LS-399F

 

PROJET DE LOI S-24 :  LOI SUR LE GOUVERNEMENT
DU TERRITOIRE PROVISOIRE DE KANESATAKE

 

Rédaction :
Mary C. Hurley
Division du droit et du gouvernement
Le 5 avril 2001
Révisé le 8 juin 2001


 

HISTORIQUE DU PROJET DE LOI S-24

 

CHAMBRE DES COMMUNES

SÉNAT

Étape du projet de loi Date Étape du projet de loi Date
Première lecture : 17 mai 2001 Première lecture : 27 mars 2001
Deuxième lecture : 18 mai 2001 Deuxième lecture : 5 avril 2001
Rapport du comité : 29 mai 2001 Rapport du comité : 10 mai 2001
Étape du rapport : 1er juin 2001 Étape du rapport :  
Troisième lecture : 1er juin 2001 Troisième lecture : 15 mai 2001


Sanction royale : 14 juin 2001
Lois du Canada 2001, chapitre 8







N.B. Dans ce résumé législatif, tout changement d'importance depuis la dernière publicaiton est indiqué en caractères gras.

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

   A.  De 1717 à 1945 : Le différend se profile à l’horizon

   B.  De 1945 à 1990 : Intervention du fédéral, mais pas de règlement

   C.  De 1990 à aujourd’hui : l’après-crise
      1.  Rapport du Parlement
      2.  Interventions du gouvernement
      3.  L’Entente

DESCRIPTION ET ANALYSE DU PROJET DE LOI

   A.  Objet

   B.  Terres mohawks de Kanesatake

   C.  Administration
      1.  Lois des Mohawks de Kanesatake
      2.  Relations entre les lois
      3.  Conditions relatives à l’exercice de la compétence
         a.  Code foncier
         b.  Réserve Doncaster nº17
         c.  Harmonisation des lois
      4.  Protection de l’environnement
      5.  Application de la loi

   D.  Autres

COMMENTAIRE

Annexe 1   –  Faits sur les Mohawks de Kanesatake
Annexe 2   –  Carte de l’assise territoriale de Kanesatake (1990)
Annexe 3   –  Entente concernant l’exercice de pouvoirs gouvernementaux


PROJET DE LOI S-24 : LOI SUR LE GOUVERNEMENT
DU TERRITOIRE PROVISOIRE DE KANESATAKE*

Le projet de loi S-24 : Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, a été déposé au Sénat le 27 mars 2001.  Il a pour objet de ratifier l’Entente concernant l’exercice de pouvoirs gouvernementaux par Kanesatake sur son assise territoriale provisoire+, qui a été conclue entre le gouvernement fédéral et les Mohawks de Kanesatake(1) le 21 juin 2000 et signée le 21 décembre de la même année.  Le projet de loi S-24 a été adopté tel quel par le Sénat le 15 mai 2001 et par la Chambre des communes le 1er juin 2001(2).

CONTEXTE (3)

La collectivité mohawk de Kanesatake(4), qui est située à l’ouest de Montréal, plus précisément à Oka (Québec), a été au premier plan de l’actualité au cours des événements de l’été 1990, connus depuis sous le nom de « Crise d’Oka ».   Beaucoup ont vu dans ce conflit la manifestation aiguë de vieux griefs concernant la revendication territoriale de cette collectivité(5). Un bref rappel des principaux événements historiques permettra de mettre en contexte le projet de loi S-24.

   A.  De 1717 à 1945 :  Le différend se profile à l’horizon

La revendication territoriale des Mohawks de Kanesatake a été décrite comme la « plus difficile léguée au gouvernement canadien par l’administration antérieure au moment de la Confédération »(6). On peut faire remonter la situation foncière tout à fait unique des Mohawks de Kanesatake à la concession, par la Couronne de France, de la Seigneurie du Lac des Deux Montagnes à l’Ordre des Sulpiciens en 1717(7). En retour, l’Ordre devait, entre autres, établir une mission sur les terres de la Seigneurie pour servir la population indigène de la région.  Les Iroquois (Mohawks) ont fait partie des habitants autochtones de cette colonie créée en 1721.   Dès 1763, les dossiers d’archive font état de fréquents désaccords entre les Sulpiciens et les Mohawks à propos de la propriété des terres de la Seigneurie.  La vente de parcelles à des intérêts privés, malgré les objections des Mohawks, allait devenir, pour ces derniers, une source de frustration permanente.  Ni une loi du Bas Canada de 1841 confirmant le titre de propriété des Sulpiciens, ni la décision du Conseil privé de 1912(8) établissant que la loi levait tout doute sur le titre de propriété(9) ne mirent un terme à ce conflit.

   B.  De 1945 à 1990 : Intervention du fédéral, mais pas de règlement

En 1945, le gouvernement fédéral a cherché à régler la controverse en achetant le reste des terres des Sulpiciens et en assumant les obligations de la congrégation envers les Mohawks.  Ces derniers n’ayant pas été consultés à propos de cette entente, ils n’ont jamais considéré qu’elle réglait définitivement leurs revendications(10). Les terres visées par la transaction de 1945 étaient constituées d’une série de parcelles sur le territoire d’Oka, séparées les unes des autres par des lots privés.  Les acquisitions suivantes par le gouvernement fédéral dans les années 60 et au début des années 80 ne firent qu’ajouter à cette mosaïque.  Le fait que les propriétés des Mohawks n’étaient pas contigus empêchait la création d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens et posait des problèmes d’ordre pratique en ce qui a trait à l’utilisation des terres et aux décisions de gestion par les collectivités mohawks et les non autochtones, ainsi qu’à la coordination des politiques entre les deux groupes.

En 1975, les Mohawks de Kanesatake, de Kahnawake et d’Akwesasne ont déposé conjointement une revendication territoriale globale(11) affirmant leur titre ancestral sur les terres qui faisaient partie de la Seigneurie.  Cette revendication a été rejetée au motif que les Mohawks n’avaient pas possédé ces terres de façon continue depuis des temps immémoriaux et que les titres autochtones étaient éteints.  En 1977, les Mohawks de Kanesatake ont déposé une revendication territoriale particulière(12), qui a été, elle aussi, rejetée en 1986 parce qu’elle ne répondait pas aux critères établis pour ce genre de revendication.  Bien qu’il ait soutenu que les Mohawks de Kanesatake ne détenaient aucun droit de propriété à l’extérieur des terres que le fédéral avait achetées et qu’il leur destinait, le gouvernement canadien s’est engagé à se porter acquéreur d’autres parcelles afin de fournir un territoire uni aux Mohawks.

