MR-124F

LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION :
LE RAPPORT FINAL DE LA COMMISSION ROYALE

 

Rédaction  Nancy Miller Chenier
Division des affaires politiques et sociales

Le 22 avril 1994


TABLE DES MATIÈRES

PARTIE I : LES TECHNIQUES DE REPRODUCTION ET LA SOCIÉTÉ CANADIENNE

PARTIE II : CONDITIONS, TECHNIQUES ET PRATIQUES

   A.   Prévalence, facteurs de risque et prévention de l'infertilité

   B.   Méthodes de reproduction assistée

   C.   Techniques de diagnostic prénatal et génétique

   D.   Recherche sur les zygotes et les embryons humains et sur le tissu foetal

PARTIE III : RECOMMANDATIONS

PARTIE IV : ANNEXE, GLOSSAIRE ET APPENDICES

CONCLUSION

 

 


LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION :
LE RAPPORT FINAL DE LA COMMISSION ROYALE

 

En novembre 1993, la Commission royale sur les nouvelles techniques de production a fait paraître son rapport final, Un virage à prendre en douceur. Ce rapport constitue le point culminant d'une enquête lancée en octobre 1989 sur «les progrès actuels et prévisibles de la science et de la médecine en matière de nouvelles techniques de reproduction, sur le plan de leurs répercussions sur la santé et la recherche, de leurs conséquences morales, sociales, économiques et juridiques». Les deux volumes du rapport, qui compte 1 435 pages, se divisent en quatre parties et comprennent 293 recommandations.

PARTIE I: LES TECHNIQUES DE REPRODUCTION ET LA SOCIÉTÉ CANADIENNE

Les délibérations de la Commission se sont déroulées dans un cadre éthique qui donnait la priorité aux familles et aux collectivités, à l'établissement de rapports et à la prévention des conflits. L'application des techniques a été jugée par rapport à huit principes: l'autonomie individuelle, l'égalité, le respect de la vie et de la dignité humaines, la protection des personnes vulnérables, la non-commercialisation de la procréation, la bonne utilisation des ressources, l'obligation de rendre des comptes et l'équilibre entre les intérêts individuels et collectifs.

Par le biais de plusieurs enquêtes nationales, plus de 15 000 Canadiens ont participé à des entrevues personnelles, à des groupes de discussion, à des entrevues téléphoniques et à des questionnaires. Les résultats obtenus montrent que la population canadienne est très préoccupée par l'incidence des techniques, notamment leurs risques possibles pour la santé, les dilemmes d'ordre éthique que pose leur application et leurs répercussions néfastes sur des groupes particuliers comme les femmes, les enfants, les familles et les personnes handicapées.

La Commission tient à ce que toute l'information sur les techniques soit évaluée avec soin et veut que toutes les décisions au sujet de leur utilisation soient fondées sur une évaluation globale de leur innocuité, de leur efficacité, de leur coût et de leurs répercussions éthiques, juridiques et sociales. Selon elle, si l'efficacité des méthodes, des traitements ou des médicaments n'est pas établie, ces techniques doivent être offertes uniquement dans le cadre de projets de recherche rigoureusement contrôlés, et non à titre de traitement médical normal.

Les commissaires recommandent que le Parlement prenne deux mesures sans délai: modifier le Code criminel afin d'interdire certaines pratiques liées à l'utilisation des techniques de reproduction et créer un nouvel organisme de réglementation, en l'occurrence la commission nationale sur les techniques de reproduction.

PARTIE II: CONDITIONS, TECHNIQUES ET PRATIQUES

   A. Prévalence, facteurs de risque et prévention de l'infertilité

Tout en reconnaissant les dimensions sociologiques et psychologiques de l'infertilité, la Commission royale aborde l'infertilité essentiellement comme un trouble médical ayant des causes physiologiques.

Dans le rapport, l'infertilité est définie comme étant l'absence de grossesse chez les couples mariés ou cohabitant depuis au moins une ou deux années entières et qui n'ont pas eu recours à la contraception au cours de cette période. L'échantillonnage aléatoire montre que, selon cette définition, 8,5 p. 100 de la population canadienne (c'est-à-dire environ 300 000 couples) est infertile après un an et 7 p. 100 (c'est-à-dire environ 250 000 couples), après deux ans.

La Commission examine l'incidence de différents facteurs de risque sur la fertilité en se penchant sur l'incapacité de mener une grossesse à terme et de donner naissance à un enfant en santé, ainsi que sur l'incapacité de concevoir. Elle étudie notamment les facteurs de risque suivants: les maladies transmises sexuellement (qui causent environ 20 p. 100 des cas d'infertilité), le tabagisme, la procréation différée, les agents nocifs en milieu de travail et dans l'environnement, la consommation d'alcool, les troubles du comportement alimentaire, l'exercice excessif, le stress et les interventions médicales. Les commissaires recommandent l'établissement immédiat d'une stratégie pancanadienne pour sensibiliser les jeunes à l'hygiène sexuelle, former les professionnels de la santé et financer des programmes et des projets de recherche.

