BP-392F

 

SANTÉ HUMAINE ET ENVIRONNEMENT :
LES RISQUES POSÉS PAR LES BPC

 

Rédaction  William Murray
Division des sciences et de la technologie

Novembre 1994

                                      


TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION

LES BPC : LEUR STRUCTURE CHIMIQUE ET LEUR UTILISATION INDUSTRIELLE

LES ORIGINES DE LA CRAINTE SUSCITÉE PAR LES BPC

EFFETS SUR LA SANTÉ

   A. Toxicologie

   B. Tératologie

   C. Cancérogénicité

POURQUOI FRAPPER D'INTERDICTION ET DÉTRUIRE TOUS LES BPC?

L'INVENTAIRE NATIONAL DES BPC

COMPÉTENCE

LA RÉGLEMENTATION FÉDÉRALE APPLICABLE À LA GESTION DES DÉCHETS DANGEREUX

LES TECHNOLOGIES DE DESTRUCTION DES BPC

   A. L'incinération

   B. Les technologies chimiques, thermochimiques et mécanochimiques

   C. La dégradation biologique

LA SITUATION ACTUELLE

DISCUSSION


SANTÉ HUMAINE ET ENVIRONNEMENT :
LES RISQUES POSÉS PAR LES BPC

INTRODUCTION

Les biphényles polychlorés (BPC) constituent pour la santé un risque beaucoup moins important que certains produits chimiques toxiques tels le chlorure de vinyle, le cadmium et le cyanure. Chaque jour, bien des gens se servent sans réfléchir des produits chimiques qui sont de loin plus toxiques et plus cancérogènes. Ainsi, il est pratique courante d'utiliser de l'essence pour le nettoyage des pinceaux ou des mains éclaboussées de peinture, alors que l'essence contient plusieurs composés chimiques, tels le benzène et le 1,3-butadiène, qui sont considérablement plus dangereux que les BPC. Lorsque la fabrication commerciale des BPC avait encore cours, soit du début des années 30 à 1980, les travailleurs de l'industrie des équipements électriques des usines américaines étaient exposés chaque jour à des concentrations élevées de ces produits. En dépit de cette exposition pendant une longue période, les effets nocifs sur la santé de ces travailleurs ont été rares. La toxicité des BPC, qui va de modérée à faible, contraste de manière frappante avec la perception qu'en a le public, qui considère ces produits comme extrêmement toxiques et cancérogènes. Cette vive inquiétude du public a fortement freiné les efforts déployés par le gouvernement du Canada pour gérer efficacement les déchets de BPC.

LES BPC : LEUR STRUCTURE CHIMIQUE ET LEUR UTILISATION INDUSTRIELLE

Les BPC sont un groupe de produits chimiques synthétiques appartenant à la famille de composés organiques appelés hydrocarbures chlorés. Ils sont constitués d'une molécule de biphényle, composée d'hydrogène et de carbone, à laquelle peuvent être liés des atomes de chlore. La figure 1 illustre la structure moléculaire caractéristique d'un BPC. Les atomes de chlore (Cl) peuvent établir des liaisons chimiques avec l'un ou l'autre des neuf atomes d'hydrogène (H), ce qui peut donner lieu au total à 209 arrangements possibles des atomes de chlore, ou isomères.

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Les BPC sont extrêmement stables, relativement résistants au feu et non corrosifs. Ces caractéristiques leur confèrent une grande utilité dans un large éventail d'applications, notamment les fluides hydrauliques, les solvants de colorants et les plastifiants(1). Toutefois, la principale application des BPC est l'industrie de l'équipement électrique. Dans les années 30, l'industrie électrique a commencé à utiliser les BPC dans les transformateurs, les ballasts des tubes fluorescents, les électro-aimants et d'autres équipements électriques où l'on avait besoin d'une huile stable, résistante au feu et non conductrice(2).

LES ORIGINES DE LA CRAINTE SUSCITÉE PAR LES BPC

Jusque vers 1968, les BPC étaient considérés comme l'une des merveilles de l'industrie chimique. Ce n'est qu'après deux incidents isolés de contamination de l'huile de cuisson par les BPC, l'un au Japon et l'autre à Taïwan, que l'on a commencé à s'inquiéter du risque que les BPC pouvaient poser pour la santé humaine. L'accident le plus grave a été celui de Yusho, au Japon, où près de 1 500 personnes ont consommé de l'huile contaminée et ingéré ainsi chacune 0,5 à 2 grammes de BPC. Certains individus ont été gravement atteints et ont manifesté les symptômes suivants : écoulement oculaire, symptômes gastro-intestinaux systémiques accompagnés de jaunisse, oedèmes, douleurs abdominales et chloracné (une forme très persistante d'éruption cutanée pouvant persister jusqu'à trois ans).

Toutes les victimes de Yusho se sont rétablies; toutefois, on a observé certaines conséquences à long terme. Chez les victimes enceintes de Yusho, les périodes de gestation ont été écourtées, les enfants qu'elles ont mis au monde étaient de taille inférieure à la normale et on a observé chez ces derniers de légères réductions sur le plan du développement mental et un déficit des capacités motrices. Une étude de suivi sur quatre ans indique que le développement de ces enfants continue d'accuser un certain retard par rapport à celui de leurs semblables.

Cet accident déclencha le déploiement d'efforts de recherche soutenus sur les caractéristiques toxicologiques et la cancérogénicité des BPC. On observa avec surprise que les études chez les animaux ne justifiaient nullement d'affirmer que les BPC constituaient une catégorie hautement toxique de produits chimiques. Ces études furent corroborées par des enquêtes sur la santé des employés de l'industrie électrique. Les travailleurs ayant été en contact physique quotidien avec les BPC pendant 30 ans ne manifestaient que peu, voire aucun, des problèmes de santé observés chez les victimes de Yusho.

