BP-394F

 

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS
DE LA PERSONNE :  TRAITEMENT DES
PLAINTES DE DISCRIMINATION

 

Rédaction  Nancy Holmes
Division du droit et du gouvernement

Décembre 1994
Révisé en octobre 1997

 


 

TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

PROCÉDURE DE PLAINTE

   A. Généralités

   B. Compétence de la Commission

   C. Forme de la plainte

   D. Enquête

   E. Conciliation et règlement

   F. Jugement

   G. Révision judiciaire

   H. Infractions

CONCLUSION


 

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE :
TRAITEMENT DES PLAINTES DE DISCRIMINATION 
(1)

 

CONTEXTE

La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, chap. H-6, a été promulguée en 1977, après que la plupart des provinces eurent adopté leurs propres lois sur les droits de la personne. Dans la foulée de ces lois provinciales, elle a établi un régime complet d'examen des cas de discrimination dans la sphère de compétence fédérale. La Loi s'applique à tous les ministères et organismes fédéraux, à toutes les sociétés d'État fédérales, ainsi qu'à toutes les entreprises et à tous les secteurs d'activité assujettis à la réglementation fédérale, comme les banques, les compagnies aériennes et les sociétés ferroviaires. Elle interdit les actes discriminatoires fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe (y compris la grossesse et l'accouchement), l’orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience physique et mentale (y compris la dépendance aux drogues ou à l'alcool) et l'état de personne graciée. Les principaux contextes dans lesquels elle assure une protection sont ceux de l'emploi, du logement et de la prestation de biens, de services ou d'installations normalement accessibles au public.

Le 10 août 1977, la Commission canadienne des droits de la personne a été créée en vertu de la Partie II de la Loi. La Commission est l'organisme administratif chargé de faire connaître, accepter et respecter la Loi. Elle est indépendante et rend compte de ses activités au Parlement par l'intermédiaire du ministre de la Justice. Elle est composée de deux commissaires à plein temps — le président et le vice-président — et de six commissaires à temps partiel, tous nommés par le gouverneur en conseil.

Les Parties I et III de la Loi, qui portent sur les droits qu'elle reconnaît et sur sa procédure de mise en application, sont entrées en vigueur le 1er mars 1978. La Loi canadienne sur les droits de la personne est typique des lois en la matière, car elle établit des droits fondamentaux et exécutoires à la non-discrimination, et ce, d'une façon indirecte. La Loi ne se compose pas de déclarations positives de droits, comme « chacun a le droit de ne pas être victime dans son emploi d'actes discriminatoires fondés sur des motifs illicites ». Elle n'institue pas non plus de droits par des interdictions négatives, telles que « nul ne commettra d'actes discriminatoires fondés sur un motif illicite ». Elle dispose simplement qu'une certaine conduite équivaut à un « acte discriminatoire », lequel peut faire l'objet d'une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, et que quiconque est trouvé coupable de commettre ou d'avoir commis un acte discriminatoire peut se voir ordonner d'accorder un redressement.

Tout comme la plupart des lois relatives aux droits individuels, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit, à l'article 15 certaines exceptions au principe général de non-discrimination. Ces exceptions légales semblent répondre à la nécessité de concilier d'une façon quelconque le droit de chacun de ne pas faire l'objet de discrimination avec d'autres droits considérés comme importants pour la société. Les « exigences professionnelles justifiées » sont l'exception légale la plus fréquemment invoquée dans les cas de discrimination en matière d'emploi. Ce principe de défense signifie qu'une politique, pratique ou préférence n'est pas jugée discriminatoire — dans ce contexte — si l'on peut établir qu'elle est à la fois subjectivement et objectivement nécessaire. Autrement dit, lorsqu'il existe un cas d'apparente discrimination, c'est à l'intimé de prouver que la limite a été imposée de bonne foi, qu'elle était raisonnablement nécessaire dans les circonstances et qu’il n’existait aucune solution de rechange moins discriminatoire. La Loi prévoit une défense analogue pour les actes discriminatoires dans la fourniture de biens, de services, d'installations et de moyens d'hébergement.

PROCÉDURE DE PLAINTE

   A. Généralités

Dans le système fédéral des droits de la personne, une plainte de discrimination doit être déposée à la Commission canadienne des droits de la personne par une personne ou un groupe de personnes qui pensent avoir été victimes d'actes discriminatoires interdits par les articles 5 et 14 de la Loi. Néanmoins, la Commission peut elle-même prendre l'initiative de la plainte en se fondant sur sa propre enquête.

