couverts. En régime de taux de change flottant, les entreprises et les investisseurs doivent toujours couvrir leurs achats de devises.

Le taux de change permet d’affecter les capitaux internationaux aux usages les plus productifs. Par exemple, s’il devient plus rentable d’investir dans des entreprises mexicaines, les investisseurs étrangers achèteront davantage de pesos, ce qui consolidera cette monnaie. Les importations du pays augmenteront, puisqu’elles seront désormais moins chères, et les exportations baisseront, étant devenues plus onéreuses. Par contre, si les entreprises deviennent moins rentables, les investisseurs vendront des pesos et iront ailleurs, et le cours du peso reculera(18). Par conséquent, le régime de taux de change flottant peut contribuer à prévenir l’accumulation de décalages excessifs en matière de liquidités étrangères et de positions de change non couvertes.

   B. Instabilité des taux flottants

Le taux de change réels sont beaucoup plus instables dans un régime de taux de change flottant que dans un régime de taux de change fixe, en raison des variations du taux de change nominal. Les taux de change peuvent être extrêmement instables, surtout si de gros volumes de capitaux entrent et sortent d’un petit pays. Un choc frappant une banque ou un fonds de placement dans un marché émergent de petite taille pourrait déstabiliser le taux de change, au détriment du reste de l’économie. Les investisseurs peuvent perdre confiance dans une monnaie dont le taux de change décline, et il devient alors plus difficile de combattre l’inflation. Dans n’importe quel pays, petit ou grand, une instabilité excessive peut également freiner les mouvements de capitaux, car il est plus difficile pour les acteurs du monde économique de prévoir l’avenir et de faire des projets.

Cette volatilité entraîne, entre autres, un mauvais alignement des devises. Toute surréaction, à la hausse ou à la baisse, peut fausser le taux de change par rapport à ce que dicteraient normalement les facteurs économiques fondamentaux pendant des périodes pouvant dépasser deux ans. La faible valeur externe du dollar canadien actuellement et le dollar à 89 cents US de la fin des années 80 sont deux exemples de mauvais alignement(19).

Le mauvais alignement des devises entraîne des coûts réels. En cas de sous-évaluation d’une monnaie, l’endettement vis-à-vis de l’étranger, libellé en devises étrangères, sera plus important (tout comme le sera le service de la dette) et l’inflation, plus forte. Si la monnaie est surévaluée, les exportations coûteront plus cher que ce ne serait le cas autrement, ce qui nuira à la compétitivité, aux exportations et à la balance commerciale du pays. L’appréciation du dollar canadien après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange a fait augmenter les coûts d’adaptation de l’industrie canadienne. En préservant la compétitivité des exportations, la sous-évaluation d’une monnaie réduit la nécessité pour les entreprises de procéder aux améliorations de productivité qui accroîtraient leur compétitivité à long terme.

Même si les pressions qui s’exercent en vue d’une dévaluation en régime de taux de change fixe ne s’exercent pas en régime de taux de change flottant, sous ce dernier régime, il y a toutefois risque de dévaluation à long terme. En raison de la perte de valeur que le dollar canadien a enregistrée depuis le milieu des années 70, par exemple, certains économistes laissent entendre qu’un régime de taux de change flottant ne convient plus au Canada et qu’il devrait être remplacé par une forme de taux fixe; d’autres ont fait remarquer qu’un tel problème doit être réglé au moyen de nouvelles politiques et ne correspond pas à la définition que l’on donne d’une crise(20).

   C. Quels pays devraient utiliser des taux flottants?

Traditionnellement, les taux de change flottants sont mieux adaptés aux pays de grande taille dont le commerce intérieur est relativement plus important que le commerce extérieur et qui sont moins susceptibles de se ressentir des fortes variations du taux de change. Les pays comme les États-Unis, par exemple, qui répondent à ce critère, se trouvent généralement bien d’un régime de change flottant(21).

Le corollaire est que les petits pays ouverts au commerce et dont l’économie dépend des investissements peuvent souffrir de fortes fluctuations des taux de change. Dans une économie de marché de petite taille où les capitaux circulent librement et où le marché de capitaux est peu développé (c’est-à-dire que les investisseurs n’ont pas un grand choix de titres), le principal prix est le taux de change, et celui-ci peut enregistrer des variations considérables au gré des entrées et des sorties de capitaux. Le taux de change a néanmoins un effet sur l’économie réelle, soit la production de biens et de services; l’instabilité du taux de change peut donc se traduire par une instabilité économique. Soucieux d’arrêter une fuite de capitaux qui pourrait mener à l’effondrement de sa monnaie, un gouvernement peut hausser radicalement les taux d’intérêt pour convaincre les investisseurs d’arrêter de sortir des fonds. Selon le principe de la « trinité impossible », un petit pays à l’économie ouverte qui souhaite un taux de change flottant devrait envisager la mise en œuvre d’une forme quelconque de contrôle des mouvements de capitaux. Ceux-ci ont cependant un prix; le lecteur qui désire en savoir plus est prié de se reporter à Global Capital Flows: Out of Control, un document rédigé par Peter Berg, de la Direction de la recherche parlementaire, pour le compte du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères en 1998.

