BP-338F
LES DÉCHETS FORTEMENT
Rédaction : TABLE
DES MATIÈRES LE
CONCEPT CANADIEN DÉVACUATION DES DÉCHETS DE RÉACTIONS AU PROGRAMME DU CANADA B. Les groupes environnementaux et les groupes dautochtones LES TRAVAUX RÉALISÉS DANS DAUTRES PAYS LES DÉCHETS FORTEMENT RADIOACTIFS AU CANADA L'évacuation des déchets radioactifs constitue actuellement l'un des plus graves problèmes environnementaux du Canada. Depuis que les chercheurs canadiens ont commencé, durant la Deuxième Guerre mondiale, à étudier les réactions nucléaires, ces déchets n'ont jamais cessé de s'accumuler. Les réacteurs de recherche construits immédiatement après la guerre produisaient de petites quantités de déchets radioactifs, mais le volume de ces derniers a augmenté régulièrement lorsque les réacteurs de puissance construits durant les années 60 et 70 ont commencé à générer des grappes de combustible épuisé. Ces déchets radioactifs ont été stockés d'une manière sécuritaire à court terme, mais aucun système d'évacuation permanente n'a encore été mis au point de façon définitive et appliqué. Le Canada n'est pas le seul à se trouver dans cette situation. Un grand nombre d'autres pays utilisent des réacteurs de puissance, mais aucun n'a encore trouvé de méthode d'élimination permanente des déchets radioactifs. Des chercheurs et ingénieurs de partout au monde étudient diverses solutions, mais il reste encore d'énormes difficultés à surmonter. Au Canada, les grappes de combustible épuisé des réacteurs nucléaires sont considérées comme des déchets fortement radioactifs; tous les autres déchets produits aux différentes étapes du cycle du combustible nucléaire sont classés dans les déchets faiblement radioactifs. L'élimination des déchets faiblement radioactifs constitue certes une question importante, mais il s'agit d'un problème plus simple à régler que l'élimination des déchets fortement radioactifs. Dans le présent document, nous nous attachons à ce dernier problème et analysons le Programme canadien de gestion des déchets de combustible nucléaire, dans le cadre duquel des chercheurs et des ingénieurs travaillent depuis plus de 15 ans àl'élaboration d'un plan d'élimination permanente, qui ne sera toutefois pas terminé avant quelque temps encore. Nous examinons aussi le processus d'évaluation qu'utilise le Programme, les coûts de ce dernier, ainsi que les critiques formulées à son égard par les groupes environnementaux. Pour clarifier notre propos, il convient tout d'abord de décrire brièvement ce qu'est la radioactivité, d'indiquer en quoi consiste le processus de fission et d'expliquer succinctement le fonctionnement d'un réacteur nucléaire. Toute la matière est composée d'atomes. Chaque atome comprend un noyau qui se compose de neutrons et de protons, dans lequel est concentré presque toute la masse de l'atome et autour duquel gravitent des électrons en orbite. Étant donné que l'atome compte le même nombre de protons (charge positive) que d'électrons (charge négative), il est électriquement neutre. La plupart des atomes sont stables; ceux qui ne le sont pas émettent constamment de l'énergie afin de le devenir. C'est cette énergie qu'on appelle radiations et qui prend la forme de rayonnements alpha, bêta ou gamma. Les particules alpha n'ont pas une très grande force de pénétration et une feuille de papier ou quelques millimètres d'air suffisent à les stopper. Les particules bêta, elles, peuvent être bloquées par une pièce de bois de plusieurs centimètres d'épaisseur. Quant aux particules gamma, elles sont très pénétrantes et seule une certaine épaisseur d'un matériau spécifique comme le béton ou l'eau peut les arrêter. Un élément se définit par le nombre de protons que compte son noyau. Les isotopes d'un élément comptent tous le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons; ils ont, par conséquent, une masse différente. De nombreux isotopes sont instables et, en émettant des radiations, ils se transforment spontanément en d'autres isotopes. La période nécessaire pour que la moitié d'un isotope donné se transforme en un autre s'appelle la « période radioactive ». L'uranium est un élément radioactif naturel ayant une période radioactive de plus d'un milliard d'années. Il existe un certain nombre d'isotopes distincts de l'uranium; certains d'entre eux peuvent faire l'objet d'une fission, un processus au cours duquel le noyau lourd d'un atome d'uranium absorbe un neutron et se