Direction de la recherche parlementaire


MR-151F

LA CONSERVATION DES SOLS
AGRICOLES AU CANADA

 

Rédaction :
Frédéric Forge
Division des sciences et de la technologie

Le 27 août 1998

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

HISTORIQUE

CAUSES ET CONSÉQUENCES DE LA DÉGRADATION
DES SOLS ET SOLUTIONS

INITIATIVES FÉDÉRALES

CONCLUSION

 


LA CONSERVATION DES SOLS
AGRICOLES AU CANADA

INTRODUCTION

Au Canada, la dégradation des sols agricoles est un phénomène qui persiste depuis le début du siècle. Ses principales causes - le vent, le ruissellement de l’eau, la salinité, l’acidité, le compactage et la perte de matière organique - entraînent des pertes de productivité qu’il faut compenser en utilisant davantage d’engrais. Les mauvaises pratiques de gestion agricole sont également un facteur qui favorise la dégradation des sols.

Ce n’est que récemment que les agriculteurs et les pouvoirs publics se sont rendu compte du lien qui existe entre le rendement de l’économie agricole et le maintien de la qualité des sols. Mettre un terme à la dégradation des sols est devenu un élément important pour maintenir une activité agricole économiquement viable. À ce titre, la conservation des sols s’inscrit dans la problématique de l’agriculture durable, tout comme la gestion des fumiers, l’utilisation raisonnée des pesticides et des engrais chimiques, etc.

HISTORIQUE

Le climat de l’est du pays et le type d’activité qu’on y exerçait au début du siècle ont favorisé une bonne gestion des terres et une amélioration de la fertilité des sols. À l’inverse, la dégradation des sols est devenue un problème dans les Prairies où de vastes secteurs d’herbages naturels ont été labourés sans égard pour la stabilité des sols ou leur capacité culturale. Les pratiques agricoles importées d’Europe, de l’est du Canada ou des États-Unis n’étaient pas appropriées au terres arides des Prairies, et à mesure que la population de l’ouest du Canada s’est accrue, les problèmes liés à l’agriculture sont devenus de plus en plus visibles. (À la fin des années 20, on comptait plus de 10 000 fermes abandonnées rien que dans le sud de l’Alberta.) La sécheresse prolongée et la crise économique des années 30 ont fait subir de nouveaux revers à cette région. L’établissement, en 1922, d’une station de recherche à Swift Current (Saskatchewan), qui mit au point des techniques culturales adaptées au « désert de poussière », et la création, en 1935, de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies (ARAP) ont toutefois permis de faire de la conservation des sols une priorité pour l’ouest du Canada.

Après avoir survécu à la sécheresse dans l’ouest et à la crise économique dans tout le pays, l’agriculture canadienne est entrée dans une phase d’expansion, car il fallait augmenter la production pour pouvoir répondre à la demande des nouveaux marchés que la Seconde Guerre mondiale avait ouverts. Les progrès technologiques dans les domaines des pesticides, des engrais et des nouvelles variétés de semences ont alors totalement modifié les pratiques culturales. L’idée que certaines cultures appauvrissant le sol (maïs, soja) devaient alterner avec des cultures l’améliorant (légumineuses) est soudain tombée en désuétude. L’ère de la monoculture était née, et les pratiques culturales favorisant fortement la dégradation des sols sont alors apparues dans tout le pays. Le phénomène de la dégradation des sols ne se limitait donc plus à la région des Prairies, et même si le gouvernement adopta quelques initiatives en matière de conservation, celle-ci est passée au second plan en raison de la révolution technologique. En effet, des prix satisfaisants, ainsi que l’utilisation d’engrais et de pesticides qui semblaient compenser les effets ou les coûts de la dégradation des sols, ont fait que la ressource en terre a cessé d’être vraiment une préoccupation.

La sécheresse de 1977 puis celles des années 80, ainsi qu’une baisse des prix des produits ont rendu les gens plus conscients des problèmes d’érosion et de salinité des sols. On a constaté que la technologie ne pouvait résoudre tous les problèmes des agriculteurs et que des coûts de production élevés, alliés à de faibles rendements exigeaient un accroissement de l’efficience, ce qui a eu comme conséquence un regain d’intérêt pour les techniques de conservation des sols tant chez les agriculteurs qu’au sein des administrations publiques.

CAUSES ET CONSÉQUENCES DE LA DÉGRADATION
DES SOLS ET SOLUTIONS

La sécheresse et le recours à la technique de la mise en jachère ont été les principales causes de l’érosion éolienne qui s’est produite dans les Prairies au cours des années 30. On sait maintenant que pendant les périodes durant lesquelles les champs sont en jachère, il peut y avoir d’autres formes de dégradation des sols telles que la salinité, la perte de matière organique et l’érosion par ruissellement de l’eau. Le travail excessif du sol, les cultures sur terres marginales, la culture de céréales à faible résidu, le brûlis des chaumes sont elles aussi toutes des pratiques répandues qui dégradent les sols.