SYSTÈMES INTERMÉDIAIRES

Les régimes de taux de change intermédiaires représentent un compromis entre les régimes de taux de change fixe et les régimes de taux de change flottant; ils tentent de combiner la stabilité des premiers et l’indépendance en matière de politique monétaire des seconds. En règle générale, ils permettent certaines fluctuations à l’intérieur d’une fourchette préétablie par rapport à une devise ou à un panier de devises, lequel est rajusté régulièrement. Selon le degré de stabilité souhaité, l’intervalle de variation (fourchette) peut lui aussi fluctuer.

Compte tenu de l’intégration financière croissante des pays et de l’échec des systèmes intermédiaires en Russie, en Asie de l’Est, au Brésil et au Mexique, ces systèmes sont toutefois devenus de plus en plus impopulaires; de nombreux économistes insistent désormais pour dire qu’il n’y a d’autre choix que le régime de taux de change fixe ou le régime de taux de change flottant. Selon un économiste sceptique, le flottement impur d’une monnaie (avec des interventions uniquement pour aplanir des fluctuations aléatoires et les décalages à court terme entre l’offre et la demande) constitue « une juxtaposition traditionnelle de beaux mots plutôt que l’association de politiques et d’institutions cohérentes »(22).

Un des attraits des systèmes intermédaires réside dans le fait que les gouvernements qui les adoptent peuvent ajuster le taux de change (ou la fourchette de variation de leur monnaie) selon les circonstances économiques. Ce régime de taux fixe mais ajustable pose un problème, puisque les taux de change peuvent faire l’objet de spéculations allant dans un seul sens. S’il est clair pour les autorités que le taux ou la fourchette doit être modifié, cela sera également manifeste pour les marchés, qui s’attaqueront peut-être alors à la monnaie. Une fois de plus, la défense de la monnaie sera coûteuse, soit sous forme de hausse des taux d’intérêt ou d’exportation des réserves de change.

Il se pose également la question de la transparence. Il est plus difficile pour les investisseurs d’évaluer ce que les gouvernements feront dans un régime intermédiaire que dans un régime de taux de change fixe ou de taux de change flottant, qui sont relativement simples. Il faut se demander si les investisseurs réagiront mieux à des règles simples qu’à des règles complexes(23).

Ce n’est pas parce que les systèmes intermédiaires soulèvent des préoccupations que personne n’envisage leur adoption. C. Fred Bergsten, directeur du Institute for International Economics, résume la problèmatique ainsi :

les taux fixes, à moins qu’ils n’aboutissent à une union monétaire, comme c’est le cas en Europe, ou à la création d’une caisse d’émission, comme c’est le cas en Argentine ou à Hong Kong, donnent trop souvent lieu à des surévaluations et à des sous-évaluations coûteuses. Les taux de change flottant ont tendance à surréagir de façon excessive et à créer des décalages tout aussi perturbateurs.

Il est donc partisan d’un flottement contrôlé selon lequel le cours de la monnaie pourrait fluctuer de 15 p. 100 maximum de part et d’autre d’un point médian préétabli. Il serait possible d’éviter les déséquilibres à long terme en rajustant très légèrement les limites de la fourchette, ce qui rappelle les parités à crémaillère. Selon ce système, les pays du G-7 pourraient coordonner leur politique monétaire de manière à réduire au minimum l’instabilité des taux de change à l’intérieur d’une fourchette qui soit suffisamment large pour pouvoir tenir compte des changements cycliques qui se produisent dans l’économie.

À mesure qu’un taux s’approcherait de la limite d’une fourchette, il serait peu avantageux de continuer dans la même direction, car les marchés sauraient que les autorités monétaires ne permettraient pas aux taux de dépasser les limites. Par contre, ils pourraient réaliser des profits considérables en faisant en sorte que le taux revienne vers les points médians(24).

De telles approches ne semblent pas répondre aux préoccupations soulevées plus haut et ne sont peut-être que de simples solutions intermédiaires sujettes au même genre de problème. Il faut toutefois se demander si ces régimes, qu’ils soient fixes, flottants ou mixtes, peuvent réduire ou éliminer les fluctuations excessives et les crises monétaires. S’il est impossible d’éliminer la spéculation sur les devises, ce qui semble être le cas dans tous les scénarios sauf celui de la monnaie universelle, la question qui se pose est simplement de savoir quelle est l’approche qui permettra de réduire au minimum la volatilité des taux de change.

Il se peut que la recherche d’un régime unique permettant d’éliminer la spéculation sur les devises soit vaine (sans restriction des flux de capitaux). Le rejet de la solution intermédiaire ne serait donc qu’un rejet de la solution que la plupart des pays ont adoptée, sans que l’on ne s’attende raisonnablement à ce que l’union monétaire ou le flottement libre constituent de meilleures solutions. La recommandation selon laquelle il faudrait éviter les régimes intermédiaires pour retenir en toutes circonstances soit des régimes de taux de change fixe soit un flottement libre ne se justifie donc pas(25).