divise en deux fragments plus petits tout en libérant de l'énergie. C'est cette énergie, sous forme de chaleur, qui est exploitée dans un réacteur nucléaire de puissance afin de produire de l'électricité. On appelle produits de fission ces deux fragments plus légers qui sont formés lors de la séparation d'un noyau d'uranium. Au moment de la fission, un certain nombre d'autres particules radioactives sont émises, ainsi que des neutrons qui viennent briser d'autres atomes d'uranium, ce qui permet au processus de production de la chaleur de se poursuivre. Le lecteur trouvera au tableau 1 une liste de certains des isotopes importants qui sont formés durant une réaction nucléaire et qui doivent ensuite être éliminés en tant que déchets radioactifs. Au cours de la réaction nucléaire, les produits de fission augmentent en nombre et en volume. Après un certain temps, ces produits commencent à absorber trop de neutrons et la réaction nucléaire ralentit. Le réacteur de puissance canadien CANDU utilise comme combustible l'oxyde d'uranium (UO2), lequel est obtenu après raffinage du minerai d'uranium. Cet oxyde est transformé en pastilles céramiques solides qui sont ensuite scellées à l'intérieur de tubes métalliques (alliage de zirconium) et soudées ensemble pour former une grappe de combustible. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la grappe de combustible ne peut demeurer dans le réacteur que pendant une période limitée avant qu'elle ne commence à ralentir la réaction nucléaire. Dans un réacteur CANDU, le combustible est retiré après environ 18 mois, alors qu'environ 2 p. 100 de l'uranium s'est transformé en de nouveaux éléments. La grappe de combustible épuisé est très radioactive et doit être stockée sous au moins trois mètres d'eau afin que les radiations soient bloquées. La plupart des éléments radioactifs qui se trouvent dans le combustible épuisé se décomposent rapidement en éléments stables. Une heure après leur retrait du réacteur, les grappes de combustible épuisé ont perdu plus de 60 p. 100 de leur radioactivité; toutefois, les produits de fission restants conservent toujours une très grande force de pénétration. Un an plus tard, il suffirait qu'une personne soit exposée pendant dix minutes à ce combustible épuisé pour reçevoir une dose mortelle de radiations. Après 500 ans, les rayonnements pénétrants ne constituent plus une menace, mais les éléments ayant une période de radioactivité plus longue émettent toujours des radiations qui seraient dangereuses s'ils étaient ingérés. C'est pour cette raison que dans tout système d'évacuation, il faut s'assurer que ces produits de fission ne contaminent pas l'environnement. Tableau 1
* Temps nécessaire à la
désinstégration de la moitié des atomes radioactifs. Source: Ontario, Royal Commission on Electric Power Planning (Arthur Porter, Pr président), A Race Against Time: Interim Report on Nuclear Power in Ontario, p. 74-75. De nos jours, le stockage dans l'eau constitue la principale méthode utilisée au Canada pour les grappes de combustible épuisé. On a toujours reconnu qu'il s'agissait d'une méthode sécuritaire mais temporaire de stockage des déchets radioactifs. Sa principale lacune, c'est qu'elle nécessite une surveillance permanente et qu'elle n'entraîne pas l'évacuation des déchets des lieux habités. Ainsi, les déchets du réacteur nucléaire de Pickering, à l'ouest de Toronto, sont stockés sur place, près du réacteur. Cette solution n'est pas satisfaisante à long terme. LE CONCEPT CANADIEN D'ÉVACUATION DES DÉCHETS DE COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE Au début, les déchets des réacteurs de recherche étaient simplement stockés dans des bassins remplis d'eau aménagés tout près de ceux-ci. Des chercheurs ont étudié d'autres options en transformant les déchets radioactifs en billes d'aluminosilicate qui ont ensuite été enfouies de manière à ce que la lixiviation et la migration de ces déchets puissent être étudiées. Toutefois, la méthode la plus simple demeurant le stockage sous l'eau, c'est donc celle-ci qui a été temporairement adoptée. En 1975, des chercheurs et des ingénieurs avaient conçu une méthode de stockage à sec où le combustible épuisé provenant du réacteur ou des bassins de stockage sous l'eau est placé dans des paniers de confinement primaire entourés d'une garniture d'acier jouant le rôle d'alvéole ou enceinte de confinement secondaire. Ces paniers sont