BP-276F

 

LES MUNICIPALITÉS, LA CONSTITUTION
ET LE RÉGIME FÉDÉRAL CANADIEN

 

Rédaction :
Erin Tolley, division de l'économie
William R. Young, Division des affaires politiques et sociales

Octobre 1991
Révisé en février 2001


TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE LÉGISLATIF ET APERÇU DES POUVOIRS DES MUNICIPALITÉS

LES MUNICIPALITÉS, LES PROVINCES ET LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

HISTOIRE D’UN ÉCHEC : LA PARTICIPATION DIRECTE
DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL AUX QUESTIONS URBAINES

LES MUNICIPALITÉS CANADIENNES ET LES NÉGOCIATIONS
CONSTITUTIONNELLES DE LA FIN DES ANNÉES 70

RÉACTION A L’INTERVENTION DES MUNICIPALITÉS

LE RAPATRIEMENT ET LES NÉGOCIATIONS CONSTITUTIONNELLES

TENDANCES ET DÉVELOPPEMENTS

   A.  Lobbying à des fins précises

   B.  Coopération intergouvernementale accrue

   C.  Délestage et relations tripartites

   D.  Villes à charte

   E.  Intérêt du gouvernement fédéral pour les affaires urbaines 

CONCLUSION


LES MUNICIPALITÉS, LA CONSTITUTION
ET LE RÉGIME FÉDÉRAL CANADIEN

Dans le présent historique, nous discutons de la place qu’occupent les municipalités canadiennes dans le régime fédéral canadien et nous mettons particulièrement l’accent sur les diverses tentatives faites en vue de reconnaître les administrations municipales dans la Constitution.

Les principaux points de discussion et les principales conclusions pertinents à toute mesure constitutionnelle sont les suivants :

1.  Les dispositions constitutionnelles qui accordent aux provinces compétence exclusive à l’égard de leurs municipalités seront jalousement protégées.  Par le passé, toute tentative en vue d’inclure la question municipale dans le débat constitutionnel national a provoqué une réaction qui a même remis en question les relations spéciales entre le gouvernement fédéral et les municipalités.

2.  Si les municipalités recherchent une reconnaissance constitutionnelle, c’est en grande partie parce qu’elles veulent trouver des moyens pratiques de satisfaire les demandes croissantes dont font l’objet leurs ressources financières.  Ce n’est pas la reconnaissance constitutionnelle proprement dite qui les intéresse (contrairement aux peuples autochtones); elles voient plutôt cette reconnaissance comme un moyen de résoudre leurs problèmes financiers.  Les municipalités ont toutefois clairement indiqué qu’elles ne tiennent pas nécessairement à régler leur problème financier dans le cadre du débat constitutionnel.

3.   Faute d’avoir suffisamment mis l’accent sur les questions constitutionnelles, les municipalités n’ont jamais été à même de formuler une série de propositions constitutionnelles globales et précises.  Par le passé, leurs demandes sont restées vagues et n’ont pas porté sur la nécessité de faire une distinction entre la reconnaissance et les pouvoirs constitutionnels.

4.   Lors des discussions, personne ne s’est demandé si des dispositions précises s’appliquant aux municipalités ne risquaient pas de rendre encore plus rigide le système fédéral canadien.

5.  Jusqu’en juin 1991, la Fédération canadienne des municipalités (FCM), l’organisme national de pression, ne s’était pas mêlée aux discussions constitutionnelles en cours.  Elle est en train d’explorer diverses options qui pourraient contribuer au débat et elle encourage surtout les associations municipales des provinces à prendre part aux activités des comités législatifs provinciaux chargés de discuter de la Constitution.

6.    La participation des municipalités au débat constitutionnel peut être justifié si l’on tient compte des faits suivants : la grande majorité des Canadiens habitent dans des villes et les problèmes auxquels se heurtent les grandes villes canadiennes ne se posent plus uniquement au niveau local ou municipal.

CONTEXTE LÉGISLATIF ET APERÇU DES POUVOIRS DES MUNICIPALITÉS

Le débat sur la nécessité de reconnaître dans la Constitution le statut des municipalités remonte à une époque antérieure à la Confédération.  En fait, dans son rapport de 1839, lord Durham recommandait l’instauration d’un système organisé d’institutions municipales pour permettre à la population de régler ses problèmes au niveau local et d’apprendre à s’intéresser aux questions d’importance cruciale et à s’en occuper.  Selon sa recommandation, tant que les institutions municipales ne seraient pas garanties par la Constitution, l’assemblée législative n’accepterait jamais de renoncer aux pouvoirs fiscaux nécessaires à la création des institutions municipales(1).

Même si les arguments de lord Durham ont été repris régulièrement jusqu’à nos jours, sa recommandation n’a jamais été incluse dans le droit constitutionnel du Canada.  La Loi constitutionnelle de 1867 a déterminé les paramètres des relations actuelles entre les gouvernements fédéral et provinciaux et les municipalités.  L’art. 92 de la Loi énonce les pouvoirs exclusifs des assemblées législatives provinciales dans 16 secteurs et le par. 92(8) accorde aux législatures des diverses provinces la compétence exclusive pour adopter des lois et règlements applicables à leurs institutions municipales.  Parmi les autres articles de la Loi constitutionnelle de 1867 qui ont des répercussions sur les municipalités, il y a le par. 92(2) accordant aux provinces le pouvoir de percevoir des impôts directs pour mener à bien leurs responsabilités.  Étant donné que les administrations locales relèvent, selon la loi, de la compétence provinciale, les seules sources de pouvoirs et de recettes dont disposent les municipalités sont celles que leur confère précisément la législation provinciale.

La portée de la compétence provinciale sur les municipalités est pratiquement sans limite et les responsabilités des municipalités peuvent être modifiées au moyen de votes tenus à l’assemblée législative provinciale.   Même si, pour certaines villes, il existe une disposition législative distincte leur permettant d’établir leur compétence, la plupart des municipalités sont habilitées en vertu d’une loi provinciale sur les municipalités qui s’applique à toutes les administrations locales au sein d’une province donnée.  Les provinces peuvent modifier les limites ou les pouvoirs des municipalités ainsi que leurs ressources financières, ou supprimer certaines municipalités.  C’est ce qu’a fait l’Ontario lorsqu’elle a créé des administrations régionales dans la région de Halton-Peel et, dernièrement, lorsqu’elle a fusionné les villes de la région d’Ottawa-Carleton pour former la nouvelle ville d’Ottawa, et celles du Grand Toronto qui ont donné la « méga-ville » de Toronto.  Pour emprunter, la plupart des municipalités doivent obtenir l’approbation d’une commission nommée par la province.  Parallèlement, les activités municipales font l’objet d’une délégation de pouvoir de la part des provinces dans les secteurs suivants : travaux locaux, éducation, justice, hôpitaux et fiscalité(2).