Le système est autonome, en ce que les cas de discrimination ne peuvent être soumis directement aux tribunaux. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs déclaré dans l'arrêt Bhaduria c. Board of Governors of Seneca College [1981], 2 R.C.S. 183 que la Loi est si complète, avec ses dispositions sur l'administration et les règlements, que son objectif consiste manifestement à limiter l'exécution des interdictions relatives à la discrimination aux mesures qu'elle prévoit elle-même, et non d'investir les tribunaux de pouvoirs supplémentaires en la matière. Cet arrêt a rejeté une fois pour toutes l'argument que l'existence d'une loi anti-discrimination implique que les actes discriminatoires en eux-mêmes peuvent faire l'objet de poursuites civiles en dommages.

La Loi canadienne sur les droits de la personne a créé un organisme administratif, la Commission canadienne des droits de la personne, qui a pour tâche d'examiner les plaintes afin de déterminer si elles relèvent de sa compétence, et, dans ce cas, si elles méritent de faire l'objet d'une audition en bonne et due forme pour être tranchées. La Loi dispose que l'examen judiciaire des plaintes est confié à un tribunal composé de membres du Comité du tribunal des droits de la personne, lequel est indépendant de la Commission. Les membres de comité sont nommés par le gouverneur en conseil. Les tribunaux des droits de la personne tiennent des audiences pour connaître des plaintes de discrimination; la Loi leur confie de grands pouvoirs pour ce qui est d'adapter les redressements qu'ils ordonnent aux problèmes sociaux uniques qui ont abouti aux plaintes.

   B. Compétence de la Commission

La Commission est tenue de statuer sur toute plainte dont elle est saisie, à moins que la Loi ne prévoie le contraire. Les articles 40 et 41 de la Loi précisent un certain nombre de restrictions en ce qui a trait à la recevabilité d'une plainte. Par exemple, le paragraphe 40(5) dit que l'acte discriminatoire doit avoir eu lieu au Canada et que la victime doit être légalement présente au pays. Si l'acte a eu lieu à l'étranger, la victime doit être soit citoyenne canadienne, soit résidente permanente au Canada. En outre, en vertu du paragraphe 40(7), la Commission peut refuser d'accepter une plainte portant sur les conditions et les modalités d'une caisse ou d'un régime de pensions, lorsque le redressement demandé aurait pour effet de priver un participant de droits acquis avant l'entrée en vigueur de la Loi.

Enfin, les alinéas 41a) et b) disposent que la Commission peut refuser d'examiner une plainte dont elle est saisie si la victime n'a pas épuisé d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs, ou encore si la plainte pourrait avantageusement être instruite selon les procédures prévues par une autre loi fédérale. Néanmoins, le paragraphe 42(2) prévoit que, avant de décider qu'une plainte est irrecevable en application de l'alinéa 41a), la Commission doit s'assurer que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

L'alinéa 41c) de la Loi autorise la Commission à rejeter les plaintes qui ne sont pas de sa compétence, par exemple si l'on allègue qu'il y a eu un acte discriminatoire auquel la Loi ne s'applique pas, ou si l'on invoque un motif de distinction illicite qui n'est pas prévu par la Loi. Cet alinéa s'applique aussi aux questions qui ne sont pas expressément prévues par la Loi, comme les mesures prises par le gouvernement du Yukon, ainsi qu'à toute intervention faite en vertu de la Loi sur les Indiens (art. 67). De plus, si elle considère la plainte comme frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, la Commission est autorisée par l'alinéa 41d) de la Loi à la déclarer irrecevable. On entend par ces plaintes celles qui, de l'avis de la Commission, sont sans aucune valeur (autrement dit, celles qui ne sont clairement pas étayées par les faits, ou celles pour lesquelles la Loi ne prévoit aucun redressement).

Enfin, l'alinéa 41e) de la Loi autorise la Commission à déclarer irrecevable une plainte déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. Néanmoins, la Loi accorde à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de ce délai d'un an lorsqu'elle tient à accepter d'examiner une plainte.

