BP-422F

 

EXPLOITATION MINIÈRE ET RÉGLEMENTATION :
BAIE DE VOISEY

 

Rédaction :
Sonya Dakers
Division des sciences et de la technologie
Juillet 1996


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

RESPONSABILITÉ DU PROJET

DESCRIPTION DU PROJET

REVENDICATIONS TERRITORIALES

LE RÉGIME DE RÉGLEMENTATION

CONCLUSIONS


EXPLOITATION MINIÈRE ET RÉGLEMENTATION :
BAIE DE VOISEY

INTRODUCTION

Comme l’a dit la ministre des Ressources naturelles du Canada, l’honorable Anne McLellan devant le Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes le 28 novembre 1995, « c’est un moment décisif pour l’exploitation minière au Canada. L’exploration minière est en progression [.] [N]ous devons disposer d’un régime de réglementation qui encourage les investissements tout en assurant la protection de l’environnement [.] [...] Nous avons fait récemment un certain nombre de découvertes importantes qui pourraient créer des centaines d’emplois permanents. Qu’il suffise de penser au projet de mine de diamants de BHP [...] dans les Territoires du Nord-Ouest et à la Baie de Voisey, à Terre-Neuve »(1).

Le processus d’approbation du projet BHP se fait selon les anciennes lignes directrices sur l’évaluation environnementale. L’aménagement de la baie de Voisey sera, par contre, l’un des premiers grands projets a être soumis au nouveau processus d’approbation environnementale institué en janvier 1995 par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Le projet de la baie de Voisey sera donc vraisemblablement une affaire-test qui permettra de mesurer l’efficacité du régime réglementaire canadien relativement aux grands projets d’exploitation des ressources. Bon nombre d’observateurs éclairés réclament la simplification de ce régime et même une approche unique. On dit que des compagnies minières canadiennes dépensent des millions de dollars dans des endroits éloignés comme le Chili, qu’ils considèrent comme des places d’affaires plus accueillantes, moins coûteuses et moins réglementées. Dans des marchés de plus en plus incertains et très compétitifs, l’argent va souvent aux régions moins explorées et moins coûteuses. C’est justement le cas de la baie de Voisey, où le minerai est riche et près de la surface. Certains en font déjà le futur gisement de nickel le moins coûteux du monde et probablement aussi le deuxième en importance(2). Le projet de la baie de Voisey offre donc la possibilité de ramener les intérêts étrangers sur le marché nord-américain. En lisant les journaux, on a l’impression que les compagnies minières auront l’oeil fixé sur le projet pour mesurer l’efficacité de la réglementation et voir si le climat est propice aux investissements dans le domaine minier.

Il sera particulièrement important d’assurer la rentabilité du projet, car le gouvernement de Terre-Neuve a fermement indiqué qu’il limiterait à 20 millions de dollars le crédit que les compagnies peuvent utiliser pour éponger la taxe minière au cours des dix premières années d’une nouvelle exploitation. Ce crédit était auparavant illimité. Une allocation de transformation de 10 p. 100 est accordée aux compagnies pour les encourager à traiter le minerai dans la province, à laquelle s’ajoute une allocation de 10 p. 100 pour le raffinage.

RESPONSABILITÉ DU PROJET

Depuis que l’importance de la découverte est connue, des compagnies se sont montrées intéressées à acquérir des intérêts dans le gisement. Teck Corp. a joué de finesse en avril 1995 faisant l’acquisition de 10,4 p. 100 des actions au prix de 108 millions de dollars, soit 36 $ l’action. Au début de juin 1995, Inco Ltd. a payé 525 millions de dollars pour une participation de 30 p. 100 dans le gisement de nickel. Depuis, Falconbridge et Inco ont fait des offres pour obtenir une part importante de l’exploitation, qui pourrait représenter pas moins de 8 p. 100 de la production mondiale actuelle de nickel. Au début d’avril 1996, Robert Friedland, coprésident de Diamond Fields Resources Inc., le propriétaire, a annoncé qu’il avait accepté l’offre d’Inco, qui s’est engagée à verser 4,3 millions de dollars pour obtenir 75 p. 100 des parts du projet de la baie de Voisey, à 41 $ l’action. Cette société, qui est le plus grand producteur mondial de nickel, tenait à protéger sa part du marché au niveau international.