Le récit des événements de 1990 déborde le cadre du présent document(13). Toutefois, il convient de remarquer qu’au moment où le conflit devient une confrontation armée, le gouvernement tente de négocier une entente portant sur le regroupement et l’administration futurs des terres des Mohawks de Kanesatake.  À l’époque, le territoire des Mohawks, d’une superficie de 828,1 hectares (2 046 acres),

se résume globalement à 11 parcelles de terres séparées les unes des autres et, de surcroît, non contiguës.  De plus, des routes et des chemins publics – qui ne sont pas propriété indienne et qui ont fait l’objet de protestations officielles à partir du siècle dernier –, traversent leurs terres, ce qui fait passer [...] à 20 ces parcelles de terres complètement séparées.

À l’intérieur même des limites de la municipalité d’Oka, la situation est encore plus troublante : 27 parcelles de terres séparées, subdivisées en 60 lots occupés par des Indiens, se retrouvent à l’intérieur même du périmètre urbain du village [...](14)

   C.  De 1990 à aujourd’hui : L’après-crise

      1.  Rapport du Parlement

Dans son rapport de mai 1991, intitulé L’été de 1990, le Comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes (le Comité) indique que par suite des événements historiques décrits ci-dessus :

À Kanesatake, la situation territoriale ne correspond nullement au modèle habituel des réserves indiennes du Canada.  La situation de la collectivité de Kanesatake est anormale du point de vue des lois canadiennes : les membres de la « bande indienne » de Kanesatake sont des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens [sic], ont un conseil de bande établi conformément aux dispositions de cette Loi, vivent (depuis 1945) sur des terres domaniales réservées à leur usage (au sens du paragraphe 91(24) de Loi constitutionnelle de 1867 [sic]), mais ne vivent pas sur des terres ayant clairement le statut de réserve au sens de la Loi sur les Indiens.  Par conséquent, il n’existe aucun régime législatif pouvant clairement s’appliquer à la gestion ou au contrôle local de ces terres.(15).

Le Comité a, par ailleurs, souligné l’importance des désaccords qui divisent la collectivité des Mohawks de Kanesatake à propos de la question du leadership.  Les traditionalistes, défenseurs des droits et des coutumes, considèrent que le système de gouvernement de la Longhouse (« Maison longue ») est le seul légitime, alors que les autres sont favorables à d’autres processus.  Le rapport souligne que « le règlement de la question du leadership des Mohawks dépend de celui de grandes questions des droits territoriaux... », et que « [e]ntre-temps, la collectivité de Kanesatake demeure dans l’incertitude juridique et politique... »(16).

      2.  Interventions du gouvernement

Dans sa réponse d’octobre 1991 à la recommandation du Comité d’adopter un processus, tel que la médiation, pour régler les différends relatifs à l’utilisation des terres entre les autorités municipales et le leadership mohawk, le gouvernement fédéral reconnaît l’existence d’une série de très vieux problèmes associés à l’occupation des terres, comme le zonage.   On peut lire dans cette réponse qu’un nouveau calendrier de négociation des questions territoriales a été ratifié par Kanesatake en août 1991(17) et que :

compte tenu de l’objectif relatif à la création d’un territoire uni et d’une réserve [...] le gouvernement fédéral a fait l’acquisition de 106 acres [...] l’été dernier.  Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien négociera l’achat de parcelles additionnelles de terres.(18).

Les achats de terres par le gouvernement fédéral, tout de suite après la Crise d’Oka, se sont déroulés sans consultations préalables avec la collectivité de Kanesatake.  Un protocole d’entente Canada-Kanesatake, en vigueur depuis décembre 1994, stipule que tout achat ultérieur de terres doit se faire en consultation avec la collectivité(19). Kanesatake couvre maintenant une superficie 1 108,8 hectares (2 739,6 acres).

En juin 1999, le Canada et les Mohawks de Kanesatake ont convenu de mettre sur pied une société de développement mohawk(20) qui, en vertu d’un accord de gestion foncière de deux ans, a été chargée de la gestion, de l’utilisation et de l’entretien des 177 propriétés achetées depuis 1990.  On estime que cette initiative a grandement contribué à l’entente de 2000 concernant l’exercice des pouvoirs gouvernementaux.

      3.  L’Entente

Le Canada ne s’est jamais prononcé sur la question de savoir si les terres de Kanesatake sont visées par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, en qualité de « terres réservées pour les Indiens », soutenant plutôt qu’elles relèvent de la compétence fédérale en tant que « propriétés publiques » aux termes du paragraphe 91(1A) de la Constitution.   En conséquence, et contrairement aux autres Premières Nations, Kanesatake n’a pas pu se prévaloir des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux terres, notamment pour ce qui est du pouvoir de prendre des règlements administratifs.  L’incertitude associée au statut des terres de Kanesatake a été soulignée par la Cour d’appel du Québec, en 1998, dans une décision établissant que le zonage et les règlements de construction de la municipalité s’appliquaient au moins aux propriétés mohawks en cause, propriétés qui, de l’avis de la Cour, n’étaient pas des « propriétés publiques »(21).

La décision du Canada et de Kanesatake, prise vers la fin des années 90, de négocier une entente portant sur l’exercice de pouvoirs gouvernementaux, afin de régler la situation tout à fait particulière des terres de Kanesatake, a abouti, en juin 2000, à la conclusion de l’Entente concernant l’exercice de pouvoirs gouvernementaux par Kanesatake sur son assise territoriale provisoire (l’Entente)(22). Celle-ci, qui est de portée relativement limitée, est destinée à donner aux Mohawks de Kanesatake une assise territoriale reconnue ainsi que des pouvoirs gouvernementaux se rapprochant de ceux dont jouissent d’autres collectivités de Premières Nations.  En plus des terres dont nous venons de parler, qui sont situées dans Oka et à proximité de la municipalité, cette assise territoriale englobe la « Réserve Doncaster nº 17 ».   Cette réserve, qui occupe 7 897,2 hectares (19 513,7 acres) de terres inhabitées dans les Laurentides, au nord de Montréal, appartient conjointement aux Mohawks de Kanesatake et à ceux de Kahnawake; elle a été cédée aux deux collectivités dans la Loi de 1851(23).

