PRB 99-23F

VIEILLIR EN SANTÉ :  AJOUTER DE LA VIE AUX ANNÉES
ET DES ANNÉES À LA VIE

Rédaction :
Sonya Norris, Tim Williams,
Division des sciences et de la technologie

Le 27 octobre 2000


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

DURÉE DE VIE ET ESPÉRANCE DE VIE

TENDANCES HISTORIQUES DE L’ESPÉRANCE DE VIE

VIEILLISSEMENT NORMAL

   A.  Cœur et poumons

   B.  Reins

   C.  Système immunitaire

   D.  Hormones

   E.  Cerveau

   F.  Yeux et  oreilles

ÊTRE EN FORME POUR VIVRE VIEUX

RECHERCHE MOLÉCULAIRE ET BIOCHIMIQUE SUR LE VIEILLISSEMENT

   A.  Altérations avec l’âge
        1.  Altération des radicaux libres
        2.  Pontage glucosique
        3.  Altération de l’ADN

   B.  Réduire les dégâts
        1.  Neutralisation des radicaux libres
        2.  Protéines de choc thermique
        3.  Protection et réparation de l’ADN
        4.  Réduction de la glycosylation

   C.  Télomères et sénescence programmée

   D.  Longévité accrue par restriction calorique

CONCLUSION

RÉFÉRENCES CHOISIES


VIEILLIR EN SANTÉ :  AJOUTER DE LA VIE AUX ANNÉES
ET DES ANNÉES À LA VIE

INTRODUCTION

En 1999, 12,4 p. 100 de la population canadienne était âgée de 65 ans ou plus.  En 2026, ce groupe d’âge devrait constituer 21,4 p. 100 de la population.  Dans l’intervalle, la population âgée de plus de 90 ans devrait plus que tripler tandis que l’effectif des Canadiens de moins de 44 ans devrait diminuer de plus d’un million de personnes.  Ces changements démographiques auront un impact profond sur la société : mentionnons la façon d’envisager la retraite et les pressions qui seront exercées sur le réseau de la santé.  L’ampleur de cet impact dépendra de la santé de notre société vieillissante, elle-même influencée par nos connaissances scientifiques du vieillissement et des causes de la maladie, grâce auxquelles nous pourrions améliorer la santé des aînés.  De nouveaux travaux sur la longévité des animaux de laboratoire ouvrent également la perspective de prolonger la vie, possibilité lourde de conséquences éthiques et pratiques.  Ce document fait le point sur nos connaissances du vieillissement, en distinguant particulièrement le vieillissement normal et les maladies de la vieillesse.

DURÉE DE VIE ET ESPÉRANCE DE VIE

La durée de vie est la durée maximale de la vie d’un organisme.  Chez l’homme, la vie peut atteindre 120 ans environ, durée que l’on considère, un peu arbitrairement, comme la durée de vie de l’espèce.  L’espérance de vie est la durée moyenne de la vie d’une personne à partir des taux courants de mortalité.  Présentement, l’espérance de vie à la naissance est de 75,7 ans pour un Canadien et de 81,4 ans pour une Canadienne.  La moyenne réelle des années vécues dans une population dépend des changements de mortalité qui se produisent au cours de la vie de cette population.  Il est difficile d’interpréter les écarts dans l’espérance de vie d’un pays à l’autre, car l’enregistrement des données et le calcul diffèrent.  Ainsi, il y a des différences concernant les critères de déclarabilité des naissances vivantes.

L’espérance de vie se calcule pour la population à divers âges.   Par exemple, l’espérance de vie à 65 ans est de 16,2 ans pour les Canadiens et de 20 ans pour les Canadiennes.   Si l’on compare l’espérance de vie à la naissance, on constate que, lorsqu’on atteint 65 ans, l’âge moyen du décès est plus avancé (81,2 contre 75,7 pour les hommes, 85,0 contre 81,4 pour les femmes).  Cela, parce que l’espérance de vie à la naissance inclut la mortalité des enfants et des jeunes adultes, ce qui abaisse la moyenne.