Une poursuite en justice a retardé jusqu’en août 1996 la conclusion de l’acquisition. En effet, Exdiam Corp. une firme diamantaire ayant déjà eu à sa tête le coprésident de Diamond Fields, Jean-Raymond Boulle, réclamait tout l’actif de Diamond Fields en dédommagement parce que l’ancien chef de la direction avait, selon elle, utilisé des renseignements internes d’Exdiam pour lever des fonds afin de financer le projet de la baie de Voisey. La compagnie a accepté d’abandonner sa poursuite contre un paiement comptant de 25 millions de dollars US.

DESCRIPTION DU PROJET

Découvert par hasard à la fin de 1993 par des prospecteurs de Terre-Neuve qui cherchaient des diamants, le gisement de la baie de Voisey contiendrait, selon les projections faites par la Tech Corporation, de Vancouver, en juillet 1995, 31,7 millions de tonnes de réserves prouvées de minerais de métaux communs ayant des teneurs moyennes de 2,83 p. 100 de nickel, de 1,68 p. 100 de cuivre et de 0,12 p. 100 de cobalt par tonne. Le minerai est presque deux fois plus riche, en teneurs moyennes, que celui du bassin de nickel de Sudbury, au Canada. Le cuivre et le cobalt contenus dans le dépôt sont considérés comme un avantage supplémentaire : ils rapporteront assez pour couvrir le coût du traitement du nickel, ce qui contribuera à contenir les coûts du projet. À la fin d’avril 1996, Inco a gonflé une première estimation du dépôt, disant que le secteur pourrait contenir 150 millions de tonnes de minerai d’après ce qu’elle savait de la géologie de la région. La compagnie s’attend à ce que, d’ici l’an 2000, la production annuelle à la baie de Voisey s’élève à 270 millions de livres de nickel, 200 millions de livres de cuivre et 10 millions de livres de cobalt(3).

La baie de Voisey se trouve près de la côte du Labrador à moins de dix kilomètres de la haute mer et à environ 330 kilomètres au nord-ouest de Goose Bay. Le projet en est actuellement à l’étape de l’exploration. Plus de 100 trous ont été forés, et des milliers de mètres de carottes ont été analysés. L’exploration se produit aussi dans un site de découverte adjacent dans les Eastern Deeps.

Pour soutenir la phase actuelle des travaux, la Voisey’s Nickel Company Ltd., l’exploitant, a demandé une infrastructure plus permanente que le campement de tentes installé à la fin de 1994. Le 15 janvier 1996, la compagnie a demandé au gouvernement de Terre-Neuve l’autorisation de construire une route, un quai, une piste d’atterrissage et un camp afin de poursuivre les activités d’exploration pendant qu’on effectue les études de faisabilité. Elle prétend que c’est seulement après que ces études auront été réalisées qu’elle sera en mesure d’inscrire le projet de mine et d’usine conformément aux processus d’évaluation environnementale pertinents. La société Tech Corp. a été chargée de mener une étude de faisabilité de la mine au nom du propriétaire, Diamond Fields Resources Inc.

Lors de séances d’information tenues en mai 1996 à St. John’s, le promoteur a expliqué que la phase d’exploration serait suivie d’importants travaux de construction de la mine et de l’usine, qui devraient prendre dix-huit mois et occuper environ 250 personnes. Durant la phase d’exploitation, la mine emploiera environ 300 personnes. Bien qu’on n’ait fixé aucun objectif précis ni accordé de préférences pour le recrutement d’autochtones ou l’attribution des contrats, la compagnie offre des incitations pour leur formation et leur embauche.