Jusqu’à présent, les municipalités ont été seules responsables de la perception des impôts et des taxes sur la propriété immobilière; il s’agit toutefois là d’un usage et rien dans la Constitution n’interdit au gouvernement fédéral ou aux provinces d’occuper ce champ fiscal.

En outre, étant donné la nature régressive et restrictive de l’impôt foncier, les recettes des municipalités ne suivent pas nécessairement la croissance économique ou l’inflation comme le permet l’impôt sur le revenu ou même la taxe de vente.  Les impôts fonciers comprennent des taxes destinées à la fois aux activités générales des municipalités et aux écoles.

Les subventions provinciales, qui constituent l’autre source de recettes des municipalités, ne sont consenties que moyennant certaines conditions quant à la façon dont les fonds devront être dépensés.  Ces subventions ne visent pas uniquement la réalisation de certains objectifs municipaux, mais peuvent comprendre aussi des fonds destinés exclusivement aux écoles et aux services sociaux.  En raison des conditions qui accompagnent les subventions provinciales, les municipalités sont limitées dans leur capacité de dépenser ces fonds comme bon leur semble et elles doivent faire des choix compatibles avec les objectifs politiques des provinces.   Fait intéressant, près de 90 p. 100 des transferts provinciaux aux municipalités sont à des fins déterminées, tandis que seulement 50 p. 100 environ des transferts fédéraux le sont(3).

Cet état de fait est de plus en plus difficile pour les municipalités puisqu’elles sont limitées dans leur capacité d’adopter un budget déficitaire et qu’elles doivent obtenir l’approbation de la province avant d’entreprendre une activité de budgétisation à long terme.  Si les priorités provinciales ou le financement fédéral changent subitement, les municipalités ont une marge de manœuvre très restreinte, puisqu’elles sont prises entre leurs obligations financières courantes et la nécessité d’offrir de nouveaux services ou de maintenir les services existants avec moins d’argent.

Depuis des années, les municipalités déplorent les limites imposées à leurs pouvoirs décisionnels, à leur autonomie locale et à leurs sources de recettes, et elles essaient de trouver des solutions de rechange.

LES MUNICIPALITÉS, LES PROVINCES ET LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

L’attitude qu’adoptent les provinces à l’endroit des institutions municipales est apparemment fonction du degré d’urbanisation.  Sauf dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque les municipalités n’ont pas remboursé leurs emprunts à la suite de la Crise de 1929, les gouvernements provinciaux ont généralement adopté, entre 1867 et 1960, une attitude de laisser-faire envers leurs municipalités.  Dans les provinces où la proportion de citadins était moindre, les administrations locales pouvaient agir comme bon leur semblait et fournissaient en général à leurs citoyens un minimum de services, surtout dans les régions rurales.   Depuis lors, toutefois, la demande de services (et de fonds nécessaires à leur prestation), surtout dans les provinces où les villes se sont développées rapidement, a amené les provinces  à se mêler davantage des affaires municipales et provoqué des bouleversements dans les administrations locales.

À mesure que les centres urbains en pleine expansion ont commencé à jouer un rôle sans cesse croissant dans la vie du pays, les municipalités se sont senties de plus en plus limitées par le contrôle unilatéral exercé par les provinces.  À l’époque du recensement de 1996, par exemple, quelque 23 régions métropolitaines comptaient une population supérieure à celle de toute la province de l’Île-du-Prince-Édouard; quatre des plus grandes régions métropolitaines du Canada avaient toutes plus d’habitants que n’importe laquelle des quatre provinces de l’Atlantique; et 78 p. 100 des Canadiens vivaient dans un centre urbain.  De toutes les provinces, seules l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique avaient une population supérieure à celles de Montréal et de Toronto.  Pourtant, aucune des municipalités, petite ou grande, ne pouvait jouir d’une véritable autonomie au plan financier ou législatif(4).

Même si, dernièrement, les gouvernements provinciaux ont exercé un contrôle de plus en plus strict sur les activités municipales (par exemple en ce qui concerne l’emplacement des hôpitaux et la prestation des services sociaux), les provinces ont toujours refusé que le gouvernement fédéral s’occupe de façon directe et officielle du niveau de gouvernement qui leur est subordonné même si le gouvernement fédéral, en vertu des programmes conjoints fédéraux-provinciaux, a financé des services qui sont offerts en fait par les municipalités.  Les provinces se sont notamment opposées à la création d’un ministère fédéral ayant pour mandat précis de traiter directement avec les administrations municipales.  À l’exception des subventions que le gouvernement fédéral verse directement aux municipalités en remplacement de l’impôt foncier, les fonds du gouvernement fédéral sont presque toujours canalisés vers les municipalités en vertu d’ententes fédérales-provinciales.  Même pour le programme Infrastructures Canada, dont on dit qu’il est doté d’une « approche prenant ses assises à la base »(5), les ententes et l’allocation des fonds sont des coentreprises entre tous les ordres de gouvernement.

Étant donné la vaste gamme d’activités fédérales qui empiètent sur des secteurs de compétence locale, les provinces n’ont toutefois pas pu empêcher certains rapports de circonstances entre les ministères fédéraux et les municipalités.  Depuis toujours, ces rapports sont de nature officieuse et fonctionnelle.  Par exemple, les experts fédéraux dans le domaine du transport traitent directement avec les municipalités pour ce qui est de la construction de ponts aux passages à niveau entre les voies ferrées et les routes.  Fait également important à signaler, les administrations locales font l’objet de diverses initiatives fédérales susceptibles d’influer sur leurs choix et de modifier profondément les caractéristiques physiques et sociales des centres urbains.  Citons en exemple l’incidence de la politique fédérale d’immigration sur les grandes villes comme Toronto, Montréal ou Vancouver.  Un autre exemple serait l’incidence de la compression des dépenses des programmes sociaux fédéraux, tels que l’assurance-emploi, sur la pauvreté et le nombre de sans-abris.  Le gouvernement fédéral peut aussi exercer un certain contrôle sur les activités municipales au moyen des conditions liées aux subventions qu’il accorde aux provinces.

