BP-348F

 

ADMISSIBILITÉ À LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE
DE PERSONNES DÉCLARÉES COUPABLES DE MEURTRE :
L'ÉVOLUTION DE LA RÉVISION JUDICIAIRE

 

Rédaction  Marilyn Pilon
Division du droit et du gouvernement

Octobre 1993
Révisé en mars 1997

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

PEINES IMPOSÉES AUX PERSONNES RECONNUES COUPABLES DE MEURTRE

LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE " LUEUR D'ESPOIR "

   A.  Les origines de la révision judiciaire de l'admissibilité à la libération conditionnelle

   B.  Les résultats des demandes de révision

   C. Processus de révision

EXAMEN DES ÉLÉMENTS DE PREUVE - APPELS

   A.  Renseignements généraux

   B.  L'arrêt R. c. Swietlinksi

MESURES PARLEMENTAIRES

   A.  Projets de loi d'initiative parlementaire

   B.  Le projet de loi C-41

   C.  Le projet de loi C-45

LE PROCESSUS DE RÉVISION JUDICIAIRE
(tel que modifié par le projet de loi C-41 et le projet de loi C-45)

PRÉOCCUPATIONS FUTURES


 

ADMISSIBILITÉ À LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE
DES PERSONNES DÉCLARÉES COUPABLES DE MEURTRE :
L’ÉVOLUTION DE LA RÉVISION JUDICIAIRE

 

INTRODUCTION

Aux termes de l'article 745.6 du Code criminel, certaines personnes reconnues coupables de meurtre peuvent, à certaines conditions, demander aux tribunaux de réduire le nombre d'années pendant lesquelles elles doivent être détenues avant d'être admissibles à une libération conditionnelle. Depuis 1987, année où la première révision a été effectuée, environ 70 demandes de révision de l'admissibilité à une libération conditionnelle présentées par des condamnés à perpétuité ont été entendues. Pendant cette période, les journaux du Canada ont fait état de nombreux cas où des délinquants condamnés pour meurtre avaient demandé à obtenir une libération conditionnelle anticipée(1).  Dans les reportages des médias sur les délibérations à ce sujet, il a souvent été fait mention des commentaires des familles des victimes. Certains ont réclamé l’abrogation de l'article 745.6 au motif qu'il a été adopté à un moment où le pays était davantage préoccupé par le débat sur la peine capitale que par le nombre d'années d'incarcération qu'il convenait d'imposer aux personnes reconnues coupables de meurtre(2). D'autres, par contre, soutiennent que le délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans constitue une peine cruelle et inusitée et que, vu le nombre de condamnés à perpétuité incarcérés dans des pénitenciers canadiens, le Parlement ou les tribunaux devront bientôt se pencher sur la question de la « légitimité de la détention à long terme »(3).

La dernière exécution à avoir eu lieu au Canada remonte à plus de 30 ans. Toutefois, ce n'est qu'en 1976 que la peine capitale a été officiellement abolie, après des années de discussions soutenues aussi bien au sein du public qu'au Parlement(4). Une version précédente de l'article 745.6 du Code criminel faisait partie des réformes qui ont été à l'origine de l'abolition de la peine de mort. Dans le présent document, nous examinons le processus de révision judiciaire initial et les modifications subséquentes, ainsi que le processus d'abolition et les peines d'emprisonnement qui étaient imposées aux personnes condamnées pour meurtre avant l'introduction de cette disposition.