Les BPC peuvent être transformés par conversion thermique en dibenzofurannes polychlorés (furannes) et en dibenzodioxines polychlorées (dioxines)(3). L'analyse chimique de l'huile de cuisson contaminée a révélé que celle-ci contenait, outre les BPC, des concentrations relativement élevées de furannes et de quaterphényles, ainsi qu'une faible concentration de dioxines. On pense à présent que la friture à haute température a eu pour effet de convertir une fraction des BPC en furannes et en dioxines, composés qui, selon cette hypothèse, seraient à l'origine des maladies observées à Yusho(4). Il convient également de noter que, même en l'absence de chauffage, les huiles contenant des BPC sont faiblement contaminées par les dioxines et les furannes (moins de 2 ppm), par l'effet du processus synthétique normal(5). Si les BPC purs ont été innocentés dans les publications scientifiques, le public demeure intimement convaincu des propriétés mortelles de ces produits.

EFFETS SUR LA SANTÉ

   A. Toxicologie

Il n'existe aucun cas documenté de décès chez l'humain attribuable à une exposition aiguë aux BPC. Chez les victimes d'accidents causés par les BPC en milieu industriel, on observe les symptômes suivants : chloracné, écoulement oculaire, tuméfaction des paupières supérieures, hyperpigmentation des ongles et de la peau, engourdissement des membres, faiblesse, spasmes musculaires et bronchite chronique. Ces symptômes, similaires à ceux qui sont associés à l'empoisonnent causé par divers composés organiques chlorés, sont, d'après les hypothèses, attribuables aux dioxines et aux furannes qui contaminent normalement les BPC(6). Selon M.A. Ottoboni, un toxicologiste du département des services de santé de Californie :

On dispose d'une profusion de données, dans les publications scientifiques, sur les effets toxiques des BPC. Sur la base d'une exposition aiguë, les BPC sont d'un degré de toxicité suffisamment faible, quelles que soient les voies d'exposition (cutanée, inhalation, orale), pour être considérés comme non toxiques au sens de la loi(7).

   B. Tératologie

D'après certaines études, l'exposition prénatale aux BPC pourrait avoir un effet sur la taille à la naissance et, dans une moindre mesure, sur la durée de la gestation. Une étude comparative a été menée auprès de 242 nouveaux-nés dont la mère avait consommé du poisson du lac Michigan et sur 71 nourrissons dont la mère n'en avait pas consommé. L'exposition aux BPC a été déterminée indirectement, selon le degré de contamination du poisson, et directement, à partir des concentrations sériques dans le cordon ombilical. Par rapport au groupe témoin, on a observé chez les nourrissons exposés un poids inférieur de 160 à 190 grammes et un périmètre crânien réduit de 0,6 à 0,7 centimètres. La réduction du périmètre crânien était non proportionnée tant au poids à la naissance qu'à l'âge de la grossesse. La période de gestation était de 40,31 semaines pour les femmes ayant consommé du poisson pêché dans le lac Michigan, par rapport à 40,82 semaines pour le groupe témoin. Il ressort des analyses de contrôle qu'aucun de ces effets ne peut être attribué à 37 variables confusionnelles possibles, y compris la situation socio-économique, l'âge maternel, la consommation de cigarettes durant la grossesse et l'exposition aux biphényles polybromés(8). Cependant, soulignons que cette étude ne prouve nullement que les BPC sont les agents causals des effets observés. Les poissons des Grands lacs sont contaminés par les dioxines, les furannes et par un large éventail de produits chimiques industriels et agricoles, dont n'importe quelle combinaison pourrait avoir causé la réduction du développement des nourrissons observée.

   C. Cancérogénicité

Les BPC sont généralement décrits comme des agents « causant le cancer » ou parfois, plus prudemment, comme des produits « reliés au cancer ». Ce lien, s'il s'appuie sur la décision prise par la l'Agence de protection environnementale (EPA) des États-Unis de classer les BPC dans la catégorie des cancérogènes potentiels(9), est cependant ténu.

Un des mécanismes par lesquels une substance chimique peut mener au cancer est le déclenchement d'une mutation dans le matériel génétique d'une cellule. L'activité mutagène des BPC a fait l'objet de nombreuses études sur plusieurs souches d'essais standard de bactéries, sur la drosophile (Drosophila melanogaster), sur les cellules lymphocytaires humaines et in vivo chez le rat. Les résultats de tous les essais ont été négatifs(10).

La cancérogénicité d'une substance chimique peut souvent être établie par le biais d'études statistiques des populations humaines qui sont exposées à long terme à cette substance. Une étude épidémiologique portant sur quelques 2 600 travailleurs de l'industrie de l'électricité aux États-Unis a mis en lumière une incidence légèrement supérieure à la normale des décès attribuables au cancer du rectum et du foie(11). Par ailleurs, une étude menée auprès des travailleurs de l'industrie électrique en Italie semble indiquer une augmentation des taux des cancers du tube digestif(12). Toutefois, le fait que l'on ait observé des types de cancer différents dans les deux groupes de travailleurs rend peu plausible l'hypothèse selon laquelle les BPC seraient les agents causals. Par ailleurs, la signification statistique de ces études a également suscité une certaine controverse(13); certains prétendent que l'incidence légèrement accrue du cancer pourrait s'expliquer par la présence d'autres substances chimiques en milieu de travail, ou par des facteurs liés au mode de vie (consommation d'alcool, alimentation pauvre en fibres, etc.).

Les BPC sont des composés liposolubles sujets à la bioaccumulation dans la chaîne alimentaire. Chez les Autochtones canadiens, en particulier ceux qui consomment des quantités importantes de poisson et de gibier, on observe dans les tissus adipeux la présence de BPC à des concentrations relativement élevées. À titre d'exemple, indiquons que c'est dans le lait maternel des femmes inuits du Québec que l'on retrouve la concentration de BPC la plus élevée au monde(14). Malgré cela, Santé Canada(15) et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien(16) continuent de préconiser aux femmes autochtones d'opter pour l'allaitement naturel, en s'appuyant sur le fait que les bénéfices excèdent largement les risques potentiels de cette méthode. De surcroît, soulignons que les femmes autochtones présentent l'incidence de cancer du sein la plus faible au Canada et que la population indienne du pays présente un taux de décès par cancer significativement inférieur à celui de la population canadienne considérée dans son ensemble(17) (156 par rapport à 170 décès par cancer pour 100 000 habitants par an(18)). Si ces données ne prouvent pas que les BPC ne causent pas le cancer, elles indiquent cependant que les teneurs actuelles en BPC des tissus adipeux ne constituent pas pour les populations autochtones canadiennes un facteur de risque accru d'être atteint d'un cancer.