Le manque de coordination entre les activités et relations fédérales ponctuelles et les municipalités en croissance rapide a commencé à causer des problèmes dans les années 60.  Il est devenu évident que les solutions à des problèmes locaux avaient souvent des répercussions qui dépassaient le cadre municipal et que les projets fédéraux risquaient d’avoir des conséquences peu souhaitables, au plan de l’environnement ou du développement, pour les administrations municipales.  Par exemple, la Société canadienne d’hypothèque et de logement a financé la construction de logements résidentiels près de l’Aéroport international de Toronto, dans les années 60, ce qui a empêché le ministère fédéral des Transports de faire le moindre projet d’agrandissement de cette installation.   Vers la fin des années 60, les programmes appliqués par 27 organismes fédéraux avaient une incidence quelconque sur les projets de développement urbains.  D’autres initiatives fédérales ont eu des conséquences imprévues pour les régions urbaines.  Par exemple, la déduction que prévoyait la Loi de l’impôt sur le revenu pour les entreprises offrant une place de stationnement à leurs employés a aggravé l’encombrement dans les rues des villes.

Pour ce qui est des municipalités, les progrès récents dans le domaine socio-économique ont prouvé de façon concluante que l’argument essentiel justifiant la modification des structures gouvernementales ou de la Constitution est le suivant :

Les problèmes de nos grandes villes ne se posent plus simplement au niveau municipal ou local.   De nos jours, les Canadiens auxquels s’adressent les services des gouvernements fédéral et provinciaux habitent essentiellement dans des centres urbains.  C’est désormais avant tout dans nos villes que nous devons réaliser nos objectifs nationaux, à savoir un taux d’emploi élevé, une forte croissance, la stabilité des prix, un bon équilibre de la balance des paiements internationale et la répartition équitable des revenus croissants(6).

HISTOIRE D’UN ÉCHEC :  LA PARTICIPATION DIRECTE
DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL AUX QUESTIONS URBAINES

Même si la position constitutionnelle et les pouvoirs des provinces ont empêché le gouvernement fédéral de s’ingérer directement dans les secteurs de compétence exclusivement provinciale, ce dernier a fait de temps à autre des tentatives en vue de rationaliser ses liens ponctuels avec les municipalités.   Au départ, cela s’est fait par l’entremise de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), l’organisme fédéral le plus directement concerné par les questions urbaines et municipales(7).

Les rapports entre la SCHL et les municipalités ont évolué avec le temps. En 1949, les modifications à la Loi nationale sur le logement (adoptée en 1938) autorisaient l’établissement de programmes conjoints fédéraux-provinciaux visant à fournir des logements à bas prix destinés à la vente ou à la location.  En vertu de la loi modifiée, le gouvernement fédéral et les provinces devaient partager les frais (dont 75 p. 100 étaient assumés par le gouvernement fédéral) relatifs à l’aménagement et à la viabilisation des terrains.  Les municipalités étaient autorisées à participer à ce programme, si leur province adoptait une loi autorisant l’administration locale des activités de logement qui étaient du ressort provincial.  En vertu d’une nouvelle série de modifications apportées en 1964 à la Loi nationale sur le logement, des programmes plus généraux ont été mis sur pied pour promouvoir l’aménagement urbain dans l’ensemble et pas simplement la construction de logements.  En vertu de la nouvelle loi, le gouvernement fédéral pouvait autoriser une contribution de 50 p. 100 aux fins de la préparation des plans, de l’acquisition de terrains et d’immeubles, et de l’installation de services municipaux dans les plans d’aménagement urbain.  Le gouvernement fédéral pouvait également consentir des prêts aux provinces et aux municipalités afin de financer jusqu’à hauteur des deux tiers de leurs frais.

Jusqu’à la fin des années 60, l’ensemble des provinces ont poursuivi ces activités, en grande partie parce que les modalités des ententes de partage des frais leur permettaient d’exercer énormément de contrôle, mais également parce que, en tant que société d’État, la SCHL élaborait ses programmes en relative autonomie et sans être assujettie au contrôle direct du Cabinet fédéral.   La SCHL a également instauré des rapports fonctionnels avec les municipalités et les groupes d’intérêts, ce qui a également eu pour effet de minimiser l’ingérence du Cabinet dans ses affaires.

L’intensité des discussions constitutionnelles qui se sont déroulées vers la fin des années 60 a créé un climat qui a fini par modifier ces rapports, sans toutefois déboucher sur une solution satisfaisante pour les municipalités ou le gouvernement fédéral.  La Fédération canadienne des maires et des municipalités est intervenue au cours du débat constitutionnel pour énoncer sa position; les municipalités ont toutefois toujours établi un lien entre leurs propositions constitutionnelles formulées en termes vagues et leurs problèmes financiers bien précis.

La Fédération a chargé un comité municipal mixte sur les relations intergouvernementales de faire connaître sa position pendant tout le débat constitutionnel. En 1971, ce comité a présenté un mémoire au Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada.  Mais la seule conclusion qui ressortait clairement des mémoires présentés par les municipalités semblait être l’instauration d’une sorte de « tripartisme », soit dans le partage des pouvoirs, soit, plus couramment, dans un processus de consultation.  Par exemple, le Comité des municipalités a proposé que les conférences fédérales-provinciales deviennent des réunions trilatérales.  La reconnaissance constitutionnelle des conférences fédérales-provinciales-municipales aurait pour effet que les municipalités, « tout en continuant d’être assujetties à la législation provinciale, auraient désormais le droit d’être consultées et de se faire entendre, droit qui serait officiellement reconnu et non plus laissé au bon vouloir des provinces […] »(8).

Le gouvernement Trudeau a essayé, mais en vain, de concilier le principe de « tripartisme » mis de l’avant par les municipalités (sans toutefois le constitutionnaliser) et le « pragmatisme » des liens historiques existant entre le gouvernement fédéral et les administrations municipales.  En théorie, cela aurait permis non seulement de surmonter les obstacles d’ordre constitutionnel, mais également de « rationaliser » les relations fédérales-municipales et de permettre plus de contrôle politique au niveau fédéral.  En conséquence, en mars 1971, le premier ministre Trudeau a nommé un ministre d’État aux Affaires urbaines qui était chargé non seulement de la SCHL, mais également d’un nouveau ministère d’État (Affaires urbaines).   En raison des limites constitutionnelles inévitables, ce ministère n’était responsable d’aucun programme, mais il avait pour mandat de planifier, de coordonner et d’élaborer de nouvelles politiques relatives aux questions urbaines, ainsi que d’intégrer les priorités fédérales en matière urbaine dans les autres politiques et programmes du gouvernement fédéral et de créer un système de coordination intergouvernemental.  Compte tenu de ce mandat et de son financement insuffisant, le ministère d’État aux Affaires urbaines a dû compter sur l’influence et la faculté de persuasion de son ministre pour atteindre ses objectifs.

