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LA PRODUCTIVITÉ ET LE NIVEAU DE VIE DU CANADA :
HIER, AUJOURD'HUI ET DEMAIN

Rédaction :

Daniel J. Shaw
Division de l'économie
Le 22 novembre 2000

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LA PRODUCTIVITÉ, AU CANADA ET AILLEURS

   A. La productivité canadienne jusqu’à maintenant

   B. La productivité des pays du G-7

   C. L’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis

LES CAUSES DE LA PIÈTRE PRODUCTIVITÉ DU CANADA

   A. L’insuffisance de l’accumulation de capital

   B. Le paradoxe informatique-productivité

   C. L’innovation dans le secteur manufacturier : écart Canada — États-Unis

   D. La mondialisation, l’investissement direct étranger (IDE) et le libre-échange

   E. La productivité des petites et moyennes sociétés manufacturières

LES LIENS ENTRE LA PRODUCTIVITÉ, LA COMPÉTITIVITÉ ET LA PROSPÉRITÉ

   A. La compétitivité du secteur canadien des entreprises

   B. Le niveau de vie au Canada

   C. Réconcilier la productivité et le niveau de vie

L’AVENIR DE LA PRODUCTIVITÉ ET DU NIVEAU DE VIE AU CANADA


LA PRODUCTIVITÉ ET LE NIVEAU DE VIE DU CANADA :
HIER, AUJOURD'HUI ET DEMAIN

INTRODUCTION

Pendant la majeure partie du XXe siècle, le niveau de vie du Canada s’est amélioré à un rythme régulier et très rapide, et est comparable à celui des États-Unis.  Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Canada se classait deuxième parmi les pays industrialisés les plus riches.  De fait, les statisticiens, ceux des Nations Unies par exemple, qui vont au-delà des seules données économiques pour mesurer le bien-être et qui tiennent compte d’indicateurs sociaux comme la santé et l’éducation, concluent souvent que le Canada est le pays où il fait le meilleur vivre.  La qualité de notre union sociale, fondée sur le partage de la réussite économique entre les régions, les provinces et les habitants, y est certainement pour beaucoup.  Toutefois, si nous délaissons le volet social pour considérer uniquement les composantes économiques du bien-être (qui, après tout, en sont les éléments essentiels), nous nous trouvons aujourd’hui devant un tableau très différent.  Le Canada n’est plus au sommet de la pyramide économique.  Non seulement n’est-il plus au deuxième rang des pays riches, mais il ne fait même plus partie des dix premiers pays industrialisés.

Depuis les années 1990, le Canada voit son niveau de vie perdre du terrain par rapport à celui d’autres pays avancés, tels que les États d’Europe de l’Ouest, certains pays du « tigre asiatique » et, au cours de cette décennie, même les États-Unis, à cause de la croissance déclinante de sa productivité.   Au seuil du troisième millénaire, il est en retard sur ses principaux concurrents dans l’adaptation de sa structure institutionnelle au nouveau contexte économique, marqué par une mondialisation incessante et la naissance d’une économie du savoir.  En conséquence, nous dépendons trop de notre dollar à bon marché par rapport à celui des États-Unis pour soutenir la concurrence mondiale (surtout des États-Unis), c’est-à-dire que nous avons essentiellement réduit la valeur externe de nos rémunérations et de nos revenus pour acquérir plus d’activités économiques et nous approcher du plein emploi.  Toutefois, aucun pays ne s’est jamais enrichi en acceptant que sa rémunération nationale soit réduite.   Or c’est à cela que revient une devise dépréciée.  Mais surtout, cette stratégie économique n’est pas de bon augure pour l’indice social à portée plus large qui mesure le bien-être.  Nous risquons de perdre notre vieille aptitude à redistribuer une richesse en voie de diminution.

Nous proposons ci-après : 1) un rappel de l’évolution récente de la productivité canadienne par rapport à celle des pays du G-7, notamment des États-Unis, 2) quelques explications plausibles de la situation, notamment en ce qui concerne certains déterminants économiques notoires de la productivité; 3) l’établissement d’un lien entre la productivité et le niveau de vie.   Enfin, d’après les tendances observées, nous avancerons une prévision générale pour la première décennie du troisième millénaire.