La décision prise par l'EPA de classer les BPC dans la catégorie des cancérogènes potentiels s'appuyait sur des études effectuées chez les animaux. Chez certains rats ayant absorbé dans leur nourriture des concentrations élevées de BPC pendant une longue période, on a observé l'apparition d'hépatomes et de nodules hépatiques. On aurait pu penser que ces études établiraient définitivement la cancérogénicité des BPC chez l'humain; il n'en est cependant rien, car les méthodes expérimentales ne simulaient par les conditions réelles.

En prenant pour hypothèse que l'humain réagit aux BPC, en ce qui concerne l'apparition d'un cancer, de la même manière que les rats, on constate qu'une dose quotidienne de BPC de 7,7 milligrammes par kilo de poids corporel par jour devrait alors provoquer un cancer du foie(19). Aux États-Unis, l'individu moyen ingère 0,000014 milligrammes de BPC par kilo de poids corporel par jour(20). Ainsi, la quantité de BPC qu'un individu devrait consommer quotidiennement pour faire apparaître un cancer du foie est 550 000 fois plus élevée que la teneur pouvant normalement être atteinte dans l'environnement. De surcroît, il faudrait ingérer cette dose élevée de BPC tous les jours pendant longtemps. Par exemple, l'expérience qui faisait ressortir une incidence supérieure à la normale de cancer du foie chez le rat a duré 638 jours(21). Il est peu probable que quiconque puisse être exposé à des doses de BPC aussi élevées pendant aussi longtemps.

De telles données sur la cancérogénicité ont peu d'intérêt sur le plan pratique et il est impératif d'expliquer pourquoi elles ont vu le jour. Les normes internationales en matière de recherche sur le cancer et de classification des substances cancérogènes sont établies par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). En matière d'essais de cancérogénicité, il est souvent très difficile et fastidieux d'établir la cause et l'effet lorsque le produit suspect est présent à des concentrations normales dans l'environnement ou en milieu de travail. Le processus expérimental dans son ensemble peut en général être accéléré en soumettant des animaux à une « dose maximale tolérée d'une substance durant toute leur vie »(22). Dans les études sur le cancer, un tel « dosage héroïque » peut permettre d'épargner temps et argent; toutefois, il peut également produire des données dont l'utilité est douteuse lorsque, comme dans le cas des BPC, on administre des doses massives de substances relativement non toxiques.

Cette aberration de la méthodologie du CIRC en matière d'études sur le cancer a été reconnue et l'on tente actuellement de modifier soit la méthodologie du CIRC, soit le système de classification des substances cancérogènes(23). La réforme dans ce dernier domaine est entravée par le fait qu'il est nécessaire de disposer à l'échelle internationale d'un régime normalisé applicable aux études de cancérogénicité, et que le système du CIRC est en vigueur depuis un certain temps. En théorie, ce système ne devrait pas provoquer de problème; les professionnels compétents ignorent en général les données non applicables sur le plan pratique. Ainsi, aux États-Unis, ni la American Conference of Governmental Industrial Hygienists ni la Occupational Safety and Health Administration, deux organisations intéressées par l'établissement de limites d'exposition sans danger aux produits chimiques en milieu de travail, ne répertorient les BPC dans leur liste des cancérogènes humains présumés(24)(25).

Toutefois, certains problèmes se posent dans le domaine environnemental, car l'EPA s'appuie rigoureusement sur le système du CIRC(26). Une fois que l'EPA a inscrit une substance chimique dans la catégorie des cancérogènes possibles, les groupes de défense de l'environnement et les médias peuvent librement affirmer que ce produit chimique « cause le cancer » ou est « relié au cancer ». Sous un angle plus positif, soulignons que l'EPA a récemment annoncé qu'elle entamait un processus visant à réviser ses lignes directrices en matière d'évaluation des risques de cancérogénicité. Le nouveau système tiendra compte « des mécanismes [d'action] et des scénarios d'exposition réalistes pour calculer le danger pour l'humain d'un produit chimique donné »(27).

POURQUOI FRAPPER D'INTERDICTION ET DÉTRUIRE TOUS LES BPC?

Les BPC possèdent deux caractéristiques qui justifient la décision prise par le gouvernement canadien d'interdire, de recueillir et de détruire systématiquement tous les produits appartenant à cette catégorie. En premier lieu, les BPC sont des composés d'une telle stabilité qu'ils sont pratiquement indestructibles dans le milieu naturel. À l'instar de nombreux xénobiotiques (produits chimiques fabriqués par l'homme et n'existant pas à l'état naturel), les BPC possèdent très peu d'ennemis naturels. Autrement dit, les micro-organismes qui, en temps normal, dégradent et recyclent les déchets, n'évoluent que lentement pour se doter des systèmes enzymatiques permettant de dégrader totalement et spécifiquement les BPC. Bon nombre de xénobiotiques sont des substances réactives et sont susceptibles de se décomposer sous l'action de la lumière ou par un procédé chimique ou thermique. Par opposition, la chloration des cycles biphényliques produit une structure chimique d'une exceptionnelle stabilité, hautement résistante aux réactions physico-chimiques. En conséquence, les BPC fabriqués dans les années 30 existent encore aujourd'hui et continueront de persister pendant des siècles, à moins qu'ils soient incinérés à haute température ou détruits par l'une des nouvelles technologies de destruction en cours d'élaboration. Cette persistance dans l'environnement se traduit par la dispersion des BPC aux quatre coins du globe.

La seconde caractéristique problématique des BPC est leur liposolubilité élevée et, réciproquement, leur faible hydrosolubilité. Ainsi, lorsqu'ils sont ingérés, la première source alimentaire étant le poisson, ils sont difficilement éliminés de l'organisme dans l'urine. Au contraire, ils se dissolvent dans les graisses digestives, sont absorbés dans les réserves lipidiques de l'organisme et s'y accumulent. La concentration des BPC accumulés dans les graisses augmente au fur et à mesure que l'on s'élève dans la chaîne alimentaire. S'il est impossible d'établir une corrélation entre la teneur actuelle en BPC des tissus adipeux des Canadiens et un mauvais état de santé, on peut cependant affirmer que le fait de continuer d'utiliser et d'éliminer de manière non contrôlée les BPC pourrait augmenter encore les teneurs de ces composés dans l'organisme, qui pourraient atteindre des niveaux dont on ignore les conséquences, potentiellement néfastes.