TENDANCES HISTORIQUES DE L’ESPÉRANCE DE VIE

L’espérance de vie à la naissance a considérablement augmenté au Canada depuis 1900. Cette année-là, elle était de 47 ans pour le Canadien et de 50 ans pour la Canadienne.  Depuis, elle a progressé de plus de 60 p. 100.  Le taux d’augmentation de l’espérance de vie à la naissance a été plus rapide dans la première moitié du XXe siècle; il a ralenti depuis les années 1960.  L’augmentation de l’espérance de vie au début du XXe siècle résulte des découvertes médicales, comme les vaccins, et de la mise en place de mesures sanitaires comme la chloration de l’eau.  De nombreuses maladies infectieuses, courantes à l’époque au Canada, sont aujourd’hui à toutes fins utiles éliminées. Avec une plus faible mortalité attribuable aux maladies infectieuses chez les enfants, l’espérance de vie a grandement augmenté, parce que la mort d’un enfant abaisse considérablement l’âge moyen des décès.

Depuis 30 ans, les progrès de l’espérance de vie sont largement attribuables à une réduction des accidents mortels, ainsi qu’à une diminution des maladies cardiovasculaires.

L’espérance de vie chez les gens âgés a également augmenté, mais pas autant que l’espérance de vie à la naissance.  Aux États-Unis, l’espérance de vie à 85 ans est passé de 4,6 ans en 1960 à 6,2 ans en 1975 et n’a pas changé depuis.  Ainsi, alors qu’on a accru radicalement l’espérance de vie à la naissance, en grande partie en luttant contre les maladies, la durée de vie a augmenté très modestement.

Les progrès de la médecine vont certainement continuer à allonger l’espérance de vie mais le peu d’accroissement de la durée de vie maximale donne à penser qu’il y a une limite d’âge chez l’espèce humaine.   On peut alors se demander pourquoi les gens vieillissent en l’absence de maladies.  Le processus du vieillissement en l’absence de maladies est souvent qualifié de vieillissement normal.

VIEILLISSEMENT NORMAL

De nombreux mythes circulent au sujet des mécanismes du vieillissement normal. Plus nous en apprenons sur le vieillissement, plus il devient clair que bon nombre des connotations négatives du vieillissement nous viennent des maladies et des changements dans le style de vie, plutôt que des phénomènes inévitables de l’âge.  Beaucoup d’idées fausses viennent du fait que la recherche sur le vieillissement a surtout porté sur les malades âgés.  Les résultats d’études longitudinales de personnes en santé, comme la Baltimore Longitudinal Study on Aging, commencent à brosser un tableau plus neutre des changements physiologiques associés au vieillissement normal.

   A.  Cœur et poumons

La fonction cardiovasculaire change avec l’âge, mais pas autant qu’on l’imagine. Le durcissement des artères peut accroître la résistance à la circulation du sang et entraîner l’hypertension et un certain épaississement des parois du cœur.  Cependant, le cœur pompe plus efficacement.  Par ailleurs, une raideur générale de la cavité pectorale peut entraîner une perte progressive de la fonction pulmonaire, accompagnée d’une diminution du volume d’air pouvant être expulsé de force avant une inhalation maximale.  Les poumons perdent également une certaine capacité à éliminer les particules étrangères et l’infection.  Dans les faits, la capacité de fournir de l’oxygène à l’organisme ne diminue pas beaucoup avec l’âge en soi, mais peut être facilement compromise par la maladie.

   B.  Reins

Le débit sanguin rénal diminue de 10 p. 100 par tranche de 10 ans à partir de l’âge de 20 ans, de sorte qu’une personne de 80 ans peut s’attendre à avoir la moitié du débit sanguin rénal d’un jeune adulte.  Le nombre de structures de filtration, les glomérules, diminue de 30 à 40 p. 100 jusqu’à l’âge de 80 ans, et leur efficacité diminue également.   Malgré cela, en l’absence de stress, les reins conservent leur capacité à maintenir l’équilibre des liquides et des électrolytes.  Une fois encore cependant, la fonction rénale est plus facilement compromise par la maladie, et la capacité des reins à fonctionner en présence d’une charge accrue de certains sels diminue.

   C.  Système immunitaire

Autre observation courante sur le vieillissement : les infections qui auraient été tolérables quelques années plus tôt peuvent se révéler mortelles dans la vieillesse.  Des personnes âgées qui ne succombent à des maladies comme le cancer ou des maladies cardiovasculaires meurent souvent d’une grippe ou d’une pneumonie.  Cela, parce que le système immunitaire n’est plus capable de combattre une infection « courante ».

