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PRB 00-14F
LA MULTIFONCTIONNALITÉ DE L'AGRICULTURE :
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
QUENTEND-ON PAR LA MULTIFONCTIONNALITÉ DE LAGRICULTURE? LES AMBIGUÏTÉS DE LA MULTIFONCTIONNALITÉ LA MULTIFONCTIONNALITÉ DE
LAGRICULTURE : Lors de la ronde de négociations commerciales de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) qui a débuté en décembre 1999 à Seattle (États-Unis), certains pays, notamment ceux de lUnion européenne et le Japon, se sont appuyés sur le concept de la multifonctionnalité de lagriculture pour justifier laide quils apportent à leur industrie agricole. Le fait que la Fédération canadienne de lagriculture (FCA) ait consacré un atelier à la multifonctionnalité lors de son assemblée générale en février 2000 est une preuve de lintérêt que porte lindustrie agricole canadienne à ce concept. À partir des principales interventions qui ont eu lieu au cours de cet atelier, ce document définit tout dabord le concept de multifonctionnalité, puis explique brièvement comment lUnion européenne lutilise pour appuyer son agriculture. La situation au Canada et les ambiguïtés que pose la multifonctionnalité sur le plan du commerce international font lobjet des sections suivantes. QUENTEND-ON PAR LA MULTIFONCTIONNALITÉ DE LAGRICULTURE? On parle de la multifonctionnalité dune activité lorsque celle-ci remplit plusieurs rôles qui peuvent contribuer au bien-être de la société. En termes économiques, les conséquences autres que le but premier dune activité sont appelées externalités; celles-ci peuvent être positives ou négatives. Par exemple, la pollution de leau par les engrais ou les pesticides est une externalité négative de lagriculture. Cependant, lorsque lon parle de multifonctionnalité, on retient plutôt les conséquences positives dune activité pour le bien-être de la société. En plus de la simple production daliments et de fibres, lagriculture remplit dautres fonctions qui varient selon limportance que leur donne chaque société ou pays. Au Japon, lactivité agricole joue un rôle dans la prévention des inondations et le maintien déléments culturels tels que la culture traditionnelle du riz. Les pays de lUnion européenne (UE) mettent laccent sur le maintien dun tissu rural dynamique (freiner lexode rural), laménagement du territoire (maintenir un équilibre entre la ville et la campagne) et le maintien de paysages à vocation touristique. Lors de la conférence de la FCA, les intervenants canadiens ont également noté le rôle de lagriculture dans la protection des habitats de certaines espèces sauvages, ainsi que dans les mécanismes de séquestration du carbone qui réduisent la quantité de gaz à effet de serre dans latmosphère. Bien que la multifonctionnalité ne soit pas une notion réservée à lagriculture, cest pourtant dans ce secteur quelle est le plus souvent invoquée, prenant ainsi une place de plus en plus importante dans les politiques agricoles de certains pays. Le caractère multifonctionnel de lagriculture est mentionné dans certains textes législatifs, notamment dans ceux de la réforme de la Politique agricole commune de 1992 en Europe, et la New basic law for food, agriculture and rural areas au Japon. LOrganisation de coopération et développement économiques (OCDE) reconnaît également ce concept dans le communiqué de la rencontre des ministres de lagriculture en mars 1998 :
Certains pays ont donc mis en place des outils pour appuyer le caractère multifonctionnel de lagriculture, ce qui se traduit par des rentrées dargent supplémentaires pour lindustrie agricole. Bien que la Politique agricole commune (PAC) européenne ait été conçue à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour appuyer la production daliments et de fibres, elle sest peu à peu étendue pour comprendre deux autres grandes fonctions remplies par lagriculture :
En ce qui concerne la protection de lenvironnement, il est généralement acquis que les « bonnes pratiques agricoles » incluent le respect dun certain nombre de normes visant une utilisation durable des ressources. Dans les cas où la société demande plus que le simple respect des bonnes pratiques agricoles, par exemple des mesures pour améliorer la biodiversité ou préserver un certain type de paysage, lagriculteur fournit un service dintérêt public qui nest pas rémunéré. Les mesures agri-environnementales sont linstrument que lUE a mis en place pour rémunérer ces services. Ces paiements permettent de couvrir les coûts supplémentaires ou le manque à gagner engendrés par la poursuite dun objectif environnemental, par exemple la réduction de lépandage dazote sur certaines parcelles sensibles ou la conversion de terres labourées en herbages. Pour les différentes institutions européennes, le maintien dune population rurale active et dynamique passe par le maintien des activités agricoles, surtout dans les régions les plus enclavées. Les programmes structurels et de développement rural sont les instruments dont lUE sest dotée pour appuyer cette fonction. Ces programmes comportent une multitude doutils parmi lesquels on trouve :