En particulier, l’Entente :

  • réserve une assise territoriale provisoire en tant que « terres réservées pour les Indiens », au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (terres visées par le paragraphe 91(24)) mais pas en tant que « réserve » au sens de la Loi sur les Indiens, la réserve Doncaster nº 17 demeurant une « réserve »;

  • exige l’adoption d’un code d’administration des terres, en vertu duquel Kanesatake est autorisée à adopter des lois et des règlements communautaires relatifs à l’utilisation des terres et à d’autres questions relatives aux terres;

  • vise à encadrer l’harmonisation de la réglementation de Kanesatake et de celle de la municipalité d’Oka en ce qui a trait à l’utilisation des terres et aux normes d’utilisation des terres;

  • définit la relation entre les lois des Mohawks de Kanesatake et 1) les lois fédérales, 2) les lois provinciales d’application générale et 3) les règlements municipaux.

L’Entente précise qu’il ne s’agit pas d’un traité ni d’un accord sur une revendication territoriale aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982(24).

En vertu de l’Entente, la ratification par le Canada intervient après celle de Kanesatake, qui a eu lieu le 14 octobre 2000.  Le processus comprenait un scrutin secret à la majorité simple, auquel pouvaient participer les membres de la collectivité âgés d’au moins 18 ans, et l’approbation par une résolution du conseil des Mohawks.  En fait, moins de la moitié des votants admissibles, dont le nombre dépassait le millier, ont pris part au vote de ratification.  Le compte final (239 voix pour et 237 contre, plus 10 bulletins gâtés) indique combien la collectivité des Mohawks de Kanesatake est divisée à propos de l’Entente.

Le projet de loi S-24 est une loi d’application fédérale exigée par l’Entente au titre de la ratification par le Canada.

DESCRIPTION ET ANALYSE DU PROJET DE LOI

Le projet de loi se compose de 24 articles, dont la plupart correspondent aux dispositions de l’Entente (voir l’annexe 3 du présent résumé), ainsi que d’une annexe.  Les renvois à l’Entente apparaissent entre parenthèses, à la suite des numéros des articles du projet de loi.  L’analyse suivante porte sur certaines dispositions de fond que nous avons regroupées par sujet et présentées de façon à en faciliter la compréhension, plutôt que suivant un ordre strictement numérique.

   A.  Objet

Le paragraphe 3(1) (article 4 de l’Entente) précise que le projet de loi S-24 a pour objet de mettre en œuvre l’Entente, en particulier ses éléments essentiels relatifs :

  • au statut constitutionnel de « certaines » terres du territoire provisoire;

  • à l’établissement d’un cadre régissant la compétence des Mohawks relativement à leur territoire provisoire;

  • à l’établissement de principes d’utilisation harmonieuse des terres mohawks et non mohawks voisines dans Oka.

Le paragraphe 3(2) (deuxième paragraphe du préambule et articles 5 et 7 de l’Entente) indique que le projet de loi est neutre pour ce qui est de l’existence ou de la portée de tout droit ancestral ou issu de traité des Mohawks de Kanesatake en disposant que le projet de loi ne concerne nullement ces droits et qu’il n’a pas pour effet d’y porter atteinte ni d’entraîner leur reconnaissance.  Le libellé de cette disposition diffère de celui des dispositions non dérogatoires plus habituelles des lois fédérales antérieures(25). Il vise à refléter l’approche adoptée dans l’Entente – qui ne règle pas les revendications en suspens des Mohawks de Kanesatake sur les terres de la Seigneurie – tout en énonçant de façon explicite que l’Entente ne porte pas atteinte aux positions des parties relativement à ces griefs ou à leur règlement.

L’alinéa 3(3)a) (paragraphes 4 à 6 du préambule de l’Entente) précise que le projet de loi S-24 ne vise pas à régler le statut constitutionnel des terres avant l’entrée en vigueur du projet de loi.  Cette précision signifie essentiellement que : 1) les parties restent sur leurs positions respectives relativement au statut constitutionnel passé des terres mohawks de Kanesatake (les Mohawks affirmant que leurs terres relèvent des dispositions du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et le Canada n’ayant pas pris position à cet égard); 2) le traitement futur de ces terres découlera d’une entente conclue entre le Canada et Kanesatake.  Autrement dit, le projet de loi S-24 ne règle pas la question ambiguë du statut des terres de Kanesatake dans le passé.

   B.  Terres mohawks de Kanesatake

Selon le paragraphe 2(1) de l’article d’interprétation du projet de loi S-24 (article 3 de l’Entente), le « territoire provisoire de Kanesatake » (le territoire provisoire ou l’assise territoriale provisoire) se compose des terres décrites à l’annexe du projet de loi (annexe A).  Il s’agit de la réserve Doncaster nº 17, partagée avec Kahnawake(26); des terres des Mohawks avant la Crise d’Oka, désignées sous les noms de « terres indiennes de Kanesatake nº 16 » et de « terres portant la désignation de “Assenenson”, “Chemin du Milieu” ou “Centre Road” »; et des terres décrites à l’article 2.1.1 de l’accord de gestion foncière de juin 1999 mentionné ci-dessus, ces terres étant les 177 propriétés achetées par Ottawa pour les Mohawks de Kanesatake dans la période de l’après-crise.

L’article 4 (article 12 de l’Entente), une des dispositions déterminantes du projet de loi S-24, met de côté les terres composant le territoire provisoire – autres que la réserve Doncaster nº 17 – comme « terres réservées » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais non comme « réserves » au sens de la Loi sur les Indiens.  Cette précision signifie que les terres des Mohawks de Kanesatake visées ne sont pas assujetties aux dispositions sur les réserves de cette dernière loi, mais qu’elles devront être gérées conformément à l’Entente et aux dispositions du projet de loi, deux instruments propres à la situation de Kanesatake.  Les dispositions de la Loi sur les Indiens ne concernant pas les réserves continueront de s’appliquer aux Mohawks de Kanesatake.  La réserve Doncaster nº 17 est exclue de la « mise de côté » prévue à l’article 4, puisqu’il s’agit déjà d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens et qu’elle est donc visée par le paragraphe 91(24).