Les globules blancs ou lymphocytes combattent les infections bactériennes et autres.  Il y a deux types de lymphocytes : les cellules B et les cellules T.  Les cellules T sont produites dans le thymus, qui rapetisse avec l’âge.  Par conséquent, la concentration de cellules T fonctionnelles diminue avec l’âge.  Certaines cellules T, les lymphocytes T auxiliaires, produisent des substances appelées lymphokines qui mobilisent à leur tour d’autres éléments du système immunitaire.  L’interleukine-2 est une des lymphokines dont la concentration diminue avec l’âge.  Des recherches en cours analysent l’effet anti-vieillissement d’un supplément d’interleukine-2.

   D.  Hormones

On sait depuis un certain temps que la concentration des hormones sexuelles, œstrogène et testostérone, baisse considérablement avec l’âge.  En outre, d’autres hormones comme les hormones de croissance, la mélatonine et la déhydro-épiandrostérone peuvent également se raréfier avec l’âge.  Ces diminutions, et d’autres, expliquent une bonne partie des effets dégénératifs de l’âge.  Ainsi, les femmes âgées sont davantage exposées à l’ostéoporose et au cancer du sein quand baisse leur concentration d’œstrogène.  L’hormone de croissance est également liée à la résistance des os et à la masse musculaire : quand sa concentration diminue avec l’âge, la fragilité augmente.  On a constaté que des injections d’hormones de croissance inversent certains symptômes du vieillissement, mais pourraient réduire la durée de vie totale.  Les chercheurs étudient actuellement l’effet de l’hormone libérant les hormones de croissance, qui fait augmenter leur concentration et celle du facteur de croissance insulinoïde I (IGF-1), sécrétée en présence d’une concentration plus forte d’hormones de croissance.  La mélatonine semble réguler certains changements saisonniers dans le corps et serait également en cause dans les problèmes de sommeil courants chez les aînés.  L’hormone surrénale DHEA est un précurseur de la testostérone qu’on a proposé comme moyen de renforcer le système immunitaire des personnes âgées et de les protéger contre les maladies cardiovasculaires, la sclérose multiple et les cancers.  Le DHEA, qui fait augmenter la concentration d’interleukine-2 (voir Système immunitaire plus haut) ¾ pourrait être nécessaire au fonctionnement et à la multiplication des cellules immunitaires.

   E.  Cerveau

Des études récentes révèlent qu’il y a une certaine perte localisée de neurones attribuable à l’âge, mais que de nombreux circuits neuraux sont en mesure de compenser, en accroissant le nombre des connections entre les cellules et en faisant pousser de nouvelles extensions aux cellules nerveuses, comme des dendrites.  Par conséquent, de nombreuses fonctions cognitives comme l’attention soutenue, la plupart des habiletés langagières et la mémoire sensorielle ne changent pas sensiblement avec l’âge.

Si de nombreuses fonctions du cerveau demeurent à peu près intactes, la perte de neurones dans la région du cerveau appelée noyau suprachiasmatique est en cause dans les perturbations du rythme circadien.  Les personnes âgées ont tendance à se coucher plus tôt et à se lever plus tôt que les jeunes.

   F.  Yeux et oreilles

Avec l’âge, on constate fréquemment une réduction de la capacité de faire le foyer de près et sur des cibles mouvantes, une sensibilité accrue à l’éblouissement et une difficulté à voir lorsque la lumière est faible.  Les sons à haute fréquence sont plus difficiles à entendre avec l’âge.

ÊTRE EN FORME POUR VIVRE VIEUX

Vieillir est un lent naufrage : cette image de style n’est pas nécessairement avérée. Quand il réussit à éviter des maladies comme l’artériosclérose et d’autres affections cardiovasculaires, l’organisme continue de fonctionner relativement normalement en vieillissant. On peut donc éviter de nombreux problèmes de santé couramment associés au vieillissement par le contrôle des maladies.  Il est également de plus en plus évident que le mode de vie et le régime alimentaire jouent des rôles marquants par rapport à l’apparition des problèmes de santé.  Quand nous vieillissons, nous avons tendance à devenir plus sédentaires et à manger moins bien.  Cela peut avoir un effet déterminant mais réversible sur la santé; un retour à l’activité physique et à une alimentation saine peut améliorer la santé.