La nouvelle politique fédérale en matière urbaine a reçu un accueil mitigé.  Dans l’espoir que l’initiative fédérale contribuerait à les libérer de certaines contraintes imposées par les provinces, les municipalités de tout le pays ont accueilli avec enthousiasme la création du ministère d’État et l’appui fourni par le gouvernement fédéral à toute mesure susceptible de leur donner accès à de plus vastes ressources financières.  Les provinces, et surtout le Québec, se sont montrées sceptiques face au nouvel organisme et méfiantes à l’égard de tout changement, même d’ordre pratique, susceptible d’empiéter à la longue sur leur champ de compétence.

Quant aux municipalités, elles étaient toujours convaincues que la constitutionnalisation de leur rôle n’aurait guère d’incidence si elle ne débouchait pas sur de nouvelles ententes financières de partage des recettes entre les trois ordres de gouvernement. Autrement dit, la participation des municipalités au débat constitutionnel remettait en question les pouvoirs financiers des provinces et elle a fini par aboutir à l’échec de l’ingérence du gouvernement Trudeau dans les relations fédérales-municipales.  Même si les provinces ont convenu d’envoyer des délégations à la première réunion tripartite organisée par le ministère d’État aux Affaires urbaines en novembre 1972, elles considéraient avec méfiance ce processus trilatéral, car elles voyaient les réunions comme un moyen de reconnaître de fait les municipalités en tant que troisième ordre de gouvernement ayant des rapports légitimes avec le gouvernement fédéral.  Même lorsque les municipalités ont essayé de minimiser leurs aspirations constitutionnelles, lors de la première conférence tripartite, pour se concentrer sur la recherche de solutions nationales aux problèmes urbains comme le logement et les transports, elles ont de nouveau agité le spectre des liens avec le gouvernement fédéral(9).

Lors des première et deuxième réunions tripartites, il est devenu évident que les municipalités et le gouvernement fédéral s’étaient alliés contre les provinces.  Lorsque les délégués des trois ordres de gouvernement ont convenu de créer un groupe de travail chargé d’examiner tous les aspects des finances publiques, même l’Alberta et l’Ontario, qui avaient été les deux seules provinces à appuyer cette proposition, ont très vite changé d’avis.  Selon elles, ce groupe de travail ne serait pas en mesure de protéger suffisamment la position des provinces dans son examen et ses recommandations.  Lorsque le groupe de travail a présenté son rapport, il a confirmé que le système des finances publiques en vigueur au Canada empêchait les municipalités d’assumer leurs obligations.  La Fédération canadienne des maires et des municipalités a réagi dans un document polémique, Les marionnettes du système fiscal canadien, où elle reprochait directement aux provinces les problèmes financiers des administrations locales.  Après que les provinces eurent refusé d’assister à une troisième réunion tripartite prévue pour août 1976, la conférence fut annulée et cela mit fin au processus de négociation trilatérale.

En conséquence, en menaçant de ne pas collaborer avec le gouvernement fédéral aux programmes intéressant les municipalités, les provinces ont acquis encore plus de pouvoirs au détriment des deux autres ordres de gouvernement.  L’Ontario refusé d’accepter les fonds de la SCHL pour l’aménagement d’une nouvelle ville à Pickering plutôt que de participer aux activités de planification de concert avec le ministère d’État aux Affaires urbaines.  Étant donné le manque de crédibilité du ministère et l’intention du gouvernement de restreindre ses dépenses, le ministère d’État fut aboli le 31 mars 1979.  Cette année-là, le gouvernement fédéral prit également des mesures pour renforcer le contrôle exercé par les provinces sur les fonds destinés au réaménagement urbain.  Les fonds alloués par la SCHL au Programme d’amélioration des quartiers, à l’aménagement de terrains (le Programme de subventions d’encouragement aux municipalités) et à l’installation de services (le Programme d’infrastructure municipale) ont été regroupés en un seul programme à financement global (le Programme de contributions pour les équipements communautaires).  Cela permit à chacune des provinces de répartir les fonds entre les trois secteurs du programme selon ses propres priorités.

LES MUNICIPALITÉS CANADIENNES ET LES
NÉGOCIATIONS CONSTITUTIONNELLES DE LA FIN DES ANNÉES 70

La participation des municipalités à la série de pourparlers constitutionnels qui ont commencé vers la fin des années 70 a prouvé qu’elles n’avaient toujours pas de propositions précises et claires à formuler.   Encore une fois, la position des municipalités se fondait apparemment sur la conviction que, si leur rôle était mentionné dans la Constitution, cela les aiderait à résoudre les problèmes de financement des services que des ordres de gouvernement supérieurs les obligent à offrir.  La Fédération canadienne des municipalités a rejeté l’argument voulant que l’administration locale « est le palier de gouvernement responsable des besoins fondamentaux de la population.  Il est à notre avis essentiel d’accroître le rôle des administrations locales dans tout nouveau cadre constitutionnel et de garantir leur autonomie »(10).

Le groupe d’experts chargé d’étudier la réforme constitutionnelle, qui a aidé la FCM à préparer une résolution en vue de l’assemblée annuelle, a reconnu que les municipalités devaient relever de la compétence provinciale, mais il a demandé que la « Constitution du Canada reconnaisse expressément les administrations locales et les protège » et aussi que « les constitutions des provinces reconnaissent et protègent expressément l’autonomie des administrations locales »(11).

Le 20 novembre 1980, la FCM a présenté au Comité spécial mixte sur la Constitution du Canada un mémoire basé sur le rapport du Groupe d’experts.  Dans ce mémoire, la FCM demandait que les municipalités soient reconnues comme un « ordre de gouvernement distinct aux termes de la nouvelle Constitution » et, en outre, que cette dernière attribue certains pouvoirs à l’échelon du gouvernement municipal(12). Selon la FCM, les municipalités devraient avoir compétence sur les affaires d’intérêt local comme « le logement, les programmes d’emploi, la protection contre les incendies, l’éducation, la santé publique, le bien-être social, la qualité de l’air, les services d’eau, d’égout et de traitement des eaux usées, la police, la protection de l’environnement et les loisirs »(13).

