BP 435F

LES DROGUES ILLICITES ET LEUR TRAFIC

Rédaction :
Diane Leduc, James Lee
Division des affaires politiques et sociales
Novembre 1996
Révisé en février 2003


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LE COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

LES ÉTATS-UNIS

LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE CONTRÔLE INTERNATIONAL DES DROGUES

L’ÉVOLUTION RÉCENTE DU COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

LE CANADA ET LE COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

CONCLUSION


LES DROGUES ILLICITES ET LEUR TRAFIC

 

INTRODUCTION

Le commerce des drogues illicites comme la cocaïne, l’héroïne et les amphétamines (stimulants synthétiques) est depuis longtemps cause de frustration sur la scène internationale(1). Après avoir tenté pendant des années de lutter individuellement et bilatéralement contre le commerce de la drogue, les pays ont pris conscience du fait que seule une action internationale concertée pouvait en restreindre efficacement l’étendue et que l’unique façon d’en réduire l’attrait consistait à adopter des mesures de grande envergure sur les plans social et autres.

LE COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

Les drogues jouent un rôle médicinal important dans la société humaine, et la consommation de drogues « inoffensives » comme la caféine est largement et légalement répandue aux quatre coins du monde.  Le commerce de la drogue ne date pas d’hier non plus.  Ainsi, l’empire britannique a jeté les bases du commerce de l’opium au XIXe siècle en vendant à la Chine de l’opium produit en Inde en échange de thé et de soie, et s’est livré à des « guerres de l’opium » pour défendre son droit de le faire(2).  Au début du XXe siècle, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays ont commencé à modifier leur position au sujet de l’usage des drogues bien que, comme en témoigne l’histoire de la prohibition, leur perception des drogues « dangereuses » et leur niveau de tolérance à cet égard étaient différents des nôtres.

Dès les années 1970 et 1980, le commerce international de la drogue revêt déjà bon nombre des attributs principaux que nous lui connaissons aujourd’hui, les plus notables étant son omniprésence et son ampleur.  Selon une enquête des Nations Unies, la valeur en dollars du commerce des drogues illégales dans le monde arrive tout juste derrière celle du commerce des armes.  Il est extrêmement difficile d’établir la valeur d’une entreprise illégale qui fait des affaires dans des dizaines de devises partout dans le monde, mais le Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime des Nations Unies décrit la production, le trafic et les ventes de drogues illicites comme une industrie générant 400 milliards de dollars par an(3).  Certaines de ces drogues ont produites et consommées sur place, mais l’essentiel du commerce se fait entre les États.  Contrairement au commerce international des armes, qui se fait en grande partie des pays développés producteurs vers les pays moins développés acheteurs, le commerce international de la drogue se fait habituellement des pays moins développés vers les pays développés.  Au risque de simplifier à l’extrême, disons que la cocaïne provient habituellement de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, tandis que l’héroïne est essentiellement produite dans le Sud-Est et le Sud-Ouest asiatique.

LES ÉTATS-UNIS

Leur population étant la plus touchée par ce fléau et leur budget de lutte antidrogue étant le plus élevé, les États-Unis ont toujours agi comme le principal « pays victime » du commerce de la drogue.  Les Américains sont depuis longtemps les plus actifs à lutter contre ce trafic, tant à titre individuel que conjointement avec d’autres pays.  L’intervention américaine est le plus souvent axée sur l’application de la loi, quelque 60 p. 100 des fonds destinés à la lutte antidrogue étant consacrés à l’application du droit pénal et 30 p. 100 au traitement.  En 1972, le président Richard Nixon avait déclaré la « guerre à la drogue », mais c’est seulement dans les années 1980 que les gouvernements Reagan et (particulièrement) Bush se sont engagés pour de bon dans une guerre sans merci.  Dans les années 1980, la cocaïne de l’Amérique du Sud a devancé l’héroïne du Sud-Est asiatique au premier rang des drogues consommées aux États-Unis.  En 1986, le président Ronald Reagan a signé la directive de sécurité nationale no 221, qui faisait de la lutte antidrogue une priorité en matière de sécurité nationale.  Entre 1980 et 1990, les dépenses fédérales américaines au titre de la lutte antidrogue sont passées (en dollars constants) de 1,5 à 6,7 milliards de dollars, tandis que le nombre d’arrestations d’adultes effectuées annuellement aux États-unis pour vente ou fabrication de drogues illégales est passé d’environ 103 000 en 1980 à plus de 404 000 en 1989.  (Le nombre d’arrestations pour possession illégale s’est aussi accru, passant d’environ 368 000 à plus de 843 000 par an au cours de cette période(4).  Les États-Unis ont aussi intensifié leurs liens de coopération antidrogue avec d’autres gouvernements en envoyant des spécialistes de la lutte contre la drogue et d’autres agents dans des pays d’Amérique latine pour se concentrer sur le commerce de la cocaïne, ainsi qu’en Thaïlande, en France et dans d’autres pays pour contrer la menace posée par l’héroïne.  Si la consommation occasionnelle des drogues (ou non susceptible de causer une dépendance) a diminué grâce à ces mesures de répression, les grands drogués, qui représentent quelque 80 p. 100 des toxicomanes aux États-Unis, continuent de consommer à peu près au même rythme(5).  Selon Lee P. Brown, alors directeur de l’Office of National Drug Control Policy (et communément dénommé « tsar de la drogue » en Amérique), « aux États-Unis, la consommation de drogues douces a considérablement diminué.  Notre grande préoccupation porte maintenant sur la dépendance aux drogues dures ».  De l’avis de Brown, les pays doivent se concerter pour lutter contre le problème de la drogue à l’échelle internationale.  Leur intervention doit porter sur l’application de la loi, l’éducation, le traitement et le développement économique(6).