L'INVENTAIRE NATIONAL DES BPC

La décision prise par le gouvernement fédéral d'interdire, de recueillir et de détruire tous les BPC a nécessité la compilation d'un inventaire national de ces produits. Entre 1929 et la fin des années 70, 40 000 tonnes de BPC ont été importées au Canada. Aucun produit de ce type n'a jamais été fabriqué au pays. Un inventaire publié par Environnement Canada en 1985 recensait 24 300 tonnes de BPC, soit entreposés, soit utilisés dans les équipements électriques(28). On prend pour hypothèse que les BPC non répertoriés se sont introduits dans l'environnement(29), ou encore se trouvent dans les quelques équipements qui n'ont pas été répertoriés. En 1988, le Conseil canadien des ministres des ressources et de l'environnement a publié un inventaire national des lieux d'entreposage contenant des déchets de BPC(30). Cet inventaire recense les propriétaires ou exploitants par nom de société, adresse et volume de déchets. La quantité de déchets est caractérisée par les mentions « concentration élevée », « faible concentration », ou « concentration inconnue ».

L'inventaire des BPC n'est pas statique. Au fur et à mesure que l'on retire du service les équipements contenant des BPC, l'inventaire des BPC en un lieu donné augmente. Les BPC peuvent être déplacés en vue de regrouper les matériaux entreposés et les inventaires sont appelés à baisser au fur et à mesure de la destruction des ces produits. Selon la réglementation relative à l'entreposage des BPC, il faut tenir à jour des relevés précis permettant de savoir, à tout moment, l'emplacement des BPC présents au Canada et leur quantité; cependant, l'inventaire d'origine ou « principal » des BPC n'est mis à jour que périodiquement.

Depuis 1988, la province de l'Alberta détruit pratiquement tous les déchets contenant des BPC par incinération. Au Labrador, un incinérateur mobile exploité par le gouvernement fédéral a détruit 3 500 tonnes de déchets contaminés par les BPC recueillis dans les installations militaires désaffectées. En outre, dans le cadre de la dépollution des mares de goudron de Sydney (Nouvelle-Écosse), on incinère les hydrocarbures et les goudrons contaminés par les BPC.

COMPÉTENCE

Dans un jugement rendu le 23 janvier 1992 dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada, la Cour suprême du Canada a affirmé que l'environnement est un domaine de compétence partagée. Il en va de même pour la gestion des déchets contenant des BPC. Le gouvernement fédéral, comme l'indique le Plan vert du Canada, est tenu de détruire tous les BPC lui appartenant d'ici 1996. La destruction des BPC appartenant à des intérêts privés ou aux provinces relève de la responsabilité de ces dernières. À ce jour, l'Alberta est la seule province ayant implanté un incinérateur de BPC et détruit pratiquement la totalité des stocks de déchets contenant des BPC. Les entreprises privées albertaines doivent assumer les coûts du transport des BPC jusqu'au centre de traitement des déchets spéciaux d'Alberta à Swan Hills, ainsi que ceux de leur incinération.

Comme nous l'indiquons ci-après, le gouvernement fédéral a édicté plusieurs règlements visant à assurer la gestion sans risque des BPC. Ces règlements servent de normes minimales dans tout le pays. Si les provinces peuvent édicter leurs propres règlements sur les BPC, ces derniers doivent cependant imposer des normes équivalentes aux normes fédérales ou plus contraignantes que celles-ci. Par exemple, le gouvernement fédéral a fixé une norme minimale de « destruction et d'efficacité » de 99,9999 p. 100 pour les incinérateurs de BPC. Cela ne signifie pas que les provinces doivent détruire les BPC par incinération, mais cette norme les oblige à fixer à 99,9999 p. 100 la norme minimale de destruction et d'efficacité, quelle que soit la technologie de destruction choisie.

LA RÉGLEMENTATION FÉDÉRALE APPLICABLE À LA GESTION DES DÉCHETS DANGEREUX

La Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE) a remplacé plusieurs lois qui existaient précédemment et elle contient de nouvelles dispositions, aux répercussions potentielles très larges, sur la gestion des substances toxiques(31). En outre, la Loi sur le transport des marchandises dangereuses réglemente le transport des déchets dangereux, y compris les BPC. Cette loi décrit les mesures à prendre pour la manutention, l'emballage et l'étiquetage des marchandises transportées et les normes applicables à la sécurité durant leur transport. En règle générale, les lignes directrices et les règlements fédéraux applicables à la collecte, au transport et à l'entreposage sont les mêmes pour tous les déchets dangereux, y compris les BPC. D'autres règlements applicables aux BPC ont été édictés car, à la différence des déchets dangereux pouvant être dégradés par divers procédés ou recyclés, les BPC pourraient devoir subir un entreposage prolongé avant de pouvoir être détruits. Ces règlements additionnels sont les suivants : Règlement fédéral sur le traitement et la destruction des BPC au moyen d'unités mobiles (3 janvier 1990), Règlement sur l'exportation de déchets contenant des BPC (15 août 1990), Arrêté d'urgence concernant le stockage des déchets contenant des biphényles chlorés (BPC) (13 octobre 1990) et Règlement sur les biphényles chlorés (13 mars 1991).

Le Règlement fédéral sur le traitement et la destruction des BPC au moyen d'unités mobiles définit des normes d'émission et de nettoyage relatives aux BPC pour les systèmes d'incinérateurs mobiles. Par exemple, l'efficacité d'élimination et de destruction des BPC d'une unité mobile ne doit pas être inférieure à 99,9999 p. 100. On a défini des normes très contraignantes d'émission dans l'environnement applicables aux dioxines, aux furannes, aux chlorures d'hydrogène et aux matières particulaires. L'efficacité d'une unité mobile doit être mise à l'épreuve avant et pendant son fonctionnement, et le règlement spécifie les essais à effectuer. Les résultats des essais doivent être soumis au ministre de l'Environnement par écrit, 60 jours au plus tard après l'achèvement des essais.

