BP-355F

 

L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE :
CONFÉRENCE SUR LES LOIS ET LES PROCESSUS
DE GESTION DE L'ENVIRONNEMENT

 

Rédaction  Kristen Douglas
Division du droit et du gouvernement

Novembre 1993

 


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE AU CANADA

L'ÉLARGISSEMENT DU PROCESSUS D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

L'ÉVALUATION PAR CATÉGORIE

L'ÉVALUATION DES POLITIQUES

LE CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DÉCISIONS
D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

L'HARMONISATION DES PROCESSUS D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

CONCLUSION


 

L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE : CONFÉRENCE SUR LES LOIS
ET LES PROCESSUS DE GESTION DE L'ENVIRONNEMENT

 

INTRODUCTION

En mai 1993, la sixième conférence de l'Institut canadien du droit des ressources (ICDR) a eu lieu à Ottawa. Comme elle avait pour thème les lois et les processus de gestion de l'environnement, plusieurs communications ont porté sur l'évolution du droit et de la pratique en matière d'évaluation environnementale au Canada et ailleurs(1). Ce résumé touche à certaines des questions abordées, à savoir l'élargissement du processus d'évaluation environnementale, l'évaluation par catégorie, l'évaluation des politiques, le contrôle et les questions intergouvernementales.

L'évaluation environnementale est le processus par lequel un gouvernement décide des projets d'aménagement à approuver. Il peut s'agir de grands travaux comme la construction de centrales hydroélectriques ou de ponts aussi bien que de petits travaux et même de programmes et de politiques. L'évaluation peut également conduire à la modification des plans d'aménagement de manière à ce que les atouts naturels susceptibles d'être touchés soient mieux traités ou protégés. Au niveau fédéral, dans presque toutes les provinces canadiennes et dans presque tous les pays du monde, le processus d'évaluation environnementale fait depuis quelques années l'objet de plus en plus d'attention.

Ceux et celles qui ont participé à la conférence de l'ICDR ont examiné le processus d'évaluation environnementale sous l'angle du développement durable, concept qui est de plus en plus accepté depuis le Sommet de la Terre que la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) a organisé en juin 1992 à Rio de Janeiro, au Brésil. Comme presque tous les pays du monde ont souscrit à ce principe, on s'attend à ce que la théorie et la pratique de l'évaluation environnementale évoluent en ce sens. Les conférenciers qui ont parlé d'évaluation environnementale ont donc pour la plupart examiné le processus dans l'hypothèse que les politiques et les pratiques s'aligneront sur les principes de développement durable.

L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE AU CANADA

Partout au Canada, on considère l'évaluation environnementale comme un outil de décision important en matière de planification et d'aménagement. Au niveau fédéral, les évaluations sont menées en vertu du Décret sur les lignes directrices concernant le Processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (PÉEE) de 1984. Bien que le projet de loi C-13, Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCÉE), qui remplacera le décret, ait été adopté par le Parlement en juin 1992, ses règlements d'application n'ont été publiés que le 18 septembre 1993. Pendant les 60 jours dont dispose le public pour faire ses observations sur ces règlements, les nombreuses réactions qu'ils ont suscitées dans les journaux et les revues ont été presque toutes négatives(2).

Au niveau provincial et territorial, il existe divers régimes d'évaluation environnementale. Le régime fédéral d'évaluation environnementale que mettra en oeuvre la LCÉE différera du régime d'évaluation environnementale canadien typique dans la mesure, par exemple, où il prévoit aussi bien la médiation que l'examen par une commission et tient compte des effets environnementaux cumulatifs. Le processus a été par ailleurs étendu à des domaines intergouvernementaux comme la négociation des revendications territoriales.