En 1983, la Direction de la conservation des sols et de l’eau de l’ARAP estimait que les pertes de revenus attribuables à la salinité des sols se montaient à 257 millions de dollars annuellement. Les pertes dues à l’érosion éolienne et au ruissellement de l’eau étaient, quant à elles, estimées à 368 millions de dollars par année. Plus globalement, en 1987, Agriculture Canada estimait que la dégradation des sols coûtait 1,3 milliard de dollars par année et prévoyait que ce coût serait de deux milliards de dollars d’ici la fin du siècle.

Au cours des années 80, l’ARAP a fait de nombreuses recommandations pour limiter l’impact des conditions climatiques sur la dégradation des sols : laisser les chaumes en place, assurer un minimum de culture pour maintenir le couvert végétal, etc. Actuellement, de nombreux agriculteurs ont adopté des pratiques de conservation des sols. Le semis direct, le travail réduit du sol, l’emploi de cultures fourragères sur les terres marginales sont des pratiques innovatrices qui diminuent l’impact de l’activité sur le sol. Cependant, ces pratiques ne suffisent pas lorsqu’il y a sécheresse ou que l’on cultive des céréales à faible résidu. Dans ces cas, il existe des solutions permanentes de conservation telles que les plantations brise-vent, les voies d’eau gazonnées, les cultures en bande alternante, ainsi que les barrières de graminées vivaces.

Outre le recours aux techniques de conservation des sols, les spécialistes s’efforcent, dans leurs recherches en biotechnologie, à mettre au point des variétés de semences qui pourraient s’adapter aux conditions difficiles (terres à salinité plus forte, résistance à la sécheresse) ou qui supporteraient un semis sans travail du sol.

INITIATIVES FÉDÉRALES

Le premier engagement ferme en matière de politique de conservation des sols a été le renouvellement des Ententes de développement économique et régional (EDÉR) en 1984-1985. En effet, des dispositions relatives à la conservation des ressources en sols et en eau ont été intégrées dans les EDÉR que le gouvernement fédéral a conclues avec le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard, la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan.

Cette volonté du gouvernement fédéral de s’attaquer au problème s’est concrétisée à la fin de 1985 lorsque la Conférence des premiers ministres a mis la conservation des sols à son ordre du jour. Les conclusions ont été incluses dans la Stratégie agricole nationale publiée en novembre 1986.

La mise en œuvre de cette stratégie a permis la mise en place du Programme national de conservation des sols. Ce programme prévoyait la négociation, par le gouvernement fédéral et les provinces, d’accords sur la conservation des sols et de l’eau afin de favoriser les démonstrations, la recherche, l’aide technique et financière, la surveillance de la situation ainsi que la sensibilisation du public. Des ententes ont été signées avec le Yukon, la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. Ces accords fédéraux-provinciaux ont été perçus comme des modèles dont l’application devrait être élargie à tous les aspects de l’agriculture intégrée. En 1993, ce programme a été remplacé par le Plan vert.

En 1998, un nouveau Programme national de conservation du sol et de l’eau a vu le jour. Les dix millions de dollars affectés au programme doivent appuyer la Stratégie de développement durable d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, en finançant des projets ayant pour objet, entre autres, la conservation des sols agricoles.

CONCLUSION

D’après les résultats d’une étude intitulée La santé de nos sols publiée par Agriculture et Agroalimentaire Canada en juillet 1995, un recours plus important aux méthodes d’agriculture écologique pendant les dix dernières années a amélioré la qualité des sols dans certaines régions du pays. L’étude a montré que la dégradation des sols est en grande partie attribuable à de mauvaises méthodes d’exploitation agricole, et que la santé des sols continuera de se détériorer dans les régions où on pratique la culture intensive et dans les terres peu productives où les méthodes d’agriculture écologique ne sont pas utilisées.

Par contre, la santé des sols s’améliore là où des méthodes de conservation des sols ont été adoptées. De telles méthodes sont déjà utilisées sur le tiers des terres cultivées au Canada. Le fait que les taux de terres en jachère aient régressé de 30 p. 100 en vingt ans a contribué à la diminution de l’érosion. De plus, une plus grande rotation des cultures a permis l’accroissement de la matière organique dans le sol.

Selon l’étude susmentionnée, la région des Prairies a moins souffert de la dégradation des sols que les autres régions du Canada, grâce notamment à la diminution du taux de jachère mais aussi au développement de couvertures végétales permanentes sur certaines terres. Globalement, les provinces du Centre et celles de l’Atlantique ont vu leurs sols se dégrader plus fortement en raison de la culture intensive qui s’y pratique (phénomène accentué par des terres relativement pauvres dans les Maritimes), même si on remarque une nette amélioration du taux de matière organique dans le sol de certaines régions en raison d’une meilleure rotation des cultures.

Cependant les auteurs de l’étude insistent sur le fait que les méthodes de conservation doivent être adaptées aux besoins des exploitations agricoles. Le choix des cultures et des moyens de production joue aussi un rôle important dans la santé des sols et il doit être effectué de concert avec le choix de méthodes d’agriculture écologique.

Nous en arrivons ainsi au véritable enjeu de la conservation des sols, qui ne constitue qu’une partie de la durabilité de l’agriculture. En raison de l’apparition du concept d’agriculture durable, il faudra adopter une nouvelle politique qui tienne compte des effets environnementaux de l’agriculture et favorise la conservation des ressources et des rendements.