PEINES IMPOSÉES AUX PERSONNES RECONNUES COUPABLES DE MEURTRE

En 1961, le crime de meurtre a été classé en deux catégories, à savoir le meurtre qualifié et le meurtre non qualifié. Avant cette date, la peine de mort était la seule peine prévue pour le meurtre, même si elle pouvait être commuée par le gouverneur en conseil en une peine d'emprisonnement à vie ou de moindre durée(5). Après 1961, seul le meurtre qualifié, qui comprenait le meurtre « commis avec préméditation » ou le meurtre d'un agent de police ou d'un gardien de prison, était passible de la peine de mort(6). D'autres modifications ont par la suite été apportées au Code criminel; en vertu de celles-ci, seul le meurtre d'agents de police ou de gardiens de prison était « passible de la peine de mort ». La personne reconnue coupable de meurtre qualifié devait purger dix ans de sa peine d'emprisonnement à vie (commuée) avant que la Commission ne puisse recommander sa libération conditionnelle, et le prisonnier ne pouvait être relâché avant que le gouverneur en conseil n'ait approuvé sa libération. Les personnes reconnues coupables de meurtre non qualifié se voyaient imposer une peine d'emprisonnement à vie, mais elles devenaient admissibles à une libération conditionnelle après avoir purgé sept ans de prison(7). Après 1967, les condamnés à perpétuité pour meurtre (qualifié ou non qualifié) devaient obtenir l'autorisation du gouverneur en conseil avant d'être remis en liberté; ils devaient purger au moins dix ans de prison avant de devenir admissibles à une libération conditionnelle(8). Les modifications apportées en 1974 au Code criminel ont permis au juge qui prononçait la sentence de porter à 20 ans au maximum la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle(9).

Le 24 février 1976, le Solliciteur général a déposé le projet de loi C-84, qui abolissait la peine de mort pour des infractions au Code criminel et créait deux nouvelles catégories de meurtre, à savoir le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré, qui entraînaient toutes deux l'emprisonnement à vie(10). Les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré devaient purger 25 ans de prison avant d'être admissibles à une libération conditionnelle, tandis que les personnes reconnues coupables de meurtre au deuxième degré devaient purger entre 10 et 25 ans de prison avant d'être admissibles à une libération conditionnelle, selon la décision du juge qui prononçait la sentence. Le délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans a alors été qualifié de « compromis » ou d'expédient nécessaire à l'abolition la peine de mort(11).   Entre 1968 et 1974, les délinquants dont la peine de mort avait été commuée en une peine d'emprisonnement à vie n'ont purgé en moyenne que 13,2 ans de prison avant d'être remis en liberté(12). Ainsi, le projet de loi C-84 a eu pour effet de prolonger de façon considérable la peine d'emprisonnement que les personnes condamnées pour meurtre pouvaient s’attendre à purger avant d'être admissibles à une libération conditionnelle.

LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE « LUEUR D'ESPOIR » (13)

  A. Les origines de la révision judiciaire de l’admissibilité à la libération conditionnelle

À l'étape de la première lecture, l'article 21 du projet de loi C-84 renfermait une disposition en vertu de laquelle les délinquants inadmissibles à une libération conditionnelle pendant plus de 15 ans auraient pu demander une réduction du délai préalable à leur libération conditionnelle après avoir passé au moins 15 ans en prison. Pour Jim Fleming, qui était à l'époque secrétaire parlementaire du ministre des Communications, cette disposition constituait une « lueur » d'espoir importante, « si on veut laisser un stimulant quand une sanction aussi rigoureuse est imposée pour les crimes les plus graves »(14).

La version originale du projet de loi disposait que la demande de réduction du délai préalable à la libération conditionnelle aurait dû être entendue par un jury composé de « trois juges de la cour supérieure de juridiction criminelle » désignés par le juge en chef de la province ou du territoire où la condamnation avait été prononcée. Le Comité permanent de la justice et des affaires juridiques a par la suite modifié le projet de loi pour qu’il exige que la décision de réduire le délai soit prise par un jury constitué à cette fin.

   B. Les résultats des demandes de révision

Le tableau qui figure ci-après indique l'état des demandes de révision judiciaire présentées au 28 octobre 1996. Des 204 détenus qui pouvaient présenter une demande de révision, 79 au total l'avaient fait et 10 de ces demandes étaient encore en suspens(15).  Il est intéressant de noter que presque la moitié (31) des 69 demandes traitées ont été entendues au Québec, où tous les requérants sauf deux ont réussi à obtenir une réduction du délai préalable à leur libération conditionnelle. Par contre, 12 des 38 demandes entendues ailleurs ont été rejetées.