Le gouvernement Clinton a commencé par diminuer les fonds alloués au bureau du tsar de la drogue et mis davantage l’accent sur la réduction de la demande à l’échelle nationale. Cependant, les chiffres de 1996 révélant que la consommation avait augmenté chez les adolescents et d’autres groupes, les Républicains ont pu alléguer durant la campagne électorale que le président Clinton ne se préoccupait pas du problème.  En fait, lorsque Clinton a nommé à l’automne de 1995 le très respecté général Barry McCaffrey de l’armée américaine, en remplacement de Lee Brown, à la tête de l’Office of National Drug Control Policy, il a hissé ce bureau au rang le plus élevé (celui du Cabinet) et en a augmenté sensiblement l’effectif(7).  Au printemps de 1996, Clinton a de plus annoncé une nouvelle stratégie nationale antidrogue dont la grande priorité est d’amener les jeunes à rejeter les drogues(8).  Comme on le faisait remarquer dans The Economist, la consommation de drogue, tout comme l’économie, semble suivre des cycles naturels, et la faiblesse du gouvernement a sans doute été de ne pas prévoir le mouvement du cycle pour pouvoir le contrer adéquatement.

Soucieux d’endiguer le flux des arrivages de drogues aux États-Unis, le gouvernement américain continue de verser une aide financière aux pays qui tentent d’enrayer les cultures de stupéfiants et prennent d’autres mesures analogues.  Ainsi, en 2000, ils ont adopté un train de mesures d’aide d’une valeur de 1,3 milliard de dollars devant se greffer au Plan Colombia et aux efforts faits par le gouvernement colombien pour relever la multitude de défis auxquels il est confronté – le commerce des drogues illicites, la primauté du droit, les droits de la personne, le développement de l’économie, la réforme judiciaire et l’instauration d’un climat de paix(9).  De plus, en 2001, les États-Unis ont proposé de financer l’Andean Counterdrug Initiative, destinée à développer les programmes antidrogue amorcés dans le Plan Colombia et à soutenir l’application de la loi et le développement alternatif dans les pays de la région des Andes menacés par le trafic des stupéfiants.

En février 2002, le président George W. Bush a dévoilé une nouvelle stratégie antidrogue nationale s’inspirant de trois grands principes :

Cette stratégie vise à mieux équilibrer les efforts de réduction de l’offre et de la demande.  Un travail de prévention et de traitement est prévu dans la stratégie pour réduire la demande, mais il demeure qu’on met encore beaucoup l’accent sur la réduction de l’offre, c’est-à-dire stopper au maximum les arrivages aux États-Unis ainsi qu’appréhender et punir les vendeurs et les consommateurs.  Enfin, signe de la volonté des États-Unis de poursuivre la lutte contre la drogue (et le trafic de celle-ci), une somme de 19,2 milliards de dollars a été prévue à cette fin dans le budget 2003(10).  Par ailleurs, selon The Economist, l’estimation officielle des ventes de drogues au détail aux États-Unis s’établit à 60 milliards de dollars, ce qui fait de ce pays le marché le plus lucratif de la planète(11).  Pour sa part, le U.S. Congressional Research Service estime que plus de 13 millions d’Américains achètent encore des drogues illicites sur une base régulière (c.-à-d. plus d’une fois par mois) et que les coûts économiques associés à la consommation des drogues aux États-Unis pourraient bien s’élever à 110 milliards de dollars(12).  Pendant ce temps, les arrestations (et les condamnations) liées à la drogue continuent d’augmenter au même rythme.  Le Bureau of Justice Statistics signale qu’entre 1984 et 1999, le nombre de prévenus qui ont fait face à une accusation liée à la drogue devant les tribunaux fédéraux est passé de 11 854 à 29 306 par an(13).  D’autres sources indiquent qu’entre 1970 et 1999, les arrestations liées à la drogue ont plus que quadruplé dans le cas des adultes, passant de 322 300 à 1 337 600, et ont doublé dans le cas des jeunes, passant de 93 300 à 194 600(14).

LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Étant donné que l’ampleur du problème de la drogue varie d’un pays à l’autre, les États se sont toujours attaqués au problème de façon individuelle.  Pour reprendre les propos de la revue The Economist, « l’attitude de la plupart des électorats et des gouvernements consiste à déplorer les problèmes occasionnés par le commerce illégal de la drogue, à considérer toute la question avec dégoût et à maintenir le statu quo – c’est-à-dire l’application d’une politique d’interdiction générale »(15).  Certains dirigeants politiques d’Amérique latine et d’ailleurs soutiennent que l’établissement d’une coopération internationale étroite pour remédier au commerce de la drogue mettrait en danger leur « souveraineté » nationale.  Les Européens ayant prétendu pendant longtemps que la plupart des drogues ne faisaient que « transiter » sur le continent, il n’était pas prioritaire d’en interdire le trafic.

Ce sont les États-Unis qui ont pris l’initiative de s’attaquer au commerce de la drogue proprement dit et, grâce à la signature d’accords bilatéraux avec d’autres pays, d’y faire échec.  L’instauration d’une véritable coopération internationale n’a toutefois commencé qu’avec la ratification de la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants de l’ONU, qui interdisait un vaste éventail de drogues.  Le texte de cet accord a été modifié et assorti d’un protocole en 1972.  En outre, l’ONU a souscrit à la Convention de Vienne sur les substances psychotropes en 1971 dans le but de limiter le commerce des hallucinogènes et des amphétamines (les substances psychotropes ne faisaient pas partie de la Convention de 1961).  Ensemble, « ces trois conventions réglementent la production, la distribution et l’approvisionnement, en toute légalité, de substances contrôlées à des fins médicales et scientifiques et rendent illégales toutes autres activités de cet ordre »(16).  La même année, on a créé le Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l’abus des drogues (FNULAD), auquel les États-Unis, l’Allemagne, la Suède et la Norvège ont été les premiers à adhérer.  En 1984, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé unanimement la rédaction d’une ébauche de convention pour parfaire la Convention unique de 1961 (dans sa version modifiée) et la Convention de 1971 sur les substances psychotropes.  C’est ainsi qu’a pris forme la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, dont le texte a été adopté et préparé pour signature à la fin de 1988.  Cette convention réitère la volonté des signataires de renforcer et de parachever les conventions précédentes et « de consolider et d’améliorer les moyens légaux existants pour favoriser la coopération internationale en matière pénale afin de mettre un terme aux activités criminelles internationales de trafic illicite »(17).  En mai 2002, 166 pays ainsi que l’Union européenne avaient adhéré à la Convention.

L’ONU a continué de traiter au niveau le plus large le problème du commerce de la drogue et, en décembre 1995, l’Assemblée générale a adopté une résolution en sept parties, exhortant les États à intensifier leurs mesures pour promouvoir une coopération efficace dans le domaine(18).  En avril 1996, la Commission des stupéfiants, composée de 53 membres et créée par l’ONU en février 1946, a recommandé que l’Assemblée générale tienne une séance spéciale en 1998 sur les nouvelles stratégies pour combattre le commerce international de la drogue et ses effets(19).  L’importance de cet enjeu pour la communauté mondiale a été soulignée à l’occasion de la session spéciale tenue sur le problème mondial de la drogue à New York en juin 1998.  À cette occasion, les 185 États membres ont adopté et signé une déclaration politique sur les principes directeurs d’une réduction de la demande en matière de drogues qui commence ainsi :

La drogue détruit des vies et des communautés, nuit au développement humain durable et engendre la criminalité.  La drogue touche tous les secteurs de la société, dans tous les pays, et entrave la liberté et le développement des jeunes, la plus grande richesse de l’humanité.  La drogue est une menace sérieuse pour la santé et le bien-être de tous les êtres humains, l’indépendance des États, la démocratie, la stabilité des pays, la structure des sociétés ainsi que la dignité et l’espoir de millions de personnes et de leurs familles.(20)