ensuite entreposés dans des cartouches de béton renforcées à l'aide de tiges d'acier. Lorsque la cartouche est pleine, on y soude un bouchon afin de la sceller. On estime que ces cartouches ont une espérance de vie variant entre 50 et 100 ans. Le stockage sous l'eau et le stockage à sec constituent des méthodes acceptables d'évacuation temporaire des déchets radioactifs, mais on reconnaît depuis longtemps qu'il faut absolument trouver une méthode d'évacuation permanente de ces déchets. En 1977, Énergie, Mines et Ressources Canada a commandé une étude, dirigée par le professeur F.K. Hare de l'Université de Toronto, afin de déterminer les diverses méthodes qui pourraient être utilisées pour stocker à long terme les déchets radioactifs. Le groupe de travail a étudié un certain nombre d'options, notamment la projection de ces déchets dans l'espace lointain ou leur enfouissement dans les fonds marins; il a par la suite recommandé la tenue d'une enquête sur leur stockage dans les couches profondes de la roche granitique du Bouclier canadien. Cette recommandation a été approuvée un an plus tard par la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique de l'Ontario(1). En 1978, les gouvernements du Canada et de l'Ontario ont mis sur pied le Programme canadien de gestion des déchets de combustible nucléaire. On a alors demandé à Énergie atomique du Canada Limitée (ÉACL) d'évaluer le concept du stockage du combustible dans le Bouclier canadien et de mettre au point les techniques connexes nécessaires. Ce programme, qui est administré par l'Établissement de recherches nucléaires de Whiteshell, à Pinawa, au Manitoba, est axé sur l'étude des aspects géologiques, hydrogéologiques, géotechniques et géophysiques du stockage de ces déchets dans la roche granitique du Bouclier canadien. Ontario Hydro est responsable de la conception des installations de stockage temporaires et des méthodes de transport du combustible épuisé(2). Dès le départ, il est devenu évident que le choix de l'emplacement des installations de stockage posait problème. De nombreuses collectivités auxquelles on avait demandé la permission de mener des études géologiques dans leur secteur s'opposaient à la réalisation de ces travaux. Pour aplanir ces difficultés, on a annoncé en 1981 que le programme serait modifié; un concept d'évacuation des déchets serait tout d'abord élaboré et on choisirait ensuite l'emplacement des installations. De plus, des audiences publiques seraient tenues afin de s'assurer que tous les intervenants qui le souhaitent puissent participer au processus de sélection de l'emplacement(3). On discutera plus loin de la forme et de l'étendue de ces audiences publiques. Au Canada, comme nous l'avons vu, la méthode proposée pour l'évacuation des déchets radioactifs est leur enfouissement dans les couches rocheuses profondes du Bouclier canadien. Cette formation rocheuse a été choisie pour un certain nombre de raisons. Le Bouclier canadien est stable depuis au moins 600 millions d'années et, dans sa majeure partie, il n'a connu aucune activité orogénique (« formation de montagnes ») depuis 2,5 milliards d'années; il est donc probable que cette formation demeure stable pendant la durée de vie d'une alvéole ou enceinte d'évacuation. De plus, la pente est faible à l'intérieur du Bouclier, ce qui signifie que la force naturelle d'écoulement de l'eau devrait être faible en profondeur(4). La faible porosité et la faible perméabilité des grandes quantités de roches plutoniques qui se trouveraient dans le Bouclier canadien réduisent encore davantage les possibilités de migration des eaux souterraines(5). L'installation d'alvéoles d'évacuation à l'intérieur de ce type de roches permettrait de limiter les infiltrations d'eau souterraine et d'empêcher la migration des contaminants dans les couches rocheuses. On sait en outre que les minéraux contenus dans les roches plutoniques réagissent avec un grand nombre des radionucléides qui se trouvent dans les déchets de combustible nucléaire, ce qui diminuerait aussi la mobilité de ces derniers. L'énorme superficie du Bouclier canadien constitue un dernier avantage important puisqu'on pourrait compter sur un large éventail d'emplacements(6). Étant donné la marge de manoeuvre que procure cette option et puisque le choix d'un emplacement créera inévitablement une grande controverse, Énergie atomique Canada Limitée (ÉACL) est en train d'élaborer une