La perte musculaire, la résistance des os, la glycémie, et la capacité cardiovasculaire sont des troubles courants généralement associés à la vieillesse.  Ils n’ont pas nécessairement de liens avec le vieillissement biologique et on peut atténuer ces manifestations en demeurant actif et en conservant de bonnes habitudes alimentaires.  Les adultes sédentaires qui entreprennent un programme d’exercice physique peuvent connaître des améliorations remarquables, notamment dans la capacité de ventiler les poumons et dans le fonctionnement des vaisseaux sanguins.   En outre, l’hyperglycémie, fréquente chez les personnes âgées, résulte souvent d’une mauvaise alimentation et d’un manque d’exercice.  Les programmes d’exercices destinés aux aînés intolérants au glucose améliorent considérablement le métabolisme des sucres et diminuent la concentration d’insuline dans le sang.   L’ostéoporose a des liens avec le tabagisme, un apport insuffisant en calcium et le manque d’exercice.  L’exercice peut également remettre à l’heure l’horloge circadienne, située dans le cerveau, qui impose à l’organisme le besoin de sommeil.

Outre les avantages de l’exercice physique, il semble que le fait de garder le cerveau actif peut atténuer certaines formes de dépérissement mental.   Cette idée est confortée par des études qui révèlent que des rats gardés dans un environnement stimulant présentaient un cortex cérébral plus gros, des neurones plus grosses et davantage de connections interneuroniques que des rats élevés en milieu non stimulant.

Notre connaissance en pathologie et sur l’effet des modes de vie a grandement amélioré notre capacité à atténuer certains troubles physiologiques courants de la vieillesse.  Les progrès de la médecine contre la maladie et le changement des modes de vie ont donc amélioré l’espérance de vie et la qualité de vie dans la vieillesse, et continueront de le faire. Cependant, la durée de vie a été très peu touchée par ces progrès.  De meilleures connaissances des mécanismes biochimiques et moléculaires fondamentaux qui président au vieillissement normal pourraient également accroître l’espérance de vie, et peut-être la durée de vie.

RECHERCHE MOLÉCULAIRE ET BIOCHIMIQUE SUR LE VIEILLISSEMENT

Pendant toute sa vie, un organisme fait face à l’assaut constant de facteurs environnementaux comme le rayonnement et les produits chimiques, qui peuvent réagir avec des processus biologiques et des molécules importants et les endommager.   En outre, plus les cellules dupliquent leur matériel génétique, plus les erreurs de transcription sont probables.  Ainsi, avec le temps, la structure fondamentale des cellules peut être altérée et leur activité, compromise.  La capacité de réparer les dégâts structurels et métaboliques est essentielle si l’on veut réduire de nombreux effets du vieillissement.

On sait également que l’activité de divers gènes change avec l’âge.  Signalons notamment les gènes qui participent à la division cellulaire, et qui sont régulés à la baisse avec l’âge.  Le taux de vieillissement apparent est également influencé par certains gènes.  Des maladies comme le syndrome de Werner et la progérie sont liées à un gène particulier et causent des changements génétiques et physiologiques qui entraînent le vieillissement prématuré.  Le syndrome de Werner cause généralement la mort avant l’âge de 50 ans, la progérie vers l’âge de 15 ans.

En plus d’être une accumulation d’altérations, le vieillissement semble résulter d’un processus programmé.  Cela renvoie ici à la sénescence, état où parviennent les cellules après un nombre prédéterminé de divisions.  Enfin, les régimes réduits en calories entraîneraient l’allongement de la durée de vie et feraient interagir de nombreux aspects du vieillissement.

   A.  Altérations avec l’âge

      1.  Altération des radicaux libres

Les radicaux libres sont le sous-produit normal du métabolisme des graisses, des protéines et des glucides qui se transforment en énergie; dans la plupart des cas, les cellules les éliminent par leur propre mécanisme de défense.  Les radicaux libres sont des atomes, molécules ou composés qui contiennent un électron non apparié.  Ces corps chimiques instables réagissent très facilement et fixent un électron étranger pour se stabiliser.  Le donneur d’électron peut être n’importe quel composé, qui est à son tour déstabilisé et cherche un électron.  Cela déclenche une réaction en chaîne qui entraîne la formation de composés nocifs, en particulier une classe de composés appelée corps à oxygène réactif, capable d’endommager les protéines, les membranes et l’ADN.