CONCLUSION

Le choix d’un régime de taux de change approprié demeure donc une question de politique difficile, mais il vaut la peine de répéter que tout régime peut être compromis par des politiques monétaires et budgétaires malavisées. On peut dégager certaines généralités (il n’existe pas de régime de taux de change idéal qui conviendrait à tous les pays à toutes les époques; les grands pays devraient adopter un taux flottant et les petits pays à économie ouverte devraient choisir un taux fixe), mais même ces règles ne sont pas coulées dans le béton. Il importe d’examiner à la loupe les avantages et les inconvénients de chaque régime et de tenir compte des coûts de transition à un nouveau régime de taux de change.

Même alors, comme le montre l’exemple du Canada, tant de variables jouent dans une économie qu’il n’est jamais possible d’affirmer sans restriction la supériorité d’un régime de taux de change par rapport à un autre; les partisans d’une forme ou d’une autre de régime de taux de change peuvent faire valoir des arguments convaincants. La seule conclusion possible est la suivante : dans un monde où il existe une multiplicité de devises, les crises de taux de change et les réactions à ces crises persisteront.

BIBLIOGRAPHIE

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Yeager, Leland B. « How to Avoid International Financial Crises ». CATO Journal, vol. 17, no 3, hiver 1998. http://www.cato.org/pubs/journal/cj17n3.html.


(1)   Le taux de change est le prix payé en une monnaie pour obtenir la monnaie d’un autre pays. Pour pouvoir acheter des biens et services ou investir dans un pays étranger, il est habituellement nécessaire d’acheter la monnaie de ce pays. Le coût est fonction du taux de change. La demande de produits fabriqués par un pays (et d’investissements également) fait augmenter le cours de la monnaie. Par ailleurs, on achète également la monnaie à des fins spéculatives, les investisseurs achetant et vendant une monnaie selon les fluctuations du taux de change auxquels ils s'attendent. Ces attentes influent souvent sur le taux de change et causent des fluctuations importantes.

(2)  De fait, le Fonds monétaire international a été critiqué pour avoir exigé, lors des bouleversements récents, que les pays en crise adoptent des taux de change fixes.

(3) Jeffrey E. Garten, « Lessons for the Next Financial Crisis », Foreign Affairs, vol. 78, no 2, mars-avril 1999, p. 89.

(4) Ce sont là les critères les plus fondamentaux. Dans les documents portant sur les ZMO, on traite de plusieurs éléments de qualification possible, dont des taux d’inflation semblables, la viabilité politique et la diversification des produits de base.

(5) Jeffrey A. Frankel, « The International Financial Architecture », Brookings Institute, Policy Brief #51, juin 1999. http://www.brook.edu/comm/policybriefs/pb051/pb51.htm.

(6) Martin Feldstein, « A Self-Help Guide for Emerging Markets », Foreign Affairs, vol. 78, no 2, mars-avril 1999, p. 103.

(7) Garten (1999), p. 89 (traduction).

(8) C. Fred Bergsten, « Alternative Exchange Rate Systems and Reform of the International Financial Architecture », témoignage devant le Committee on Banking and Financial Services, Chambre des représentants des É.-U., 21 mai 1999 (traduction). http://www.iie.com/TESTMONY/fred5-21.htm.

(9) Cité dans Thomas J. Courchene et Richard G. Harris, From Fixing to Monetary Union : Options for North American Currency Integration, Toronto, C.D. Howe Institute, juin 1999, p. 27n.

(10) John McCallum, « Sept considérations sur le choix d'un régime de change pour le Canada », Conjonctures, Banque royale, février 1999, p. 3.
http://www.banqueroyale.com/economie/marche/index.html.

(11) Benjamin J.Cohen, Monetary Union: The Political Dimension, document présenté au symposium « Should Canada and the U.S. Adopt a Common Currency? », Western Washington University, 30 avril 1999.

(12) Charles Enoch et Anne-Marie Gulde, « Les caisses d’émission sont-elles une panacée monétaire? », Finances et Développement, décembre 1998, p. 40.

(13) Thomas J. Courchene, « Towards a North American Common Currency: An Optimal Currency Area Analysis » (version du Congrès), Sixth Bell Canada Papers Conference, Université Queen’s, 5-6 novembre 1998, p. 42 (traduction).

(14) Fedelstein (1999), p. 107 (traduction).

(15) Courchene et Harris (1999), p. 25.

(16) Bergsten (1999).

(17) « Fix or Float? », Global Financial Survey, The Economist, 30 janvier 1999, p. 15.

(18) Fedelstein (1999), p. 95-96.

(19) Courchene et Harris (1999), p. 5.

(20) Leland B. Yeager, « How to Avoid International Financial Crises », CATO Journal, vol. 17, no 3, hiver 1998. http://www.cato.org/pubs/journal/cj17n3.html.

(21) Frankel (1999).

(22) Yeager (1999) (traduction).

(23) Frankel (1999).

(24) Bergsten (1999) (traduction).

(25) Frankel (1999) (traduction).