proposition générale prévoyant l'aménagement d'alvéoles d'évacuation n'importe où dans le Bouclier canadien. Une fois que ce concept aura été accepté, il faudra s'attaquer au problème difficile du choix d'un emplacement précis. L'alvéole d'évacuation proposée ressemblerait à une mine. Composée de 480 salles d'évacuation, elle occuperait une superficie d'environ quatre kilomètres carrés, à une profondeur variant entre 500 et 1 000 mètres. On pourrait évacuer environ 190 000 tonnes de combustible épuisé dans une telle enceinte(7). Le combustible épuisé serait scellé à l'intérieur de conteneurs en titanium inoxydables et suffisamment grands pour recevoir 72 grappes de combustible CANDU. L'espace libre à l'intérieur serait comblé par des billes de verre qui fourniraient un support mécanique contre la pression provenant de l'extérieur du conteneur. Il s'agit d'empêcher les eaux souterraines d'atteindre le combustible épuisé pendant au moins 500 ans. Une fois le combustible scellé dans les conteneurs, chacun de ceux-ci serait placé dans un trou foré dans le plancher d'une salle d'évacuation et entouré d'un matériau tampon. La partie inférieure de la salle serait remblayée avec un mélange d'argile et de granit concassé, et ensuite recouverte d'un mélange de bentonite et de sable. Des cloisons en béton bloqueraient les entrées de la salle et un coulis serait utilisé afin d'en assurer l'étanchéité. Enfin, les tunnels d'accès à l'avéole seraient remblayés de la même façon que les salles d'évacuation. Même les puits menant aux tunnels d'accès seraient remblayés avec du granit concassé et de l'argile compactée(8). Pour l'évacuation des déchets de combustible nucléaire, l'une des difficultés est de concevoir un système qui sera sûr pendant des milliers d'années. Même s'il est impossible de garantir une sûreté permanente, il est possible d'élaborer des modèles démontrant de façon convaincante et indirecte que le système d'évacuation proposé fournit un niveau de sûreté satisfaisant pour les générations actuelles et futures(9). Puisqu'il est impossible de mettre à l'essai le système d'évacuation pendant la période nécessaire, on a élaboré des modèles mathématiques afin de simuler comment le système réagira à des événements futurs possibles, dans des conditions d'exploitation tant normales qu'anormales. Les modèles ont été élaborés à l'aide de renseignements obtenus lors de l'établissement du concept d'évacuation des déchets. Afin de déterminer la fiabilité de ces modèles, on compare leurs prédictions aux résultats d'observations de certains procédés (comme le comportement de gisements d'uranium) faites sur le terrain ou en laboratoire ainsi qu'aux résultats d'autres modèles mis au point de façon indépendante(10). Pour évaluer comment le système se comportera après sa fermeture, on le divise en trois composantes : l'alvéole, la géosphère et la biosphère. L'alvéole comprend les déchets et les conteneurs, le matériau tampon entourant le conteneur et les matériaux utilisés pour remblayer et sceller l'alvéole. On utilise un modèle qui simule la corrosion des conteneurs, la libération des contaminants à partir des déchets et leur migration dans le matériau tampon et le remblai pour évaluer le déplacement des contaminants de l'alvéole vers la géosphère environnante(11). La géosphère comprend les couches rocheuses et leur système d'écoulement des eaux souterraines. Le modèle simule le mouvement des eaux souterraines dans la roche entourant l'alvéole, la migration des contaminants dans les eaux souterraines et la décharge des contaminants à certains endroits, à la surface(12). Enfin, le modèle de la biosphère simule la migration des contaminants dans la biosphère, c'est-à-dire dans les eaux de surface, le sol, l'air, les plantes et les animaux. Il examine aussi les radiations auxquelles pourraient être exposés les êtres humains(13). Il n'est pas possible de prédire la sûreté des divers systèmes avec une certitude absolue, mais les modèles fournissent un fondement technique permettant de déterminer si le système proposé présentera un niveau de sûreté satisfaisant pour les générations actuelles et futures. Pour évaluer l'ampleur et la qualité du programme technique entrepris par les chercheurs et ingénieurs d'ÉACL, l'entreprise a créé en 1980 un Comité technique consultatif dont les membres sont choisis à partir d'une liste de personnes proposées par les principales