Le Règlement sur l'exportation des déchets contenant des BPC prohibe l'exportation de tout déchet contenant des BPC, à l'exception des exportations à destination de l'EPA américaine, et de l'exportation d'équipements en bon état de fonctionnement contenant moins de 500 grammes de BPC. Ce règlement vise à éliminer les risques de déversement de BPC canadiens dans un pays étranger ou en mer durant leur transport et à améliorer les relations internationales et le prestige du gouvernement par son engagement à gérer tous les BPC canadiens au pays.

L'Arrêté d'urgence concernant le stockage des déchets contenant des BPC couvre et élargit le domaine d'application des précédents règlements et lignes directrices applicables à l'entreposage des déchets dangereux, en insistant particulièrement sur les points suivants :

  • contrôle strict de l'accès à un lieu d'entreposage afin de prévenir l'introduction des personnes non autorisées;

  • protection contre les incendies (empilement maximum de deux fûts, séparation des BPC et des autres matériaux par une barrière à l'épreuve du feu ou un espace suffisant pour prévenir la combustion, système d'échappement équipé pour limiter et contenir la production de fumée en cas d'incendie, prévention de la rouille sur les fûts, plans de lutte contre les incendies et d'intervention en cas d'urgence élaborés en consultation avec les services des incendies, avertisseurs, équipements);

  • amélioration des procédures de maintenance et d'inspection, en particulier en ce qui concerne les exigences d'étiquetage, la tenue à jour des registres et les rapports au Ministre.

Le Règlement sur les biphényles chlorés, qui abroge et remplace les Règlements nos 1, 2 et 3 sur les biphényles chlorés, prohibe la fabrication, la transformation, l'utilisation, l'offre de vente ou l'importation de ces composés. Il fixe les concentrations ou les quantités maximales pouvant être libérées dans l'environnement à la suite d'une activité de commerce, de fabrication ou de traitement et limite à 50 ppm la concentration de BPC admissible dans tout produit ou dispositif fabriqué ou importé au Canada.

LES TECHNOLOGIES DE DESTRUCTION DES BPC

   A. L'incinération

À ce jour, l'incinération est le seul moyen établi, et de coût relativement faible, de détruire totalement les BPC. Les BPC sont des molécules extrêmement stables dont la température de combustion est très élevée; ils sont généralement incinérés à des températures de 1 200 ° C ou plus. Par conséquent, les incinérateurs destinés aux BPC doivent être conçus pour fonctionner à haute température et leur construction et exploitation sont donc plus coûteuses que celles des incinérateurs classiques servant la destruction de la majorité des déchets organiques dangereux. Toutefois, les incinérateurs conçus pour la destruction des BPC peuvent être utilisés subséquemment pour l'incinération d'autres déchets à une température plus basse et à moindre coût. Le maintien d'une température élevée des gaz de combustion avant, durant et après l'incinération des BPC évite la formation de dioxines et de furannes, tandis que les épurateurs de gaz assurent que seuls le dioxyde de carbone et la vapeur d'eau seront libérés dans l'atmosphère à la sortie des cheminées. L'efficacité d'élimination et de destruction des incinérateurs de BPC doit être comprise entre « six et huit 9 » (99,9999 - 99,999999 p. 100)(32).

Il existe trois types d'incinérateurs de BPC : les incinérateurs à injection liquide, les incinérateurs à four rotatif et les chaudières à haut rendement. Au Canada, on semble privilégier l'incinérateur à four rotatif, car il accepte les déchets contaminés par les BPC tant solides que liquides. L'incinérateur de Swan Hills et l'unité mobile du Labrador sont tous deux des incinérateurs à four rotatif.

En dépit de l'efficacité exceptionnelle des incinérateurs de déchets toxiques modernes, une firme allemande, BASF, a encore amélioré la technologie(33). Cette société a mis au point un catalyseur (titane, oxyde de vanadium et oxyde de tungstène) qui détruit les composés organiques chlorés et les convertit en dioxyde de carbone, en vapeur d'eau et en chlorure d'hydrogène. Le catalyseur, en empêchant la formation de chlore élémentaire, prévient ainsi la création de nouveaux composés chlorés dans les gaz de combustion, ce qui réduit la nécessité de prévoir des épurateurs. En outre, le catalyseur demeure actif pendant un maximum de trois heures. Cela présente deux avantages : on économise sur les coûts de combustible après l'incinération et on assure une combustion non polluante, advenant une situation d'urgence.

Pratiquement tous les groupes de défense de l'environnement qui font campagne contre les produits chimiques toxiques s'opposent unanimement à l'incinération comme stratégie de gestion des déchets toxiques. Ces groupes tentent de persuader le public du fait que, par l'incinération, on se contente de transformer un déchet toxique concentré en fumées toxiques qui sont dispersées dans l'atmosphère sur une superficie plus étendue. Cette allégation n'est plus vraie, mais elle l'a été par le passé puisqu'elle est corroborée par certaines données historiques. Jusqu'à il y a environ 30 ans, il était pratique courante dans les agglomérations nord-américaines de brûler les déchets domestiques dans des incinérateurs de déchets solides urbains qui n'étaient équipés d'aucun type de dispositif de dépollution. Aujourd'hui, les analyses du sol effectuées au voisinage de ces vieux incinérateurs révèlent encore la présence de dioxines et de furannes. On pourrait par conséquent prétendre que l'incinération transforme une partie des BPC par voie thermochimique en des composés plus toxiques et réellement cancérogènes, les dioxines(34).

Néanmoins, une simple vérification mathématique montre que le risque de contamination par les dioxines posé par un incinérateur de BPC est en fait négligeable. La combustion à haute température de composés organiques chlorés peut produire une concentration de dioxines de 5 à 50 ppm dans les gaz de combustion(35). En envisageant le scénario le plus pessimiste de l'incinération des BPC, la concentration de dioxines serait de 50 ppm et l'incinérateur fonctionnerait aux normes minimales autorisées en matière de destruction et d'efficacité (99,9999 p. 100). Dans de telles conditions, pour chaque million de molécules organiques générées par la combustion, seule une molécule serait libérée dans l'atmosphère; la probabilité que cette molécule soit une dioxine est de 1 sur 20 000.