Le gisement Ovoïde, qui se trouve à proximité du camp de découverte (Discovery Camp), comme l’indique la figure 1, serait exploité en mine à ciel ouvert. L’autre source probable de minerai sont les Eastern Deeps, une zone située au sud-est de la zone de l’Ovoïde. Ce gisement serait exploité en mine souterraine à une profondeur de 1 000 mètres sous la surface, mais seulement après extraction du minerai du gisement Ovoïde.

Le minerai serait transporté de la mine à ciel ouvert à un premier concasseur, où il serait réduit à un diamètre inférieur à 200 mm avant d’être convoyé au concentrateur. Le chemin de halage serait construit durant les travaux d’aménagement de la mine.

Selon le plan proposé, la mine fonctionnerait sept jours sur sept à longueur d’année, et les employés feraient probablement la rotation sur deux semaines (deux semaines de travail suivies de deux semaines de congé).

Les déchets qui produisent de l’acide et ceux qui n’en produisent pas seraient traités séparément tant au site de l’Ovoïde qu’à celui des Eastern Deeps. Pour empêcher la production d’acide, les résidus seraient conservés sous l’eau, soit dans un bassin d’eau douce naturel ou artificiel ou par confinement des résidus en milieu marin. Le promoteur penche pour l’utilisation des plans d’eau naturels qui se trouvent à proximité du chantier.

Le minerai serait transformé sur place pour produire des concentrés de cuivre et de nickel et de cobalt ainsi et un produit de résidus. Les deux concentrés seraient transportés par camion à une usine de concentration adjacente au port dans la baie Anaktalak où l’on poursuivrait leur transformation et où l’on pomperait les résidus au lieu d’entreposage. Le promoteur aimerait construire l’usine de transformation près de la mine, mais elle pourrait aussi être aménagée près du port où serait transporté le minerai. Les concentrés seraient entreposés près de l’usine avant leur transport par bateau.

Le promoteur se propose de construire un port dans la baie Anaktalak et une piste d’atterrissage à proximité de l’usine. Il est proposé de prolonger et d’élargir la piste utilisée pendant les travaux de prospection, de la façon indiquée à la figure 1. On pense pouvoir utiliser le port à l’année longue pour recevoir le matériel et les fournitures nécessaires à l’exploitation et pour expédier les concentrés. Il faudra construire environ 25 kilomètres de chemins de gravier pour relier les installations durant la construction des mines et pour l’exploitation ultérieure. On ne prévoit aucune route ni liaison ferroviaire directe vers le sud du Labrador ou le Québec.

Les installations de soutien de l’exploitation comprendraient des génératrices électriques alimentées au diesel, des logements pour environ 400 personnes travaillant à la construction et 200, à l’exploitation, des ateliers d’entretien et des entrepôts, un système d’approvisionnement en eau et un système de gestion des déchets.

Le promoteur s’est engagé à se conformer à toute la législation et la régle-mentation applicable et a établi un plan de gestion environnementale. La compagnie formulera un plan d’urgence en cas d’accident et tiendra compte des effets cumulatifs dans son programme de surveillance de l’environnement. Elle s’engage également à limiter le plus possible les effets environnementaux résiduels à l’emplacement de la mine après sa fermeture et elle élaborera un plan de fermeture de celle-ci.

Selon certains analystes, il faudra peut-être attendre jusqu’en 1999 avant que Diamond Fields ou son successeur obtienne les permis nécessaires pour commencer la production. D’ici là, Archean Resources Ltd., une entreprise privée dirigée par deux prospecteurs de Terre-Neuve, a un contrat pour gérer le programme de forage jusqu’en décembre 1996. Elle détient une part de 3 p. 100 des redevances sur le produit de fonderie du gisement découvert.

La découverte a eu lieu au bon moment et au bon endroit. La demande de nickel est forte, en particulier dans l’industrie de l’acier inoxydable, qui consomme environ 60 p. 100 de la production mondiale de nickel. Le reste sert à la fabrication de piles, de placage métallique et d’un alliage de nickel pour l’industrie aérospatiale. Certains prévoient que la production annuelle aux deux mines sera de 65 000 tonnes de nickel, soit environ 8 p. 100 de la production mondiale.