L'ÉLARGISSEMENT DU PROCESSUS D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

À la plénière d'ouverture de la conférence, les conférenciers ont parlé d'évolutions qui, selon eux, pourraient modifier le processus d'évaluation environnementale au Canada. Les deux premiers ne s'entendaient ni en théorie ni en pratique sur l'opportunité d'élargir le processus d'évaluation environnementale. Peter Mulvihill, candidat au doctorat en planification et design de l'environnement à l'Université de Montréal, soutenait qu'il fallait l'élargir pour qu'il englobe la théorie du développement durable(3). Michael Jeffery, partenaire de l'étude torontoise Fraser & Beatty, s'opposait à un tel élargissement en invoquant l'insatisfaction que le secteur privé, selon lui, éprouve à l'endroit des procédures d'évaluation environnementale.

Peter Mulvihill a passé en revue quelques-unes des étapes que le processus d'évaluation environnementale a franchies depuis les premiers efforts déployés pour faire entrer en ligne de compte dans la planification des aménagements la conservation et la pollution. Depuis 1975, l'évaluation des répercussions sociales a gagné en popularité et la participation du public est maintenant monnaie courante. L'acceptation, depuis la publication du rapport Brundtland de 1987, du concept de développement durable a beaucoup contribué à cette évolution. Aujourd'hui, presque tous les gouvernements au Canada se sont dotés d'un processus d'évaluation environnementale qui est devenu plus transparent, participatif et accessible.

En pratique, deux problèmes continuent d'entraver, selon M. Mulvihill, l'efficacité de l'évaluation environnementale. D'abord, il y a la tension entre la science et la théorie dans la mesure où le processus ne peut pas avoir toute l'objectivité qu'on attend des données scientifiques. Les décisions se prendront donc à la lumière à la fois de données scientifiques objectives et de valeurs culturelles sélectives. En outre, l'idée que les évaluations peuvent être menées dans le cadre d'un processus ponctuel, c'est-à-dire un processus où toutes les répercussions d'un projet peuvent être isolées et atténuées avant qu'il ne soit approuvé, ne cadre pas avec l'incertitude inhérente à l'aménagement et à ses effets biophysiques et autres.

Pour que le processus d'évaluation environnementale soit élargi, compte tenu du fait qu'on reconnaît de plus en plus la nécessité d'une approche permanente, adaptative, M. Mulvihill a proposé plusieurs nouvelles orientations, entre autres, l'approche de l'écosystème, la planification pluraliste pour les aménagements intégrés et imbriqués, l'évaluation des causes du développement non durable, les mécanismes de rechange de règlement des différends comme la médiation prévue par la LCÉE, et le recours à des processus interactifs et moins formels lorsqu'il y a lieu.

Selon Michael Jeffery, le processus de sélection du site mis en place en Ontario aux termes de la Loi sur la gestion des déchets de 1992 laisse à désirer à cause des coûts, des délais et d'un processus inaproprié. Tout en convenant qu'il faut faire plus pour empêcher que les projets n'aient des répercussions négatives sur l'environnement, il a soutenu qu'il ne faut pas élargir le processus actuel sans en corriger auparavant les lacunes.

L'ÉVALUATION PAR CATÉGORIE

Entre autres innovations, la LCÉE ajoutera au processus fédéral d'évaluation environnementale l'«évaluation par catégorie» d'entreprises ou d'activités. Ce genre d'évaluation figure déjà dans les lois et les processus d'évaluation environnementale d'autres administrations canadiennes, mais son objectif et son potentiel ne sont pas clairs. Selon certains, il s'agirait d'éviter de procéder à l'évaluation d'un projet similaire à un projet déjà évalué. Si elle servait à élargir le processus d'évaluation environnementale, l'évaluation par catégorie permettrait de regrouper des activités modestes dont les répercussions globales peuvent être considérables et de simplifier le processus dans le cas des activités répétitives ou continues qui n'ont pas besoin de faire l'objet d'une évaluation à part. Robert Gibson, de la Faculté des études sur l'environnement et les ressources à l'Université de Waterloo, a montré comment l'évaluation par catégorie se pratique aux termes de la Loi sur les évaluations environnementales de l'Ontario.