LA PRODUCTIVITÉ, AU CANADA ET AILLEURS

   A. La productivité canadienne jusqu’à maintenant

Le terme « productivité » n’est pas compris de tous.  Aussi n’est-il pas inutile, en amorçant cette étude, d’en fournir une définition.  On dit que la « productivité » est l’un des principaux indicateurs de la vigueur et de la force d’une économie, et peut-être le déterminant le plus essentiel de la croissance économique à long terme.  Elle traduit le rapport entre le volume des biens et services produits et les ressources utilisées dans les processus de production et de transaction de l’économie en question(1).  La productivité est la mesure de l’efficience avec laquelle les gens, le capital, les ressources et les idées sont combinés dans l’économie.  Le pays qui réunit le meilleur cocktail capital-talent est donc un leader économique mondial.

Il y a deux façons reconnues de mesurer la productivité.   La plus facile à comprendre est la productivité du travail, à savoir la production totale d’une économie divisée par la quantité de travail (nombre de travailleurs ou nombre d’heures ouvrées) utilisée.  Toutefois, comme il s’agit d’une mesure partielle, elle peut être influencée par une utilisation plus intensive d’autres intrants, le capital surtout, ou encore les ressources naturelles (au détriment peut-être de l’environnement, si l’on n’y prend pas garde).

La deuxième façon renvoie à une notion plus large dite productivité multifactorielle ou productivité totale des facteurs, qui réunit les facteurs de production que sont le travail, le capital et les intrants intermédiaires (stocks, énergie, matériaux et fournitures) en une seule statistique.  Elle peut être observée non pas directement mais indirectement, en retraçant la croissance des extrants et des intrants et en attribuant toute croissance résiduelle des extrants qui n’a pas été expliquée par une croissance des intrants à une amélioration de la productivité multifactorielle(2).

Cela étant posé, nous sommes prêts à évaluer la productivité canadienne.  La productivité du travail exprimée par le produit intérieur brut (PIB) en dollars constants de 1992 par heure ouvrée s’élevait à 26,40 $ en 1976 et à 34,06 $ en 1999.  À première vue, ces chiffres traduisent une progression au cours des 25 années en cause, mais en fait la croissance annuelle qui la sous-tend n’a rien de spectaculaire; son taux de croissance annuel composé a seulement été de 1,1 p. 100.  Par comparaison, la productivité du travail dans le secteur manufacturier est passée de 20,52 $ en 1976 à 31,36 $ en 1999.  Le secteur manufacturier a donc affiché une croissance beaucoup plus forte de sa productivité au cours de la période 1976-1999 (1,9 p. 100 par an) que l’économie dans son ensemble.  Le resserrement de l’écart peut être attribué en partie à la libéralisation des échanges, comme nous le verrons lorsque nous tenterons d’expliquer la performance récente du Canada.

On trouvera une bonne illustration de cette évolution dans le graphique de la figure 1, qui présente les taux de croissance des deux mesures de la productivité dans le secteur des entreprises depuis 1996.  Les données sont réparties en quatre stades, qui correspondent aux cycles économiques du Canada pour cette période, de manière à éliminer les biais à caractère cyclique.  Les tendances des deux mesures sont voisines.  Entre 1966 et 1973, le Canada a enregistré une progression satisfaisante de sa productivité, s’approchant des 4 p. 100 par année pour la productivité du travail et dépassant les 2 p. 100 pour la productivité multifactorielle.  Depuis lors toutefois, la croissance de la productivité stagne juste au-dessus de 1 p. 100 pour ce qui est de la productivité du travail et juste au-dessous de 1 p. 100 pour la productivité multifactorielle.

Figure 1

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Source : Statistique Canada

Même si l’évolution de la productivité canadienne depuis 1973 est un peu décevante, on peut difficilement cerner la nature et l’ampleur du problème sans effectuer d’abord des comparaisons internationales.  Sans elles, en effet, il est tout bonnement impossible de savoir si cette piètre performance a été propre au Canada ou si elle était répandue dans le monde industrialisé, échappant par conséquent à notre contrôle.