associations de chercheurs et d'ingénieurs au Canada(14). Ce Comité, qui est formé de pairs, joue le rôle d'organisme d'examen indépendant et conseille ÉACL sur les recherches effectuées dans le cadre du Programme de gestion des déchets de combustible nucléaire. Il étudie les projets de recherche proposés et suggère des solutions de rechange et des ajouts au besoin, examine les méthodes scientifiques utilisées et passe en revue les résultats obtenus afin de garantir la validité des conclusions. Chaque année, il publie un rapport sur les progrès scientifiques et techniques réalisés au cours des douze derniers mois(15). À l'heure actuelle, le Comité technique consultatif compte 16 membres, tous nommés pour un mandat de trois ans. Il se réunit parfois au complet, mais il comprend aussi quatre sous-comités (sciences de la terre, barrières artificielles, sciences biologiques et analyse des systèmes). Afin d'assurer une continuité, certains membres siègent au sein de plus d'un sous-comité et les mandats des membres de ces sous-comités peuvent être renouvelés(16). Le Comité relève du vice-président responsable des sciences environnementales et de la gestion des déchets à ÉACL. Son indépendance est garantie par le fait que ses membres sont proposés par des associations scientifiques, que ses rapports sont publics et que les citoyens sont invités à participer à ses travaux. Le Comité est en mesure de garantir l'examen scientifique et technique du Programme de gestion des déchets de combustible nucléaire. Dès le début, on a toutefois reconnu qu'il est essentiel que le public participe au processus si l'on veut qu'il accepte ensuite le concept d'évacuation proposé. C'est la raison pour laquelle les citoyens ont été invités à un certain nombre de reprises à participer au processus d'examen. En octobre 1989, le ministre de l'Environnement a nommé une commission d'évaluation afin d'étudier le concept de la gestion des déchets de combustible nucléaire. Présidée par M. Blair Seaborn, un ancien sous-ministre d'Environnement Canada, la commission était composée de huit membres ayant de l'expérience dans diverses disciplines techniques, sociales et économiques. Un groupe d'examen scientifique a aussi été mis sur pied afin de faciliter l'évaluation des questions scientifiques et techniques(17). Le déroulement général des évaluations environnementales est précisé dans le Décret sur les lignes directrices du Processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (PÉEE), mais chaque commission doit établir les détails de l'évaluation qu'elle réalisera. Dans ce cas-ci, on a décidé de tout d'abord tenir des séances de collecte de l'information afin d'établir la portée de l'évaluation ainsi que des audiences publiques où les groupes ont présenté leurs points de vue sur le concept d'évacuation. Puis, les parties intéressées ont pu étudier et commenter les lignes directrices en vue de la préparation d'un énoncé des incidences environnementales. La commission a tenu des audiences dans diverses collectivités des cinq provinces qui ont un intérêt direct dans l'industrie nucléaire : la Saskatchewan, le Manitoba, l'Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick(18). Pendant toute l'année 1990, des séances publiques ont été organisées afin d'informer les citoyens sur le concept d'évacuation et le processus d'évaluation en cours. Au total, 130 groupes ont participé aux réunions visant à établir la portée de l'évaluation environnementale et ont donc pu formuler des commentaires sur l'énoncé des incidences environnementales. Comme nous le verrons plus loin, de nombreux groupes ont trouvé beaucoup à redire sur le concept d'évacuation et sur le processus d'évaluation. En mars 1992, la commission d'évaluation et d'examen en matière d'environnement a publié les « Lignes directrices finales pour la préparation d'un énoncé des incidences environnementales sur le concept de la gestion et de l'évacuation des déchets de combustible nucléaire ». L'énoncé des incidences environnementales, qui devrait être rendu public à la fin de 1993, délimitera le problème des déchets nucléaires, décrira le concept d'évacuation d'ÉACL et les solutions de rechange, expliquera comment ce concept serait mis en oeuvre et fera une analyse de son impact probable(19). Une fois que l'énoncé des incidences environnementales aura été publié, des audiences publiques seront tenues. Puis, les changements nécessaires