Il faut remarquer que, contrairement à l’annexe du projet de loi S-24, l’annexe A de l’Entente (alinéa 1e)) comprend « les terres qui s’ajouteront [...] à la suite, notamment, du règlement de la revendication relative à la Seigneurie du Lac des Deux Montagnes », pourvu que le Canada et Kanesatake s’entendent sur le fait qu’il s’agit de terres visées au paragraphe 91(24) et que le Canada accepte de les mettre de côté en tant que telles.  La disposition correspondante du projet de loi S-24, le paragraphe 19(1), autorise le gouverneur en conseil à modifier l’annexe du projet de loi, par décret, pour y faire mention des terres qui font l’objet d’une entente à cet effet entre les Mohawks de Kanesatake et le Canada.  En vertu de cette disposition, toute acquisition future de terres par Kanesatake ne devra pas nécessairement être visée par l’Entente ou par le projet de loi, ce qui donnera la possibilité aux Mohawks de Kanesatake d’acheter des terres qui ne sont pas des terres visées au paragraphe 91(24) ou assujetties aux lois des Mohawks de Kanesatake dont il est question à la rubrique « Administration » ci-dessous.

En vertu de l’alinéa 3(3)b) (article 8 de l’Entente), les compétences en matière de création ou de transfert des intérêts sur les terres sont maintenues en ce qui concerne le territoire provisoire.  Cela revient à dire que, sous réserve d’éventuelles négociations qui porteraient sur l’adoption d’autres modalités, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministère) conservera ses responsabilités actuelles pour tout ce qui touche notamment à la création ou au transfert d’intérêts sur les terres détenues à titre individuel par des Mohawks de Kanesatake(27). L’article 20 (article 10 de l’Entente) porte en outre que les droits et intérêts conférés relativement à toute terre du territoire provisoire sont maintenus de même que les conditions auxquelles leur exercice est assujetti.  Ainsi, en vertu du projet de loi S-24, les Mohawks de Kanesatake ne peuvent modifier les conditions des baux actuels, ni exproprier ou transférer des intérêts individuels se rattachant à la terre.

   C.  Administration

      1.  Lois des Mohawks de Kanesatake

En vertu de l’article 6 (pas d’équivalent dans l’Entente), les attributions des Mohawks de Kanesatake énoncées dans le projet de loi S-24 doivent être exercées par le conseil de la bande.  Celui-ci est actuellement composé de chefs qui sont élus de « façon coutumière », ce qui veut dire que le processus échappe aux dispositions électorales de la Loi sur les Indiens.  Comme nous l’avons vu, la collectivité est depuis longtemps divisée au sujet du choix de ses dirigeants; ce conflit interne, faute d’être résolu, risquerait d’ailleurs de compromettre la capacité du conseil d’exercer effectivement sa compétence.  Le gouvernement fédéral a adopté pour position de traiter avec les élus de Kanesatake et il estime que les différends relatifs au leadership doivent être réglés par la collectivité ou devant les tribunaux.

Le paragraphe 7(1) du projet de loi S-24 (article 21 de l’Entente) met en œuvre une disposition essentielle de l’Entente qui contient une liste partielle des domaines dans lesquels les Mohawks de Kanesatake peuvent légiférer « en matière d’utilisation et de mise en valeur » de leur territoire provisoire.   Il convient ici de souligner que, l’assise territoriale n’étant pas une « réserve », les lois des Mohawks ne pourront pas être annulées par le Ministre comme peuvent l’être les règlements administratifs prévus dans la Loi sur les Indiens.   La plupart des 11 domaines énumérés au paragraphe 7(1) sont semblables aux domaines équivalents énumérés à l’article 81(28) de la Loi sur les Indiens – qui en comprend un plus grand nombre – sur l’adoption de règlements administratifs, notamment : la santé et la qualité de vie des personnes; la gestion des ressources fauniques; le respect de la loi et le maintien de l’ordre; la prévention des intrusions; le statut de résidant; la construction et les aspects associés aux ouvrages de nature locale et aux bâtiments; le zonage et la réglementation de la circulation.  Deux autres domaines, qui ne figurent pas à l’article 81 de la Loi sur les Indiens, sont la protection contre les incendies ainsi que la gestion des déchets et la salubrité publique.  Le pouvoir de légiférer contre toute utilisation indésirable ou néfaste des terres est particulièrement important au vu des tentatives passées d’ouvrir une décharge publique sur les terres de Kanesatake.

En vertu de l’article 7(2) (article 36 de l’Entente), les compétences de Kanesatake incluent le pouvoir de créer des infractions punissables par procédure sommaire et de prévoir des peines connexes en cas d’infraction aux lois mohawks de Kanesatake.  Les sanctions ne peuvent toutefois être supérieures à celles prévues au paragraphe 787(1) du Code criminel, soit une amende de 2 000 $ ou six mois d’emprisonnement ou les deux peines.   Le paragraphe 7(2) autorise également l’application de peines inspirées de la « justice réparatrice » comme la restitution des biens volés ou le service communautaire.  Le projet de loi S-24 ne concède aucune compétence aux Mohawks de Kanesatake en matière de droit pénal, qui continue de relever exclusivement du gouvernement fédéral.

      2.  Relations entre les lois

Les paragraphes 17(1) et (2) projet de loi S-24 (articles 43 et 44 de l’Entente) sont destinés à reproduire, à Kanesatake, la situation qui existe sur les réserves relativement à l’application des lois provinciales et des règlements municipaux.

Selon l’interprétation qu’ont donnée les tribunaux de l’article 88 de la Loi sur les Indiens, les lois provinciales d’application générale qui normalement ne s’appliqueraient pas peuvent, en fait, s’appliquer aux Indiens vivant sur des terres de réserve(29), sous réserve des dispositions de quelque traité ou quelque autre loi fédérale et sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la Loi sur les Indiens ou lesinstruments en découlant.  De plus, elles ne doivent pas porter sur des aspects déjà visés par cette dernière loi.