   B. Méthodes de reproduction assistée

Les médicaments stimulateurs de la fertilité, qui sont le traitement le plus répandu de l'infertilité, sont des hormones synthétiques mises au point pour régulariser le fonctionnement du système reproducteur. Les deux médicaments les plus couramment utilisés pour induire l'ovulation - le clomifène et la gonadotrophine de femmes ménopausées (hMG) - n'ont pas été évalués à fond avant d'être mis en circulation. L'utilisation de l'un ou de l'autre provoque des effets secondaires qui peuvent aller jusqu'à la mort.

La Commission attribue l'augmentation constatée des naissances multiples à l'utilisation des médicaments stimulateurs de la fertilité et s'interroge au sujet des risques qui en découlent pour la santé de la femme enceinte, du foetus et de l'enfant à naître, ainsi qu'au sujet des coûts qui en résultent pour le système de santé et pour la société en général. Les recommandations concernant les médicaments stimulateurs de la fertilité prévoient notamment l'exécution d'essais cliniques bien conçus, la modification du processus d'homologation des médicaments, l'élaboration de lignes directrices à l'intention des médecins qui prescrivent ces médicaments et l'amélioration du mécanisme de surveillance et de production de rapports.

Dans le cas de l'insémination assistée (IA), qui est la plus ancienne technique connue pour traiter l'infertilité, le sperme du conjoint ou d'un donneur est introduit dans l'organisme de la femme afin de féconder l'ovule. En 1991, quelque 3 400 femmes ont eu recours à l'un ou l'autre des 24 programmes d'insémination assistée offerts au Canada; il n'existe toutefois aucune donnée sur les services d'insémination assistée offerts par les omnipraticiens et les obstétriciens. On estime qu'entre 1 500 et 6 000 enfants naissent chaque année grâce à l'insémination par donneur. Les préoccupations relatives à l'insémination assistée portent surtout sur l'efficacité et les risques de la technique, les avantages et les inconvénients de la divulgation de renseignements, la commercialisation, l'accès au traitement et l'innocuité du sperme recueilli.

La fécondation in vitro (FIV), le traitement de l'infertilité qui a reçu le plus de publicité, a été pratiquée sur plusieurs milliers de femmes en 1991, mais a permis la naissance de moins de 400 enfants. Cette technique de fécondation de l'ovule à l'extérieur de l'organisme a d'abord été mise au point afin de traiter l'obturation des trompes de Fallope, mais elle est utilisée maintenant pour de nombreux autres diagnostics d'infertilité, sans que son efficacité ne soit prouvée pour ces indications. Une fois prélevés, les ovocytes peuvent être utilisés en recherche ou aux fins de manipulation de gamètes pour améliorer les chances de fécondation, être replacés dans l'organisme avant ou en même temps que le sperme, donnés à une receveuse ou fécondés en milieu de culture. Les commissaires conviennent que l'utilisation de la FIV pour d'autres indications que l'obturation des trompes de Fallope doit s'effectuer uniquement à des fins de recherche, et que tous les soins de santé doivent être abordés selon ce même concept de la médecine empirique.

   C. Techniques de diagnostic prénatal et génétique

Le diagnostic prénatal des maladies héréditaires et des anomalies congénitales se fait au moyen de tests de dépistage effectués au cours de la grossesse comme l'échographie, le dosage de l'alpha-foetoprotéine sérique maternelle, l'amniocentèse, le prélèvement de villosités choriales (PVC) et l'échographie ciblée pour dépister des anomalies foetales. De nouvelles techniques, comme l'analyse de l'ADN des cellules foetales prélevées dans le sang de la femme enceinte, le diagnostic préimplantatoire et l'imagerie par résonnance magnétique, sont en voie d'être mises au point. Selon une enquête effectuée par la Commission auprès des centres de génétique, les tests diagnostiques décèlent une anomalie congénitale ou une maladie héréditaire chez 5 p. 100 des foetus ainsi examinés; dans environ 80 p. 100 de ces cas, la grossesse est interrompue.

Les recommandations générales insistent sur la nécessité d'offrir un bon counseling, d'obtenir un consentement éclairé, de protéger la vie privée et la confidentialité, ainsi que de permettre un accès raisonnable aux techniques. La Commission juge ces techniques efficaces et peu risquées si elles sont utilisées dans des conditions normales. Elle recommande en outre le financement des essais multicentres à grande échelle pour les nouvelles techniques.

Le test prénatal peut être utilisé pour dépister certaines affections à apparition tardive comme la chorée de Huntington et la polykystose rénale de type adulte chez les familles où le père ou la mère est atteint de la maladie, puisque chaque enfant a alors 50 p. 100 de chances d'hériter du gène. La Commission estime que seuls les centres de génétique doivent être autorisés à administrer ce genre de test. Le dépistage prénatal des gènes de susceptibilité permet de déterminer si une personne présente une prédisposition génétique à certaines affections multifactorielles, par exemple de nombreux types de cancer, les maladies cardio-vasculaires et les maladies mentales. Aucun test de ce genre ne se fait actuellement au Canada, et la Commission recommande qu'ils ne soient pas offerts au pays. La thérapie et la modification géniques dans le contexte de la procréation n'ont pas dépassé le stade expérimental; de l'avis de la Commission, leur réalisation doit donc faire l'objet de la plus grande vigilance et de contrôles rigoureux.