      2.  Pontage glucosique

Certains gérontologues(1) ont utilisé le diabète comme modèle du vieillissement après avoir observé que les diabétiques manifestent certains signes de vieillissement prématuré.  Chez eux, la réticulation du glucose est plus rapide que chez les personnes normales.

Le pontage glucosique se produit lorsque le glucose et des protéines se combinent pour produire des glycoprotéines, par glycosylation.  Ces glycoprotéines se regroupent ensuite par pontage pour former des produits finaux de glycosylation poussée (AGE pour advanced glycosylation end products).  Les AGE semblent durcir les tissus et pourraient participer à l’altération liée au vieillissement, comme le durcissement du tissu conjonctif et des artères, les cataractes, la perte de fonction nerveuse et la réduction de l’efficacité des reins.  Tous ces changements, courants à la vieillesse, se manifestent prématurément chez les diabétiques.

      3.  Altération de l’ADN

L’altération de l’ADN peut résulter des rayonnements, notamment ultraviolet, de l’action des produits chimiques ou d’erreurs de réplication.   Les erreurs de réplication dans les secteurs particulièrement sensibles du génome des levures, par exemple, donne lieu à l’apparition de petits cercles d’ADN.  Leur accumulation est directement liée à l’âge des cellules.  Les cellules filles qui héritent de certains de ces cercles vivent moins longtemps.

Le rayonnement et les produits chimiques peuvent causer des mutations, l’inscription d’une mauvaise lettre dans la chaîne alphabétique d’ADN du génome.  Ces mutations ponctuelles s’accumulent chez les cellules âgées.  On pose l’hypothèse que l’accumulation des altérations génétiques donne lieu à des protéines, des cellules et, à terme, des tissus et des organes qui fonctionnent mal.  Ces altérations accumulées pourraient expliquer la fréquence des cancers et la diminution de la fonction immunitaire chez les personnes âgées.

L’ADN n’est pas confiné au noyau des cellules.  Une infime proportion de notre matériel génétique se trouve dans les mitochondries.  Ces organelles intracellulaires sont les piles d’énergie de la cellule.  La mitochondrie contient l’ADN de quelques dizaines de gènes seulement, alors que l’ADN nucléaire en encode des dizaines de milliers.  Cependant, le taux de mutation est beaucoup plus élevé dans la mitochondrie à cause de l’abondance des radicaux libres, sous la forme d’espèces à oxygène réactif.  Même si l’on relève un taux de mutations plus élevé dans l’ADN mitochondrial, les mutations spécifiques qui se produisent ne sont peut-être pas entièrement aléatoires.  Des études récentes donnent à penser que des mutations spécifiques sont fonction de l’âge.  On a également soutenu que les mitochondries pourraient détenir le « gène de la longévité » : des études révèlent qu’une grande proportion des centenaires possèdent un gène mitochondrial spécifique.

   B.  Réduire les dégâts

Sans contrôle, les altérations qui se produisent avec le temps débouchent sur de graves problèmes dans le fonctionnement des cellules et des organes.  Les organismes sains disposent de mécanismes qui préviennent les altérations et les corrigent.  Dans une certaine mesure, le vieillissement n’est pas tant un phénomène de production d’altérations mais plutôt d’incapacité croissante à corriger les altérations qui se sont produites.

      1.  Neutralisation des radicaux libres

Trois enzymes de la cellule ont pour rôle de « désarmer » ces composés nocifs : la superoxyde dismutase (SOD), la glutathione peroxydase et la catalase.  Récemment, on a démontré que l’activité des enzymes antioxydantes fait défaut dans certaines maladies entraînant un vieillissement prématuré.  À l’inverse, des études expérimentales sur les invertébrés révèlent que l’augmentation de l’activité de ces enzymes peut prolonger la vie.  Les éléments nutritifs antioxydants, vitamines C et E, bêtacarotène, sont capables de neutraliser les radicaux libres. Cependant, ces défenses ne sont généralement pas en mesure d’empêcher toutes les altérations que peuvent causer les radicaux libres;   peu à peu, celles-ci s’accumulent et produisent des détériorations des tissus et des organes qui sont liées au vieillissement.