L’analyse de la position adoptée par la FCM révèle que les municipalités portaient autant d’intérêt à la reconnaissance constitutionnelle qu’aux pouvoirs constitutionnels.  À la suite des pourparlers constitutionnels des premiers ministres qui ont eu lieu en septembre 1980, la déclaration de la FCM énonçait l’objectif d’obtenir la reconnaissance à titre de palier législatif supplémentaire.  Son président a décidé de citer quelques exemples précis de la forme que pourrait prendre cette reconnaissance.  Il a proposé notamment que le gouvernement fédéral accorde le statut d’observateur officiel aux représentants de la FCM lors de la conférence des premiers ministres et que des représentants des municipalités fassent partie des délégations de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario.  Il a exprimé le souhait que toutes les provinces suivent cet exemple(14).

Essentiellement, toutefois, les déclarations de la FCM indiquent que les municipalités étaient davantage préoccupées par la constitutionnalisation des ressources financières que par celle des compétences législatives.  Voici ce qu’ont déclaré des représentants de la FCM devant le Comité mixte sur la Constitution au sujet du pouvoir d’imposition que les municipalités voulaient voir entériner dans la Constitution :

Ce que nous réclamons relativement à l’impôt sur le revenu, c’est un pourcentage clairement établi par les provinces et par le gouvernement fédéral, un pourcentage sur lequel nous puissions compter pour nous renflouer et pour essayer de soulager le fardeau de la taxe foncière(15).

RÉACTION À L’INTERVENTION DES MUNICIPALITÉS

Le gouvernement fédéral a tiré la leçon de ses expériences « tripartites » des années antérieures et il a adopté une position sûre.  Le 9 octobre 1978, le premier ministre Trudeau  a répondu à la FCM qu’il acceptait d’envisager la reconnaissance des municipalités dans une Constitution révisée, à condition que cela n’empiète pas sur les pouvoirs des provinces.  Voici ce qu’il a déclaré :

Le gouvernement fédéral estime qu’il serait souhaitable d’examiner la question de savoir si la nouvelle Constitution ne devrait pas reconnaître expressément l’existence et la raison d’être du troisième palier de gouvernement […]

À condition que la responsabilité suprême des provinces ne soit pas remise en question, il serait avantageux d’essayer de définir dans la Constitution le rôle que joue le « troisième palier » dans le régime fédéral du Canada.  Il serait utile également de définir les services fondamentaux qui sont traditionnellement fournis par le « troisième palier ».

Compte tenu de ce manque d’appui de la part du gouvernement fédéral et de leur expérience antérieure, les municipalités elles-mêmes ont hésité à attaquer de front les provinces. Obtenir l’approbation du nombre requis d’assemblées législatives provinciales constituait l’un des principaux obstacles à une modification constitutionnelle visant à accroître les pouvoirs des municipalités.  Dennis Flynn, le maire d’Etobicoke qui était membre de l’exécutif national de la FCM, a déclaré devant le Comité mixte sur la Constitution, en novembre 1980, que la FCM comprenait que les provinces « hésitent à ce que les municipalités s’en remettent directement au gouvernement fédéral ».  Donc, ajouta-t-il, la FCM envisagerait d’autres possibilités, notamment l’établissement de chartes provinciales qui conféreraient aux municipalités des champs de compétence « à condition que tout cela s’insère dans le grand ensemble de la Constitution canadienne(16).

Les observateurs de l’époque, tout comme les analystes qui ont étudié ultérieurement la question, ont indiqué que la reconnaissance des municipalités dans la Constitution était une voie sans issue compte tenu de l’opposition des provinces.  L’analyse réalisée pour la Commission MacDonald a abouti à la conclusion suivante : « Il est hors de question que les assemblées législatives d’une telle majorité de provinces acceptent cette perte de pouvoirs »(17).

Les experts ont souvent soulevé un autre problème : quelle serait l’incidence à long terme d’un autre ordre de gouvernement reconnu dans la Constitution? Ils ont conclu que, compte tenu des problèmes inhérents aux relations fédérales-provinciales, la reconnaissance constitutionnelle des municipalités risquait d’être une autre source de litige et de rendre encore plus rigides les structures actuelles :

Si les administrations locales avaient gain de cause, elles demanderaient probablement d’être reconnues dans la Constitution en tant que partenaires égales de la Confédération.   Idéalement, cette reconnaissance donnerait aux administrations locales l’autonomie législative et fiscale nécessaire pour répondre aux demandes de besoins et de services au niveau local.  Mais si c’était le cas, les résultats seraient-ils vraiment positifs? La Constitution définit les relations fédérales-provinciales et pourtant, chacun sait qu’il existe entre les deux ordres de gouvernement une profonde discorde.  Les gouvernements provinciaux critiquent le fait que les paiements de transfert ou les pouvoirs de dépense fédéraux empiètent sur leurs secteurs de compétence.  Dans certains cas, la délimitation des pouvoirs prévus dans la Constitution a empêché la réattribution logique des responsabilités en fonction de l’évolution de la situation depuis le XIXe siècle.  Le statut constitutionnel des administrations locales ne risque-t-il pas de créer encore plus de rigidité tout en protégeant et en valorisant l’administration locale?(18)

LE RAPATRIEMENT ET LES NÉGOCIATIONS CONSTITUTIONNELLES

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, la question du statut constitutionnel des administrations locales ne semble plus être au centre des préoccupations.  Les municipalités n’ont abordé la question devant aucun des comités parlementaires qui ont tenu des audiences sur l’Accord du lac Meech de 1987, à la grande surprise de certains observateurs :

Il semble curieux que 4 500 municipalités, petites et grandes, n’aient pas profité de l’occasion pour s’affirmer et participer au débat, en vue de s’assurer un rôle officiel, légitime et constitutionnel au sein de la Confédération(19).

En outre, au cours des négociations sur l’Accord du lac Meech et des études ayant servi à la préparation des rapports des comités Charest et Beaudoin-Edwards, la FCM n’a pas pris position publiquement. 

La situation a commencé à changer lorsque la Municipalité de la communauté urbaine de Toronto a présenté au Forum des citoyens sur l’avenir du Canada un mémoire dans lequel elle demandait l’établissement de nouvelles dispositions pour les grands centres urbains comme Toronto, Montréal et Vancouver, voire pour l’ensemble des gouvernements locaux.  La Communauté urbaine de Toronto a lancé un nouvel appel pour que la Constitution reconnaisse les municipalités de manière à leur permettre de résoudre les problèmes de financement, de prestation de services et de planification avec lesquels elles sont aux prises(20).

Par la suite, les municipalités canadiennes ont commencé à envisager les moyens à prendre pour participer au débat constitutionnel, optant pour la prudence afin de ne pas soulever l’opposition des gouvernements provinciaux.  En juin 1991, la FCM a adopté une résolution d’urgence à son assemblée annuelle à St. John’s et l’a présentée au ministre des Affaires constitutionnelles, Joe Clark, qui assistait à l’assemblée.  La résolution réitérait les préoccupations des municipalités en matière financière et leur désir d’être reconnues dans une Constitution révisée.