Comme les terres faisant partie de l’assise territoriale provisoire n’ont pas le statut de réserve et ne sont pas assujetties à l’article 88 de la Loi sur les Indiens, le projet de loi S-24 introduit une disposition analogue qui est propre à Kanesatake.  En vertu du paragraphe 17(1), ni les lois provinciales visées par l’article 88, ni les règlements municipaux ne peuvent l’emporter sur les dispositions incompatibles du projet de loi S-24 et des lois de Kanesatake, ou s’appliquer s’ils portent sur des questions régies par les dispositions du projet de loi ou leurs textes d’application.  Le fait de mentionner l’incompatibilité des règlements municipaux au paragraphe 17(1) concorde avec la position juridique relative aux terres de réserve en ce sens que les règlements municipaux relatifs à des terres ne sont généralement pas applicables à une réserve.

S’agissant de la relation entre d’autres lois provinciales qui ne sont pas visées par l’article 88 – mais qui pourraient s’appliquer automatiquement aux Indiens vivant sur une réserve – et les lois de Kanesatake, l’article 17(2) prévoit que ces dernières prévaudront en cas de conflit ou d’incompatibilité.  Le résultat est tout à fait conforme à la jurisprudence relative à la Loi sur les Indiens.

Le paragraphe 17(3) (article 45 de l’Entente) précise que la loi fédérale l’emporte sur toute loi de Kanesatake en cas d’incompatibilité ou de conflit.

      3.  Conditions relatives à l’exercice de la compétence

         a.  Code foncier

Le paragraphe 9(1) (article 20 de l’Entente) porte qu’avant d’adopter toute loi, les Mohawks de Kanesatake doivent se doter d’un « code foncier » (le code) pour régir l’exercice de leur compétence en vertu de l’article 7.  Selon le paragraphe 9(2), le code doit prévoir au moins : la filière législative ainsi que les processus d’évaluation et d’approbation des projets d’utilisation ou de mise en valeur des terres; les règles applicables en matière de responsabilité du conseil devant les membres de la bande, notamment les règles applicables en matière de conflits d’intérêts; les voies de recours et d’appel relativement aux mesures prises par le conseil; la procédure de modification du code.  Les Mohawks de Kanesatake ont adopté le code exigé en même temps qu’ils ont ratifié l’Entente, le 14 octobre 2000.

L’exigence, prévue au paragraphe 9(2), que le code établisse un processus d’approbation des projets d’utilisation des terres est renforcée par une autre condition préalable énoncée à l’article 10 (article 24 de l’Entente).  Celui-ci prévoit qu’avant d’entreprendre toute démarche pouvant mener à l’autorisation d’un projet d’utilisation de terres susceptible d’avoir des répercussions environnementales néfastes (comme une activité commerciale ou industrielle pouvant porter atteinte à l’environnement, ou encore l’entreposage ou le transport de marchandises dangereuses et l’élimination de déchets), les Mohawks de Kanesatake devront adopter un plan énonçant les orientations générales relatives à l’utilisation des terres pour la totalité du territoire provisoire(30). Le paragraphe 9(2) et l’article 10 ont pour objet d’empêcher la prise de décisions ponctuelles relatives aux propositions énumérées d’utilisation de terres qui peuvent être dangereuses.  Aucune de ces deux dispositions n’exige explicitement que les propositions soient conformes au cadre de politique pour l’utilisation des terres.

         b.  Réserve Doncaster nº 17

Le projet de loi S-24 tient compte des caractéristiques particulières de la réserve Doncaster nº 17 (la réserve) au moyen de dispositions relatives à l’exercice de la compétence des Mohawks de Kanesatake dans ce secteur.  Comme nous l’avons vu, la réserve a été attribuée conjointement à Kanesatake et à Kahnawake et, bien qu’elle fasse partie de l’assise territoriale provisoire, l’Entente (article 16) lui conserve explicitement son statut de « réserve » au titre de la Loi sur les Indiens.   Cela étant, le paragraphe 8(1) (article 15 de l’Entente) interdit aux Mohawks de Kanesatake d’adopter des lois concernant la réserve sauf si 1) une entente est intervenue avec les Mohawks de Kahnawake (p. ex. pour diviser la réserve et répartir les compétences en fonction de la part de chaque collectivité) et si 2) le Canada convient de mettre l’entente en œuvre.  Cette dernière exigence reconnaît que l’intervention du gouvernement fédéral peut être nécessaire pour répartir les intérêts au sein de la réserve.  Selon les fonctionnaires du Ministère, il ne faut pas s’attendre, dans un proche avenir, à ce qu’une entente au sens de l’article 8(31) intervienne entre les Mohawks de Kanesatake et ceux de Kahnawake.

         c.  Harmonisation des lois

Le paragraphe 2(1) définit le terme « terres mohawks avoisinantes » (terres avoisinantes) comme étant les terres situées dans les secteurs de l’annexe B de l’Entente, dans la région connue sous le nom de « village d’Oka »(32) (l’annexe C de l’Entente, portant sur l’harmonisation, définit ces terres comme des « terres adjacentes »).  Cette description s’applique aux 57 propriétés mohawks qui, même si elles sont incluses dans l’assise territoriale provisoire en tant que « terres indiennes nº 16 »(33), sont séparées par des propriétés n’appartenant pas à des Mohawks.  Les terres avoisinantes se trouvent dans trois secteurs.  L’annexe B, dont il est question au paragraphe 2(1), énonce une série d’utilisations autorisées, de normes d’utilisation des terres et de dimensions pour chaque secteur qui sont conformes à celles du règlement municipal d’Oka.  Par exemple, il est permis de construire des maisons détachées unifamiliales dans les trois secteurs, tandis que la construction d’établissements commerciaux et de postes d’essence n’est autorisée que dans le secteur 3.

Les articles 12 et 13 du projet de loi (articles 29 à 32 et annexe C de l’Entente) mettent en œuvre un autre élément important de l’Entente.  Ils énoncent en effet des règles particulières applicables aux terres avoisinantes, règles qui reflètent à la fois l’entremêlement de ces terres avec des propriétés qui relèvent de la municipalité d’Oka et le fait que le Canada n’a pas d’autorité pour imposer d’obligations à Oka(34).