Les nombres sont trop petits pour qu'il soit possible d'établir des tendances, mais certains observateurs pensent que le taux élevé d'approbation enregistré au Québec tient peut-être à des différences d'ordre culturel(16).   D'autres imputent ces résultats à des divergences d'attitude des procureurs de la Couronne, car en règle générale ceux du Québec n'ont pas tendance à s'opposer activement aux demandes de révision judiciaire(17).   Même si le phénomène peut s'expliquer par des règles de procédure différentes et par des faits bien précis, il est très concevable qu’un taux de succès élevé dans certaines juridictions encourage la présentation de demandes.

 

Demandes de révision judiciaire :
Situation au 28 octobre 1996

a)   Sur les 204 détenus qui pouvaient présenter une demande de révision judiciaire, 79 ont
     présenté une requête et 69 d'entre eux ont été entendus.

b) Résultat des auditions :

 

 

Province

Réduction partielle
de la restriction

Réduction
refusée

Total

Nouvelle-Écosse
Nouveau-Brunswick
Québec
Ontario
Manitoba
Saskatchewan
Alberta
Colombie-Britannique

1
1
29
10
4
2
3
5

-
-
2
5
1
1
5
-

1
1
31
15
5
3
8
5

CANADA

55

14

69

 

   C. Processus de révision

Comme c'est au juge en chef de chaque province ou territoire qu'il revient d'établir les règles applicables aux demandes de révision, on risque à tout le moins de se retrouver avec des processus de révision différents. En Ontario, la règle de procédure permet au juge d'ordonner la préparation d'un « rapport sur l'admissibilité à la libération conditionnelle » et la tenue d'une audition préalable pour permettre l’examen de celui-ci et déterminer les éléments de preuve qui seront entendus par le jury. La règle de procédure précise également que le requérant doit s'adresser au jury le premier. Seuls le requérant et le procureur général peuvent présenter les preuves. Le juge peut toutefois admettre tout élément de preuve qu'il considère comme plausible et digne de foi(18).  Les règles en vigueur dans les autres provinces sont, dans l'ensemble, très semblables à la procédure de l'Ontario, mais elles ne sont pas identiques à celle-ci. Par exemple, les règles de procédure de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique admettent les éléments de preuve présentés par des tiers(19).

EXAMEN DES ÉLÉMENTS DE PREUVE — APPELS

   A. Renseignements généraux

Dans l'affaire Vaillancourt c. Solliciteur général du Canada, etc. [Ont.], le juge en chef adjoint Callaghan, de la Cour suprême de l'Ontario, a statué que le processus de révision établit un juste milieu entre la nécessité de faire preuve de clémence à l'égard du condamné qui affiche une bonne conduite durant l'exécution de sa peine, ce qui peut contribuer à sa réinsertion sociale, et les intérêts de la communauté, qui exigent qu'on condamne l'acte ayant mené à l'incarcération du délinquant(20).  En outre, selon lui, le fardeau de persuasion incombe probablement au requérant qui cherche à faire annuler une décision autrement valide sur le plan juridique. À la suite du rejet de la demande de René Vaillancourt, la Cour d'appel de l'Ontario a statué, en 1989, qu'elle n'avait pas la compétence voulue pour entendre un appel relativement au rejet d'une demande de révision judiciaire(21).  Même si la Cour suprême du Canada a statué en 1990 qu'elle n'avait pas la compétence voulue pour entendre la requête en autorisation d'appel de M. Vaillancourt, le pourvoi a néanmoins été rejeté(22).

Outre les règles promulguées par le juge en chef compétent, le Code criminel définit les lignes directrices générales qui s'appliquent à la demande. D'après la disposition du Code, le jury doit rendre une décision en se fondant sur le « caractère » du requérant, sa « conduite » durant l'exécution de sa peine, la « nature de l'infraction » et « tout ce qu'il estime utile dans les circonstances ». L'exercice de ce pouvoir judiciaire discrétionnaire a donné lieu à des jugements contradictoires quant à la pertinence et à la recevabilité de certains éléments de preuve. Par exemple, dans l'arrêt Vaillancourt c. Solliciteur général du Canada, etc. [Ont.], le juge en chef adjoint Callaghan a rejeté les éléments de preuve relatifs aux pratiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles, au motif qu'il n'existait aucun rapport entre ces éléments et les délibérations du jury. Par contre, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accepté d'admettre en preuve ces mêmes pratiques afin d'éviter que le jury ne prenne une décision dans « le vide »(23).