seront apportés et on espère que la Commission sera en mesure de présenter son rapport au gouvernement d'ici 1995. RÉACTIONS AU PROGRAMME DU CANADA Deux comités permanents de la Chambre des communes ont étudié le Programme canadien de gestion des déchets de combustible nucléaire au cours de la dernière décennie. En janvier 1988, le Comité permanent de l'environnement et des forêts a publié un rapport intitulé Les déchets hautement radioactifs au Canada : La onzième heure a sonné. L'une des recommandations les plus controversées de ce rapport proposait l'imposition d'un moratoire sur la construction de centrales nucléaires au Canada jusqu'à ce qu'on ait trouvé une solution acceptable au problème des déchets de combustible nucléaire. Voici certaines des autres recommandations du rapport: tenter de réduire tant la quantité que le volume de déchets produits, réaliser une évaluation scientifique indépendante des modèles informatiques utilisés pour vérifier le concept d'évacuation des déchets radioactifs, organiser des audiences publiques sur la sélection d'un site et mettre en oeuvre un processus d'examen public si le Canada envisage de prendre en charge des déchets nucléaires provenant d'autres pays(20). En août 1988, le Comité permanent de l'énergie, des mines et des ressources a mené une étude beaucoup plus vaste sur l'économie de l'énergie nucléaire au Canada. Même dans ce contexte, les deux premières recommandations du Comité portaient sur la gestion des déchets radioactifs. En effet, le Comité recommandait que la mise en oeuvre du programme d'établissement d'un site commercial d'enfouissement des déchets fortement radioactifs soit accélérée et que des crédits supplémentaires nécessaires à cette fin soient débloquées. De plus, il ordonnait à la Commission de contrôle de l'énergie atomique de comparaître devant lui afin de venir présenter ce nouveau programme accéléré et justifier ses décisions(21). B. Les groupes environnementaux et les groupes d'autochtones Durant les audiences tenues afin d'établir le mandat de la commission d'évaluation environnementale, un certain nombre de groupes environnementaux et de groupes d'autochtones sont venus expliquer pourquoi ils n'étaient pas d'accord avec le Programme de gestion des déchets de combustible nucléaire proposé. Bon nombre ont critiqué le mandat donné à la commission parce que celui-ci excluait explicitement un certain nombre de sujets, notamment les plans de gestion à long terme de l'énergie nucléaire au Canada. Certains soutenaient que l'évacuation des déchets ne pouvait être séparée de cette question plus globale(22). Le peu de temps et d'argent accordés aux groupes d'intérêt public a constitué un autre grand sujet de mécontentement. ÉACL, une société d'État fédérale, disposait d'un budget important à cet égard, mais les intervenants ont jugé qu'on ne leur avait pas accordé suffisamment d'argent et de temps pour préparer leurs mémoires. Comme l'un des participants l'a signalé, l'impression qui reste, c'est « qu'on a fait participer le public presque seulement pour la forme »(23). Certains ont aussi souligné qu'ÉACL risquait de se placer dans une situation de conflit d'intérêts en acceptant de réaliser les recherches sur le concept d'évacuation. Un intervenant a soutenu « qu'il semble inapproprié qu'on fasse confiance à ÉACL pour élaborer un plan d'évacuation des déchets quand tout l'avenir de l'industrie nucléaire peut dépendre des résultats de ce processus »(24). Un autre participant a soutenu qu'il est peu probable que les chercheurs et ingénieurs imprégnés de la « culture d'entreprise » d'ÉACL remettent en question des aspects du concept d'évacuation de crainte de nuire à leurs carrières(25). Des groupes d'autochtones du nord de l'Ontario se sont pour leur part inquiétés du fait que les installations d'évacuation des déchets puissent être aménagées sur leurs terres(26) et que le transport de déchets nucléaires dans le nord de l'Ontario puisse entraîner un accident qui contaminerait l'environnement naturel de cette région. Il reste à voir comment les groupes qui ont comparu devant la commission d'évaluation environnementale réagiront à l'énoncé des incidences environnementales en cours de préparation par ÉACL. Il est peu probable que les personnes opposées à la construction de toute installation d'évacuation ou à la participation d'ÉACL au processus d'examen soient satisfaites de ce document. Il