En vertu de l’article 12, l’utilisation actuelle des terres et les normes existantes d’utilisation des terres ne peuvent être modifiées pour les terres avoisinantes jusqu’à ce que les Mohawks de Kanesatake aient adopté des lois pour ces secteurs.  Les modifications à l’utilisation actuelle des terres et aux bâtiments existants peuvent être apportées avant l’adoption de telles lois si elles sont conformes aux normes énoncées à l’annexe B pour le secteur en question.  Le paragraphe 13(1) vise à promouvoir la mise en valeur compatible de propriétés voisines appartenant et n’appartenant pas aux Mohawks.  Pour cela, il exige que Kanesatake conclue des ententes d’harmonisation avec la municipalité d’Oka avant d’adopter une loi en vertu de laquelle l’utilisation des terres ou les normes d’utilisation des terres pour tout secteur de terres avoisinantes seraient « sensiblement différentes » des conditions prévues à l’annexe B.  Le paragraphe 13(2) précise les questions générales essentielles dont doivent traiter, au minimum, de telles ententes – telles que « les obligations qu’acceptent de remplir les parties l’une envers l’autre » et le « mécanisme de règlement des différends » – mais il ne définit pas d’obligations ni de modalités particulières pour les parties intéressées.  D’après les documents du Ministère, Kanesatake et Oka sont en train de négocier une telle entente d’harmonisation.

Les paragraphes 13(3) et (4) énoncent les circonstances dans lesquelles les Mohawks ne seraient pas tenus de se plier à des exigences d’harmonisation.  En vertu du paragraphe 13(3), ils peuvent édicter des lois portant sur l’utilisation des terres ou les normes d’utilisation des terres pour les terres avoisinantes si : 1) avant de conclure une entente et 2) sans y être obligée en vertu d’une loi provinciale, la Ville d’Oka modifie unilatéralement ses règlements pour autoriser des utilisations ou des normes, dans tout secteur, qui diffèrent sensiblement de ce qui est énoncé à l’annexe B.

Le paragraphe 13(4) autorise par ailleurs les Mohawks de Kanesatake à légiférer en ce qui a trait aux secteurs prévus à l’annexe B, malgré les conditions contenues dans une éventuelle entente d’harmonisation, si la municipalité d’Oka, sans l’accord des Mohawks de Kanesatake, devait 1) unilatéralement modifier ou abroger un règlement municipal, en violation de ses obligations et sans y être tenue en vertu d’une loi provinciale, ou 2) tolérer l’utilisation de toute propriété, située sur son territoire, qui irait à l’encontre d’un de ses règlements sur l’utilisation des terres ou les normes d’utilisation des terres et que cela « porte atteinte de façon importante » aux intérêts de tout occupant des terres avoisinantes.

Le projet de loi S-24 ne traite pas de l’effet qu’aurait sur les obligations de Kanesatake l’adoption par la municipalité d’Oka d’un règlement qui serait exigé par la loi provinciale et qui irait à l’encontre de l’entente d’harmonisation.

      4.  Protection de l’environnement

En général, les lois fédérales relatives à l’environnement s’appliquent aux terres de réserve et les lois provinciales analogues, non.  Le même régime juridique s’appliquera à l’assise territoriale provisoire.  L’article 11 (articles 25 et 26 de l’Entente) traite de l’absence de normes fédérales dans un secteur donné et prévoit que les lois des Mohawks de Kanesatake – ou toute mesure adoptée par le conseil relativement à ce secteur – devront être au moins aussi rigoureuses, sinon davantage, que les normes provinciales pertinentes.  Il s’agit de réduire autant que possible les disparités entre les régimes de protection environnementale applicables aux propriétés voisines des mohawks et des autres propriétaires à Oka.   Le paragraphe 11(2) garantit que la loi fédérale sur l’évaluation environnementale s’appliquera à l’assise territoriale provisoire.

      5.  Application de la loi

Le paragraphe 15(1) (article 41 de l’Entente) donne le pouvoir aux Mohawks de Kanesatake d’engager des poursuites, devant « tout tribunal compétent », pour réprimer les infractions à leurs lois.  Les tribunaux compétents comprennent non seulement les cours provinciales et supérieure du Québec, mais aussi tout tribunal où siègent des juges de paix nommés par les Mohawks de Kanesatake conformément à l’article 16 et autorisés à faire appliquer les lois de Kanesatake.   Aux termes de l’article 16 (articles 37 à 39 de l’Entente), Kanesatake « peut » nommer des juges de paix pour assurer l’application adéquate de ses lois, mais uniquement en conformité avec une entente conclue préalablement avec le Canada, portant sur les conditions selon lesquelles les juges nommés s’acquittent de leurs fonctions, soit leurs titres de compétence, leur compétence, leur indépendance, leur supervision, leur sécurité et leurs rapports avec le système de justice en place.  Comme l’administration de la justice relève du gouvernement provincial, le Québec prend forcément part aux discussions portant sur ce sujet.  Les fonctionnaires du Ministère nous ont confirmé que des négociations tripartites avaient déjà commencé.

   D.  Autres

L’article 5 du projet de loi S-24 (article 19 de l’Entente) dispose que les Mohawks de Kanesatake, définis au paragraphe 2(1) comme étant la « bande » connue sous ce nom, ont la capacité juridique d’une personne physique et peuvent dès lors acquérir des biens, emprunter, dépenser et investir, participer à des procédures juridiques et ainsi de suite.   La Loi sur les Indiens ne renferme aucune disposition du même genre, ce qui laisse planer une certaine incertitude quant au statut et à la capacité juridiques précis des « bandes indiennes » régies par cette loi, comme divers litiges ont pu le prouver à l’occasion.  On retrouve souvent des dispositions explicites, semblables à l’article 5, dans les lois contemporaines qui visent les collectivités des Premières Nations(35).

L’article 14 (article 34 de l’Entente) exige que toute construction sur le territoire provisoire respecte des normes minimales, notamment celles contenues dans le Code national du bâtiment de 1995.