 

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REVENDICATIONS TERRITORIALES

L’entreprise proposée se trouve sur un territoire faisant l’objet de revendications territoriales concurrentes de la part des 5 000 membres de l’Association des Inuit du Labrador (AIL) et des 1 500 membres de la nation innue. L’AIL représente les Inuit et les colonisateurs autochtones de descendance inuit qui vivent principalement dans cinq collectivités le long de la côte est : Nain, Hopedale, Postville, Makkovik et Rigolet. Nain, un ancien village de pêche, compte 1 200 habitants. C’est le village le plus proche du gisement de nickel découvert; il se trouve à 35 kilomètres au nord de l’emplacement proposé de la mine. Les revendications territoriales globales de l’AIL, en négociations depuis 1978, se fondent sur le fait que ses membres occupent depuis toujours la côte et une partie de l’intérieur des terres. Le 30 novembre 1990, l’AIL, le Canada et Terre-Neuve ont signé une entente-cadre réglant les détails du processus de négociation des revendications. En mars 1993, l’AIL a présenté sa proposition d’entente de principe, et des négociations tripartites sont en cours depuis le 20 décembre 1993.

Les Innus du Labrador sont environ 1 500 et vivent principalement dans les collectivités de Davis Inlet et de Sheshatshui. Politiquement, ils sont représentés par la nation innue. En avril 1994, devant les graves problèmes sociaux et de santé qui minaient la collectivité, le gouvernement a pris des engagements envers les Innus relativement au transfert de services, à l’autonomie gouvernementale, à la réinstallation et aux revendications territoriales. Les négociations concernant les revendications territoriales avec les gouvernements fédéral et provincial avaient repris le mois précédent. En octobre 1995, les négociateurs ont paraphé un accord-cadre sur les revendications territoriales portant sur les droits territoriaux, l’accès aux ressources, la gestion environnementale, le partage des recettes provenant de l’exploitation des ressources, les droits de prédation et l’autonomie gouvernementale.

Les autochtones veulent que les travaux soient interrompus jusqu’à ce que leurs droits territoriaux soient établis et qu’une évaluation environnementale complète des conséquences sociales et environnementales du projet ait été faite. Ils ont demandé que les activités de prospection et d’exploitation soient évaluées comme un projet unique et ont menacé d’aller devant les tribunaux si ce n’était pas le cas. Ils pensent que l’infrastructure proposée n’est pas nécessaire à l’étape de l’exploration, mais qu’il s’agit simplement d’un moyen de commencer à exploiter la mine sans avoir à se soumettre à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Si le projet de mine se concrétise, les autochtones veulent avoir leur mot à dire dans l’exploitation de celle-ci et profiter des possibilités d’emploi et de formation.

Le promoteur a indiqué qu’il respecterait les conditions de toute entente future. Il affirme que l’environnement est connu et bien caractérisé, ce qui permet d’avoir une assez bonne idée des effets possibles du projet et de prendre des mesures d’atténuation éprouvées. En outre, le gouvernement de Terre-Neuve souhaiterait voir les revendications territoriales réglées le plus rapidement possible. Les dirigeants de l’AIL tentent de conclure avec lui un protocole d’entente qui donnera aux autochtones voix au chapitre relativement à l’exploitation minière jusqu’à ce que les revendications territoriales soient réglées. S’ils échouent, l’AIL a menacé de s’adresser à la Cour suprême du Canada pour empêcher la construction de la mine tant que les revendications touchant environ 14 millions d’hectares de terrain dans le nord du Labrador n’auront pas été réglées. Dernièrement, l’AIL a adouci sa position et se dit prête à autoriser l’exploitation des mines même si les revendications territoriales ne sont pas réglées, si elle parvient à conclure une entente avec le nouveau propriétaire, Inco Ltd.