C’est aussi en 1991 que la FCM a présenté au Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada un mémoire demandant une nouvelle définition du statut des municipalités et une modification de la Constitution afin d’y reconnaître les gouvernements municipaux.   Les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral ont refusé d’ajouter ces propositions à l’ordre du jour constitutionnel(21).

TENDANCES ET DÉVELOPPEMENTS

Depuis les années 60, la question du statut constitutionnel des municipalités a peu retenu l’attention des médias et des chercheurs.  D’ailleurs, malgré les efforts qu’elles ont déployés pour s’assurer la reconnaissance constitutionnelle, il est assez douteux que les municipalités atteignent un jour leur but.  La FCM elle-même le reconnaît puisqu’elle écrit, dans son énoncé de politique 2000, que la reconnaissance constitutionnelle du « rôle qu’assument déjà les gouvernements municipaux sur la scène politique et économique du pays » est un objectif à « long terme »(22).

   A.  Lobbying à des fins précises

En fait, depuis le milieu des années 80, les municipalités et leurs organisations se sont concentrées sur le lobbying pour obtenir des services pratiques et précis.  La FCM s’est réorganisée et a commencé à chercher des associés pour des projets conjoints.  En 1985, par exemple, le Programme de développement économique des municipalités était établi en vertu d’une entente avec le ministère de l’Expansion industrielle régionale, en vue de renforcer la capacité des administrations locales de promouvoir le développement économique.  La FCM a créé divers groupes de travail chargés d’élaborer la position des municipalités sur les questions d’intérêt national touchant ses membres.   Ces groupes de travail et leurs énoncés de principes annuels aident la FCM à exercer des pressions auprès du gouvernement, dans les différents dossiers qui les intéressent, en s’adressant aux responsables fédéraux compétents.

C’est le cas de la stratégie pour des logements abordables que la FCM a suggérée dans le mémoire présenté lors des consultations prébudgétaires du gouvernement en 1999(23). D’autres groupes – notamment la Tenants’ Rights Action Coalition, la National Coalition on Housing and Homelessness, et l’Ontario Non-Profit Housing Association – ont aussi soumis des mémoires, pressant le gouvernement de réserver des fonds pour le logement social(24). Il est intéressant et quelque peu révélateur que ces organisations aient fait porter leurs efforts sur le gouvernement fédéral, étant donné que le logement est une affaire d’intérêt essentiellement local.  Les municipalités et d’autres organisations semblent reconnaître aujourd’hui que l’aide du fédéral est essentielle à la réalisation de nombreux projets qui, à première vue, ont l’air d’intérêt purement local.

Néanmoins, certains ont fait remarquer que l’aide fédérale pour de tels projets n’a pas été époustouflante.  On pourrait soutenir que, vu la répartition constitutionnelle des compétences, le gouvernement fédéral considère les questions locales telles que le logement social et la criminalité urbaine, comme des affaires de compétence provinciale.  C’est pourquoi il a généralement traditionnellement préféré ne pas s’en mêler.

   B.  Coopération intergouvernementale accrue

La coopération intergouvernementale s’accroît depuis quelque temps dans certains domaines d’intérêt local, notamment celui des infrastructures.  Graham et coll. soutiennent que la coopération fédérale-municipale au chapitre des infrastructures date des programmes de travaux d’hiver lancés lors de la Crise de 1929(25). Cette coopération se concrétise surtout au moyen des subventions de développement régional qui « suivent la filière des ministères fédéraux chargés des affaires régionales […] jusqu’à ce qu’elles débouchent sur la voie des ententes fédérales-provinciales, pour financer la construction de conduites d’eau, d’égouts et de routes dans divers centres urbains »(26).

Conformément aux précédents de coopération intergouvernementale dans des projets d’infrastructure, le programme Travaux d’infrastructure Canada a été créé en 1993 pour stimuler la création d’emplois en versant aux municipalités de l’argent pour des travaux d’aqueduc, d’égouts et de voirie, ainsi que pour la construction ou l’aménagement d’infrastructures communautaires et autres programmes spécifiques.  Le gouvernement fédéral l’a renouvelé et étendu dans son budget 2000.  Les trois ordres de gouvernement jouent un rôle important dans le programme, puisqu’ils se partagent les frais.  Comme l’ont fait remarquer Caroline Andrew et Jeff Morrison, le programme « pourrait être qualifié de programme fédéral-provincial-municipal parce que les provinces y ont consenti et que les municipalités en ont pris l’initiative »(27). Le gouvernement fédéral dit lui-même du programme qu’il a « une approche prenant ses assises à la base »(28).

En 1994, les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux ont établi le Plan d’action national pour encourager l’économie d’eau potable dans les municipalités, qui repose sur six principes fondamentaux dont trois – leadership, partenariat et harmonisation – se rapportent à la nécessité d’une coopération intergouvernementale et d’une réglementation pancanadienne uniforme pour encourager l’économie d’eau potable(29). Le plan d’action comportait des objectifs et un échéancier mais ne prévoyait pas de financement.

Ces dernières années, les municipalités ont demandé au gouvernement fédéral l’aide de l’armée lorsque des catastrophes naturelles se sont produites.  En janvier 1998, les Forces canadiennes ont été dépêchées pour prêter main-forte durant la crise du verglas qui a ravagé l’est de l’Ontario et certaines régions du Québec.  Le Conseil du Trésor a remboursé aux Forces armées les 60 millions de dollars qu’elles ont dépensés pour leurs opérations de secours(30). En janvier 1999, les Forces canadiennes étaient de nouveau dépêchées pour venir au secours d’une municipalité, cette fois Toronto, après que celle-ci eut été paralysée par une énorme tempête de neige(31).

   C.  Délestage et relations tripartites

Cela ne veut pas dire que les relations entre les municipalités et les gouvernements fédéral et provinciaux ont toujours été amicales.  Depuis 1986, étant aux prises avec des compressions de dépenses fédérales, les provinces ont eu tendance à reporter leur fardeau sur les municipalités qui, elles, ont répercuté les coûts sur les consommateurs.  Lorsque cela se produit, on parle de délestage ou de pelletage.  Graham et coll. soutiennent que ce délestage peut se produire de deux façons : soit le gouvernement donne à un autre ordre de gouvernement le mandat de fournir un service précis mais sans lui verser le financement nécessaire, soit il cesse tout bonnement d’offrir un service, obligeant ainsi un autre ordre de gouvernement à le faire à sa place(32). Les administrations municipales ont considéré l’adoption de la Loi sur la compression des dépenses publiques (L.C. 1991, c. 9), adoptée en 1991, comme le symbole le plus visible du délestage.  Cette loi a permis au gouvernement fédéral de plafonner les sommes qui sont versées aux provinces dans le cadre du Financement des programmes établis et qui sont traditionnellement consacrées aux services de santé et à l’éducation.  L’effet de ce blocage a été répercuté sur les municipalités.