L’article 21 (article 18 de l’Entente) traite de l’application de la Loi sur l’arpentage des terres du Canada en ce qui concerne le territoire provisoire.  Le paragraphe 29(3) de cette loi dispose que l’arpenteur en chef doit ratifier les plans qui, de son avis, ont été correctement établis et satisfont le ministre concerné.  S’agissant de l’article 21, les plans doivent satisfaire le conseil plutôt que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre).

Les articles 22 et 23 (pas d’équivalent dans l’Entente) exigent que le Ministre et le conseil conservent et mettent à la disposition du public, pour consultation, des copies de l’Entente, de l’accord de gestion foncière et de l’entente relative aux juges de paix à Kanesatake, à la bibliothèque du Ministère et au bureau du conseil.  Par ailleurs, le conseil doit conserver une copie du code foncier ainsi que toute modification apportée à ce dernier.

COMMENTAIRE

Après le dépôt du projet de loi S-24, le 27 mars dernier, nous n’avons noté aucune réaction du public.  La ratification et la conclusion de l’Entente en octobre et en décembre 2000 avaient toutefois donné lieu à des réactions.

En octobre, le vote de ratification serré a fait ressortir le désaccord qui règne parmi les Mohawks de Kanesatake quant au caractère positif de l’Entente.  Les opposants auraient qualifié le processus de ratification d’imparfait et de précipité; ils ont estimé ne pas avoir vraiment eu l’occasion de discuter du bien-fondé de l’Entente et ont exprimé des réserves au sujet de la portée des pouvoirs qu’elle confère au conseil.  Après la signature officielle du document en décembre, il semblerait que certains particuliers et des porte-parole de la Longhouse aient formulé des doutes sur la capacité du conseil et de la société de développement mohawk – où siègent des membres du conseil – de représenter adéquatement la collectivité sur les questions relatives aux terres abordées dans l’Entente.  Certains se seraient même déclarés prêts à continuer à lutter contre l’Entente.

Selon la presse, le grand chef James Gabriel, tout en reconnaissant la campagne active menée contre l’Entente, a soutenu que le processus de consultation qui a mené à sa ratification et l’information communiquée aux membres de la collectivité avant le vote avaient été suffisants.

Comme nous l’avons vu, le Ministère traite avec les chefs élus de Kanesatake, préférant ne pas se mêler des différends internes relatifs au leadership.  Selon les documents du Ministère, l’opposition à Kanesatake porte davantage sur des questions de processus et de leadership que sur l’Entente elle-même.  Le Ministère décrit le processus d’information et de consultation qui a eu lieu avant la ratification et note qu’après le vote, le conseil a répondu aux critiques de la collectivité en commandant un examen judiciaire indépendant du processus de ratification et du scrutin.  Selon cet examen, le processus était exhaustif et le dépouillement du scrutin, précis.

Les documents du Ministère font ressortir le fait que l’Entente répond non seulement aux préoccupations des Mohawks de Kanesatake relativement aux problèmes qu’ils ont connus en ce qui a trait au territoire, mais aussi à ceux de la municipalité d’Oka et de la province de Québec quant au statut juridique des terres mohawks de Kanesatake et au régime juridique qui leur est applicable.  Les mêmes documents précisent que l’appui apporté par la municipalité d’Oka à l’Entente et sa participation active aux négociations sur l’harmonisation témoignent d’un plus grand optimisme et d’une meilleure collaboration dans ce domaine.  Ils soulignent le fait que l’Entente est une étape provisoire déterminante d’un processus à long terme destiné à régler les griefs fonciers et les questions de gouvernement en suspens de Kanesatake.

Dans l’ensemble, les positions décrites dans les paragraphes qui précèdent ont été exposées par les témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et devant le Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles de la Chambre des communes durant leur étude du projet de loi S-24.  Ont témoigné en faveur du projet de loi le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Robert Nault; le grand chef James Gabriel, accompagné du négociateur principal et du conseiller juridique mohawks; et le maire de la ville d’Oka, Yvan Patry.  Les membres de la communauté de Kanesatake qui ont témoigné contre le projet de loi étaient les traditionalistes Ellen Gabriel, Pearl Bonspille et Steve Bonspille, lesquels ont affirmé que la majorité des habitants de Kanesatake sont, comme eux, contre l’Entente et contre le projet de loi.  Pierre Goyette, un résidant non autochtone d’Oka, s’est dit contre l’application du projet de loi à l’intérieur du village d’Oka parce que, selon lui, il en résulterait des problèmes de compétence.

La signature de l’Entente, en décembre 2000, a été suivie de rapports indiquant que le ministre québécois des Affaires autochtones souhaitait obtenir des précisions sur la question de savoir si les lois provinciales ou celles de Kanesatake s’appliqueraient au territoire provisoire.   Les documents du Ministère indiquent que, jusqu’ici, l’Entente bénéficie de l’appui général du Québec.  Le gouvernement du Québec n’a pas demandé à être entendu durant les audiences des comités du Sénat et de la Chambre des communes chargés d’étudier le projet de loi S-24.


*   Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur.  Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

+   Dans la version française, le projet de loi utilise le terme « territoire provisoire » et l’Entente, le terme « assise territoriale provisoire » pour rendre le terme anglais « interim land base ».  Dans le présent résumé législatif, les deux termes sont utilisés indifféremment.

(1)   Le présent résumé législatif a retenu la graphie utilisée dans l’Entente et dans le projet de loi : « Kanesatake ».  « Kanehsatake » et « Kanehsatà:ke » sont également utilisées et peuvent jouir de la préférence de membres de la collectivité.

(2) L’historique du projet de loi donne un compte rendu de toutes les étapes de l’adoption du projet de loi au Sénat et à la Chambre des communes.

(3)  Voir aussi La revendication territoriale à Oka, Étude générale BP-235F, préparée par Wendy Moss et Peter Niemczak en septembre 1990, qu’on peut obtenir de la Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement.

(4)  On trouvera une fiche d’information du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sur les Mohawks de Kanesatake (emplacement, superficie, population) à l’annexe 1 ou sur le site du Ministère à l’adresse
http://www.ainc-inac.gc.ca/qc/gui/kanesatake_f.html.

(5)  Voir, par exemple, Oka-Kanehsatake – Été 1990 : Le choc collectif, Rapport de la Commission des droits de la personne du Québec (CDPQ), avril 1991, p. 74.