Après avoir reconnu des faiblesses dans six grands domaines (contrôle des produits chimiques précurseurs, stimulants de type amphétamine, coopération judiciaire, contrôle du blanchiment de l’argent, réduction de la demande et développement alternatif), les signataires de la déclaration de 1998 se sont engagés à réduire considérablement l’offre et la demande de drogues illicites d’ici 2008.  Ils se sont également entendus sur les trois grands objectifs suivants :

Plus récemment, soit en décembre 2000, les États membres de l’ONU se sont réunis à Palerme en Italie pour adopter une autre convention, la Convention contre la criminalité transnationale organisée.  La convention de Palerme est accompagnée de deux protocoles, un sur le trafic des personnes, l’autre sur le trafic des migrants.  L’objectif est de resserrer la coopération internationale pour réduire considérablement les activités illégales à la frontière, et il est permis d’espérer qu’il constituera un outil précieux de lutte contre le trafic international des stupéfiants.

LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE CONTRÔLE INTERNATIONAL DES DROGUES

En 1991, on a établi le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) afin de coordonner les activités de l’ONU en matière de lutte antidrogue et de créer un point central en vue de la Décennie des Nations Unies contre la drogue (1991-2000).  Le PNUCID a par la suite élargi la portée de son intervention et augmenté le nombre de projets faisant l’objet d’une surveillance de sa part.  Bien que la coopération internationale ait toujours été surtout axée sur l’application de la loi, un mouvement en faveur d’une intervention complémentaire s’est amorcé.  En mars 1993, les délégués à la trente-sixième session de la Commission des stupéfiants de l’ONU ont adopté une résolution exhortant les gouvernements à donner la priorité à la prévention de la toxicomanie ainsi qu’au traitement et à la réinsertion sociale des toxicomanes.  Cet effort de réduction de la demande a été perçu par de nombreux pays comme un complément à l’application de la loi et comme un élément important de toute stratégie équilibrée visant à faire échec à la toxicomanie(22).

Le budget du PNUCID est en ce moment d’environ 160 millions de dollars américains par an, soit un peu moins qu’à la fin des années 1990 et une part importante de ce budget sert à réduire le marché de l’offre en faisant du développement alternatif.  Abstraction faite de la réduction générale des budgets qui a cours partout à l’ONU, 90 p. 100 des fonds du PNUCID proviennent de contributions volontaires de sept gouvernements et de l’Union européenne, ce qui soulève des questions au sujet de l’expertise future et de la « propriété » internationale du Programme.

L’ÉVOLUTION RÉCENTE DU COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

La fin de la guerre froide a donné lieu à plusieurs changements importants dans le commerce international de la drogue.  En effet, l’effondrement de l’Union soviétique et de son empire en Europe de l’Est a provoqué en Occident un afflux de personnes et de biens en provenance de ces régions.  Selon la GRC,

l’émergence de nouveaux groupes de passeurs et de trafiquants est souvent attribuable à des impératifs économiques et politiques globaux.  Un bon nombre de pays de l’Europe de l’Est et de l’ancien bloc soviétique sont sur le point de s’effondrer.  Les citoyens de ces pays affligés sont des cibles de choix pour les groupes de trafiquants de drogue étrangers et nationaux.  Il est probable que les incidents de ce genre impliquant des ressortissants des pays de l’Est et de l’ancien bloc soviétique augmentent.  Les personnes ciblées seront surtout celles qui occupent des emplois comportant des voyages internationaux.(23)

Trois nouvelles menaces importantes sont apparues avec la fin de la guerre froide : 1) l’expédition de la cocaïne colombienne vers l’Europe de l’Est, puis vers l’Occident; 2) la production accrue du pavot blanc dans les ex-républiques soviétiques de l’Asie centrale, sa transformation en héroïne et son acheminement par voie terrestre ou par les ports de la mer Baltique vers l’Europe; et 3) la production d’amphétamines dans les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, comme la Pologne, et leur distribution en Occident(24).  Si la gravité de ces nouvelles menaces ne fait pas de doute, il reste que la fin de la guerre froide aura aussi été l’occasion d’organiser la lutte antidrogue grâce à la plus grande mise à contribution des ressources spécialisées dans le renseignement de sécurité, qui étaient jusque-là monopolisées par les exigences de la guerre froide.  La plupart des agences de renseignement de sécurité ont tenté de redéfinir leur rôle à l’issue de la guerre froide et ont inscrit le commerce international de la drogue au nombre des priorités d’action, avec le terrorisme et la prolifération nucléaire(25).