À l’annonce du projet d’exploitation minière, la première réaction des Innus du Labrador a pris la forme d’un affrontement avec la GRC, qui a duré douze jours en février 1995. Leurs négociations avec la Diamond Fields au cours de l’été 1995 ont abouti à peu de résultats concrets. Cette soudaine « ruée vers l’or » dans une région caractérisée depuis toujours par une économie de subsistance risque de modifier à jamais le mode de vie des autochtones. Il n’est donc pas surprenant que ceux-ci se méfient des compagnies minières qui débarquent dans une région éloignée, ne tiennent pas compte des intérêts locaux, restent là le temps que la mine est profitable, puis repartent, laissant derrière elles des séquelles sur l’environnement et quittant la collectivité aussi cavalièrement qu’elles s’y étaient installées.

La réputation du principal promoteur du projet inquiète également la communauté autochtone. Robert Friedland était directeur général de Galactic Resources Ltd., une compagnie qui a provoqué, à la fin des années 80, une catastrophe écologique tristement célèbre à Summitville, au Colorado, en déversant du cyanure et des métaux lourds dans le réseau hydrologique du Rio Grande. La compagnie, en faillite, a laissé à l’agence américaine de protection de l’environnement une facture de 100 millions de dollars, soit ce qu’il en a couté pour décontaminer la mine et des cours d’eau environnants(4).

Il existe un précédent en matière de protection des droits des autochtones dans l’attente d’un règlement de revendications territoriales. Dans le cas de la mine de Nanisivik, dans l’Arctique, les droits et les intérêts des autochtones ont été protégés dans une certaine mesure pendant les négociations sur les revendications. Bien que le gouvernement provincial, qui a juridiction sur le territoire de la baie de Voisey, ait autorisé la poursuite de certaines activités de forage d’exploration, il l’a interdit jusqu’en juillet 1997 sur certaines terres adjacentes aux collectivités autochtones(5).

Le Canada et Terre-Neuve ne se sont pas encore entendus sur le partage équitable des responsabilités pour ce qui concerne le règlement des revendications territoriales et la mise en oeuvre des ententes résultantes. Les négociations touchant les revendications territoriales visent à confirmer et à préciser les droits à la propriété et à l’utilisation des terres et des ressources de façon à faciliter et à stimuler le développement économique. À l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération en 1949, les autochtones se sont retrouvés dans un vide constitutionnel. Les termes de l’Union transféraient des terres réservées aux autochtones comme si Terre-Neuve s’était jointe au Canada en 1867. L’assemblée législative de la province s’est trouvée ainsi privée du pouvoir de faire des lois touchant les autochtones. Pourtant, contrairement aux Indiens du reste du Canada, ceux de cette province avaient le droit de vote, n’avaient jamais conclu de traité et ne vivaient pas dans des réserves ni sur d’autres « terres indiennes »; la Loi sur les Indiens n’a jamais été appliquée à Terre-Neuve.

Les Innus se sont plaints à la Commission canadienne des droits de la personne, qui a conclu en août 1993 que, jusqu’à ce jour, le gouvernement du Canada n’avait jamais reconnu clairement sa responsabilité constitutionnelle directe envers les Innus en tant que peuple autochtone du Canada(6). La décision touche également les Inuit, puisqu’en 1939 la Cour suprême a établi que le gouvernement fédéral avait à leur égard la même responsabilité qu’envers les Indiens. Cet irritant constitutionnel a envenimé les relations entre les groupes autochtones de Terre-Neuve et les gouvernements fédéral et provincial. Actuellement, le Canada accorde des fonds pour le logement, les infrastructures, l’éducation, les soins de santé et le développement économique et culturel des autochtones en vertu d’ententes administrées par la province.