Les trois techniques pratiquées pour déterminer le sexe à des fins non médicales sont le traitement du sperme avec insémination assistée, le transfert de zygotes avec choix du sexe et le diagnostic prénatal afin de déterminer le sexe du foetus et permettre l'avortement en fonction du sexe. La Commission recommande que ces techniques ne soient pas utilisées sauf lorsqu'il y a indication médicale (par exemple, la présence d'une maladie liée au chromosome X).

   D. Recherche sur les zygotes et les embryons humains et sur le tissu foetal

Il est recommandé que le don d'ovules et d'embryons et la recherche sur l'embryon rendus possible par la FIV ne soit permis que dans des circonstances particulières. Selon la Commission, les femmes ménopausées à l'âge habituel ne doivent pas être candidates pour recevoir un don d'ovules ou de zygotes, et le don d'ovules et d'embryons à des personnes désignées ainsi que la rémunération pour le don d'ovules doivent être interdits. À son avis, la recherche touchant la modification génique de zygotes ou d'embryons doit aussi être interdite.

La Commission a étudié les graves questions sociales et éthiques que soulève la transplantation de tissu foetal obtenu lors d'un avortement volontaire afin de traiter des affections comme la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer et le diabète. On se sert également du tissu foetal provenant d'avortements spontanés et volontaires pour la recherche médicale fondamentale sur le développement normal et anormal du foetus, le diagnostic des maladies virales, les examens pathologiques, le développement et l'essai de nouveaux produits pharmaceutiques et l'enseignement médical. La Commission recommande que la mort foetale soit confirmée avant que l'on procède au prélèvement de tissu et que celui-ci serve uniquement à faire mieux connaître la physiologie et la pathologie humaines.

PARTIE III: RECOMMANDATIONS

La première catégorie de recommandations vise à ce que le Code criminel interdise les actes suivants: la vente d'ovules, de sperme ou de zygotes ou de tissu foetal humains; la publicité, le versement d'argent et le fait d'agir comme intermédiaire pour la négociation de contrats de maternité de substitution; l'utilisation d'embryons pour la recherche liée au clonage, à la création d'hybrides animaux et humains et à la fécondation d'ovules provenant de foetus de sexe féminin en vue de leur implantation; les traitements médicaux non voulus et les autres entraves à l'autonomie physique des femmes enceintes.

La deuxième catégorie de recommandations porte sur la création d'une commission nationale sur les techniques de reproduction chargée de surveiller la délivrance de permis, ainsi que les techniques et les pratiques de reproduction. Cinq domaines de responsabilités seraient confiés à cette commission: la collecte, la conservation et la distribution de sperme et les services d'insémination assistée; les services de procréation assistée, y compris le prélèvement et la transplantation d'ovules; le diagnostic prénatal; la recherche sur le zygote humain; et la fourniture de tissu foetal à des fins de recherche ou à d'autres fins précises. La commission assumerait une sixième responsabilité, soit réunir et évaluer les données sur les causes de l'infertilité, promouvoir la recherche aux échelles nationale et internationale et conseiller des solutions pour prévenir ou réduire l'infertilité.

La Commission recommande que certains ministère fédéraux jouent un rôle plus actif. Selon elle, le ministère de la Santé devrait lancer et coordonner les campagnes de prévention de l'infertilité, et la Direction des médicaments, qui relève du Ministère, devrait améliorer son système d'homologation des médicaments et de surveillance post-commercialisation. Pour sa part, le Conseil de recherches médicales devrait donner une plus grande importance à la recherche fondamentale et appliquée sur la santé sexuelle et la santé génésique. Quant au ministère des Ressources humaines, il devrait s'occuper des questions liées à la procréation différée et à la santé au travail, tandis que le ministère de l'Environnement devrait lutter contre les menaces pour la santé génésique présents dans l'environnement.

PARTIE IV: ANNEXE, GLOSSAIRE ET APPENDICES

La dernière partie du rapport comprend: l'avis dissident de l'une des commissaires qui exprime six points de désaccord et suggère que certaines techniques soient appliquées avec plus de prudence, un glossaire des termes techniques et six appendices de renseignements généraux sur les travaux de la Commission.

CONCLUSION

Le rapport de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction marque une étape importante vers la réglementation du nombre croissant d'applications scientifiques et médicales dans le domaine. Il est toutefois limité, puisque la Commission ne met pas en question l'organisation actuelle de la science et de la médecine, les deux disciplines sur lesquelles reposent ces techniques; par conséquent, il existe certains doutes concernant les décisions de la Commission au sujet de l'évaluation de ces techniques et les preuves présentées pour justifier leur utilisation.