Les diabétiques manifestent certains signes de vieillissement prématuré.  La production accrue de radicaux libres issus du métabolisme du glucose est une des explications possibles de ce phénomène.  Les radicaux libres ont été mis en cause dans des désordres liés à l’âge comme le cancer, l’athérosclérose, les cataractes et la neurodégénérescence.  Des travaux récents donnent à penser que l’accumulation des lésions causées aux cellules nerveuses par les radicaux libres provoquent provoque une réaction hormonale qui enclenche la détérioration et le vieillissement.  Des travaux laissent croire qu’un relèvement considérable de la concentration d’antioxydants peut contribuer à ralentir le vieillissement.

      2.  Protéines de choc thermique

Les scientifiques ont découvert que plus une cellule approche de la sénescence, moins elle produit de protéines d’une classe appelée protéines de choc thermique (PCT). Découvertes à l’origine dans les cellules soumises à des températures plus élevées que la normale, elles sont produites normalement dans les cellules mais leur concentration augmente en fonction de facteurs de stress comme la chaleur, le froid, le traumatisme et les toxines, sous l’action des mécanismes de défense de la cellule.  La capacité de produire ces pointes de PCT en réaction au stress se perd avec l’âge.  Cette observation pourrait expliquer en partie pourquoi les jeunes répondent mieux au stress que les personnes âgées.

Même si le rôle exact des PCT dans le vieillissement est mal connu, les scientifiques savent qu’elles jouent un rôle dans le fractionnement et l’élimination des protéines endommagées, tout en aidant à la production et au transport de nouvelles protéines cellulaires.  Ces « chaperons » sont des PCT qui fixent et stabilisent les protéines au stade intermédiaire du repliement des chaînes, de l’assemblage, de la translocation et de la dégradation.

Les PCT ont été liés à la maladie à cause de leur rôle dans le système immunitaire, notamment la présentation des antigènes au système immunitaire pour la production d’anticorps.  Ils sont également capables d’initier des maladies auto-immunes et de les propager.  En outre, ces protéines semblent jouer un rôle dans l’immunité naturelle.  D’autres travaux récents donnent à penser que les PCT pourraient participer à la protection contre le cancer et les défaillances cardiaques.

      3.  Protection et réparation de l’ADN

La durée de vie d’un organisme s’avère liée à sa capacité de prévenir et de réparer certaines altérations à l’ADN.  De nombreux mécanismes sont conçus pour repérer les erreurs, retirer les segments fautifs et reconstituer l’ADN à partir du brin complémentaire.

Un autre aspect des altérations de l’ADN fait intervenir la DNA hélicase.  Cette enzyme est chargée de « déspiraler » la double hélice d’ADN durant la réplication.  L’hélicase défectueuse serait en cause dans certaines maladies héréditaires entraînant un vieillissement prématuré.  Cette recherche en est à ses débuts et n’a pas encore détecté le même mécanisme dans le vieillissement normal des individus.

Bon nombre des erreurs de la réplication de l’ADN se retrouvent dans des zones du génome qui sont souvent lues, ou qui présentent des séquences hautement répétitives, comme les sections qui encodent les ribosomes, responsables de l’assemblage des protéines.  Les protéines « régulatrices de silence » (SIR) réduisent la fréquence d’expression de certaines parties du génome et, chez la levure, interviennent dans l’allongement de la vie.

      4.  Réduction de la glycosylation

L’organisme dispose de ses propres défenses contre la formation de produits finals de glycosylation (AGE) comme il en dispose contre l’altération de l’ADN et la formation de radicaux libres.  Les macrophages, cellules immunitaires capables d’avaler et de détruire des corps étrangers, peuvent se lier aux AGE.  Par la suite, ils absorbent le complexe, le fractionnent et en éjectent les restes dans le sang afin qu’ils soient excrétés par les reins.  Ils ne peuvent pas empêcher totalement l’accumulation d’AGE, qui se fait avec l’âge.