Les deux tribunaux semblent également avoir adopté des positions contradictoires sur la recevabilité des preuves relatives à l'infraction originale. En Ontario, le juge en chef adjoint Callaghan a statué que, à part l'exposé conjoint des faits, les preuves données de vive voix au sujet de l'infraction commise n'étaient pas recevables, le degré de « culpabilité » n'étant pas en cause. Pour sa part, tout en reconnaissant que le jury n'avait pas pour mandat de se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence du délinquant, la Cour suprême de la Colombie-Britannique s'est néanmoins dite prête à entendre des preuves relatives aux « circonstances atténuantes » qui auraient pu influer sur la conduite de la personne ayant commis l'infraction à ce moment-là(24). L'arrêt Boyko fait également état d'une révision judiciaire entreprise au Manitoba où le coaccusé du requérant a été, semble-t-il, autorisé à fournir des preuves démontrant qu'il acceptait la responsabilité de l'infraction originale. Certaines des questions susmentionnées relatives à la preuve ont depuis été examinées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Swietlinski, examiné ci-après.

   B. L’arrêt R. c. Swietlinksi

D'après les règles en vigueur en Ontario et dans plusieurs autres provinces, il semble que les tiers ne puissent présenter de leur propre chef un exposé des faits. Toutefois, le libellé général de ces mesures législatives octroie au juge désigné un pouvoir discrétionnaire considérable quant aux preuves qui peuvent être présentées au jury.

Dans l'arrêt R. c. Swietlinski, le juge O'Driscoll a décrété que les déclarations de la victime sur les répercussions du crime ne pouvaient être admises en preuve aux fins de la révision judiciaire parce qu'elles devaient servir à déterminer la peine à imposer au départ et n'avaient donc rien à voir avec la question dont était saisi le jury(25).  Quand la Cour suprême du Canada a entendu l'appel, la majorité des juges a statué que les déclarations de la victime ne sont pas toujours inadmissibles(26).  En fait, de l'avis de la Cour, il incomberait au juge qui préside l'audience de déterminer dans chaque cas la pertinence et l'admissibilité de ces déclarations. La Cour suprême a également jugé que le jury devait tenir compte du caractère passé et actuel du requérant, puisque le but du processus d'examen prévu est de revoir la sanction imposée au délinquant en fonction de l'évolution qu'a subie en 15 ans la situation de l'intéressé. Elle a en outre ajouté que, comme le requérant n'a pas à être puni s'il y a des faiblesses dans le système, il n'appartient pas au jury de déterminer si le système de libération conditionnelle en place fait bien son travail(27).

Bien que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Swietlinski ait fourni quelques indications quant à la nature des preuves relatives à une demande de révision judiciaire et au juste équilibre auquel doit arriver le jury dans ses délibérations, on peut dire que les tribunaux sont mal placés pour régler les questions plus fondamentales que pose la remise en liberté de personnes déclarées coupables de meurtre.

MESURES PARLEMENTAIRES

   A. Projets de loi d’initiative parlementaire

Deux députés ont présenté des projets de loi d'initiative parlementaire au cours de la trente-quatrième législature afin de prolonger le délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle ou d'interdire aux personnes condamnées pour meurtre au premier degré de présenter une demande de révision. Le projet de loi C-311 aurait obligé les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré à purger 20 ans de prison avant de pouvoir présenter une demande de révision. Le projet de loi C-330 aurait tout simplement éliminé le processus de révision judiciaire de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour ces détenus. Dans les deux cas, le processus serait demeuré intact pour les détenus coupables de meurtre au deuxième degré. Un autre projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-226, déposé le 17 mars 1994, proposait l’élimination pure et simple du processus de révision de l’admissibilité à la libération conditionnelle(28).

   B. Le projet de loi C-41

Le projet de loi C-41, qui est entré en vigueur le 3 septembre 1996, renfermait une modification limitant la discrétion du juge à ne pas permettre l’utilisation de la déclaration de la victime en ajoutant « tout autre renseignement, notamment ceux fournis par la victime » à la liste des facteurs dont le jury doit tenir compte dans le cadre d’une demande de révision. Cette modification incorporait également par renvoi une définition générale de « victime » comprenant quiconque avait la garde d’une victime décédée, toute personne aux soins de laquelle elle était confiée ou qui était chargée de son entretien, ainsi que son conjoint, un parent ou une personne à sa charge.