   B. La productivité des pays du G-7

Pour le Canada, les points de comparaison les plus évidents sont bien entendu ses partenaires du G-7.  Toutefois, comme ces pays définissent leurs données différemment et que leurs méthodes statistiques ne sont pas les mêmes(3), il est impossible d’établir une comparaison détaillée de leurs productivités avec la nôtre.  On observe, par exemple, des différences notables dans la manière dont ils calculent la productivité multifactorielle, particulièrement au niveau de l’estimation des stocks de capital.  D’ailleurs, de nombreux statisticiens ont des difficultés même avec les estimations des stocks de capital canadiens, parce qu’elles semblent excessivement fluctuantes.  De plus, comme ces estimations ne tiennent pas compte des terres et des stocks qui tendent à s’accroître à un rythme plus lent, alors que les données américaines le font, la mesure de la productivité multifactorielle canadienne se trouve à surévaluer la part de l’accumulation de capital.  Aussi la présente analyse se limitera-t-elle aux niveaux et aux taux de croissance de la productivité du travail.  Il reste que, même à ce sujet, un compromis s’impose.  En effet, le meilleur indicateur de la productivité du travail repose sur la quantité d’heures ouvrées, mais les seules statistiques disponibles dans les pays du G-7 portent sur le nombre de travailleurs.

Figure 2


 
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Source : Organisation de coopération et de développement économiques

La figure 2 illustre l’évolution du taux de croissance de la productivité du travail dans les pays du G-7 entre 1960 et 1997.  Durant cette période, seuls les États-Unis affichent des chiffres inférieurs à ceux du Canada, dont les taux sont bien en-dessous de la moyenne des pays du G-7.  Toutefois, on obtient une illustration plus complète de la productivité du travail en évaluant les niveaux de productivité, et non pas seulement leurs taux de croissance.  La figure 3 illustre les niveaux de la productivité du travail dans les pays du G-7 en 1999.  Toutefois, avant de nous avancer trop loin, il serait bon de rappeler que les États-Unis et le Canada étaient, de loin, les pays les plus productifs du monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale(4).  L’état d’effondrement des industries européennes à l’issue de cette guerre allait donner un avantage initial à l’Amérique du Nord.  Toutefois, cette situation ne pouvait que s’effriter avec le temps, à mesure que ces pays retrouveraient leur situation d’avant-guerre.  Les données de la figure 3 le confirment.  Les niveaux de productivité de l’Europe et du Japon ont convergé vers ceux de l’Amérique du Nord; leurs industries ont constamment augmenté leurs capacités de production en développant et en important du monde entier les meilleures technologies.

Figure 3

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Source : Organisation de coopération et de développement économiques

Étant donné que la figure 3 mesure la productivité en fonction des personnes occupées, l’écart entre le Canada et les États-Unis est quelque peu exagéré, lorsqu’on le compare à la productivité mesurée en fonction des heures ouvrées.   D’un autre côté, le rendement du Canada par rapport à celui des membres européens du G-7 est légèrement gonflé(5).  Néanmoins, les chiffres sont clairs et sans équivoque : les États-Unis demeurent le pays le plus productif, tandis que le Canada a perdu la deuxième place.  Ce sont l’Italie et la France qui occupent la seconde et la troisième positions parmi les pays du G-7.  Le Canada est au quatrième rang, quoique cela peut n’être que temporaire, car l’Allemagne est en train de se réunifier et d’intégrer la partie orientale du pays, moribonde, à la partie occidentale, très productive.

   C. L’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis

Jusqu’ici, la présente étude sur la productivité du Canada n’a rien révélé de nouveau ou de surprenant.  Il nous faut maintenant vérifier si l’agrégat de ces données sur la productivité ne masque pas légèrement les performances de certains secteurs précis qui mériteraient que l’opinion s’en préoccupe.  En l’occurrence, la comparaison entre le Canada et les États-Unis devrait suffire, car les secteurs des entreprises de ces deux pays sont ceux qui se comparent le mieux; nous sommes l’un pour l’autre le premier partenaire commercial et le principal concurrent sur les marchés mondiaux pour un certain nombre de marchandises et de produits.

La figure 4 illustre l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis de 1977 à 1999.  La productivité du travail du Canada par rapport à celle des États-Unis a été inférieure pendant cette période.  Le travailleur canadien moyen produisait en 1977 juste un peu moins de 90 p. 100 de ce que produisait un Américain; en 1999, cette proportion était tombée à un peu plus de 80 p. 100.  De même, le travailleur canadien moyen employé dans le secteur manufacturier produisait 90 p. 100 de ce que produisait son homologue américain en 1977, contre 67 p. 100 en 1999(6).

Figure 4

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Source : Statistique Canada et U.S. Bureau of Labor Statistics

L’écart de productivité entre les secteurs manufacturiers du Canada et des États-Unis semble se manifester davantage dans les petites et moyennes entreprises (PME).