Comme il est souvent difficile de savoir si une plainte est irrecevable pour les motifs susmentionnés, au moment où la Commission en est saisie, le sous-alinéa 44(3)b)(ii) permet à la Commission de réexaminer les raisons du rejet après qu'il y a eu enquête sur la plainte (voir la rubrique D, ci-après). Quoi qu'il en soit, l'article 42 de la Loi précise que, lorsque la Commission décide que la plainte est irrecevable, elle doit en informer le plaignant par écrit et motiver sa décision. À l’heure actuelle, la Commission fait part de ses motifs au plaignant chaque fois qu’elle rejette une plainte.

   C. Forme de la plainte

Le paragraphe 40(1) de la Loi prévoit simplement que la plainte doit être déposée devant la Commission sous une « forme acceptable pour cette dernière ». La jurisprudence a établi qu'une plainte valide doit au moins identifier le plaignant, la victime de l'acte discriminatoire allégué et la nature de cet acte, le moment et l'endroit ou l'acte allégué a eu lieu, la disposition de la Loi sur laquelle l'allégation est fondée et une affirmation du plaignant qu'il (ou elle) a des motifs raisonnables de croire que le comportement qui fait l'objet de sa plainte constitue un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (voir Commission canadienne des droits de la personne c. Bell Canada (1981), 2 C.H.R.R. D/265).

Désormais, la personne lésée n'est pas la seule autorisée à déposer une plainte auprès de la Commission, mais la jurisprudence a établi le principe que la victime de l'acte discriminatoire doit au moins être identifiable. Le paragraphe 40(2) de la Loi autorise d'ailleurs la Commission à déclarer irrecevable une plainte déposée par quelqu'un d'autre que la prétendue victime sans le consentement de cette dernière. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les recours collectifs intentés en vertu de la Loi n'ont jamais donné d'excellents résultats.

Cela dit, le paragraphe 40(1) de la Loi dispose que toute personne ou groupe de personnes ayant des motifs raisonnables de croire qu'un acte discriminatoire au sens de la Loi a été commis peut déposer une plainte devant la Commission. En outre, comme nous l'avons déjà souligné, le paragraphe 40(3) autorise la Commission à prendre l'initiative de la plainte, dans les cas où elle a des motifs raisonnables de le faire. Le critère d'évaluation des motifs raisonnables n'est d'ailleurs pas extrêmement restrictif, comme la Cour fédérale l'a établi dans l'affaire Latif c. C.H.R.C. et autres, [1980] 1 C.F. 687, (Section d'appel). Le plaignant doit avoir honnêtement la conviction, pour des motifs raisonnables, de subir ou d'avoir subi un acte discriminatoire. Ni la Commission, ni les tribunaux n'ont besoin — du moins au départ — d'évaluer la qualité de la conviction du plaignant ou les motifs sur lesquels elle repose. Au moment où elle est saisie de la plainte, la Commission a simplement pour tâche de confirmer l'existence de ces motifs.

Par conséquent, pour être valide, la plainte doit contenir suffisamment d'information pour que l'intimé puisse en être saisi et pour qu'il puisse la comprendre et être en mesure de présenter une défense. Étant donné que la Loi ne prévoit rien en matière de communication préalable (échange de documents et d'information avant le procès, dans les recours civils), il est particulièrement important que les faits pertinents soient précisés dans la plainte, qui peut d'ailleurs être modifiée n'importe quand avant l'audience devant le tribunal des droits de la personne, à condition que les modifications ne portent pas préjudice aux intérêts de l'intimé pour sa défense.

À l'audience, le tribunal des droits de la personne se considère rarement comme lié par les aspects procéduriers de la plainte. Il autorise lui aussi qu'elle soit modifiée, par souci d'équité pour les parties, et peut même accepter des motions réclamant des détails, si les circonstances justifient qu'on fournisse un complément d'information au plaignant ou à l'intimé. Par conséquent, lorsque les deux parties reçoivent des avis suffisants et que la plainte est traitée équitablement, même des vices de forme substantiels de celle-ci n'empêchent pas la Commission de l'examiner et n'empêchent pas non plus la plainte d'être entendue par le tribunal.

   D. Enquête

La première mesure que la Commission prend lorsqu'elle est saisie d'une plainte de discrimination consiste à nommer un enquêteur. L'enquêteur recueille des preuves, collige des renseignements et interroge des témoins, ce qui peut lui prendre des semaines, des mois, voire des années. Avec le temps, la longueur de certaines enquêtes a créé un arriéré d’affaires à examiner; pour régler ce problème, la Commission a établi des délais dans lesquels le plaignant et l’intimé peuvent répondre à leurs allégations mutuelles. Lorsque cette procédure permet d’obtenir toute l’information nécessaire et pertinente, l’affaire peut être rapidement soumise à l’examen de la Commission sans qu’il faille effectuer une enquête formelle. Grâce à cette façon de procéder, les plaintes sont habituellement examinées dans un délai de neuf mois.