demeure toutefois qu'ÉACL aura au moins tenté d'ouvrir le processus d'évaluation environnementale aux nombreux intervenants qui souhaitaient y participer. LES TRAVAUX RÉALISÉS DANS D'AUTRES PAYS Le Canada n'est pas le seul à être aux prises avec le grave problème de l'évacuation des déchets radioactifs. Tous les pays ayant des réacteurs nucléaires, des armes nucléaires ou des programmes de recherche dans ce domaine devront un jour ou l'autre décider de ce qu'ils feront de leurs déchets. Même si d'autres gouvernements sont aussi en train d'élaborer des programmes d'évacuation, aucun n'a encore aménagé d'installations, et il arrive souvent que le public s'oppose aux décisions prises dans ce domaine. Ainsi, les États-Unis, qui doivent se débarrasser des déchets nucléaires résultant tant de leurs programmes civils que de leurs programmes militaires, ne sont pas à la veille de trouver une méthode d'évacuation convenable(27) même si des études sur cette question y sont menées depuis plus de 30 ans. En 1982, le gouvernement a adopté la Nuclear Waste Policy Act qui a établi des lignes directrices générales, une politique et des échéanciers en vue de l'évacuation du combustible épuisé et des déchets fortement radioactifs. Les délais fixés se sont toutefois révélés difficiles à respecter, en particulier parce que le choix de l'emplacement des installations d'évacuation soulève de plus en plus de controverse. Ainsi, le projet des montagnes Yucca, dans le Nevada, s'est heurté à une opposition vigoureuse et on est toujours en train d'étudier les difficultés scientifiques et techniques liées à l'aménagement des installations proposées. La France, qui vient tout de suite après les États-Unis pour la production d'électricité à l'aide d'énergie nucléaire, cherche aussi à trouver un moyen d'évacuer ses déchets. Le type d'installations à construire dépendra de l'emplacement choisi. L'annonce, en 1987, de quatre emplacements possibles a créé une vive controverse. Depuis, on a réduit à deux le nombre de ces emplacements possibles, mais on ne sait pas où ils sont situés. Une décision définitive est attendue depuis quinze ans(28). D'autres pays européens sont en train d'élaborer un concept d'évacuation des déchets de combustible nucléaire, mais aucun programme n'est actuellement appliqué. Là encore, c'est l'emplacement de l'alvéole d'évacuation qui soulève le plus de controverse. Le Canada a éludé ce problème jusqu'à maintenant, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne doive le régler. Les pays occidentaux devront surmonter d'énormes obstacles scientifiques et politiques afin de résoudre ce dilemme, mais leurs difficultés perdent de leur importance lorsqu'on les compare à celles des pays de l'ancienne Union soviétique et de l'Europe de l'Est, où l'on ne compte plus les cas de réacteurs mal construits, de mécanismes de sûreté insuffisants et de contamination nucléaire généralisée au cours des quatre dernières décennies. Afin d'aider ces pays à évacuer de manière sûre leurs déchets nucléaires, il est clair que l'Ouest devra leur fournir une aide financière et technique. À l'aube du XXIe siècle, le Canada, comme les autres pays possédant des programmes nucléaires, continue de chercher des solutions à un problème qui n'a cessé de s'aggraver depuis près de 50 ans. Des méthodes d'évacuation ont été conçues, mais les chercheurs ne peuvent garantir qu'elles continueront à fonctionner pendant des dizaines de milliers d'années. Cette incertitude au sujet de la sûreté à long terme des méthodes d'évacuation des déchets nucléaires a poussé certains observateurs à proposer que les déchets fortement radioactifs demeurent entreposés tant que les chercheurs n'auront pas trouvé de meilleure façon de s'en occuper d'une manière efficace. Néanmoins, la plupart des pays, dont le Canada, ont décidé de mettre en oeuvre leurs plans d'évacuation actuels. La solution de l'enfouissement dans les couches géologiques profondes que propose le Canada est le résultat de recherches scientifiques et techniques menées depuis plusieurs années et d'ailleurs toujours en cours. Il reste encore à déterminer la forme finale du système d'évacuation, l'emplacement des installations et la date possible d'achèvement des travaux. Au Canada, comme dans les autres pays, les consultations publiques sur le système d'évacuation proposé ont permis à divers groupes de critiquer le projet. On espère que