En 1973, les grandes usines avaient des niveaux de productivité supérieurs d’environ 15 p. 100 au total national.  Deux décennies plus tard, ils étaient d’environ 40 p. 100 supérieurs.  D’un autre côté, les petites usines affichaient des niveaux inférieurs de quelque 15 p. 100 à la moyenne nationale, un écart qui s’était élargi pour atteindre 30 p. 100 environ deux décennies plus tard.  En d’autres termes, l’écart de productivité entre les grandes et les petites usines s’est aggravé depuis le début des années 1970(7).

Ce phénomène est particulièrement troublant, car les PME sont grandement responsables de l’accroissement des démarrages d’entreprise et du nombre d’emplois au Canada au cours des trois dernières décennies.  De fait, cette tendance, combinée à un taux plus faible d’investissement dans le capital physique, pourrait bien être la première cause de la faible productivité de l’industrie manufacturière canadienne, quand on sait que les PME affichent un ratio du capital à la main-d’œuvre plus faible que les grandes sociétés, la composition ou la structure du secteur manufacturier canadien semble immédiatement suspect.  Il se pourrait bien que la petite taille des sociétés manufacturières canadiennes explique en grande partie l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis dans ce secteur.

LES CAUSES DE LA PIÈTRE PRODUCTIVITÉ DU CANADA

Trois aspects de la médiocrité de la productivité canadienne méritent explication.  Le premier concerne l’ensemble des facteurs qui ont contribué au ralentissement de la croissance de la productivité survenu dans le monde industrialisé depuis 1973.  Ce sont entre autres des taux inférieurs d’investissement dans le capital physique, notamment dans le matériel et l’outillage (M etO) et les gains de productivité non réalisés (pour l’instant) qui découleraient des lourds investissements dans l’informatique, c’est-à-dire dans les technologies de l’information et des communications (TCI).  Le Canada partage probablement ces facteurs déterminants avec certains autres pays du monde industrialisé.

Le deuxième aspect concerne les facteurs en raison desquels le secteur manufacturier canadien s’est laissé distancer par son homologue américain depuis la fin des années 1970, creusant ainsi l’écart de productivité existant entre ces deux pays.  Les experts canadiens semblent s’entendre pour dire que ce n’est pas la totalité du secteur manufacturier qui est responsable de la situation, mais surtout deux sous-secteurs : celui du matériel électrique et électronique et celui des machines industrielles et commerciales.  Les causes probables de cet écart sont : une R-D insuffisante; le défaut par les Canadiens d’acquérir des connaissances sur les processus de production et sur les produits américains en temps opportun; et enfin la lenteur à adopter les nouvelles technologies.  Une autre cause de l’écart en matière d’innovation, plus controversée celle-là, serait la perte relative des investissements étrangers directs (IED), un facteur important sur lequel le Canada a toujours compté pour ce qui est d’obtenir et de diffuser des technologies et des produits propres à améliorer sa productivité.  En revanche, du côté positif, l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ) est reconnu pour avoir amélioré la croissance de la productivité du secteur manufacturier canadien.

Enfin, le troisième aspect touche les PME, notamment celles qui appartiennent à des intérêts canadiens, et le rôle qu’elles ont joué dans l’élargissement de l’écart de productivité dans le secteur manufacturier.  Les facteurs déterminants de ces deux derniers aspects sont probablement exclusifs au Canada.  Nous examinerons toutes ces explications à tour de rôle.

   A. L’insuffisance de l’accumulation de capital

La lenteur de l’investissement en capital semble avoir abouti à un ralentissement du taux de croissance de la productivité du travail dans l’ensemble du monde industrialisé.  Cela peut sembler évident; en effet, comme la main-d’œuvre est plus productive lorsqu’elle est équipée de meilleurs outils, une décélération de la croissance du ratio du capital à la main-d’œuvre résultant d’une baisse de l’investissement en capital se traduit par un essoufflement de la productivité.   Mais il se pourrait bien que cela ne soit pas tout.