Aux dires des écologistes, toute exposition aux dioxines, même si elle est négligeable, constitue un risque inacceptable pour la santé. Cela est peut-être vrai; toutefois, chaque jour, pratiquement chaque habitant de la planète est exposé aux dioxines présentes dans les émissions non contrôlées de la fumée de cigarette, de la fumée de bois et des gaz des appareils de chauffage. Comme l'indique une étude japonaise :

La concentration de PCDD [dioxines] dans la fumée de cigarette est comparable à celle qui est observée dans les gaz de combustion d'un incinérateur de déchets urbains. Toutefois, la présence de PCDD dans la fumée de cigarette est plus significative que dans les gaz de combustion, car la première peut être inhalée directement dans les poumons, sans diffusion ou dilution préalable(36).

   B. Les technologies chimiques, thermochimiques et mécanochimiques

La décontamination des huiles minérales contenant jusqu'à quelques milliers de ppm de BPC peut se faire par le biais d'un procédé chimique au sodium. Dans ce procédé, le réactif à base de sodium élimine les atomes de chlore de la molécule de BPC et produit du polyphénylène et du chlorure de sodium. L'huile minérale dans laquelle les BPC étaient dispersés n'est pas modifiée et peut être réutilisée. Malheureusement, ce procédé présente plusieurs inconvénients : il est très coûteux, il produit un volume élevé de déchets à forte teneur en sels, il ne peut être utilisé dans le cas où l'huile contient également des quantités significatives d'eau contaminante et ne convient qu'à la décontamination des huiles contenant des BPC en faible concentration. En 1991, la firme allemande Degussa a annoncé la mise au point d'un nouveau procédé à base de sodium qui décontaminerait les huiles à faible coût(37); cependant, aucun autre détail sur ce procédé n'a été communiqué.

La firme canadienne Eco Logic, de Rockwood (Ontario), a mis au point un procédé thermochimique selon lequel les déchets contenant des BPC sont placés dans un récipient fermé où l'on injecte de l'hydrogène pour remplacer l'air occupant l'espace libre. Lorsque l'oxygène est éliminé de cette manière, les BPC ne peuvent être oxydés en dioxines. Pour amorcer la réaction, on chauffe le contenu du réacteur à des températures supérieures à 850 ° C. Les BPC subissent une réaction de réduction chimique, dans laquelle chacun des atomes de chlore est remplacé par un atome d'hydrogène. Le cycle biphénylique hydrogéné se scinde alors pour produire deux molécules de benzène. Les atomes de chlore libérés réagissent avec l'hydrogène pour former de l'acide chlorhydrique. Enfin, l'acide chlorhydrique est traité au bicarbonate de sodium pour produire du chlorure de sodium et du méthane gazeux(38).

Ce procédé canadien présente plusieurs avantages. Avant tout, il n'émet aucun gaz de combustion et peut par conséquent être commercialisé à titre de « système fermé ». Cet appareil a des dimensions réduites et peut donc être utilisé à titre d'unité mobile. En outre, le procédé génère deux produits présentant une valeur commerciale, le benzène et le méthane. Dans des conditions contrôlées en laboratoire, on a pu atteindre des niveaux de destruction et d'efficacité de 99,9999 p. 100. Environnement Canada et l'EPA financent actuellement conjointement une étude pilote visant à déterminer s'il est possible de reproduire le même niveau de destruction et d'efficacité dans les conditions « d'utilisation » de divers déchets contenant des BPC. Toutefois, ce procédé ne va pas sans certains inconvénients. Il produit des déchets à forte teneur en sels et les coûts de traitement peuvent s'élever à 1 000 $ par tonne.

En outre, il convient de noter que deux substances intervenant dans le procédé de la firme Eco Logic, l'hydrogène et le benzène, peuvent être dangereuses advenant une situation d'urgence. L'hydrogène est une substance extrêmement explosive, tandis que la toxicité et la cancérogénicité du benzène sont bien établies. L'exposition chronique au benzène entraîne une dépression de l'activité de la moelle osseuse, l'aplasie (le non-développement d'un tissu ou d'un organe) et la leucémie. L'exposition aiguë peut causer irritation des muqueuses, agitation, convulsions, excitation, dépression et décès par défaillance respiratoire(39).

Des chercheurs australiens ont breveté un procédé mécanochimique de dégradation des BPC et autres déchets chimiques. Il s'agit d'un système fermé où le déchet contenant des BPC et un réactif tel l'oxyde de calcium sont placés dans un broyeur à billes contenant des billes d'acier. Sous l'effet de la collision des billes, certaines réactions chimiques seraient activées et entraîneraient une décomposition « virtuelle » des déchets, lesquels seraient alors convertis en produits sans danger pour l'environnement tels que le carbone, l'hydroxyde de calcium et le chlorure de calcium, à un niveau d'efficacité de destruction de 99,996 p. 100. Contrairement aux autres procédés de destruction des BPC, ce système ne requiert aucun apport de chaleur. En outre, il peut être utilisé à titre d'unité mobile(40). Les détracteurs de ce système font valoir que la technique en est encore à ses balbutiements et que les données dont on dispose actuellement sont insuffisantes pour juger de la validité des allégations faites à son endroit. Le scepticisme est grand, car il a été démontré qu'un autre procédé utilisant de l'oxyde de calcium volatilisait les BPC au lieu de les dégrader(41).

   C. La dégradation biologique

Le laboratoire de sciences biologiques de la General Electric Co., à Schenectady (New York) mène actuellement des recherches sur la dégradation biologique des BPC. Jusqu'au début des années 80, on était fermement convaincu de l'indestructibilité des BPC par voie biologique; toutefois, l'analyse d'une décharge de BPC de 30 ans se trouvant dans les sédiments appauvris en oxygène (anaérobies) de la rivière Hudson ont montré que les BPC avaient été fortement déchlorés par l'action des bactéries anaérobies. Le transfert de ces cycles biphényliques déchlorés en atmosphère aérobie intensifie encore la dégradation par les bactéries à action oxydative(42).