La Loi investit les enquêteurs de grands pouvoirs dans l'exécution de leur mandat. Par exemple, l'article 43 les autorise à pénétrer dans des locaux pour y procéder aux investigations justifiées par l'enquête, ainsi qu'à obtenir pour examen les livres et documents qui contiennent des renseignements utiles à celle-ci. La procédure d'obtention d'un mandat de perquisition délivré par la Cour fédérale est prévue aux paragraphes 43(2.1) et 43(2.2). En outre, la Loi prévoit des peines pour quiconque nuit aux enquêtes sur les plaintes (voir la rubrique H ci-après).

L'enquêteur présente à la Commission un rapport dans lequel il précise la nature de la plainte, expose les preuves recueillies, explique toute défense pertinente et recommande les mesures à prendre. Il peut recommander le rejet de la plainte, la nomination d'un conciliateur ou la constitution d'un tribunal chargé d'entendre officiellement l'affaire. Le rapport est communiqué aux parties, qui disposent d'un délai raisonnable pour présenter à la Commission des observations écrites sur celui-ci. Après avoir étudié ces observations, ainsi que le rapport de l'enquêteur, la Commission rend une décision, conformément aux paragraphes 44(2) et (3) ou à l'article 47 de la Loi.

En vertu du paragraphe 44(2), si la Commission est convaincue que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs, ou encore que la plainte pourrait avantageusement être instruite selon les procédures prévues par une autre loi fédérale, elle peut renvoyer le plaignant à l'autorité compétente. Par contre, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l'examen de celle-ci est justifié, l'alinéa 44(3)a) lui donne le pouvoir de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal chargé d'examiner la plainte.

Enfin, si la Commission est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de cette dernière n'est pas justifié, ou qu'elle doit être rejetée pour l'un des motifs précisés aux alinéas 41c) à e) (la plainte n'est pas de sa compétence, elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou le délai de dépôt n'a pas été respecté), elle rejette la plainte, en vertu de l'alinéa 43(3)b).

   E. Conciliation et règlement

L'article 47 de la Loi autorise la Commission à charger un conciliateur d'en arriver à un règlement de la plainte. Par ailleurs, bien que la Loi dispose que cela pourrait se faire à presque n'importe quelle étape, dans la pratique, la Commission ne nomme généralement pas de conciliateur avant d'avoir reçu le rapport d'enquête. La Commission a habituellement recours à la conciliation avant de renvoyer la plainte à un tribunal des droits de la personne. En cas d'échec de la conciliation, la Commission conserve le pouvoir de rejeter la plainte, mais elle tend plutôt à la renvoyer au tribunal.

En outre, l'article 48 de la Loi dispose que les parties qui conviennent d'un règlement doivent en présenter les conditions à l'approbation de la Commission. Les règlements qu'elle n'a pas approuvés ne lient pas légalement la Commission, qui peut donc continuer à examiner la plainte.

L'enquête, la conciliation ou le règlement sont des procédures distinctes confiées à des personnes différentes afin d'assurer l'efficacité de la Commission et de protéger les intérêts des parties. Un représentant de la Commission commence par enquêter sur la plainte afin de déterminer si elle est fondée. Tenter d'obtenir un règlement à cette étape pourrait être considéré comme une indication que la Commission considère la plainte comme justifiée, ce qui risquerait d'inspirer une certaine hostilité à l'intimé. La nature même du processus d'enquête fait d'ailleurs qu'il est peu probable que l'intimé se sente à l'aise pour discuter des modalités d'un règlement avec l'enquêteur de la Commission. En outre, l'enquêteur est réputé être un témoin compétent et contraignable devant un tribunal des droits de la personne, mais ni le conciliateur, ni l'information qu'il obtient dans l'exercice de ses fonctions ne sont admissibles à l'audience, l'un comme témoin et l'autre en preuve.