À cause de la grande diversité des conditions agricoles rencontrées en Europe, les mesures agri-environnementales et de développement rural peuvent être adaptées aux conditions locales et gérées de façon décentralisée au moyen de projets locaux. Par exemple, depuis 1999, la France a passé des contrats territoriaux dexploitation (CTE) selon lesquels lagriculteur sengage à appliquer certaines mesures relatives à des objectifs environnementaux tels que la protection de la biodiversité, la restauration du paysage et lamélioration de la qualité de leau, ou à des objectifs liés par exemple à lemploi et à la diversification des activités. Les mesures à mettre en uvre sont définies au niveau local en fonction des problématiques environnementales, territoriales et socioéconomiques dans lesquelles sinscrivent les exploitations agricoles de la région concernée. LUE accepte ce mécanisme à condition que les mesures appliquées par lagriculteur dans le cadre du CTE occasionnent un surcoût ou un manque à gagner. La mise en uvre des « bonnes pratiques agricoles » ne fait donc pas lobjet dune aide particulière. Malgré le grand nombre doutils appuyant les autres fonctions de lagriculture, les sommes affectées à ces programmes restent faibles et ne représentent quune part infime de laide agricole européenne. La majeure partie de cette aide est apportée par lintermédiaire du soutien des prix et de laide directe à la production : il existe, par exemple, des paiements directs à la superficie cultivée. LUE entend cependant transférer des sommes affectées à lappui à la production vers lappui à la multifonctionnalité. Le Japon a une approche de la multifonctionnalité de lagriculture très similaire à celle de lUE. Cette approche est reconnue dans des textes législatifs, et des outils ont été mis au point pour y répondre. Lappui à la multifonctionnalité prend la forme dune aide directe aux exploitations agricoles en zones montagneuses (approximativement 40 p. 100 des exploitations), permettant à celles-ci de surmonter leurs handicaps naturels. Bien quil nexiste aucune reconnaissance officielle de la multifonctionnalité de lagriculture au Canada, les différents représentants du gouvernement fédéral présents à la conférence de la FCA ont reconnu que le soutien aux autres fonctions de lagriculture existe déjà. En plus des formes dappui à la production axées sur la gestion du risque (assurance-récolte, etc.), le gouvernement fédéral a mis en place un certain nombre doutils de développement rural et des initiatives qui appuient les bénéfices environnementaux de lagriculture. À titre dexemple, le Fonds canadien dadaptation et de développement rural (FCADR) permet de financer des projets pour que lindustrie agricole puisse maintenir un tissu rural actif en sadaptant aux changements technologiques, aux contraintes environnementales, aux nouveaux marchés, etc. Un exemple des bénéfices environnementaux de lagriculture est lié à la capacité quont les sols agricoles de capter le carbone et de réduire ainsi lincidence des gaz à effet de serre. Le Canada est en faveur de linclusion des sols agricoles dans le protocole de Kyoto et de la mise en place dun marché pour la réduction des émissions de carbone qui permettrait aux agriculteurs de tirer des avantages économiques dun service quils rendent à la société. Il existe aussi des programmes pour récompenser la conservation dhabitat danimaux sauvages (Plan nord-américain de gestion de la sauvagine), et le projet de loi C-33 sur les espèces en péril présenté en avril 2000 visait à indemniser les propriétaires terriens sil est nécessaire dinterdire la destruction des habitats essentiels à certaines espèces sauvages. Le projet de loi est mort au Feuilleton en octobre 2000. LES AMBIGUÏTÉS DE LA MULTIFONCTIONNALITÉ La plupart des pays reconnaissent que lagriculture ne se résume pas à la production de produits alimentaires et de fibres et quelle a dautres fonctions. La question qui a été le plus débattue au cours de latelier de la FCA et qui fait lobjet de discussions à lOMC est celle de savoir quels sont les outils qui peuvent être utilisés pour permettre à lagriculture de jouer ses multiples rôles. Lors de la conférence de la FCA, les intervenants néo-zélandais et canadiens ont insisté sur la nécessité de découpler les outils daide à la multifonctionnalité et la production daliments et de fibres. Ces outils doivent viser directement le but recherché, que ce soit un bénéfice environnemental précis (le maintien dune certaine superficie de haies) ou un bénéfice socioéconomique (diversification économique vers des activités hors ferme). Les instruments décrits dans les deux sections précédentes répondent à ce critère. Cependant, la conférencière de la Direction des