Le pire cas de délestage s’est produit en janvier 1997 lorsque le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario a entrepris de modifier radicalement les accords de gestion et de financement pour l’éducation, l’aide sociale et un large éventail de services fournis par les villes, sans consulter les administrations municipales ni leurs associations(33). La province a retiré son aide financière dans plusieurs domaines, notamment le logement social, les transports en commun et les services ambulanciers, tout en conservant le pouvoir de contrôler la conception et la mise en œuvre de ces programmes.  Par conséquent, les municipalités ont dû assumer de nouvelles responsabilités sans recevoir de fonds supplémentaires ni jouir d’une véritable autonomie politique(34).

La même chose s’est produite, à un moindre degré, dans presque toutes les villes du Canada.  En réaction, les organisations de municipalités ont tenté de négocier avec les gouvernements provinciaux pour atténuer les effets du délestage.  En outre, comme le soulignent Graham et coll. :

Les associations des municipalités de la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont proposé la création d’une « charte municipale » pour constitutionnaliser la notion de partenariat que sous-entendent les rapports entre les administrations municipales et les autres ordres de gouvernement.  Cela implique de grandes consultations intergouvernementales avant que les provinces repartagent les attributions et renégocient en conséquence les arrangements fiscaux touchant les villes(35).

Certaines municipalités ont choisi de faire pression sur les gouvernements provinciaux pour qu’ils précisent la situation des administrations municipales.  Ainsi, en septembre 1992, l’Union of Nova Scotia Municipalities a demandé instamment au groupe de travail de la Nouvelle-Écosse chargé d’étudier la Constitution d’envisager l’adoption de deux lois provinciales, l’une qui énoncerait clairement et en termes larges les droits des municipalités, et l’autre qui habiliterait les municipalités à administrer leurs activités quotidiennes.  Le maire de Vancouver, Gordon Campbell, a présenté un programme semblable à l’union des municipalités de la Colombie-Britannique(36).

   D.  Villes à charte

Certaines villes ont dépassé ce stade et revendiquent maintenant le statut de « ville à charte ».  Une ville à charte, c’est une ville qui est administrée sous le régime de sa loi expresse, appelée charte.  Cette loi répond aux besoins propres à la ville en lui conférant des pouvoirs et des attributions que ne prévoient pas les lois d’application générale sur les municipalités(37). Dans un rapport paru en mai 2000 et intitulé Towards a New Relationship with Ontario and Canada(38), la Ville de Toronto soutient qu’elle a besoin d’une charte à cause de sa situation particulière de plus grande ville du pays et de centre économique du Canada.  Selon le rapport, comme elle doit concurrencer les villes nord-américaines voisines, Toronto a besoin d’outils différents de ceux des autres municipalités.  En outre, une charte permettrait à la province de refondre en une seule loi la multitude de mesures législatives spéciales qui visent Toronto.  Il est proposé dans le rapport que la charte soit faite sur mesure pour répondre aux besoins de Toronto, puisque c’est certainement possible dans le cadre du régime législatif actuel des municipalités du Canada.

Tous ces arguments récents en faveur soit d’une déclaration provinciale des droits des municipalités, soit du statut de ville à charte ont l’avantage de la simplicité et de la souplesse, mais ces solutions ne résoudront sans doute pas le problème du manque d’autonomie dont se plaignent les municipalités.  Déclarations ou chartes pourraient subir elles aussi des modifications ou l’abrogation comme toute autre loi provinciale applicable aux municipalités(39). De plus, elles pourraient entraîner la fragmentation des formes d’administration municipale actuelles, ce qui créerait une mosaïque de structures municipales disparates au pays.

   E.  Intérêt du gouvernement fédéral pour les affaires urbaines

Sans discuter officiellement de reconnaissance constitutionnelle ni d’autonomie garantie par une loi, le gouvernement fédéral a l’air de s’intéresser davantage aux affaires municipales.  D’ailleurs, les rumeurs de création d’un portefeuille fédéral des affaires urbaines ne se sont jamais éteintes.  À la fin de 2000, des reportages ont donné à penser que le premier ministre Jean Chrétien allait nommer un secrétaire d’État aux Affaires urbaines pour la 37e législature(40). Pourtant, aucun nouveau portefeuille n’a été annoncé lors du remaniement mineur du Cabinet, effectué peu de temps après les élections.  Comme le Québec s’est toujours opposé à l’empiétement du fédéral sur les champs de compétence provinciale et que l’Alberta et l’Ontario le font de plus en plus, il n’est pas certain que, politiquement, une telle mesure soit réalisable.  En outre, le passé nous apprend qu’un portefeuille fédéral des affaires urbaines n’est sans doute pas le meilleur moyen d’accorder aux municipalités une plus grande autonomie et une meilleure stabilité financière, ce qu’elles recherchent.

CONCLUSION

Même si la reconnaissance constitutionnelle demeure un objectif, les municipalités semblent avoir décidé d’aborder la situation d’une manière plus souple et plus diversifiée.  C’est peut-être en partie parce que le fédéral et les provinces sont relativement réticents à reprendre les négociations constitutionnelles.  Les municipalités ont donc choisi de faire pression sur le gouvernement fédéral pour obtenir une aide financière accrue et sur les gouvernements provinciaux pour faire modifier les lois régissant les rapports entre provinces et municipalités.  Pourtant, il est peu vraisemblable qu’elles cessent bientôt de réclamer la reconnaissance constitutionnelle et la sécurité financière garantie.  D’ailleurs, vu la fréquence croissante du délestage et ses effets sur les municipalités et comme l’étendue des problèmes urbains, tels que le crime et les sans-abris, est de mieux en mieux connue, il est fort probable que ces revendications s’amplifient.  Il est toutefois possible que les intérêts des municipalités retiennent davantage l’attention puisque les centres urbains grossissent et que les citadins sont de plus en plus nombreux au Canada.


(1)   Jacques L’Heureux, « Municipalities and the Division of Powers », dans Richard Simeon, éd., Intergovernmental Relations, Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, vol. 63, Toronto,  University of Toronto Press, p. 199-200.