Selon les estimations, environ 80 p. 100 de tout progrès technique provient de nouveaux matériels et outillages(8).  Donc, quelle que soit l’évolution du ratio du capital à la main-d’œuvre, un amenuisement sensible et prolongé de l’investissement en capital physique peut se solder par une décélération de la croissance de la productivité, amenée par une stagnation du taux de progrès technique dans l’économie.  Il est également possible d’envisager la situation sous l’angle de l’âge moyen du stock de capital.  On reconnaît généralement que les nouvelles immobilisations, surtout celles entrant dans la catégorie du Met O, sont plus susceptibles que les autres de se traduire par l’adoption de techniques nouvelles et exemplaires.  Un stock de capital vieillissant (pouvant résulter d’un taux d’investissements en capital plus faible) peut donc ralentir la progression de la productivité, pour la simple raison que les progrès techniques (dans une proportion d’au moins 80 p. 100) sont dans le même temps entravés(9).  Un déclin moins rapide de l’âge moyen du M etO (ce qui diffère du vieillissement) peut suffire à ralentir le rythme du progrès technique et la croissance de la productivité dans l’économie.  Les chercheurs ont confirmé l’existence de ce phénomène, que l’on appelle souvent effet de génération, et ont effectué une estimation préliminaire de son action néfaste sur l’économie(10).  Enfin, comme le capital physique neuf suppose souvent une formation complémentaire, tout recul de l’investissement en capital peut également s’accompagner d’une réduction dans l’investissement en capital humain, autre concept corrélé directement à la productivité.  Donc, les effets directs et indirects d’un ralentissement de la formation de capital fixe peuvent freiner la croissance de la productivité.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDÉ) est la meilleure source de renseignements sur l’investissement net.  Selon elle, l’investissement net, c’est-à-dire dont on a défalqué l’amortissement, de ses pays membres a tourné autour de 12 p. 100 dans les années 1970, de 10 p. 100 dans les années 1980 et de 5 p. 100 dans les années 1990.  Ces données indiquent la même tendance que la croissance de la productivité dans le monde industrialisé, ce qui permet de supposer que le retard dans l’investissement constitue un facteur.

   B. Le paradoxe informatique-productivité

Du point de vue des entreprises, les années 1990 ont été particulièrement notables pour ce qui est des investissements dans la technologie de l’information et des communications (TCI).  Presque tous les secteurs et branches d’activités au Canada ont considérablement investi en TCI au cours des années 1990 dans l’espoir de moderniser leurs activités et leurs installations, car il était généralement admis que cela permettrait de hausser les niveaux de productivité.  Les entreprises des autres pays industrialisés ont suivi la même voie.   Le Centre d’étude du niveau de vie décrit le cas du Canada de façon suivante :

[E]ntre 1992 et 1995, les investissements au titre de l’informatisation des bureaux qu’a effectués le secteur des services au Canada ont augmenté de 64,2 p. 100 en termes réels, mais la productivité des facteurs n’a progressé que de 1,2 p. 100.  Ce qui est encore plus étonnant [...], c’est que le secteur des services ayant la plus forte proportion d’investissements en informatique a eu tendance à afficher la pire croissance de la productivité factorielle globale(11)!

Le tableau 1 présente d’autres éléments de preuve, ventilés par sous-secteur.

Comme cette piètre tenue de la productivité par rapport aux investissements en TCI se retrouve un peu partout dans l’économie canadienne et que les données concernant les autres pays industrialisés semblent pour le moins contradictoires, on ne peut que remettre en question les avantages promis par ceux qui voyaient dans la TCI le moteur de l’économie(12).  Comme l’a dit M. Robert Solow , expert renommé de la productivité : « Les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques sur la productivité ».

Cette évolution inattendue, que certains chercheurs en économie ont appelée le paradoxe informatique-productivité, peut s’expliquer de la façon suivante.  Il faut beaucoup de temps pour que les grandes nouveautés techniques (ordinateurs, technologies des communications et périphériques) puissent être mises en place dans les milieux de travail de l’ensemble de l’économie et fonctionner avec efficience et efficacité.  Une analogie s’impose ici avec l’électricité, qui a demandé plus de 40 ans, soit jusqu’aux années 1920, avant de s’avérer être à l’origine d’une amélioration appréciable de la productivité(13).

Tableau 1
Investissement en informatique et croissance de la productivité globale des
facteurs dans le secteur canadien des services, 1992-1995

Secteur

Investissements
en informatique
en % de
l'ensemble des
investissements
1995

% de variation des
investissements
réels en informatique
1992-1995

% de
variation de la
productivité
globale des
facteurs
1992-1995

Transport et entreposage
Communications et autres services
   d'utilité publique
Commerce de gros
Commerce de détail
Finances, assurances et immobilier
Services aux entreprises
Services publics
Enseignement
Services médicaux et sociaux
Hôtellerie et restauration

Total du secteur des services

  3,4
 
7,8
14,7
16,5
13,4
55,8
  6,6
  7,3
  7,5
  5,4

 9,8

  86,8

108,3
59,1
351,4
  85,8
    3,2
  45,2
  67,0
  97,2
    3,4

  64,2

    6,8
   
9,7
-0,6
  -0,2
  -0,8
-15,6
   0,1
 -2,2
 -4,6
  4,2

  1,2

Source : Centre d’étude du niveau de vie, Productivity : Key to Economic Success, tableau 8, p. 35.