   C. Le projet de loi C-45   (29)

Le projet de loi C-45, qui a été déposé le 11 juin 1996, a modifié la procédure de révision judiciaire du délai d’admissibilité à la libération conditionnelle des meurtriers et rendu les auteurs de meurtres multiples inadmissibles à un examen. Pour que la révision judiciaire ne soit offerte « que dans les cas les plus appropriés », il a instauré un mécanisme d’examen en vertu duquel le demandeur doit d’abord convaincre un juge d’une cour supérieure que sa démarche a des chances raisonnables de réussir avant de recevoir la permission de se présenter devant un jury(30). Ainsi, les détenus qui ayant très peu de chances de voir leur demande accueillie en raison de la nature de leurs crimes ou d’un mauvais dossier pénitentiaire se verront refuser le droit à un processus qui exige beaucoup de temps et de ressources du Service correctionnel du Canada et des tribunaux. Ce qui est peut-être plus important encore, c’est que la famille et les amis qui survivent aux victimes n’auront pas à assister à de longues audiences ni à témoigner dans le cadre de ces audiences si le juge appelé à examiner le dossier a établi que rien ne justifie l’examen du dossier du détenu. Le projet de loi C-45 exige également que toute décision prise par un jury de réduire la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle soit unanime (et non qu’elle reçoive l’appui des deux tiers des membres du jury comme c’était le cas auparavant). Le processus d’examen et le fait d’exiger l’unanimité du jury ne s’appliqueront qu’aux demandes présentées après le 9 janvier 1997, date à laquelle le projet de loi est entré en vigueur. Cela signifie que toutes les demandes qui étaient en suspens à cette date doivent être traitées en vertu des règles précédemment applicables.

L’exclusion des auteurs de meurtres multiples ne touchera pas les personnes qui sont déjà incarcérées parce qu’elles ont commis plus d’un meurtre. Probablement parce qu’on a voulu éviter d’avoir à modifier la peine après coup, au moins un des meurtres pour lesquels la personne a été condamnée doit avoir été commis après le 9 janvier 1997 pour que l’exclusion s’applique. De même, bien que des modifications transitoires établissent clairement que le jury devra désormais examiner les renseignements fournis par les victimes, cela ne vaudra que « dans le cas des crimes commis après l’entrée en vigueur de cette disposition ». Cela signifie que l’admissibilité des déclarations des victimes continuera d’être une question de discrétion judiciaire pendant un certain temps encore.

LE PROCESSUS DE RÉVISION JUDICIAIRE
(tel que modifié par le projet de loi C-41 et le projet de loi C-45)

En vertu de l’article 745.6, toute personne qui a été déclarée coupable de haute trahison ou de meurtre (et condamnée à l’emprisonnement à perpétuité avec délai préalable à sa libération conditionnelle de plus de 15 ans) et qui a purgé au moins 15 ans de sa peine peut demander au juge en chef compétent de la province où a eu lieu sa déclaration de culpabilité la réduction du délai préalable à sa libération conditionnelle. Comme nous l’avons déjà mentionné, ce même article rend les personnes déclarées coupables de plus d’un meurtre inadmissibles à une révision.

Aux termes de l'article 745.61, le juge en chef compétent, ou juge de la cour supérieure de juridiction criminelle qu’il désigne à cette fin, doit décider si le requérant a démontré « selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie ». Le juge doit prendre sa décision en se fondant sur des documents précis dont la demande présentée, tout rapport fourni par les autorités correctionnelles, et « tout autre document » que le procureur général ou le requérant lui présente. Le juge prend sa décision en fonction des mêmes critères que ceux qui seront utilisés par le jury (dont il est question ci-dessous) pour déterminer s’il existe une possibilité réelle que la demande du requérant soit accueillie. S’il est convaincu de l’existence de cette possibilité, le juge en chef doit charger un juge de la cour supérieure de constituer un jury pour entendre la demande. S’il juge que le requérant n’a pas démontré qu’il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie, il peut décider soit que celui-ci ne pourra pas présenter une telle demande, soit fixer un délai « d’au moins deux ans [...] à l’expiration duquel il sera loisible au requérant de présenter une nouvelle demande ». Si le juge décide que le requérant n’a pas démontré qu’il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie sans toutefois fixer de délai ni décider qu’aucune nouvelle demande ne pourra être présentée, il sera loisible au requérant de présenter une nouvelle demande deux ans après la date de la décision. L’article 745.62 autorise le requérant et le procureur général à interjeter appel à la cour d’appel d’une décision rendue « sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit ou de fait ».