Un autre fait nouveau est signalé dans le rapport de 1996 de l’International Narcotics Control Strategy :la propagation étonnante des drogues synthétiques, notamment la méthamphétamine, sur le marché mondial des drogues illicites.  Les drogues synthétiques étant produites en laboratoire, les organisations de trafiquants peuvent contrôler tout le processus, de la fabrication à la vente, sans devoir compter autant sur des cultures vulnérables comme le coca ou l’opium.

De plus en plus, le blanchiment subtil de l’argent est devenu un élément crucial du commerce international de la drogue, lequel répond maintenant peut-être pour la moitié de tout l’argent blanchi.  Depuis que des spécialistes ont constaté que cet aspect pouvait être un point faible important des organisations internationales de trafiquants, le blanchiment d’argent a commencé à faire l’objet d’une coopération internationale accrue.  En adhérant à la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, les gouvernements ont adopté des mesures pour détecter et punir les activités de blanchiment.  Au sommet du G-7 tenu à Paris en 1989 était créé le Groupe d’actions financières internationales pour coordonner les mesures mondiales contre le recyclage de l’argent.  Lors d’une réunion en juin 1996, les 26 États membres, parmi lesquels figurent les grands pays financiers, ont mis à jour les 40 principes formant une norme commune de lutte contre le blanchiment de fonds.  Au début des années 1990, la communauté internationale a eu plus de succès à contrer le blanchiment des narco‑dollars qu’à réduire la demande de drogue ou à en interdire la consommation, et la coopération internationale a permis de quadrupler le coût du blanchiment de l’argent (qui est passé de 6 à 26 p. 100 de la somme blanchie)(26).

Le crime organisé joue également un grand rôle dans le commerce international de la drogue, ce qui comprend les gangs criminels ethniques qui tirent profit de leurs relations internationales et de l’intimidation des populations immigrantes.  D’après les rapports, les triades chinoises et autres gangs accroissent leur participation au commerce international de la drogue tout comme les groupes de la Mafiya russe, les Yakuza japonais et d’autres.  Dans certains cas, il peut s’agir simplement de trafiquants avisés qui utilisent des gangs ethniques en certains endroits, mais dans d’autres, la complexité peut aller, semble-t-il, jusqu’à la conclusion d’un accord entre la Mafiya russe et des groupes criminels organisés d’Italie en vue de délimiter les sphères d’influence respectives en Europe et de formaliser la coopération dans la vente de drogue et le blanchiment d’argent(27).  Parallèlement, la technicité accrue dans le commerce des drogues soulève des problèmes à bon nombre de niveaux encore plus profonds.  Conformément à un rapport de l’ONU de 1996,

Le lien entre le crime et la drogue affecte de plus en plus les sociétés.  Le trafic entraîne d’autres activités criminelles comme la violence entre les groupes qui se disputent une part du marché, tant au niveau du gros que du détail.  En même temps, les sommes en cause donnent aux criminels de substantielles ressources pour s’organiser d’une façon efficace sans guère avoir à se préoccuper, comme les entreprises normales, des contraintes réglementaires et législatives ayant trait à l’argent.  Leurs ressources sont de plus en plus utilisées pour financer la diversification vers des activités commerciales légitimes.  Ce mélange d’activités légitimes et illicites complique gravement la lutte antidrogue.(28)

Bien que le trafic de la drogue demeure une question urgente, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ODC) a rappelé dans le World Drug Report 2000 que l’histoire des drogues engendrant une dépendance ne se caractérise pas par une détérioration constante et inexorable – ce sont plutôt des tendances qui fluctuent(29).  Par ailleurs, l’ODC fait remarquer que la lutte contre le trafic de la drogue a remporté certaines victoires ces dernières années – en grande partie grâce à la concertation de la communauté internationale :

LE CANADA ET LE COMMERCE INTERNATIONAL DE LA DROGUE

De façon générale, le Canada a adopté la même démarche que les États-Unis à l’égard du commerce international de la drogue, même s’il a fait preuve de moins d’ostentation dans sa « guerre contre la drogue » et consacré davantage de ressources au traitement qu’à l’application de la loi.  La Stratégie nationale antidrogue du Canada, lancée en 1987 et reconduite en 1992 et 1998, met l’accent sur la réduction de la demande, la mise en place de programmes de traitement et la consommation abusive d’alcool, de médicaments et de drogues de la rue.  Parallèlement, le Canada collabore pleinement avec la communauté internationale pour faire échec au commerce de la drogue en participant à des tribunes comme le Groupe d’action financière international, la Commission interaméricaine de lutte contre l’abus des drogues (CICAD) de l’OEA et le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). 