La recherche actuelle cherche une façon d’empêcher la formation d’AGE, notamment grâce à l’aminoguanidine, et de détruire les AGE qui existent.  L’aminoguanidine stimule la fonction cardiovasculaire et reinale chez les animaux de laboratoire.  Un autre agent pharmaceutique, l’ALT 711, fait l’objet d’études pour sa capacité de fractionner les AGE existants et pour inverser des signes du vieillissement comme la réduction de l’élasticité des poumons.

Moins la cellule peut empêcher les lésions ou les réparer, plus celles-ci s’accumulent.  À la fin, les cellules et les organes peuvent cesser de fonctionner correctement, réduisant du même coup le maintien de l’homéostasie et la résistance à la maladie.

   C.  Télomères et sénescence programmés

Les cellules humaines, comme celles de nombreux autres organismes, ont une vie de durée finie.  Jusqu’à récemment, on croyait que les cellules immortelles étaient cancéreuses. Après un certain nombre de divisions, les cellules normales passent à un état de sénescence.   Dans cet état, elles ne se divisent plus et il n’y a plus de synthèse d’ADN.  Les scientifiques ont trouvé des liens entre la sénescence cellulaire et la durée de vie de l’homme.

La recherche sur la sénescence a permis de découvrir un obstacle physique qui résulte d’un nombre fini de divisions cellulaires. Chaque chromosome présente une longue queue non codante appelée télomère, qui protège les extrémités instables de l’ADN codant.  Chaque fois que le brin d’ADN est copié, c’est-à-dire que la cellule se divise, le télomère raccourcit.  Une fois le télomère perdu, la cellule n’est plus capable de se diviser parce que les nouvelles divisions produiraient des chromosomes auxquels il manque une partie de l’information.

Les cellules humaines cultivées en laboratoire résistent notoirement à l’expérimentation parce qu’elles meurent après un certain nombre de divisions.  Cependant, les cellules humaines auxquelles ont a ajouté génétiquement de la télomérase ne meurent pas, car cette enzyme maintient la longueur du télomère.  La télomérase se trouve également dans certaines cellules cancéreuses, ce qui a donné lieu à beaucoup de recherches sur la possibilité de limiter la croissance cancéreuse en interférant avec l’activité de cette enzyme.  Cependant, il est douteux que les télomères constituent une panacée contre le cancer.  La cellule humaine immortelle, transformée par la télomérase s’est révélée non cancéreuse et certaines cellules de souris sans télomérase active ont quand même développé des cancers, de sorte que d’autres facteurs sont en cause dans l’immortalité des cellules cancéreuses.

La relation exacte entre la sénescence cellulaire et le vieillissement est mal connue et constitue un domaine de recherches intenses.  Les scientifiques ont observé que les cellules d’animaux clonés peuvent avoir des télomères aussi longs que ceux du parent.  Les télomères des chromosomes de Dolly, premier mammifère cloné, étaient courts par rapport à l’âge de ses chromosomes, ce qui donne à penser que les animaux clonés vieilliraient prématurément.  Les clones sont produits à partir de cellules d’animaux adultes; par conséquent, les animaux clonés commencent leur vie avec des télomères considérablement plus courts que ceux d’un embryon classique.  Récemment, une procédure de clonage a permis d’allonger les télomères chez les clones.  Il est encore trop tôt pour savoir si la durée de vie de ces clones en sera modifiée.

   D.  Longévité accrue par restriction calorique

La restriction calorique (RC), à distinguer de la malnutrition, fait l’objet de beaucoup de recherches actuellement.  Autant chez des unicellulaires comme la levure que chez des mammifères comme les rongeurs, la RC a toujours provoqué l’allongement de l’espérance de vie.  Le mécanisme en cause est assez complexe.  Il semble que la RC peut agir sur le taux de réparation de l’ADN, la concentration des radicaux libres, l’équilibre hormonal et la sénescence des cellules, et peut être sur d’autres mécanismes.  Un autre phénomène associé à la RC est le fait que les maladies et les tumeurs n’apparaissent plus ou se développent plus lentement chez les rongeurs de laboratoire.  La recherche sur la RC pourrait nous renseigner davantage sur les mécanismes responsables des maladies liées à l’âge.