Une fois le jury constitué pour entendre une demande, l’article 745.63 exige l’examen des critères suivants avant qu’une décision soit rendue : le « caractère » du requérant, sa « conduite » durant l’exécution de sa peine, la nature de l’infraction pour laquelle il a été condamné, tout autre renseignement fourni par la victime au moment de l’infliction de la peine ou lors de l’audience prévue au présent article, et tout autre renseignement que le juge estime utile dans les circonstances. Comme nous l’avons déjà mentionné, la décision du jury de réduire la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle doit être unanime. Cependant, une fois cette décision rendue, la réduction réelle du nombre d’années peut être décidée par une majorité des deux tiers. Comme cela a toujours été le cas, une majorité des deux tiers des membres du jury peut permettre à un requérant dont la demande n’a pas été accueillie de présenter une autre demande à l’expiration d’un délai précis, qui n’est pas inférieur à deux ans, ou lui interdire de présenter une nouvelle demande. Si le jury ne fait ni l’un ni l’autre, la loi autorise le requérant dont la demande n’a pas été accueillie à présenter une nouvelle demande deux ans après la date de la décision.

PRÉOCCUPATIONS FUTURES

Comme on s’y attendait, les modifications proposées dans le projet de loi C-45 ont provoqué une vive controverse, étant donné les intérêts et le caractère délicat des questions en jeu. Au cours des audiences du Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes, plusieurs témoins ont parlé du succès relatif des quelques détenus qui avaient été mis en liberté tôt par suite de l’adoption de cette mesure législative, soutenant que des modifications limitant l’accès n’étaient pas nécessaires(31). Par contre, plusieurs témoins ont réclamé une abrogation totale des dispositions sur la révision judiciaire, soutenant que, vu le fondement de la peine imposée, les meurtriers ne devaient pas purger moins que la pleine période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle avant d’être autorisés à présenter une demande de libération conditionnelle(32). Bon nombre d’observateurs ont également défendu les inquiétudes des membres de la famille qui survivent aux victimes et dénoncé le fait que l’adoption du projet de loi arrivait trop tard pour changer quoi que ce soit à la demande de l’un des auteurs de crimes multiples les plus connus au Canada(33).

À mesure qu’un nombre de plus en plus grand de délinquants dangereux au Canada approchent du délai de 15 ans à partir duquel ils peuvent entreprendre des démarches pour faire réviser leur dossier, le Parlement pourrait subir des pressions pour que soit de nouveau modifiée cette loi, qui tente d’établir un équilibre entre deux valeurs trop souvent incompatibles : la dénonciation du crime et la réadaptation du délinquant. Quoi qu’il en soit, le projet de loi C-45 n’a probablement pas réglé la question de manière définitive. En fait, les partis d’opposition continuent de réclamer l’élimination complète du processus de révision judiciaire(34), et au moins un parti a dit qu’il ferait de l’élimination de ce processus l’une des promesses de son programme, aux prochaines élections(35).

 


(1) Voir : « Criminals Have All the Rights », Winnipeg Sun, 10 septembre 1993; « King Murderer Eligible for Parole Review », The Star-Phoenix (Saskatoon), 11 septembre 1993; « Crime and Punishment », Globe and Mail (Toronto), 4 juillet 1992; « Jury Allows Killer Dad to Apply for Early Parole », Toronto Star, 5 mars 1996.

(2) Lorrie Goldstein, Toronto Sun, 16 janvier 1990.