Le Canada est signataire d’un certain nombre d’instruments internationaux, dont la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention sur les substances psychotropes de 1971.  En 1990, peu de temps après avoir ratifié la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances phychotropes de 1988, le Canada a entrepris une révision en profondeur de sa législation sur les drogues et les narcotiques – en partie pour mieux remplir ses obligations internationales imposées par les conventions susmentionnées.  Après plusieurs tentatives infructueuses, le gouvernement du Canada a finalement adopté le projet de loi C‑8 : Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le 20 juin 1996.  Le projet de loi C‑8 faisait partie de la Stratégie canadienne antidrogue et visait à « instaurer un cadre souple permettant de réglementer l’importation, la production, l’exportation, la distribution et l’utilisation de substances qui agissent sur le comportement psychique »(31).

Le blanchiment d’argent constitue un problème de taille au Canada, puisque l’équivalent de 10 à 12 milliards de dollars par an en produits du commerce de la drogue passe chaque année par les institutions financières canadiennes.  Des règlements et des mesures visant à faire échec au blanchiment d’argent au Canada ont été adoptés dans les années 1980 et 1990, et des équipes spécialement formées pour mettre un frein au blanchiment d’argent obtenu grâce au commerce de la drogue, constituées d’agents de la GRC, de procureurs à temps plein, de personnel administratif et d’agents de police municipaux, sont entrées en fonction en 1993(32).  Depuis juin 2000, une nouvelle loi renforce considérablement les efforts de lutte contre le blanchiment de l’argent au Canada et oblige les organismes financiers à déclarer les données relatives à certains types de transactions (projet de loi C‑22, qui porte sur le recyclage des produits de la criminalité)(33).

En décembre 2001, le gouvernement du Canada a adopté le projet de loi C‑24 : Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi).  Présenté comme un projet de loi antigang musclé, le projet de loi C‑24 visait à mieux outiller les forces policières pour combattre les groupes criminels organisés et à gagner du terrain dans la lutte contre le trafic de la drogue et au chapitre des divers problèmes sociaux qui l’accompagnent.  L’ampleur de ces problèmes est révélée par les sommes d’argent qui y sont associées : les ventes de drogues illicites au Canada se situent entre 7 et 18 milliards de dollars par an(34), et les coûts économiques (système de santé, perte de productivité, application de la loi, crimes contre la propriété commis par les toxicomanes, etc.) s’élèvent à 5 milliards de dollars par an(35).

Les dérivés du cannabis, comme la marijuana et le hachisch, sont les principales drogues illicites vendues au Canada, mais la cocaïne (y compris le crack) est aussi très populaire, le nombre de cocaïnomanes étant évalué à plus de 250 000.  La consommation de cocaïne s’est largement stabilisée au Canada et se concentre surtout dans les grandes villes du centre du pays, comme Toronto et Montréal(36).  Il demeure très facile de se procurer du « crack » dans l’Est et le centre du pays, en particulier dans le couloir fortement urbanisé Windsor-Toronto.  L’essentiel de la cocaïne vendue au Canada provient de la Colombie, du Venezuela et du Brésil.  Divers groupes dominent le commerce de la cocaïne au Canada, notamment des organisations de trafiquants de l’Asie, de l’Italie et de l’Amérique du Sud, des bandes de motards hors la loi et de « grandes » organisations canadiennes(37).  La plupart de la cocaïne arrive au Canada par la mer, une petite partie entrant par la route et par les airs.

La GRC estime que la demande d’héroïne au Canada est « beaucoup plus faible » que la demande de cannabis et de cocaïne, mais le trafic de l’héroïne « constitue quand même une activité très lucrative ».  La consommation d’héroïne au Canada se concentre dans les grandes villes comme Vancouver, Montréal et Toronto.  Il y aurait de 35 000 à 40 000 héroïnomanes au Canada.  L’essentiel de l’héroïne vendue au Canada provient du Sud-Est et du Sud-Ouest asiatique et dans une moindre mesure, du Liban et de l’Amérique latine.  L’héroïne qui entre au Canada est principalement acheminée par voie aérienne, la plupart du temps par l’intermédiaire de passeurs à bord d’avions commerciaux.  Selon la GRC, « les groupes criminels ayant des liens avec les pays asiatiques producteurs continueront d’être largement responsables de l’importation et du trafic au Canada »(38).  Depuis quelques années, les cartels de la drogue ont de plus en plus tendance à considérer la côte Ouest du Canada comme un point d’entrée facile en Amérique du Nord.  Les conditions géographiques et météorologiques expliquent en partie ce phénomène, mais celui-ci est aussi attribuable à l’« effet de rebondissement », qui a obligé les trafiquants à se tourner davantage vers le Canada par suite de la répression de plus en plus marquée exercée par les États-Unis.  La GRC croit aussi que les organisations de trafiquants d’Amérique du Sud profitent de la plus grande facilité de mouvement des personnes et des biens prévue par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour intensifier leurs activités.