LE RÉGIME DE RÉGLEMENTATION

En mai 1993, le Conseil consultatif national des sciences et de la technologie a publié son rapport, Compétitivité des industries minière et forestière du Canada(7). Le Conseil a reconnu que les industries du secteur primaire sont le moteur de la prospérité nationale, représentant 45 p. 100 des exportations totales. Ces industries éprouvent aujourd’hui, toutefois, de graves difficultés. « De nouveaux concurrents dynamiques à l’étranger qui bénéficient de coûts d’approvisionnement et de main-d’oeuvre moins élevés, l’utilisation croissante de matériaux de remplacement, les exigences plus rigoureuses de la clientèle, la structure du commerce qui change rapidement ainsi que les contextes économique et financier en pleine évolution menacent l’existence même du secteur canadien des ressources »(8). La compétitivité des industries de ressources semble dépendre tout autant du contexte économique et réglementaire que de la productivité. Les gouvernements étrangers ont recours aux investissements, aux politiques environnementales et à des mesures d’incitation pour encourager les investisseurs à prospecter, à exploiter et à exporter les ressources locales. Les dirigeants de ces industries au Canada estiment évidemment que l’incertitude et le risque économique qui résultent d’une application incohérente des processus d’évaluation environnementale découragent les investissements et nuisent à la compétitivité. Pour eux, le problème est surtout attribuable aux chevauchements qui existent entre ministères des deux paliers de gouvernement(9).

Un groupe de travail formé de représentants du gouvernement et de l’industrie s’est également penché sur la compétitivité internationale du Canada en ce qui concerne le capital d’investissement minier. En septembre 1993, il a expliqué dans son rapport que même si l’on a beaucoup entendu parler de l’expérience des membres de l’industrie en ce qui a trait aux processsus d’évaluation et d’autorisation environnementales, on a peu de données empiriques permettant d’étayer ces affirmations. Le problème est en partie attribuable au fait qu’on ne sait pas toujours très bien ce qui a provoqué le retard ou l’incident que l’on pourrait considérer comme une source d’inefficacité(10). Dans les projets examinés, on n’a pu déterminer avec certitude dans quelle mesure les retards pouvaient être imputés au comportement des fonctionnaires chargés de l’application des règlements. Souvent, c’est l’auteur de la proposition qui a négligé de fournir toute l’information nécessaire ou de se conformer aux exigences en matière de conception ou de mesures correctives. À moins de preuves plus détaillées et plus éloquentes, il est impossible de déterminer la cause exacte des délais d’application de la réglementation(11). L’industrie est pour sa part convaincue que ce sont les exigences environnementales plus que les exigences techniques ou celles touchant la santé et la sécurité qui sont la source du problème. La présente section portera donc davantage sur les aspects de la réglementation qui intéressent l’environnement même s’il ne faut pas oublier qu’à l’étape de la prospection, il y a de nombreux permis et autorisations à obtenir des divers paliers de gouvernements.

Depuis le début des années 70, tous les ordres de gouvernement ont entrepris d’établir des lois pour assurer la protection de l’environnement. Le Canada se retrouve ainsi avec un ensemble complexe de régimes de réglementation dans ce domaine. Les règlements en matière d’environnement visent l’évaluation des répercussions des activités humaines sur l’environnement et la protection de ce dernier par la mise en oeuvre de mesures telles la gestion des déchets et l’établissement des normes sur les émissions et d’exigences en matière de réclamations. L’apparente complexité du système vient de ce que les responsabilités à ce chapitre sont partagées entre les différents ordres de gouvernement.

Une modification apportée à la Loi constitutionnelle en 1982 (article 92A) confère aux provinces la compétence exclusive pour légiférer en vue de l’exploitation, de la conservation et de la gestion de leurs ressources naturelles non renouvelables. La question est de savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral devrait s’ingérer dans l’évaluation de projets de compétence essentiellement provinciale. Les provinces, le Québec en particulier, voient dans l’évaluation environnementale une tentative du gouvernement fédéral de se réapproprier des pouvoirs sous le couvert de la protection de l’environnement(12). Si le gouvernement fédéral joue un rôle nécessairement plus effacé que les provinces dans la réglementation du secteur minier, il n’en reste pas moins très présent dans le domaine environnemental pour ce qui touche les terres fédérales et les questions transfrontalières et internationales.

Le cadre législatif du gouvernement en matière de protection et d’évaluation environnementales comprend la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1988), la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (1992), la Loi sur les pêches (antérieure à la Confédération) et la Loi sur la protection des eaux navigables (1886).