On estime que, durant les 30 ans pendant lesquels les BPC ont été incubés en présence de bactéries anaérobies, l'évolution et l'échange génétique ont été suffisants pour produire de nouvelles souches bactériennes ayant une action déchlorante sur les BPC. La General Electric effectue des recherches et des études de mise au point visant à optimiser un procédé séquentiel anaérobie-aérobie. Des travaux d'ingénierie génétique sont également en cours en vue d'insérer tous les gènes nécessaires dans le même micro-organisme, afin de permettre le déroulement du procédé en une étape(43). Il s'agit d'un projet de recherche de longue haleine dont l'application commerciale pourrait voir le jour dans de nombreuses années, voire dans plusieurs décennies.

LA SITUATION ACTUELLE

À la suite de l'incendie dans l'entrepôt de BPC de St-Basile-le-Grand survenu en 1988, la réglementation fédérale et provinciale et la surveillance des installations de destruction et d'entreposage des déchets dangereux sont devenues beaucoup plus contraignantes et l'on ne fait état d'aucun accident majeur ou déversement important de BPC dans les lieux d'entreposage ou les stations de transfert des déchets dangereux. On signale cependant quelques déversements et fuites mineurs, ainsi qu'un déversement de BPC sur la route survenu lors d'un accident de la circulation.

Les lieux d'entreposage des BPC et des déchets dangereux semblent à présent être bien exploités et ne pas présenter de danger. Cela ne signifie nullement que l'entreposage des déchets dangereux devrait être considéré comme une option viable pour l'élimination des déchets. Quel que soit le niveau de sécurité d'une installation d'entreposage, il est toujours possible qu'un désastre chimique se produise par suite d'un incendie criminel ou d'une catastrophe naturelle. De surcroît, le fardeau économique qu'entraînent les installations d'entreposage fait en sorte que l'entreposage indéfini des déchets toxiques tels les BPC ne peut être sérieusement envisagé. De fait, le coût d'un entreposage « perpétuel » pourrait inciter les propriétaires à ne pas déclarer les inventaires de BPC et à déverser ces produits chimiques de manière illicite dans les décharges, les égouts ou les cours d'eau.

DISCUSSION

Les efforts déployés par le Canada pour gérer efficacement les déchets de BPC ont été entravés par les idées fausses que le public se fait sur ces produits. Les gouvernements fédéral et provinciaux sont en partie responsables de cette situation. Bien que cette paralysie coûte aux entreprises et aux contribuables canadiens d'énormes sommes au chapitre de la maintenance, de la supervision et de l'inspection des lieux d'entreposage des BPC, les gouvernements n'ont déployé que très peu d'efforts soit pour mieux communiquer la vérité au chapitre des BPC, soit pour attaquer les mythes entourant ces composés.

En vertu du Plan vert, tous les BPC appartenant au gouvernement fédéral doivent être détruits d'ici 1996 et le gouvernement a amorcé une procédure de consultation visant à s'assurer de la participation du public au processus décisionnel du choix des types d'incinérateurs mobiles. Toutefois, on peut se demander si les membres d'une collectivité seront capables de prendre une décision éclairée à ce sujet s'ils n'ont pour tout guide que leurs craintes et une connaissance factuelle très insuffisante des BPC ou de l'incinération de ces produits. De fait, même les individus les mieux informés d'une collectivité pourraient s'opposer à l'incinération locale des BPC, par crainte de voir l'inquiétude suscitée dans le quartier et les rapports sensationnalistes des médias faire diminuer la valeur de leur propriété.

Un autre problème auquel doit faire face le programme canadien de destruction des BPC découle des actions de certains groupes de défense de l'environnement. Si ces groupes appuient l'élimination des BPC, ils sont cependant si réfractaires à l'incinération que certains s'évertuent même à bloquer l'expérimentation des équipements. Quelle que soit la technologie utilisée pour détruire les BPC, il est essentiel que tous les équipements subissent des essais rigoureux de contrôle de la qualité afin que l'on dispose des données critiques nécessaires pour comparer les technologies concurrentes et s'assurer que celle qui est choisie respecte les normes du gouvernement fédéral en matière d'émissions. Aux États-Unis, un groupe de défense de l'environnement a obtenu une injonction du tribunal pour bloquer en 1993 un essai de combustion réalisé par l'EPA dans l'incinérateur de déchets toxiques Von Roll, à East Liverpool (Ohio)(44). Au Canada, l'opposition aux essais de combustion menés tant dans les mares de goudrons de Sidney qu'à l'incinérateur mobile de BPC du Labrador, et les critiques suscitées par ces opérations ont reçu une ample couverture médiatique.

Compte tenu de cette opposition aux essais de contrôle de la qualité des incinérateurs, on ne devrait pas s'attendre à ce que l'on donne plus aisément carte blanche à d'autres technologies. De fait, on peut s'attendre au scepticisme et à la résistance vis-à-vis de ces technologies car, à ce jour, aucune d'elles n'a atteint le niveau d'efficacité et de destruction des huit 9 démontré par les meilleurs incinérateurs de BPC.

L'efficacité du programme canadien de destruction des BPC a été considérablement altérée par une mauvaise information et par la non-dissipation des idées fausses en matière d'environnement. En conséquence, les BPC sont condamnés à l'entreposage à long terme, la solution qui constitue la menace la plus sérieuse pour l'environnement canadien.

Le gouvernement fédéral canadien a interdit l'importation et la production de BPC et a mis sur pied un programme visant à collecter et détruire tous les déchets contenant des BPC de propriété fédérale. Les reportages des médias ont contribué à ancrer dans l'esprit du public l'idée que les BPC sont des substances chimiques hautement toxiques et cancérogènes qui constituent un risque grave pour la santé humaine. Tout comme le public craint les BPC, il s'oppose aussi vivement à l'implantation d'incinérateurs mobiles à haute température pour la destruction au niveau régional des déchets contenant ces produits. Dans la présente communication, on examine les dangers pour la santé et l'environnement posés par les BPC et les incinérateurs de BPC, on passe en revue la réglementation relative à la gestion des déchets dangereux à l'échelon fédéral et on présente les différentes technologies de destruction des BPC.


(1) M.J. Charles et R.A. Hites, « Sources and Fates of Aquatic Pollutants », Advances in Chemistry, volume 216, 1987, p. 365 à 389.