Ce n’est qu’au cours des dernières années que les substances synthétiques ou chimiques ont commencé à représenter une menace importante, bien qu’elles fassent depuis longtemps partie de la culture des drogues illicites au Canada (par opposition à l’héroïne, la cocaïne et le cannabis).  Le gain de popularité de l’ecstasy et des autres drogues synthétiques ayant aggravé sérieusement cette menace, le gouvernement du Canada cherche à mieux réglementer ou contrôler l’achat et la vente des précurseurs chimiques dans le but de diminuer l’activité des laboratoires clandestins.  Le gouvernement a également établi un nouveau bureau, le Programme national de lutte contre le détournement des précurseurs chimiques de la GRC, et il entend continuer de resserrer sa collaboration avec les autres forces de l’ordre pour contrer le trafic des drogues synthétiques(39).

CONCLUSION

Au cours de la dernière décennie, il est devenu évident que la vision traditionnelle du commerce de la drogue – à savoir un problème particulier au Nord, et surtout à l’Amérique – est trop simpliste.  Comme l’a souligné l’ex-ministre colombien de la Justice, Rodrigo Lara Bonilla, les pays qui commencent à produire de la drogue et à en faire le trafic finissent par en consommer(40).  Les principaux bénéficiaires du commerce international de la drogue se limitent à un nombre relativement restreint d’habiles organisations de trafiquants, mais les victimes se comptent en très grand nombre chez les toxicomanes du monde entier, sans compter les victimes innocentes des crimes associés au phénomène.  En outre, on constate de plus en plus que le commerce des drogues illicites nuit beaucoup à tous les aspects du développement.

Des progrès importants ont été réalisés depuis une vingtaine d’années grâce à l’action de chaque pays et à la coopération bilatérale et multilatérale des forces policières, et les efforts en ce sens se poursuivent.  Parallèlement, il est toutefois crucial de reconnaître les racines profondes du problème de la drogue à l’échelle internationale et la nécessité d’établir une coopération qui dépasse l’application de la loi.  Selon l’ancien solliciteur général du Canada, Herb Gray :

le commerce de la drogue est fonction de la demande, et ce n’est qu’en élaborant des stratégies de prévention axées sur les facteurs qui amènent les gens à consommer que nous parviendrons à réduire la toxicomanie et le trafic de drogues.

Ces facteurs, ou causes premières, tels que l’exploitation sexuelle, les foyers brisés, l’analphabétisme, la violence physique et l’absence d’encadrement de la part des parents, constituent des problèmes davantage d’ordre social que criminel.(41)


(1)   Le présent document suit l’exemple du Rapport annuel national sur les drogues de 1994 (RAND), préparé par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et dans lequel figure la mention suivante : « Lorsqu’on dit d’un pays qu’il a produit ou fourni des drogues illicites, on n’entend aucunement que le gouvernement et les organismes légitimes du pays ont autorisé ces activités illégales ou qu’ils y ont pris part.  On ne fait allusion qu’aux individus ou organisations criminelles qui se livrent à des activités illégales sur le territoire mentionné » (texte en italique dans l’original), GRC, Rapport annuel national sur les drogues de 1994, Ottawa, décembre 1994, p. 6.

(2)   Voir Gerald Segal, « The Drug Trade », The World Affairs Companion, New York, Simon & Schuster, 1996, p. 99 à 102.

(3)   Cité dans « Stumbling in the Dark », The Economist, 28 juillet 2001, p. 1 d’une enquête de 16 pages sur les drogues illicites.

(4)    James Adams, The New Spies:  Exploring the Frontiers of Intelligence, Londres, Hutchinson, 1994, p. 297.

(5)    « Drugs Policy:  The Enemy Within », The Economist, 15 mai 1993, p. 31.