politiques de commerce international de Agriculture et Agroalimentaire Canada soulignait que lappui à la multifonctionnalité peut être légitime, mais quil ne doit pas entrer en conflit avec dautres objectifs comme la libéralisation du commerce. Le représentant néo-zélandais voyait dans la multifonctionnalité un moyen de maintenir des formes daide qui créent des distorsions commerciales et mènent à la surproduction en encourageant un trop grand nombre dagriculteurs à se consacrer exclusivement à lexploitation agricole. Il est clair que ces discours visaient laide directe à la production que lUE accorde à ses agriculteurs et qui servirait à appuyer indirectement certaines externalités, comme le maintien dune population rurale. LUE se trouve donc dans une situation ambiguë, puisquelle ne reconnaît pas officiellement cette aide à la multifonctionnalité. En effet, les sommes quelle consacre spécifiquement aux « autres fonctions » de lagriculture restent faibles par rapport à celles quelle affecte au soutien des prix et à laide directe à la production. De plus, les différents textes officiels quelle produit nétablissent pas de lien étroit entre, dune part, les diverses formes daide à la production et, dautre part, le caractère multifonctionnel de lagriculture. Cette situation fait dire à certains que la multifonctionnalité nest alors quune façon de justifier des formes daide à la production qui peuvent créer des distorsions sur le plan commercial et avoir des répercussions sur lagriculture dautres pays. Certains pays, le Japon notamment, tiennent un discours plus clair. Selon eux, la multifonctionnalité a un rapport étroit avec la production, et les subventions axées sur la production ou liées à la production sont nécessaires pour aider les autres fonctions de lagriculture : il faut, par exemple, créer des rizières pour empêcher lérosion. Le représentant néo-zélandais soulignait cependant que laide à la production peut avoir des effets pervers, qui sont à linverse de ceux que tente dobtenir lappui à la multifonctionnalité : elle peut notamment favoriser des systèmes de production intensifs et plus polluants. Pour sa part, la Nouvelle-Zélande, en éliminant laide à la production de viande ovine et de laine, a réduit de plus dun tiers sa population dovins, permettant ainsi la reconversion de certaines terres à des productions plus adaptées (la reforestation par exemple). Cela a permis de réduire grandement limpact environnemental négatif dune trop forte présence danimaux sur des terres marginales. Cependant, comme le notait un autre intervenant, cette mesure a aussi entraîné une diminution du nombre dagriculteurs. Bien que les liens entre laide à la production et la multifonctionnalité restent obscurs dans certains cas, la multifonctionnalité pourrait bien être un moyen de puiser dans dautres enveloppes budgétaires, notamment celle de lenvironnement, pour réduire laide à la production. En effet, il existe en Europe une forte volonté de réduire le budget agricole, qui représente une part importante du budget de lUE. Dans létat actuel des choses, ce budget agricole risque daugmenter fortement si lUE sétend vers les pays de lEurope de lEst. Comme les questions environnementales sont un enjeu important des négociations commerciales de lOMC, il se pourrait que les subventions pour les externalités positives soient accordées au nom de la protection de lenvironnement plutôt quau nom de la multifonctionnalité. Au Canada, certains voient la multifonctionnalité comme une voie davenir possible pour lagriculture au pays. En effet, puisque les négociations commerciales de lOMC tendent vers une réduction des formes daide à la production, il est tentant de chercher des moyens daider lagriculture autres que les traditionnels outils de gestion du risque tout en ne dérogeant pas aux règles du commerce international. Ladoption dune politique dappui à la multifonctionnalité au Canada présuppose que lon réponde à certaines questions dordre politique telles que les suivantes.
Il faut également sassurer que lappui à la multifonctionnalité nentre pas en conflit avec dautres objectifs que le pays sest fixés pour cette industrie. Il faut notamment couper tout lien entre la production et laide à la multifonctionnalité en tant que telle pour ne pas créer dincitatif à produire davantage ou dune manière plus polluante. Dans son rapport sur le filet de sécurité du revenu agricole déposé en février 2000, le Comité permanent de lagriculture et de lagroalimentaire recommandait que le gouvernement continue délaborer une politique de développement rural qui préciserait la direction que doit prendre lagriculture au Canada et le rôle quelle doit jouer. Puisque, selon certains officiels, une certaine forme de multifonctionnalité existe déjà au Canada, il reste à déterminer si le concept de multifonctionnalité doit formellement faire partie dune telle politique, et de quels outils il devrait sassortir. |