Ce décalage entre l’investissement dans la TCI et l’amélioration de la productivité s’explique par les difficultés, souvent institutionnelles, que pose la mise en place des nouvelles techniques à usages généraux, par rapport à une technologie qui s’améliore constamment.  De fait, si ces difficultés n’allaient pas au-delà de l’abordabilité et de la formation des travailleurs, elles auraient été annulées en large mesure par la puissance des ordinateurs qui augmente à pas de géant, et par la baisse rapide des prix intervenue au cours des deux dernières décennies.  Mais les changements institutionnels ne peuvent se faire du jour au lendemain : ils nécessitent parfois l’intervention de générations plus jeunes.  La nature humaine n’est tout simplement pas aussi adaptable, quant aux changements radicaux, ni même en mesure de les subir, que ne l’exigeraient les nouvelles technologies, et toute adaptation humaine prend beaucoup de temps.  Les éventuels changements de nature institutionnelle sont :

  • l’aplatissement des hiérarchies dans les milieux de travail;

  • la formation d’équipes multidisciplinaires au sein des hiérarchies;

  • la délégation de la prise de décisions au niveau de l’exploitation et la mise en place de mécanismes de dialogue et de contrôle bilatéral;

  • un assouplissement des conditions de travail (horaire et lieu);

  • l’adoption d’incitatifs pécuniaires fondés sur la productivité ou la rentabilité;

  • un remaniement complet des organes chargés d’établir les règlements dans les relations industrielles et les institutions responsables.

Rares sont, dans l’histoire de l’humanité, les changements aussi radicaux, sur lesquels on puisse fonder des prévisions ou des comparaisons.  En gros, nous pouvons conclure que la révolution industrielle a transformé l’économie, les activités artisanales disparaissant au profit de vastes complexes industriels et le lieu de production passant du domicile à l’usine.  La mécanisation accrue des méthodes de production a signifié perte de liberté pour ce qui est de déterminer l’intensité, la régularité et la durée de son effort et l’affectation des ouvriers à des activités hautement spécialisées, de manière à assurer une production continue et concertée(14).  Les économies d’échelle et les gains de productivité que nous connaissons aujourd’hui n’auraient pu être réalisés autrement(15).  Même si la main-d’œuvre a été récompensée de cette perte de souveraineté et de son affectation à des activités souvent abrutissantes, on a néanmoins vu naître une classe de négociateurs professionnels veillant à ce que les méthodes adoptées à l’usine cadrent avec les impératifs de productivité.  Les règles du travail en usine, aujourd’hui institutionnalisées, sont suivies partout, mais cela a demandé un siècle voire plus.

Par contre, les méthodes actuelles permettent aux employés de travailler à la maison et de communiquer à distance avec leur employeur, tandis que les gestionnaires impartissent différentes activités à des organismes satellites plus petits, l’entreprise pouvant ainsi mieux centrer son attention sur ses activités principales.  La révolution de l’information semble donc avoir réduit l’envergure des activités des entreprises et restauré le domicile comme lieu de travail.   L’apparition de techniques de fabrication souples, sans gaspillage, a permis d’orchestrer le démantèlement des méthodes rigides et leur remplacement par une participation accrue des travailleurs, qui ont pu tirer parti de la nouvelle dimension humaine de leur travail(16).  Les entreprises accordent également des incitatifs financiers aux travailleurs, pour les motiver et accroître leur productivité, ainsi que pour s’attacher ce capital de connaissances, intangible et très mobile.  Bien que la TCI entraîne des changements inéluctables dans le milieu de travail,  il faudra sans doute attendre longtemps avant que cela ne soit chose faite.  Certains pensent que nous assisterons bientôt à un bond de la productivité et que les débuts de la révolution de l’information devraient être aussi décisifs que l’ont été ceux de la révolution industrielle.  Nous ne pouvons que le souhaiter.