De plus, au moment où elle est déposée, la plainte n'est qu'une allégation; il s'ensuit qu'elle doit commencer par faire l'objet d'une enquête afin qu'on puisse éterminer si elle est fondée avant qu'on tente de parvenir à un règlement, étant donné le tort que cela pourrait causer à la réputation de l'intimé. Cela dit, le plaignant a le droit de savoir aussitôt que possible si la plainte a été jugée non fondée ou non prouvée, ou si elle a été partiellement ou complètement validée.

   F. Jugement

La dernière étape de la procédure de règlement est un examen en bonne et due forme de la plainte par un tribunal des droits de la personne. L'article 48.1 de la Loi crée un comité appelé Comité du tribunal des droits de la personne, composé d'un président et de membres nommés par le gouverneur en conseil, ce qui signifie qu'il est indépendant de la Commission. Il incombe au seul président du Comité de nommer les membres d'un tribunal lorsque la Commission en fait la demande après avoir établi que la plainte de discrimination le justifie. Le tribunal peut être composé de une à trois personnes, selon l'importance et la complexité de la plainte. Ces dernières années, les tribunaux ont généralement été composés de trois personnes.

En application de l'article 51, la plainte est présentée au tribunal par l'avocat de la Commission, qui doit adopter une attitude conforme à l'intérêt public. L'avocat de la Commission représente généralement la position du plaignant, qui a toutefois le droit d'avoir son propre avocat indépendant.

Dans une certaine mesure, les audiences du tribunal se déroulent comme celles d'une instance judiciaire, étant donné que la Loi donne au tribunal le pouvoir d'assigner des témoins, de faire prêter serment et de contraindre des témoins à déposer. De plus, l'article 52 de la Loi précise que les audiences du tribunal sont généralement publiques. En effet, alors que l'enquête sur la plainte est confidentielle, une fois que la Commission a décidé d'approuver un règlement ou de renvoyer la plainte au tribunal, les noms des parties et les faits essentiels sont publics, à moins qu'il y ait des raisons particulières pour qu'il en soit autrement.

Par contre, le tribunal des droits de la personne dispose d'une certaine souplesse à d'autres égards. Par exemple, il n'est pas limité aux règles de la preuve des instances judiciaires. Cette approche plus souple est considérée comme justifiée parce que la discrimination est généralement subtile; elle est rarement établie grâce à des preuves directes, mais plus souvent par des méthodes indirectes comme les preuves circonstancielles ou par ouï-dire. En outre, la charge de la preuve que le plaignant doit assumer consiste à satisfaire à la norme de procédure civile, c'est-à-dire prouver qu'il y a eu discrimination, selon la règle de prépondérance des probabilité.

Si le tribunal juge que la plainte n'est pas fondée, il doit la rejeter. Par contre, s'il la juge fondée, il peut rendre une ordonnance enjoignant à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire de prendre diverses mesures. L'article 57 de la Loi dispose que les ordonnances du tribunal peuvent être assimilées aux ordonnances de la Cour fédérale, à condition que la Commission en dépose une copie au greffe de la Cour.

Le tribunal peut rendre des ordonnances indemnisant la victime de discrimination des pertes de salaire, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres services ou à d'autres installations ou de toutes les autres dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. Enfin, le paragraphe 53(3) de la Loi l'autorise à ordonner le versement d'une indemnité spéciale d'au maximum 5 000 $ s'il vient à la conclusion que la victime a souffert un préjudice moral par suite de cet acte. Il peut même ordonner que l'intimé adopte un programme spécial — de formation ou d'équité en matière d'emploi, par exemple — pour prévenir d'éventuels actes discriminatoires dans l'avenir.

   G. Révision judiciaire

Il est important de souligner que les décisions tant de la Commission que du tribunal des droits de la personne peuvent être portées en appel. Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. C.H.R.C., [1989] 2 R.C.S. 879, la Cour suprême du Canada a jugé que les décisions de la Commission canadienne des droits de la personne peuvent être révisées par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la cour fédérale. Auparavant, elles ne pouvaient être portées en appel, à titre de décisions quasi judiciaires, que devant la Section d'appel de la Cour fédérale, conformément à l'article 28 de ladite Loi.