Une des façons par lesquelles la restriction calorique pourrait ralentir le vieillissement c’est en réduisant l’accumulation des radicaux libres.   Cela, parce que les radicaux libres sont des sous-produits du métabolisme, dont le taux est réduit lorsqu’il y a moins d’apport calorique.  Cela entraîne par conséquent moins de lésions aux protéines et aux tissus causées par ces composés, et moins d’altérations à l’ADN.

On fait également un lien entre la RC et la stabilité génétique de la levure, organisme à partir duquel on a beaucoup appris sur les mécanismes fondamentaux du vieillissement.  La RC réduit la concentration des radicaux libres, molécules qui peuvent endommager la machinerie productrice d’énergie de la cellule.  Les cellules dont la machinerie est intacte ont des protéines SIR plus actives qui ralentissent le vieillissement par des changements dans l’expression des gènes. 

Un troisième modèle proposé de réduction des altérations de l’ADN se fonde sur l’observation que la RC abaisse la température basale du corps.  Cela pourrait entraîner moins d’altérations de l’ADN et un meilleur mécanisme de réparation de cette molécule que ce qui a lieu à la température normale du corps.  Certaines maladies liées à l’âge comme le cancer et les maladies cardiovasculaires ont été liées aux radicaux libres et aux altérations de l’ADN, ce qui peut contribuer à rendre compte de l’effet observé de la RC sur la progression de la maladie.  La RC pourrait avoir des effets anticarcinogènes par le fait qu’elle inhibe la production d’IGF-1, dont la concentration influe sur la croissance des tumeurs.

En outre, la RC semble modérer quelque peu la diminution de l’hormone de croissance.  Cela peut avoir l’effet de retarder la fragilité qui se manifeste à la vieillesse.  Les chercheurs ont noté que la RC semble agir sur le système immunitaire en retardant le déclin observé normalement lors du vieillissement.  Le moyen par lequel la RC y parvient n’est pas encore connu mais pourrait être lié à une réduction de l’accumulation des lésions.  Les altérations causées par les radicaux libres entraînent des pertes fonctionnelles chez certaines protéines, et peut-être chez celles qui sont responsables de la réaction immunitaire.  Enfin, la RC s’accompagne d’une consommation réduite de glucose et il peut être raisonnable de penser qu’elle fait diminuer la formation d’AGE.  Cela pourrait donc retarder la progression de la maladie et d’autres changements liés au vieillissement normal.

Il est difficile d’effectuer des recherches chez l’humain dans ce domaine.  Les scientifiques utilisent plutôt les effets de la RC sur les primates.  Même là, les études prennent plusieurs dizaines d’années et sont loin d’être complètes.  Les premières observations sur les singes donnent à penser que la RC retarde le vieillissement des primates.   La recherche sur la restriction calorique ne va pas dans le sens d’une restriction radicale de l’apport calorique chez l’homme afin de prolonger la vie.  Ce qu’on espère trouver, c’est la clarification des mécanismes en cause, afin d’améliorer la santé durant les dernières années de vie.

CONCLUSION

L’espérance de vie s’est accrue de plus de 50 p. 100 depuis 100 ans, et la santé des personnes âgées s’est également améliorée à la suite du traitement et de la prévention des maladies.  D’autres améliorations au chapitre de l’espérance de vie et de la santé découleront certainement de la recherche qui porte sur les mécanismes fondamentaux du vieillissement en l’absence de maladie.  Il est également possible que cette recherche permette d’allonger la durée de la vie de l’homme.  Cet allongement soulèverait de nombreux problèmes pratiques et éthiques.  Toutefois, la perspective d’une vie humaine beaucoup plus longue n’est pas pour bientôt.  Dans l’intervalle, nous devons considérer sérieusement les implications socioéconomiques d’une population plus âgée et davantage en santé.

RÉFÉRENCES CHOISIES

Comité consultatif fédéral, provincial et territorial sur la santé de la population (Canada), Pour un avenir en santé, Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne, 1999.

National Institute on Aging (NIA), In Search of The Secrets of Aging, NIA internet site at: www.nih.gov/nia/health/pubs/secrets-of-aging/

“The Quest to Beat Aging,” Scientific American special edition, juin 2000.

Rose, Michael R.  “Can Human Aging Be Postponed?”  Scientific American, décembre 1999, p. 106-111


(1) Scientifique qui étudie le vieillissement.