   C. L’innovation dans le secteur manufacturier : écart Canada — États-Unis

Il est frappant de constater que, globalement, l’évolution de la productivité des entreprises a été à peu près la même au Canada et aux États-Unis dans les 30 dernières années.  Toutefois, il est un secteur important — la fabrication — qui affiche des résultats consternants.  Or, la valeur de la production manufacturière représente environ 20 p. 100 de la production totale de l’économie dans les deux pays.  Toutes choses égales par ailleurs, comme ces deux économies présentent de grandes similitudes, il ne devrait pas y avoir de si fortes divergences de productivité au niveau du secteur manufacturier(17).

Ce qui saute aux yeux immédiatement, ce sont les disparités au niveau des sous-secteurs « équipement électrique et électronique » et « machines industrielles et commerciales », où les États-Unis ont une nette avance(18).  Sur une vingtaine d’années, cette différence peut avoir un impact important sur les structures respectives des deux économies.  Une seule conclusion significative peut être tirée de ces résultats.  Si l’on part du principe que le secteur de la haute technologie alimente une bonne partie de la progression de l’activité économique et de la productivité et qu’il amène l’économie vers une société fondée sur le savoir, force est de conclure que les États-Unis ont une bonne longueur d’avance sur le Canada.  Dans ce contexte étroit, le secteur manufacturier américain semble mieux préparé que celui du Canada à affronter les défis et à profiter de la prospérité que la révolution de l’information nous réserve sans doute.

La fabrication d’outillage et de matériel relève en grande partie du secteur de la haute technologie et se distingue de la plupart des autres activités manufacturières par le fait que l’innovation s’y exerce davantage au niveau des produits qu’au niveau des procédés.  Il serait donc avisé de chercher des solutions à la piètre performance relative de la productivité de l’industrie manufacturière canadienne en agissant sur l’innovation côté produits.  Pour confirmer la valeur de cette piste, il faut étudier : les dépenses de R-D; les indicateurs de l’accès aux sources de connaissances étrangères (pour le Canada, en particulier américaines); les taux d’adoption des techniques de pointe.

D’après les chiffres de l’OCDÉ, le pourcentage des dépenses brutes du Canada en R-D en proportion du PIB s’élevait à 1,6 p. 100 en 1998, ce qui est bien inférieur à la moyenne de 2,2 p. 100 pour l’ensemble de l’OCDÉ.  Parmi les pays qui dépensent beaucoup en R-D, mentionnons le Japon (2,9 p. 100), la Corée du Sud (2,9 p. 100) la Finlande (2,8 p. 100) et les États-Unis (2,7 p. 100)(19).  Ces pays dépensent jusqu’à 80 p. 100 de plus par dollar de PIB que le Canada.  Par rapport aux pays qui nous servent de point de comparaison, le Canada est avant dernier dans les pays du G-7 en matière de R-D exprimée en pourcentage du PIB.  Cette situation, toutefois, dépend peut-être en partie de facteurs qui échappent à notre volonté.  Les petites entreprises font proportionnellement moins de R-D, et leur pourcentage est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis.  L’autre aspect de la structure de l’économie canadienne qui échappe partiellement à notre volonté, c’est le degré élevé de propriétés étrangères.  Les entreprises ont tendance à effectuer leur R-D, au même titre que les autres fonctions administratives centrales, dans leurs pays d’origine.   Et cela est particulièrement vrai des sociétés américaines qui exercent des activités au Canada.  Si l’on ajoute à cela le fait que la propriété étrangère au Canada est particulièrement marquée dans les industries à forte teneur en technologie, en partie parce que les Américains sont des chefs de file dans ce domaine, il s’ensuit que le Canada souffre d’une R-D déficiente en dépit des très généreux incitatifs fiscaux associés à ces activités novatrices.

Bien sûr, il n’est pas nécessaire de faire soi-même de la R-D pour jouir des avantages qu’elle procure; on peut toujours profiter de celle des autres.  On peut en effet importer des innovations en les achetant, en passant un contrat de concession de licence ou en bénéficiant d’investissements étrangers directs (IED).  On rappelle souvent que le Canada représente moins de 1 p. 100 de la population mondiale et qu’il est probablement à l’origine de 2 p. 100 seulement environ des idées originales pouvant trouver une application dans l’industrie.  Par conséquent, les chiffres sur la R-D effectuée au Canada sous-estiment considérablement la disponibilité de techniques de pointe dans l’industrie canadienne, ce qui a par ailleurs des implications encore plus importantes quand on tient compte du coût de cette disponibilité (les techniques étrangères sont souvent moins coûteuses)(20).