(6)  Richard Daniel, Le règlement des revendications des Autochtones au Canada, 1867-1979, Direction de la recherche, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, 1981 (E98 C6 D35).

(7)  En 1735, une deuxième concession a permis d’agrandir l’assise territoriale d’origine.

(8)  Jusqu’en 1949, le Conseil privé a été la plus haute cour d’appel au Canada.

(9)  Corinthe et al. c. Seminary of St. Sulpice (1912), 5 D.L.R. 263.

(10)   L’intervention du fédéral n’a pas, non plus, interrompu le transfert des propriétés disputées.  Ainsi, en 1947, Oka a acquis une partie des « terres communes » de la Seigneurie dont l’origine remonte à l’époque de la colonie du XVIIIe siècle.

(11)   Les revendications territoriales globales partent du principe qu’il s’agit de droits autochtones continus et que les titres n’ont pas été cédés par voie de traité ni par d’autre moyen légal.

(12)   Les revendications territoriales particulières découlent d’allégations de non-respect des obligations légales ou issues de traités, ou encore d’une accusation de mauvaise administration des terres ou d’autres actifs en vertu de la Loi sur les Indiens ou d’autres ententes officielles.

(13)   Le différend portait sur une terre privée.  La municipalité d’Oka voulait exercer son option d’achat sur ce terrain afin de le louer ensuite au club de golf local.  Les terres faisaient partie du « territoire commun » et donnaient aussi accès au cimetière mohawk, dans la « Pinède ».

(14)   CDPQ, note 4, p. 62.  Une carte actuelle est fournie à l’annexe 2 du présent document.

(15)   Comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes, L’été de 1990, mai 1991, p. 7.

(16)   Ibid., p. 12.

(17)   Le programme et le processus des négociations avec la collectivité de Kanesatake ont été conclus en mars 1991.

(18)   Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, « Réponse aux recommandations du comité permanent », 4 octobre 1991.

(19)   Les achats effectués après la Crise d’Oka sont les suivants : 235 hectares (581,27 acres) à l’ouest d’Oka; 74 propriétés, dont presque toutes étaient entourées par des terres des Mohawks de Kanesatake, 1,233 hectares (3,048 acres) dans la « Pinède », soit la terre qui est le plus directement associée à la crise de 1990, et une maison de soins infirmiers appelée La Maisonnée.

(20)   Société de développement portant le nom de Kanesatake Orihwa’shon.

(21)   Oka (Municipalité) c. Simon, [1999] vol. 2 Canadian Native Law Reporter no 1.  En 1999, la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre cette décision en appel.

(22)   Dans sa forme actuelle, le processus des négociations continues, plus global, entre Kanesatake et Ottawa, comprend une série de « tables » : la table de la Seigneurie et de l’assise territoriale, qui comprend le groupe de travail sur l’assise territoriale dont le mandat a été réalisé en partie avec la conclusion de l’Entente; la table de développement social; la table de développement économique; et la table du maintien de la paix et de la justice.

(23)   Cette loi autorisait le commissaire des terres de la Couronne à mettre de côté et à administrer des régions dans le Bas Canada d’une superficie totale qui ne devait pas dépasser 230 000 acres, pour les mettre à la disposition des bandes indiennes.

(24)   Le gouvernement fédéral n’estime pas que l’Entente est un accord d’autonomie gouvernementale global aux termes de sa politique de 1995 qui reconnaît le droit inhérent des Autochtones à l’autonomie gouvernementale. Voir L’approche du gouvernement du Canada confirmant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie, Ottawa, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, 1995.  On peut consulter ce document en ligne sur le site du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, à l’adresse http://www.ainc-inac.gc.ca/pr/pub/sg/plcy_f.html.

(25)   Normalement, les dispositions non dérogatoires prévoient que la loi ne doit pas être interprétée comme modifiant des droits issus de traités ou des droits ancestraux, ou comme dérogeant à ces droits ou portant atteinte à la protection garantie par ces droits, en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; voir, par exemple, la Loi sur l’autonomie gouvernementale de la bande indienne de Sechelt, L.C. 1986, ch. 27 [L.R.C. 1985, ch. S-6.6] (art. 3).

(26)   Le cas de la réserve Doncaster nº 17 est étudié plus à fond à la rubrique « Conditions relatives à l’exercice de la compétence ».

(27)   Selon l’article 20 de la Loi sur les Indiens, le ministre des Affaires indiennes délivre des « certificats de possession » en tant que preuve du droit des membres d’une Première Nation de posséder la terre de réserve qui leur a été cédée par le conseil de la collectivité.  Dans le cas des terres mohawks de Kanesatake, l’administration fédérale a émis des « lettres d’Oka » du même genre. Cela revient à dire que la gestion, par le Ministre, des intérêts relatifs à ces terres, s’apparente à la gestion des intérêts sur les réserves visées par la Loi sur les Indiens.

(28)   Les articles 83 et 85.1 de la Loi sur les Indiens autorisent aussi les conseils régis par la Loi à adopter des règlements administratifs sur diverses questions de nature financière et sur les boissons alcoolisées. Ni l’Entente ni le projet de loi S-24 ne renferment de disposition permettant aux Mohawks de Kanesatake d’adopter des lois dans ces domaines.

(29)   Ce mécanisme est appelé « incorporation par renvoi ».

(30)   Selon le paragraphe 19(2) (article 24 de l’Entente), les révisions apportées à un plan d’utilisation des terres doivent nécessairement tenir compte des autres terres ajoutées à l’annexe du projet de loi.

(31)   En vertu du paragraphe 8(2), si une loi éventuelle de Kanesatake applicable à la réserve reprend une des dispositions de la Loi sur les Indiens, cette dernière ne s’applique pas aux Mohawks de Kanesatake, ni à titre individuel ni à titre collectif.

(32)   L’ancien village d’Oka et l’ancienne paroisse d’Oka ont été fusionnées en 1999 et font maintenant partie de la municipalité d’Oka.

(33)   Voir l’article 29 de l’Entente.

(34)   En vertu de la division constitutionnelle des pouvoirs, les municipalités relèvent de la compétence provinciale.

(35)   Voir, par exemple, le paragraphe 18(2) de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations, L.C. 1999, ch. 24.