cette consultation poussée des citoyens fera en sorte que la population acceptera plus facilement le système retenu. Jusqu'à maintenant, le Canada a réussi à éviter la plupart des réactions négatives qui se sont fait jour dans les autres pays en ne choisissant aucun emplacement précis pour les installations d'évacuation. Il est probable que l'annonce de l'emplacement choisi soulèvera de nombreuses discussions et manifestations d'opposition. Malgré ces obstacles futurs, on continue d'appliquer le programme de recherche canadien afin de tenter de trouver une méthode sûre et écologiquement acceptable d'évacuer ces déchets de combustible nucléaire fortement radioactifs. (1) Robert L. Greyell, « Nuclear Fuel Waste Disposal: Canada's Environmental Review Begins », p. 307. (2) B. Gray et G. Underdown, « Perspectives of the Proponent and Initiating Department on the Federal Enviromental Review of the Canadian Nuclear Fuel Waste Management Program », Énergie atomique du Canada Limitée, Établissement de recherches nucléaires de Whiteshell (Manitoba), sans date p. 2. (3) Ibid., p. 3. (4) K. Nuttall et D.F. Torgerson, « Developments in the Canadian Concept for Disposing of Nuclear Fuel Waste », document présenté lors de la conférence internationale conjointe sur la gestion des déchets tenue du 21 au 24 octobre 1991, p. 1. (5) Les roches plutoniques sont le résultat de la solidification de roches magmatiques sous la surface du globe. (6) Nuttall et Torgerson (1991), p. 1. (7) Ibid., p. 2. (8) Ibid. (9) Organisation de coopération et de développement économiques, Évacuation des déchets radioactifs : Peut-on évaluer la sûreté à long terme?, Paris, 1991, p. 12. (10) K.W. Dormuth et P.A. Gillespie, « Évacuation des déchets de combustible nucléaire au Canada Programme de recherche générique », ÉACL-10183, mai 1990, p. 24. (11) Ibid., p. 25. (12) Ibid., p. 26. (13) Ibid., p. 27. (14) Il s'agit de l'Institut de chimie du Canada, de l'Institut canadien des ingénieurs, du Conseil géoscientifique canadien, de l'Institut canadien des mines et de la métallurgie, de l'Association canadienne des physiciens, de la Fédération canadienne des sociétés de biologie du Conseil canadien de biologie, et de l'Association canadienne de l'informatique. (15) Pour obtenir des exemplaires de ces rapports (Rapports annuels CTC-1 à CTC-12, Comité technique consultatif sur le Programme de gestion des déchets de combustible nucléaire), prière de communiquer avec le professeur L.W. Shemilt, président du Comité technique consultatif, 1980-1991, Université McMaster, Hamilton (Ontario) L8S 4K1. (16) Comité technique consultatif sur le Programme de gestion des déchets de combustible nucléaire, 12e rapport annuel, mars 1992, p. 4. (17) Gray et Underdown, p. 4. (18) Ibid. (19) Commission fédérale d'évaluation environnementale, « Lignes directrices finales pour la préparation d'un énoncé des incidences environnementales sur le concept de la gestion et de l'évacuation des déchets de combustible nucléaire », mars 1992. (20) Comité permanent de l'environnement et des forêts de la Chambre des communes, Les déchets hautement radioactifs au Canada : La onzième heure a sonné, janvier 1988, p. 35-37. (21) Comité permanent de l'énergie, des mines et des ressources de la Chambre des communes, Démystification de l'énergie nucléaire, août 1988, p. 9. (22) Mémoire présenté par le groupe Nuclear Awareness Project devant la commission d'évaluation environnementale le 23 octobre 1990 (les interéssés peuvent se procurer ce document en s'addresant au Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales). (23) Environment North, mémoire présenté à la commission d'évaluation environnementale le 29 octobre 1990 (traduction). (24) Mémoire du groupe Nuclear Awareness Project présenté à la commission d'évaluation environnementale le 23 octobre 1990 (traduction). (25) Mémoire du groupe Energy Probe présenté à la commission d'évaluation environnementale le 22 octobre 1990. (26) Voir par exemple le mémoire de la nation nishnawbe-aski présenté à la commission d'évaluation environnementale le 22 novembre 1990. (27) Acres International Limited, A Review of Various Approaches Being Undertaken by Industrialized Nations for the Management and Disposal of High-level Nuclear Waste, avril 1989, section 8, p. 1-14; Nicholas Lenssen, Nuclear Waste: The Problem That Won't Go Away, décembre 1991, p. 34-37. (28) Lenssen (1991), p. 37-38. |