(3) Allan Manson, « The Easy Acceptance of Long-Term Confinement in Canada », (1990) 79 C.R. (3d) 265; toutefois, dans l'arrêt R. c. Luxton (1990) 79 C.R. (3d) 1993, la Cour suprême du Canada a statué que, dans le cas d'un meurtre au premier degré, le délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans ne constitue pas une peine cruelle et inusitée.

(4) Ibid., p. 266.

(5) Code criminel, S.C. 1953-54, chap. 51, art. 206, art. 656.

(6) Loi modifiant le Code criminel (meurtre qualifié), S.C. 1960-61, chap. 44, art. 206.

(7) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/64-475, 23 décembre 1964.

(8) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/68-21, 24 janvier 1968.

(9) Loi modifiant le droit pénal (peine capitale), S.C. 1973-74, chap. 38, art. 3.

(10) La distinction entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré existe toujours. Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation; il englobe le meurtre d'agents de police ou de gardiens de prison dans l'exercice de leurs fonctions et les meurtres commis lors de la perpétration de certaines infractions. Voir : Code criminel, L.R.C. 1985, chap. C-46, art. 231.

(11) Manson (1990), p. 267.

(12) Thomas O'Reilly-Fleming, « The Injustice of Judicial Review: Vaillancourt Reconsidered », Canadian Journal of Criminology, avril 1991, p. 163.

(13) « 600 Lifers Gets Freedom Bid under Little-Known Law », Toronto Star, 2 juin 1991.

(14) Débats de la Chambre des communes, 6 mai 1976, 1re session, 30e législature, vol. XIII, p. 13253.

(15) Données de la Commission canadienne des libérations conditionnelles, 29 octobre 1996.

(16) Thomas Claridge, « Crime and Punishment », The Globe and Mail (Toronto), 4 juillet 1992.

(17) Thomas Claridge, « Top Court to Weight Parole Law on Killers », Globe and Mail (Toronto), 25 mai 1994.

(18) Règles de procédure de l'Ontario concernant la réduction du délai préalable à la libération conditionnelle, DORS/92-270, 11 mai 1992.

(19) Règles de procédure de la Saskatchewan concernant la réduction du délai préalable à l'admissibilité à la libération conditionnelle, DORS/90-74, 9 janvier 1990; Règles de procédure de la Colombie-Britannique concernant la réduction du délai préalable à l'admissibilité à la libération conditionnelle, DORS/92-746, 15 décembre 1992.

(20) (1988), 66 C.R. (3d) 66, p. 75.

(21) R. c. Vaillancourt [Ont.] (1989), 71 C.R. (3d) 43.

(22) R. c. Vaillancourt (1990), 72 C.R. (3d) xxvi (C.S.C.).

(23) In the matter of the Criminal Code, s. 745, and Brian John Boyko (1990), Trainor J. (C.S. C.-B., Vancouver Reg. No. CC891195).

(24) Ibid.

(25) (1992), 13 C.R. (4th) 116 (Div. gén. Ont.).

(26) R. c. Swietlinksi, [1994] 3 R.C.S. 481.

(27) Ibid.

(28) Le projet de loi C-226 est mort au Feuilleton au moment de la prorogation en février 1996; la même proposition a été présentée de nouveau le 12 mars 1996 (projet de loi C-234).

(29) Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, chap. 22.

(30) « Le gouvernement propose de limiter de façon importante le recours à l’article 745 du Code criminel », Communiqué, ministère de la Justice, 11 juin 1995.

(31) Notes pour une allocution du Conseil des églises pour la justice et la criminologie, 18 juin 1996; mémoire sur le projet de loi C-45 présenté par l’Association du Barreau canadien, juin 1996.

(32) Mémoire sur le projet de loi C-45 présenté par l’Association canadienne des policiers au Comité permanent de la justice, 18 juin 1996; mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des questions juridiques par le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes et le National Justice Network, 18 juin 1996.

(33) « Deadly Decision Still Haunts US All », Edmonton Sun, 2 mars 1997; « Victims’ Families Prepare to Block Olson Parole Bid », The Vancouver Sun, 10 mars 1997.

(34) « Clifford Olson Early-Release Hearing Must Be Stopped », Ottawa Citizen, 6 mars 1997.

(35) « Charest Tilts to the Right », Ottawa Citizen, 19 mars 1997.