Direction de la recherche parlementaire


MR-102F

 

LES LOIS SUR LES DROITS DE DE LA PERSONNE
AU CANADA ET LA CHARTE : GUIDE COMPARATIF

 

Rédaction  Nancy Holmes
Division du droit et du gouvernement

Le 13 octobre 1992
Révisé le 18 septembre 1997

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LES LOIS SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

CONCLUSIONS


LES LOIS SUR LES DROITS DE LA PERSONNE AU CANADA
ET LA CHARTE : GUIDE COMPARATIF

INTRODUCTION

Comme le régime fédéral de gouvernement qui existe au Canada prévoit le partage des pouvoirs de légiférer, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux et territoriaux ont promulgué des lois sur les droits de la personne. De plus, en 1982, les droits de la personne ont été inscrits dans la Constitution au moyen de la Charte canadienne des droits et libertés. L'adoption de la Charte n'a pas cependant supprimé la nécessité de codes relatifs aux droits de la personne inscrits dans les lois ni diminué l'importance de tels codes. Au contraire, elle a servi à donner un caractère quasi constitutionnel aux lois sur les droits de la personne.

Dans le présent document, nous comparons les dispositions des lois canadiennes sur les droits de la personne aux droits à l'égalité garantis par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette comparaison a pour but de faire ressortir certaines des différences pratiques qui existent entre deux formes uniques de lois antidiscriminatoires au Canada.

LES LOIS SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

Les « droits de la personne » ne sont pas un pouvoir mentionné expressément dans la Constitution; il existe toutefois certains pouvoirs en vertu desquels les deux paliers de gouvernement peuvent légiférer dans ce domaine. Ainsi, en vertu du pouvoir d'assurer « la paix, l'ordre et le bon gouvernement », prévu à l'article 91, ou en vertu de la compétence sur « la propriété et les droits civils » accordée aux provinces par l'article 92, les assemblées législatives fédérale et provinciales ont adopté des lois antidiscriminatoires. La Loi canadienne sur les droits de la personne qu'a adoptée le gouvernement fédéral s'applique aux ministères et organismes fédéraux, aux sociétés d’État et aux entreprises sous réglementation fédérale (banques, transports et radiodiffusion).

Même s'il existe une certaine diversité d'un gouvernement à l'autre, les principes et les mécanismes d'application des lois sur les droits de la personne sont essentiellement les mêmes. Chaque loi interdit la discrimination pour des motifs précis tels que la race, le sexe, l'âge, la religion ainsi que dans le contexte de l'emploi, du logement et des services à caractère public. L'administration des droits de la personne est basée sur la dénonciation, puisqu'une plainte pour motif de discrimination doit être portée à l'attention d'une commission ou d'un conseil des droits de la personne soit par une personne qui croit avoir été victime de discrimination, soit par la commission elle-même sur la foi d'une enquête qu'elle a elle-même menée. Si une plainte se révèle fondée, la commission tente généralement un effort de conciliation entre le plaignant et le répondant. Lorsque la conciliation échoue, un tribunal peut être saisi de l'affaire et appelé à rendre une décision exécutoire. Outre leurs fonctions administratives, les commissions des droits de la personne sont chargées de faire de la promotion et de l'éducation en matière de droits de la personne.

Les tribunaux des droits de la personne au palier fédéral sont constitués des membres d'un Comité des droits de la personne, qui est indépendant de la Commission et dont les membres sont nommés par le gouverneur en conseil. Contrairement aux cours, les tribunaux des droits de la personne sont des organismes spécialisés qui possèdent de vastes pouvoirs leur permettant de concevoir des remèdes aux problèmes sociaux particuliers qui sous-tendent une plainte de discrimination.

Il y a énormément de chevauchements entre les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte et ceux que prévoient les lois fédérale, provinciales et territoriales sur les droits de la personne. Les décisions rendues jusqu’à présent par les cours et les tribunaux dans ce domaine donnent à penser que toutes ces lois antidiscriminatoires reposent sur la même philosophie et qu’elles se chevauchent à bien des égards. Il faut cependant garder certaines distinctions à l’esprit lorsqu’on traite de cas individuels.

LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

Sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits de la personne et les libertés fondamentales ont acquis une importance juridique accrue grâce à la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle enchasse ces droits et libertés dans la loi fondamentale du pays. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 dit en effet expressément que « [la] Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit ».