(6)    Lee P. Brown, « The International Drug Problem:  Law Enforcement, Education, Treatment and Economic Development », allocution prononcée devant les participants à la Première conférence latino-américaine des spécialistes des drogues, Caracas (Venezuela), 21 mars 1994, reproduite dans Vital Speeches of the Day, vol. LX, no 16, 1er juin 1994, p. 491 [traduction].

(7)    « All The President’s Fault? », The Economist, 14 septembre 1996, p. 26 et 27.

(8)    Jeffrey Stilkind, « Clinton Outlines New Strategy to Combat Illegal Drug Use », Bureau d’information des États-Unis, 29 avril 1996.

(9)    Policy and Program Developments; Overview for 2001; fait partie de l’International Narcotics Control Strategy Report, Washington, U.S. Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs, mars 2002, p. 2.

(10)  Fact Sheet:  The President’s National Drug Control Strategy, Washington, La Maison Blanche, 12 février 2002, p. 2.

(11)  « Stumbling in the Dark » (2001), p. 1.

(12)  Lee Rensselaer et Raphael Perl, Drug Control:  International Policy and Options, Washington, Bibliothèque du Congrès, Congressional Research, 18 mars 2002, p. 1.

(13)  John Scalia, Federal Drug Offenders, 1999 with Trends 1984‑99, Washington, Département américain de la Justice, Federal Justice Statistics Program, août 2001, p. 1.

(14)  Erich Goode, « Drug Arrests at the Millennium », Society, juillet-août 2002, p. 42.

(15)  « Bring Drugs within the Law », The Economist, 15 mai 1993, p. 13 [traduction].

(16)  Russell Fox et Ian Matthews, Drugs Policy:  Fact, Fiction and the Future, Sydney, The Federation Press, 1992, p. 75 [traduction].

(17)  Ibid. [traduction].

(18)  « Assembly Calls for Intensified Cooperation among States to Combat Drug Abuse », UN Chronicle, printemps 1996, p. 63.

(19)  « 1998 Special Session on Drugs Recommended », UN Chronicle, no 2, 1996, p. 77.

(20)  Déclaration politique adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, 10 juin 1998, Résolution no A/RES/S‑20/2 [traduction].

(21)  World Drug Report, 2002, New York, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2000, p. 5.

(22)  « La Commission établit les priorités : prévention, traitement et réinsertion sociale, Chronique ONU, septembre 1993, p. 70.

(23)  GRC (1994), p. 18.

(24)  Adams (1994), p. 304.

(25)  Ibid.

(26)  David A. Andelman, « The Drug Money Maze », Foreign Affairs, juillet/août 1994, p. 108.

(27)  Mark Galeotti, « MAFIYA: Organized Crime in Russia », Jane’s Intelligence Review Special Report No. 10, juin 1996.

(28)  International Cooperation against the Illicit Production, Sale, Demand, Traffic and Distribution of Narcotis and Psychotropic Substances and Related Activities,rapport au secrétaire-général, Conseil économique et social de l’ONU, 4 juin 1996, E/1996/57, p. 5 [traduction].

(29)  World Drug Report 2000, publié par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, New York, 2000, p. 2.

(30)  Les cinq observations sont tirées du World Drug Report 2000, p. 2, et/ou les Highlights de ce rapport aussi à la p. 2.

(31)  Jane Allain et Peter Niemczak, Projet de loi C‑8 : Loi réglementant certaines drogues et autres substances, résumé législatif 240F, Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, mai 1997, p. 2.

(32)  International Narcotics Control Strategy Report, 1994, p. 139 à 141.

(33)  Geoffrey Kieley, résumé législatif 355F, Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, mai 2000.

(34)  LeProjet de loi C‑22 : Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité, constituant le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada et modifiant et abrogeant certaines loi en conséquences estimations varient énormément parce que les profits sont extrêmement difficiles à déterminer : ils sont illégaux, cachés et en grande partie non déclarés.

(35)  Notes d’allocution de l’honorable Lawrence MacAuley, solliciteur général du Canada, devant le Forum mondial sur les drogues et les dépendances, Montréal, Québec, 23 septembre 2001, p. 1.

(36)  International Narcotics Central Strategy Reports, 1994, p. 139.

(37)  GRC (1994), p. 7.

(38)  Ibid., p. 9.

(39)  Situation au Canada – Drogues illicites – 2000, rapport publié par la Direction des renseignements criminels de la GRC, Ottawa, juin 2001.

(40)  Cité dans Brown (1994), p. 490.

(41)  « Message du Solliciteur général », GRC (1994), p. 2.