Dans l'affaire Syndicat des employés, la Cour suprême a déclaré que, contrairement à un organisme judiciaire ou quasi judiciaire, la Commission doit fondamentalement appliquer la procédure d'examen des plaintes qui lui est dictée par la Loi. Autrement dit, à moins de pouvoir rejeter la plainte pour les raisons précisées dans la Loi, elle est tenue d'enquêter. Ensuite, selon les résultats de l'enquête, elle peut soit rejeter la plainte, si celle-ci n'est pas fondée, soit accepter le rapport de l'enquêteur et demander la constitution d'un tribunal. Selon la Cour suprême, ce processus n'est pas censé équivaloir à un examen où la preuve est traitée comme dans une procédure judiciaire. Il consiste plutôt à passer de l'étape de l'enquête à l'étape judiciaire ou quasi judiciaire à condition que les critères établis par la Loi soient respectés.

Bien que rien n'oblige la Commission à tenir une audience judiciaire ou quasi judiciaire sur le bien-fondé des plaintes, la Cour suprême a jugé qu'elle n'en a pas moins le devoir d'agir en toute équité. C'est pourquoi la Commission communique le rapport d'enquête au plaignant et à l'intimé et leur donne la possibilité de lui faire des observations écrites avant de rendre sa décision. De cette façon, elle concilie la protection des intérêts du plaignant et de l'intimé avec son propre intérêt : gérer de façon efficace et efficiente un énorme système administratif.

L'article 55 de la Loi prévoit que la décision d'un tribunal des droits de la personne formé de moins de trois membres peut être renvoyée à un tribunal d'appel composé de trois membres. Ce tribunal d'appel est constitué de la même façon que le tribunal des droits de la personne et il a les mêmes pouvoirs que celui-ci, mais il peut en outre accepter qu'on lui soumette d'autres éléments de preuve ou d'autres témoignages, dans l'intérêt de la justice. La Section de première instance de la Cour fédérale peut entendre des appels des décisions aussi bien du tribunal des droits de la personne que du tribunal d'appel, conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

   H. Infractions

Les articles 59 et 60 de la Loi canadienne sur les droits de la personne disposent que commet une infraction quiconque menace ou intimide la personne qui dépose une plainte, témoigne ou participe de quelque façon que ce soit au dépôt d'une plainte ou aux autres procédures prévues par la Loi, ou encore commet un acte discriminatoire contre cette personne. L'article 60 prévoit expressément que quiconque ne se conforme pas aux conditions d'un règlement approuvé en application de la Loi, entrave l'action d'un tribunal dans l'exercice de ses fonctions prévues ou enfreint certaines des dispositions de la Loi, comme l'article 59, commet une infraction et est passible d'amende. Dans le cas d'un employeur, d'une association patronale ou d'une organisation syndicale, l'amende maximale est de 50 000 $, et, dans tous les autres cas, de 5 000 $.

Les poursuites intentées dans les cas d'infraction à la Loi se font sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et des poursuites peuvent être intentées tant par le plaignant que par la Commission. Une fois que l'affaire est confiée pour enquête à la Gendarmerie royale du Canada, il incombe au procureur général du Canada de déterminer si des poursuites devraient être intentées, et, si oui, s'il convient d'avoir recours aux cours criminelles. Le paragraphe 60(4) précise expressément qu'aucune poursuite ne peut être intentée sans le consentement du procureur général.

CONCLUSION

Le système canadien des droits de la personne n'a pas pour objet de déterminer qu'il y a eu faute ou de punir les comportements coupables, mais bien de changer les attitudes. Les responsables reconnaissent que cet objectif est impossible à atteindre sans un système de redressement spécialisé conçu pour éviter la discrimination, grâce à des programmes d'éducation et de persuasion ainsi qu'à des mesures faisant en sorte que ceux qui ont commis des actes discriminatoires en indemnisent les victimes à leurs frais. Le système est fondé sur la conviction que le processus d'affrontement et d'accusation qui tend à être indissociable du système judiciaire ne fait que renforcer les attitudes de discrimination, ainsi que sur le principe que les employeurs et les fournisseurs de services publics doivent se sentir libres de préférer aux concepts traditionnels de culpabilité des notions de responsabilité sociale.

La Loi canadienne sur les droits de la personne a été conçue pour tenter de cerner et d'éliminer la discrimination au palier fédéral, grâce à cette approche corrective et d'indemnisation. Elle doit aussi concilier les réalités de l'application d'un processus administratif complexe d'examen des plaintes avec la protection des intérêts et du plaignant, et de l'intimé.


(1) Une grande partie de ce document est inspirée de l’ouvrage du juge W.S. Tarnopolsky et de William F. Pentney, Discrimination and the Law, Don Mills, DeBoo Publishers, 1991.