L'article 15 de la Charte garantit les droits à l'égalité. Bien que la Charte soit entrée en vigueur en 1982, l'article 15 n'a pris effet qu'en 1985. Ce délai de trois ans s'explique par le fait que l'on voulait donner suffisamment de temps aux gouvernements fédéral et provinciaux pour réexaminer leurs corpus législatifs et les modifier au besoin afin de les rendre conformes aux prescriptions de l'article 15. On se doutait en effet que l’article 15 serait sans doute l'un de ceux qui entraînerait le plus de conséquences; mais on avait omis de tenir compte du fait que, jusqu'à ce que des causes aient effectivement été portées jusqu'en Cour suprême du Canada, il n'existerait guère d'opinion éclairée quant à la portée réelle des droits à l'égalité garantis par la Charte. Bien qu’on n’ait pas encore statué de façon définitive sur la portée de l’article 15, il est intéressant de noter que la Cour suprême du Canada a accordé jusqu’ici un poids considérable à la jurisprudence fédérale et provinciale en matière de droits de la personne dans l’interprétation qu’elle a donnée de la discrimination aux termes de la Charte (voir, par exemple, Andrews c. Law Society (British Columbia), [1989] 1 R.C.S. 143).

Le paragraphe 15(1) de la Charte se lit comme suit :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Bien qu'elle soit équivalente aux listes semblables que renferment la plupart des lois sur les droits de la personne, la liste des motifs de discrimination interdits qui figure à l'article 15 de la Charte comprend implicitement des motifs de discrimination analogues à ceux qui y sont explicitement énoncés. Les listes des motifs énumérés dans les lois sur les droits de la personne se veulent au contraire exhaustives.

Il existe toutefois certaines limites à la portée des garanties offertes par la Charte. Premièrement, la Charte ne s'applique qu'aux relations entre les gouvernements et le public. L'article 32 dispose que la Charte s'applique au Parlement fédéral et aux législatures provinciales ainsi qu'aux gouvernements fédéral et provinciaux. La Charte ne régit donc pas généralement les actes privés des personnes ou des entreprises; son influence peut quand même se faire sentir jusque dans ce domaine, par exemple par le biais de l'interprétation que les tribunaux font des codes des droits de la personne. (Voir, par exemple, la partie 3 des conclusions.)

Deuxièmement, l'article premier de la Charte stipule que tous les droits et libertés garantis par la Charte « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». Cela signifie qu'une fois qu'il a été établi qu'un droit garanti par la Charte a été violé, les tribunaux doivent déterminer si la violation peut être considérée comme légitime. Cela exige de la part des tribunaux qu’ils se livrent à un exercice d'équilibre hautement discrétionnaire afin de déterminer si les objectifs discriminatoires du gouvernement l'emportent sur les droits du plaignant. Les tribunaux doivent se livrer à un exercice analogue lorsqu'ils portent des jugements relativement aux lois sur les droits de la personne, puisque celles-ci admettent la possibilité d’une exigence professionnelle justifiée qui, par ailleurs, serait jugée discriminatoire. Dans ce cas, les tribunaux des droits de la personne doivent rendre leurs décisions sur la foi de la preuve qui leur a été présentée.

Enfin, en ce qui concerne les réparations auxquelles la Charte donne lieu, une personne ou un groupe de personnes peut, comme il a été dit plus haut, contester le bien-fondé d'une loi en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel stipule qu'une loi est frappée d'inopérabilité dans la mesure où elle est incompatible avec les dispositions de la Charte. L'article 52 permet à quiconque de porter une contestation de ce genre devant les tribunaux. De plus, si une personne ou un groupe de personnes a été victime de la violation de l'un quelconque des droits qui lui sont garantis par la Charte, cette personne ou ce groupe peut demander réparation de ce préjudice en vertu du paragraphe 24(1), lequel prévoit que quiconque peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation convenable lorsqu'il s'estime victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la Charte. L'article 24 de la Charte a une portée extrêmement vaste dans la mesure où tout type de réparation adapté aux cas, aussi inédit soit-il, peut être jugé « convenable et juste eu égard aux circonstances ». Pour leur part, bien qu'ils aient généralement des pouvoirs de redressement étendus, les tribunaux des droits de la personne ne peuvent prendre que les mesures que prévoit la loi qui les régit.

CONCLUSIONS

  1. Les commissions des droits de la personne, qui garantissent les droits à l’égalité, sont essentiellement autonomes, en ce sens qu’on ne peut soumettre directement des cas de discrimination aux tribunaux. Dans l’affaire Bhadauria c. Board of Governors of Seneca College, [1981] 2 R.C.S. 183, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que la grande portée des lois sur les droits de la personne, dans leurs aspects administratifs et judiciaires, témoigne clairement de l’intention de limiter l’application de leurs dispositions antidiscriminatoires aux mesures prévues par la loi elle-même et de n’accorder aucune responsabilité additionnelle aux tribunaux.