Une fois qu'une catégorie est définie, un processus spécial est mis en place pour toutes les entreprises auxquelles il s'applique. Le Timber Management Class Assessment dont l'Ontario, pendant quatre ans, a fait l'expérience à grands frais montre clairement, selon M. Gibson, que le processus d'évaluation par catégorie manque d'efficience. Ainsi, le processus d'audiences utilisé ne convenait peut-être pas à l'examen de questions de politique aussi larges. Pour les groupes d'activités pouvant avoir des répercussions sur l'environnement, M. Gibson a proposé qu'on détermine les incidences de la catégorie sur la politique et que, dans ce contexte, on examine ensuite les entreprises particulières.

Tout en convenant que le processus employé dans le cas du Timber Management et le système quasi judiciaire en général exigent beaucoup de temps et d'argent, M. Derek Doyle, directeur de la Direction des évaluations environnementales du ministère de l'Environnement de l'Ontario, a estimé que les coûts sont inhérents à la démocratisation du processus. Il a fait remarquer que sur les 4 à 5 000 décisions qui sont prises tous les ans aux termes de la Loi sur les évaluations environnementales, 76 p. 100 sont des évaluations par catégorie. Les audiences publiques ne sont nécessaires que dans 1 p. 100 des cas.

L'ÉVALUATION DES POLITIQUES

Judith Hanebury, avocate à l'Office national de l'énergie, a fait remarquer qu'il peut arriver que l'évaluation localisée de projets ne révèle pas l'impact de telles ou telles activités nocives. Après avoir observé qu'on discute au Canada d'évaluation des politiques, des plans et des programmes depuis que le rapport Brundtland a recommandé que l'on tienne compte de l'environnement dans toutes les décisions, Mme Hanebury s'est déçue de ce qui se fait à l'heure actuelle dans ce domaine.

Au niveau fédéral, l'évaluation des politiques est régie par un texte non législatif mais approuvé par le Cabinet en 1993, le Processus d'évaluation environnementale des propositions de politiques et de programmes. Les propositions pouvant avoir des répercussions sur l'environnement et faisant intervenir des textes réglementaires font généralement l'objet d'une évaluation. Selon le document, les ministres sont responsables du processus, le ministre de l'Environnement servant de facilitateur; les résultats de l'évaluation n'ont pas à être rendus publics, mais il est prévu que, si une politique a été évaluée, il faut le préciser quand on annonce cette dernière.

Selon Mme Hanebury, le processus d'évaluation des politiques doit être amélioré au niveau tant fédéral que provincial. Il faut s'entendre sur les valeurs globales qu'il faut faire entrer en ligne de compte dans ces évaluations, sur des critères de décision, par exemple, À son avis, il y a aussi des trous dans les données disponibles et des lacunes dans la méthodologie à employer. On ne précise pas, par exemple, comment les décideurs devraient évaluer les effets des politiques sur les générations actuelles et futures et tenir compte des coûts et des avantages locaux et globaux. Mme Hanebury a recommandé qu'on fasse des exceptions au secret traditionnel du Cabinet en permettant, par exemple, la participation du public au moins dans la première partie du processus.

LE CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DÉCISIONS
D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

Selon Alistair Lucas, de la Faculté de droit de l'Université de Calgary, les décisions des tribunaux canadiens en matière d'évaluation environnementale passent pour avoir contribué à la légalisation croissante en matière de politique environnementale au pays. Il est ressorti de son examen d'arrêts relatifs au Décret sur lignes directrices concernant le PÉEE que les tribunaux canadiens ont dans la plupart des cas appliqué les critères traditionnels du contrôle judiciaire et qu'ils se sont abstenus de l'activisme judiciaire auquel a donné lieu aux États-Unis le National Environmental Act.

Par exemple, les tribunaux canadiens n'ont pas jusqu'ici accordé facilement des redressements lorsqu'ils ont constaté que l'évaluation d'un projet laissait à désirer et n'ont jamais ordonné l'annulation d'un projet en cours. Pour ce qui est de l'ampleur et de la norme du contrôle judiciaire ou du droit des parties à se présenter devant le tribunal, les tribunaux ont suivi les principes qui s'appliquent dans d'autres domaines du droit. M. Lucas a dit ne pas prévoir de gros changement dans l'attitude des tribunaux après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale.