(2) Conseil canadien des ministres des ressources et de l'environnement, La question des BPC, août 1986, p. 5.

(3) Dans cette conversion, les cycles phényliques du BPC d'origine sont scindés, tout en demeurant liés par un pont oxygène pour former un furanne, ou par deux ponts oxygène pour former une dioxine.

(4) Environnement Canada, Devenir et effets des BPC dans l'environnement canadien, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, SPE 4/HA/2, mai 1988, 95 p.

(5) M.A. Ottoboni, The Dose Makes the Poison : A Plain-Language Guide to Toxicology, Berkeley, Bacchus Press, 1984, p. 163-167.

(6) Ibid.

(7) Ibid (traduction).

(8) G.G. Fein et al., « Prenatal Exposure to Polychlorinated Biphenyls : Effects on Birth Size and Gestational Age », Journal of Pediatrics, volume 105, 1984, p. 315-320.

(9) Agence de protection de l'environnement, Ambient Water Quality Criteria for Polychlorinated Biphenyls, U.S. Environmental Protection Agency, EPA 440/580-068, 1980.

(10) Environnement Canada (1988).

(11) D.P. Brown et M. Jones, « Mortality and Industrial Hygiene Study of Workers Exposed to Polychlorinated Biphenyls », Archives of Environmental Contamination and Toxicology, vol. 36, 1981, p. 120-129.

(12) P.A. Bertazzi et al., « Mortality Study of Male and Female Workers Exposed to PCBs », Proceedings of the International Symposium on the Prevention of Occupational Cancer, Helsinki, 1981, p. 242-248.

(13) Environnement Canada (1988).

(14) E. Dewailly et al., Bulletin of Environmental Contamination and Toxicology, vol. 43, 1989, p. 641-646.

(15) Santé Canada, « Les BPC et la santé humaine », Actualités, Direction générale de la protection de la santé, Ottawa, 1989, 5 p.

(16) Ministère des Affaires indiennes et du Nord, Les contaminants dans les écosystèmes nordiques et l'alimentation des autochtones : résumé d'une réunion d'évaluation tenue à Ottawa, Ottawa, 1989, p. 7.

(17) E. Bobet et S. Darkick, « Neoplasms (Cancers) », Coverage and Accuracy of Indian Health Data from Medical Services Branch, Santé Canada, 1994, p. 8.

(18) Les données ont été normalisées selon l'âge et le sexe et l'on a donc apporté les corrections voulues pour tenir compte des différences sur le plan de la distribution des âges, de l'espérance de vie et des cancers reliés au sexe.

(19) C.C. Travis et S.T. Hester, « Global Chemical Pollution », Environmental Science and Technology, vol. 25, 1991, p. 814-819.

(20) M.J. Gartrell et al., « Pesticides, Selected Elements, and Other Chemicals In Adult Total Diet Samples », Journal of the Association of Official Analytical Chemists, vol. 69, 1986, p. 146-159.

(21) R.D. Kimbrough et al., « Induction of Liver Tumors in Sherman Strain Female Rats by Polychlorinated Biphenyl (Aroclor 1260) », Journal of the National Cancer Institute, vol. 55, 1975, p. 1453-1459.

(22) R.J. Moolenaar, « Overhauling Carcinogen Classification », Issues in Science and Technology, vol. 8, 1992, p. 70-75 (traduction).

(23) Ibid.

(24) Ibid.

(25) M.A. Ottoboni (1984).

(26) R.J. Moolenaar (1992).

(27) D.J. Hanson, « EPA to Revise Cancer Guidelines To Incorporate More Than Tumors », Chemical and Engineering News, 26 septembre 1994, p. 21-22 (traduction).

(28) Environnement Canada, Inventaire national des liquides à forte teneur en BPC (Askarels), mise à jour du sommaire 1985, SPE 5/HA/4, Ottawa, 1986, 14 p.

(29) Environnement Canada (1988).

(30) Conseil canadien des ministres des ressources et de l'environnement, Inventaire national des sites d'entreposage des déchets contenant des BPC, 1988.

(31) M. Walters, « Ecological Unity and Political Fragmentation : the Implications of the Brundtland Report for the Canadian Constitutional Order », Alberta Law Review, vol. 29, 1991, p. 420-449.

(32) C.C. Travis et S.C. Cook, Hazardous Waste Incineration and Human Health, Boca Raton (Floride), CRC Press, 1989, 154 p.

(33) A. Coghlan, « Dioxin Destroyer Makes Incinerators Better Neighbours », News Scientist, 16 janvier 1993, p. 19.

(34) « Dioxins and Furans – A Backgrounder », Canadian Environmental Control Newsletter, vol. 428, 1991, p. 3537-3539.

(35) Ibid.

(36) H. Muto et Y. Takizawa, « Dioxins in Cigarette Smoke », Archives of Environmental Health, vol. 44, 1989, p. 171-174 (traduction).

(37) B. Fox, « How Metal Makes Toxic Waste Safe to Burn », New Scientist, vol. 22, 1991, p. 28.

(38) D. Suzuki, « Stunning New Method Zaps Toxic Chemicals Efficiently », Toronto Star, 30 janvier 1993, p. D6.

(39) M. Windholz et al. (éd.), The Merck Index, Merck & Co., Inc., New Jersey, 9e édition, 1978, p. 1066.

(40) S.A. Rowlands et al., « Destruction of Toxic Materials », Nature, vol. 367, 1994, p. 223.

(41) S. Borman, « New Idea Developed to Destroy Toxic Chemicals », Chemical and Engineering News, 11 octobre 1993, p. 5.

(42) J.F. Quensen et al., « Reductive Dechlorination of Polychlorinated Biphenyls by Anaerobic Microorganisms from Sediments », Science, vol. 242, 1988, p. 752-754.

(43) F.J. Mondello, « Cloning and Expression in Escherichia coli of Pseudomonas Strain LB400 Genes Encoding Polychlorinated Biphenyl Degradation », Journal of Bacteriology, vol. 171, 1989, p. 1725-1732.

(44) « Greenpeace Calls a Judge », Wall Street Journal, 19 janvier 1993, p. A14.