  1. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique à l'ensemble des lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux ainsi qu'à toute mesure gouvernementale, quelle qu'elle soit. En revanche, les lois sur les droits de la personne interdisent les pratiques discriminatoires dans les secteurs public et privé, mais seulement en ce qui a trait à certaines activités économiques comme l'emploi et les services et l'hébergement accessibles au public. Par conséquent, il y a chevauchement entre les lois sur les droits de la personne et la Charte lorsqu'il peut être démontré que la pratique discriminatoire résulte d'un geste gouvernemental dans le domaine de l'emploi ou de la prestation de services, d'installations ou d'hébergement.

Exemples :

  1. Le propriétaire d'un immeuble de rapport à Vancouver refuse de louer un appartement à un autochtone. Le Conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique devrait être saisi d'une plainte émanant d'un particulier; un tel recours n'est sanctionné ni par la loi, ni par le gouvernement. Étant donné que la location d'un appartement privé est du ressort des autorités provinciales, le recours consiste à s'adresser à la commission provinciale des droits de la personne et non à la commission fédérale.

  2. Dans l'affaire Blainey c. Ontario Hockey Association (1986), 26 D.L.R. (4th) 728 (C.A. Ont.) (pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejeté), une athlète de douze ans a contesté le paragraphe 19(2) du Code des droits de la personne de l'Ontario, en vertu duquel les organisations de sport ne peuvent déposer de plainte de discrimination fondée sur le sexe, parce qu'elle alléguait que la disposition violait son droit à l'égalité en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour a statué que le paragraphe 19(2) était incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte et, en application de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, l'a jugé inopérant. Le paragraphe a subséquemment été abrogé. Cet exemple montre que la Charte peut avoir un effet sur le contenu des lois sur les droits de la personne (voir aussi la partie 3 ci-dessous).

  3. La Loi sur l'assurance-emploi prévoit certaines prestations de maternité et allocations de frais de garde pour les femmes. En tant qu'élément du corpus législatif, cette loi pourrait être contestée en vertu de la Charte; toutefois, on peut soutenir qu’une contestation pour motif de discrimination fondée sur le sexe pourrait également être présentée à la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du principe selon lequel la prestation des avantages sociaux est un service offert au public par un ministère du gouvernement fédéral.

  1. Contrairement à l'article 15 de la Charte, qui contient une liste non exhaustive des motifs de discrimination interdits, les lois sur les droits de la personne renferment une liste exhaustive des motifs de discrimination interdits, auxquels les commissions qui sont chargées d'en assurer l'application doivent limiter leur action. La ligne entre les motifs de discrimination énumérés et les motifs non énumérés dans ces lois ne semble pas toutefois très nette. Par exemple, avant juin 1996 (adoption de la loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne), la Loi canadienne sur les droits de la personne n’interdisait pas la discrimination basée sur l'orientation sexuelle. Toutefois, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Haig c. Canada (1992), 9 O.R. (3d) 495, y a fait ajouter l’ « orientation sexuelle » comme motif interdit de discrimination. La Cour a agi en se fondant sur la prémisse généralement acceptée que l’orientation sexuelle est un motif interdit de discrimination qui, bien que non énuméré, relève de l’article 15 de la Charte. Elle a par conséquent jugé que la Loi sur les droits de la personne, en ne protégeant pas les homosexuels contre la discrimination – cette omission laissant sous-entendre que la chose est acceptable – était discriminatoire envers ces membres de la société et contrevenait à l’article 15 de la Charte. Par suite de la décision Haig, la Commission canadienne des droits de la personne a accepté les plaintes de discrimination fondées sur ce motif jusqu’à ce que la loi qui la régit soit modifiée en conséquence.

  2. La loi impose un délai pour le dépôt des plaintes pour motif de discrimination en vertu de la législation sur les droits de la personne; par exemple, ce délai est d'un an dans le cas de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En revanche, il n'existe aucune limitation à cet égard en ce qui concerne la Charte.

  3. L'application de la Charte est généralement soumise au fonctionnement du système judiciaire ordinaire; en revanche, la décision d'une commission ou d'un conseil des droits de la personne qui, par exemple, a établi le bien-fondé d'une plainte de discrimination n'est applicable que par l'intermédiaire d'une procédure et de réparations extraordinaires définies dans la loi qui régit cette commission ou ce conseil. De plus, alors que l'auteur d'une plainte pour discrimination portée à l'attention d'une commission des droits de la personne n'aura habituellement pas de frais à payer pour se faire entendre, celui qui saisit un tribunal d'une plainte analogue en vertu de la Charte aura à assumer des frais juridiques.