L'HARMONISATION DES PROCESSUS D'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

Une autre innovation de la LCÉE, c'est qu'elle vise l'harmonisation des régimes fédéral et provinciaux. Stephen Kennett, de l'Institut canadien du droit des ressources, a fait le point des efforts d'harmonisation des lois et des processus au Canada. Selon lui, cette harmonisation a pour but de remédier à l'incohérence et au chevauchement entre les gouvernements sans passer par une modification constitutionnelle.

Selon M. Kennett, l'harmonisation des lois et des régimes d'évaluation environnementale doit poursuivre trois objectifs : rationaliser et simplifier les processus existants, introduire un élément de certitude dans les procédures et maintenir l'intégrité et les normes fondamentales des systèmes en place à tous les niveaux. D'après lui, il faudrait que les processus harmonisés soient simples et n'entraînent pas la création d'autres organismes ou processus. Il a énuméré divers facteurs qui, dans la société canadienne, favoriseront probablement l'harmonisation des processus d'évaluation environnementale, entre autres, le partage constitutionnel des pouvoirs de légiférer en matière de protection de l'environnement, les pressions politiques qu'exercent les entreprises et les groupes environnementaux pour qu'on clarifie les processus et qu'on réduise le double emploi ainsi que la concurrence entre les gouvernements en vue d'obtenir les pouvoirs de décision.

Au Canada, plusieurs gouvernements se sont dotés d'une loi permettant l'harmonisation des processus d'évaluation environnementale, celles d'Ottawa et de l'Alberta étant les plus détaillées. M. Kennett a fait remarquer que, à cause de l'imprécision relative aux façons d'harmoniser les systèmes, les ministres disposent d'une bonne marge de manoeuvre dans les négociations. Les négociations multilatérales au sein du Conseil canadien des ministres de l'Environnement ont débouché, en 1992, sur un projet de modèle d'accord bilatéral.

Selon M. Kennett, tout accord bilatéral d'harmonisation devra comporter les éléments suivants : des critères relatifs au choix du processus qui s'appliquera dans les cas de compétence partagée; des détails concernant le processus à suivre en ce qui concerne, notamment, l'accès et la participation du public; et un processus ouvert de négociation d'accords ultérieurs. Un accord d'harmonisation qui comporte ces éléments peut servir de modèle à la gestion de l'environnement dans d'autres domaines de compétence partagée.

CONCLUSION

Au niveau fédéral, les législateurs et les fonctionnaires sont en train de mettre la dernière main aux règlements d'application de la LCÉE, le premier régime fédéral d'évaluation environnementale à être enchâssé dans la législation. Leurs homologues des provinces et des territoires, quant à eux, examinent les processus en place et envisagent un certain nombre de réformes. De leur côté, les écologistes mettent au point des propositions visant à améliorer et à élargir les processus existants bien que plusieurs observateurs s'interrogent sur l'efficacité et l'efficience de ces processus. On voit donc que presque tous ceux qui s'intéressent à l'environnement travaillent à mieux intégrer le concept de développement durable à toutes les étapes de la planification et de l'aménagement. Si l'on veut que l'évaluation environnementale favorise plus efficacement l'adoption des pratiques de développement durable, elle devra être constamment examinée et améliorée.


(1) L'Institut canadien du droit des ressources publiera toutes les communications de la conférence, probablement avant la fin de 1993.

(2) La plupart des présentateurs à la conférence de l'ICDR de mai 1993 tenaient pour acquis que le projet de loi C-13 allait être promulgué avant les élections fédérales.

(3) Sa communication avait été rédigée en collaboration avec Peter Jacobs, de la Faculté de l'aménagement à l'Université de Montréal et Barry Sadler, d'EcoSys Corp.