(2)  Harry M. Kitchen et Melville L. McMillan, « Local Government and Canadian Federalism », dans Richard Simeon, éd., Intergovernmental Relations, Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, vol. 63, Toronto, University of Toronto Press, 1985, p. 220.

(3)   Karin Treff et David B. Perry, Finances of the Nation, Toronto, L’Association canadienne d’études fiscales, 1999, p. 8:13.

(4)   L’Heureux, 1985, p. 199-200; A.J.R. Smith, président du Conseil économique du Canada, cité dans The Financial Post, 13 février 1969.

(5)   Secrétariat du Conseil du Trésor, « Infrastructures Canada – Qui sommes-nous? »,
http://www.tbs-sct.gc.ca/ino-bni/main/aboutus_f.asp.

(6)  Smith, 1969 [traduction].

(7)  Afin de combler la pénurie temporaire de logements en temps de guerre, le gouvernement fédéral a créé en 1944 une société d’État, la Wartime Housing Corporation, en vue de consacrer des deniers publics à la création de logements dans les centres urbains au cours de la Seconde Guerre mondiale.  En vertu de la Loi sur les mesures de guerre, les interdictions constitutionnelles qui limitaient l’ingérence du gouvernement fédéral dans les secteurs de compétence provinciale se sont relâchés et ce dernier a commencé à construire des logements de défense d’importance cruciale.  En 1946, les avoirs de cette société d’État ont été cédés à la Société centrale d’hypothèques et de logement, devenue ensuite la Société canadienne d’hypothèques et de logement, dont le mandat était de continuer à stimuler la construction de logements en accordant des prêts hypothécaires à des taux préférentiels.

(8)   Fédération canadienne des maires et des municipalités, Comité mixte sur les relations intergouvernementales, témoignage devant le Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution, 2 mars 1971, p. 11.

(9)  Le mémoire des municipalités se fondait sur l’argument qu’il ne fallait pas gruger l’assiette fiscale des municipalités pour financer l’éducation, ce qui diminuait considérablement les sommes disponibles à des fins strictement municipales.

(10)  Fédération canadienne des municipalités, Mémoire présenté au Groupe de travail sur l’unité canadienne, 20 juin 1977.

(11)   Fédération canadienne des municipalités, Groupe d’experts chargé d’étudier la réforme constitutionnelle, « L’administration municipale dans un nouveau régime fédéral canadien », Ottawa, 1980.

(12)   Parlement, Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 20 novembre 1980, 9:10.

(13)   Fédération canadienne des municipalités, Mémoire présenté au Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 20 novembre 1980, p. 9.

(14)  Forum, vol. 4, n° 12, octobre 1980, p. 1.

(15)  Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution, 1980, 9:12.

(16)  Ibid., 9:13, 20.

(17)   L’Heureux, 1985, p. 201 [traduction].

(18)  Kitchen et McMillan, 1985, p. 245 [traduction].

(19)  H. Peter Oberlander, « Preface », Meech Lake:  From Centre to Periphery, Université de la Colombie-Britannique, 1988, p. 3.

(20)  Evelyn S. Ruppert, Municipalities and a Changing Canadian Federalism:  A Background Paper Prepared for Delegates to the 1991 AMO Conference, Association des municipalités de l’Ontario, août 1991.

(21)   Fédération canadienne des municipalités, « Rôle futur des gouvernements municipaux », énoncé de politique, Ottawa, Fédération canadienne des municipalités, juin 2000, p. 5.

(22)   Ibid., p. 1.

(23)   Procès-verbaux du Comité permanent des finances sur les consultations prébudgétaires, 17 novembre 1999, 16:00.

(24)   Procès-verbaux et témoignages, Comité permanent des finances, consultations prébudgétaires, 23 novembre 1999, 14:40; 19 novembre 1999, 9:40; et 9 novembre 1999, 16:40.

(25)   Katherine Graham, Susan D. Phillips et Allan M. Maslove, Urban Governance in Canada, Toronto, Harcourt Brace, 1998, p. 187.

(26)   Graham et coll., p. 186 [traduction].

(27)   Caroline Andrew et Jeff Morrison, « Canada Infrastructure Works:  Between ‘Picks and Shovels’ and the Information Highway », How Ottawa Spends 1995-96: Mid-Life Crises, Susan D. Phillips, dir., Ottawa, Carleton University Press, 1995, p. 112.

(28)   Secrétariat du Conseil du Trésor, « Infrastructures Canada – Qui sommes-nous? »,
http://www.tbs-sct.gc.ca/ino-bni/main/aboutus_f.asp.

(29)  Conseil canadien des ministres de l’Environnement, Plan d’action national pour encourager l’économie d’eau potable dans les municipalités, Winnipeg, Conseil canadien des ministres de l’Environnement, 1994, p. 2.

(30)  « Forces Reimbursed », Calgary Herald,26 mars 1998, p. A9.

(31)  Basem Boshra, « Toronto storm snow job of the year:  Lastman’s appeal to army rates as top weather story of 1999 », The Montreal Gazette, 24 décembre 1999, p. A1.

(32)  Voir Graham et coll., p. 174 et 287.

(33)   Ibid., p. 181.

(34)  Ibid., p. 282.

(35)   Ibid., p. 184 [traduction].

(36)   Union of Nova Scotia Municipalities, Submission of the Union of Nova Scotia Municipalities to the Working Committee on the Constitution, septembre 1991; Gordon Campbell, Local Government and the Constitutions:  Outline for a Presentation to the Union of B.C. Municipalities 1991 Convention.

(37)  On trouve de plus amples renseignements sur les villes à charte du Canada dans Ville de Toronto, Corporate Services Legal Division, Powers of Canadian Cities:  The Legal Framework, June 2000,
http://www.city.toronto.on.ca/ourcity/citycharterrep1.pdf.

(38)  Voir le site web de la Ville de Toronto pour lire le rapport et d’autres sur le statut de ville à charte à
http://www.city.toronto.on.ca/ourcity/citycharter.htm.

(39)  On pourrait rendre la modification plus difficile en remplaçant, par exemple, le vote à la majorité simple par l’obligation d’obtenir l’assentiment de 60 p. 100 des députés.

(40)   Voir Ken Gray, « Federal government ponders creating urban affairs portfolio », Ottawa Citizen, 9 janvier 2001, p. D1; Susan Riley, « It looks as if the upcoming parliamentary session will be a sleepy one », The Sault Star, 10 janvier 2001, p. A4; James Travers, « Changes to cabinet will be few », The Kitchener-Waterloo Record, 5 décembre 2000, p. A9.