La possibilité de conflit et de chevauchement semble exister si l’on pense aux lois terre-neuviennes qui s’appliqueraient dans le cas d’un projet comme celui de la baie de Voisey. Terre-Neuve a une loi sur la protection de l’environnement (1981) et un règlement d’application connexe (1984) et une loi sur les pêches (1970), sans parler de lois particulières portant sur la protection des eaux, de la faune et des parcs, etc.

Une enquête menée en 1993(13) sur les chevauchements possibles n’a pas révélé de cas préoccupants de chevauchement des deux gouvernements, même avant la promulgation de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Cette nouvelle loi prévoit que si une province doit procéder à une évaluation environnementale qui suppose une participation du fédéral, les deux paliers de gouvernement feront une évaluation conjointe. Les projets pour lesquels les deux gouvernements ont réclamé une telle évaluation n’ont évidemment pas été très nombreux à Terre-Neuve.

En 1994, le nouveau gouvernement libéral a promis de simplifier le régime de réglementation et de réduire les chevauchements et les dédoublements fédéraux-provinciaux coûteux. Le ministre de l’Industrie, John Manley, et la ministre des ressources naturelles, Anne McLellan, ont tous deux appuyé publiquement cette promesse en s’engageant à travailler avec l’industrie et les provinces pour réaliser ces changements avant la fin de 1995. Dans le discours du trône de février 1996, le gouvernement a répété que la réforme proposée garantirait une meilleure coordination des activités, imposerait des exigences plus grandes et plus claires et accélérerait le processus.

L’Alberta, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique ont conclu des ententes sur la coordination des évaluations environnementales fédérales-provinciales par l’intermédiaire de « guichets uniques » locaux. Dans le cas de la Colombie-Britannique, ce seront même les normes de la province qui s’appliqueront. On est en train de travailler à des ententes similaires avec l’Ontario et la Saskatchewan. Comme il n’existe pas encore d’entente bilatérale générale entre Ottawa et St. John’s, les deux gouvernements sont en train d’élaborer une entente particulière pour éviter le dédoublement des activités d’évaluation environnementale.

Les guichets uniques locaux contribueront à améliorer les communications avec l’industrie. De plus, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale est en train d’établir, à l’intention de l’industrie minière, des directives générales pour l’aider à préparer ses déclarations sur les répercussions environnementales. L’auteur d’une proposition sera ainsi mieux à même de satisfaire aux exigences en matière d’information. Ces directives doivent être diffusées avant l’automne 1997(14).

Dans le cas de la baie de Voisey, on veut s’entendre sur un processus d’évaluation conjointe qui permettra de prendre des décisions opportunes et d’éviter que le travail se fasse en double. À l’échelle nationale, on discute également de l’établissement de délais d’approbation afin d’accroître la prévisibilité du système une fois remplies les obligations environnementales.

Le gouvernement cherche quant à lui à harmoniser ses activités de réglementation relativement au processus fédéral d’évaluation. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale est en train de rédiger un code (règlement sur la coordination fédérale) pour s’assurer que les évaluations environnementales fédérales se font à temps et sont coordonnées efficacement par les autorités fédérales en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale(15). Le code sera promulgué avant la fin de 1996.

L’idée d’un organisme responsable, un ministère fédéral qui jouerait le rôle de coordonnateur en chef pour toutes les questions fédérales, commence à faire son chemin. Dans le cas de la baie de Voisey, Ressources naturelles Canada assume présentement ce rôle, qui pourrait revenir au ministère des Pêches et des Océans lors que l’on entrera dans la phase d’exploitation.

On est en train de revoir le processus des examens publics fédéraux pour qu’ils soient plus uniformes, plus opportuns, plus prévisibles, plus ouverts et plus efficaces. D’ici décembre 1996, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale déposera un règlement fédéral visant à accélérer le processus des examens environnementaux faits par une commission. Le règlement s’appliquera également aux processus provinciaux dans les cas où le gouvernement fédéral est partie à une entente bilatérale.

CONCLUSIONS

Devant la fébrilité actuelle des investisseurs, le gouvernement semble vouloir ardemment convaincre les compagnies minières que le Canada est un bon endroit où investir et exploiter une mine et il cherche à éliminer ce qui, dans la réglementation, pourrait les décourager. Par ailleurs, dans le domaine de l’environnement, ce n’est pas parce qu’on cherche à aplanir les obstacles qu’il faut renoncer à des mécanismes efficaces. Un vent de déréglementation souffle au gouvernement, qui veut laisser à l’industrie le soin de contrôler elle-même ses activités. À cet égard, l’industrie minière a montré son sens des responsabilités en instituant un programme volontaire visant à accélérer la réduction ou l’élimination de douze substances toxiques d’ici l’an 2000(16). Le gouvernement aura encore cependant la tâche importante de veiller à que les grands projets d’exploitation des ressources n’aient pas de conséquences préjudiciables à long terme sur la situation socio-économique et l’environnement des collectivités touchées.

Le Canada a parfois souffert de la comparaison avec des endroits comme le Mexique et l’Amérique du Sud sur le plan des investissements et c’est, entre autres choses, à cause des retards dans l’application des processus d’évaluation environnementale. Pourtant, les catastrophes écologiques survenues à l’étranger ces dernières années montrent que l’assouplissement à outrance de la réglementation environnementale dans le but d’attirer les investisseurs peut avoir, sur le plan humain, des conséquences graves et, à long terme, très coûteuses. Un projet de la baie de Voisey est une occasion en or d’attirer les investissements étrangers, mais il faudrait en faire aussi l’exemple parfait d’un mégaprojet qui est géré efficacement de manière à profiter à la population locale plutôt qu’à lui nuire.


(1) Anne McLellan, Notes pour une allocution à l’intention du Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes, 28 novembre 1995, p. 1-2 (traduction).

(2) « Diamond Deposits Still Elusive in Labrador », Northern Miner, 4 septembre 1995.

(3) Allan Robinson, « Voisey's 50% Richer: Inco », Globe and Mail (Toronto), 24 avril 1996.

(4) Jacquie McNish, « Friedland on Offensive over Toxic Spill Incident », Globe and Mail (Toronto), 13 mars 1996.

(5) Affaires indiennes et du Nord Canada, Fiche d’information no 62, février 1996, et conversations téléphoniques avec des fonctionnaires du gouvernement de Terre-Neuve, 18 juillet 1996.

(6) Adrian Tanner et al., Relations between Aboriginal Peoples and Governement in Newfoundland and Labrador, A Research Report for the Governance Project, Royal Commission on Aboriginal Peoples, St. John’s (Terre-Neuve), janvier 1994.

(7) Comité de la compétitivité dans les industries d’exploitation des ressources, Compétitivité des industries minière et forestière du Canada, Rapport du Conseil consultatif national des sciences et de la technologie présenté au Premier ministre du Canada, Ottawa, mai 1993.

(8) Ibid., p. i.

(9) Ibid., p. 23.

(10) Groupe de travail des gouvernements sur l’industrie minière, Canada’s Environmental Regulatory Systems: Current Issues, Étude générale sur les préoccupations en matière de réglementation environnementale produite par un groupe de travail du gouvernement et de l’industrie sur le climat d’investissement canadien dans le domaine minier, septembre 1993, p. 42.

(11) Ibid., p. 43.

(12) Groupe de travail des gouvernements sur l’industrie minière, Duplication and Overlap in Environmental Protection Regulations in Canada, Étude générale sur les préoccupations en matière de réglementation environnementale produite par un groupe de travail du gouvernement et de l’industrie sur le climat d’investissement canadien dans le domaine minier, septembre 1993, p. 16.

(13) Ibid., p. 58

(14) Ressources naturelles Canada, Rationalisation de la réglementation environnementale régissant l’exploitation minière, Réponse du Gouvernement fédéral au rapport provisoire du Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes, juin 1996, p. 10.

(15) Ibid., p. 11.

(16) Ibid., p. 25.