Il est certes difficile d’évaluer l’accès des entreprises canadiennes aux connaissances étrangères.  Néanmoins, M. Manuel Trajtenberg, de l’Institut canadien de recherches avancées, a réussi à mettre au point une méthodologie plutôt novatrice pour ce faire.

Lorsqu’une entreprise canadienne obtient un brevet aux États-Unis, elle est tenue par la loi de citer tous les autres brevets américains connexes. [...] Entre 1977 et 1993, les brevets obtenus par des entreprises canadiennes aux États-Unis citent des brevets américains 15 000 fois.  C’est une preuve que le Canada exploite les recherches effectuées ailleurs.   Le problème, c’est que les Canadiens citent moins de brevets américains qu’on s’y attendait (dans une proportion ne dépassant pas 65 p. 100 des brevets américains qui citent d’autres brevets américains).  Il est donc clair que les entreprises canadiennes n’exploitent pas au maximum les connaissances rendues publiques par le système américain de brevets(21).

Ce désavantage sur le plan du savoir s’atténue cependant avec le temps.  Des preuves sérieuses montrant que le taux d’adoption des technologies nouvelles est insuffisant ont été apportées dans une étude de Statistique Canada en 1998 :

Dans les cinq secteurs industriels où l’on peut comparer directement l’utilisation de la technologie au Canada et aux États-Unis (fabrication des produits métalliques, machines et équipement industriel, équipement électronique et autre équipement électrique, matériel de transport, instruments et produits connexes) [...] les gestionnaires d’établissements canadiens pensent que le Canada accuse un retard.  Cette vue est confirmée par les données sur l’utilisation des technologies.  Dans ces secteurs, les établissements canadiens sont moins susceptibles de recourir à des technologies de pointe que les établissements américains, bien que le « retard technologique » se soit réduit de moitié, 73 p. 100 et 81 p. 100 des établissements du Canada et des États-Unis, respectivement, recourant à au moins une technologie.

Une bonne partie du retard technologique résulte essentiellement de différences dans la taille des marchés.  Les gestionnaires d’établissements canadiens ont tendance à attacher une plus grande importance à l’amélioration de l’adaptabilité des produits ou à la réduction du délai de mise en route, parmi les avantages découlant de l’adoption de la technologie.   Le besoin d’expansion du marché en tant qu’entrave au recours de la technologie reçoit lui aussi un poids relativement plus important qu’aux États-Unis(22).

Encore une fois donc le Canada est victime de sa petite taille.

   D. La mondialisation, l’investissement direct étranger (IDE) et le libre-échange

On entend par « mondialisation » l’intégration et l’interdépendance accrues des pays aux niveaux économique et politique, par suite des échanges commerciaux, des flux d’investissements, des mouvements de personnes et de la diffusion des connaissances.  Les multinationales se trouvent au cœur de ce phénomène.   Encouragées par les progrès plus récents des transports et des communications, ces sociétés à première vue sans nationalité et sans frontière se mettent à confier à des filiales et à des alliés stratégiques disséminés autour du globe la fabrication et l’assemblage de certains éléments (non fondamentaux), profitant ainsi du nouveau contexte commercial qui gagne tout le globe.  Autrement dit, la localisation des activités essentielles de fabrication et d’assemblage est déterminée de manière à exploiter pleinement les avantages concurrentiels où qu’ils soient, qu’il s’agisse d’économies d’échelle, d’économies de gamme ou d’une plus grande spécialisation des facteurs.  Ainsi, les entreprises de la plupart des pays industrialisés ont internationalisé leurs activités tissant une toile complexe tout autour de la planète.

Les conséquences économiques de ces nouvelles stratégies mondiales vont bien au-delà de la compétitivité et de la rentabilité des entreprises.   Les investissements directs à l’étranger et les investissements directs étrangers comportent tous deux des retombées avantageuses sous la forme des gains de productivité qui résultent de la spécialisation accrue des facteurs, de la diffusion plus rapide des technologies et produits dans les pays hôtes et de l’accroissement de la concurrence pour les entreprises nationales.

L’IDE revêt une importance croissante pour le Canada en tant que pays hôte, mais nos propres investissements directs à l’étranger en ont encore davantage.  Ceux-ci ont plus que septuplé entre 1980 et 1998, passant de 22,6 milliards de dollars américains à 156,6 milliards de dollars américains, tandis que les influx d’IDE se sont multipliés par deux et demi, passant de 54,2 milliards de dollars américains à 141,8 milliards de dollars américains durant la même période.  En fait, le Canada est devenu un exportateur net d’IDE en 1997(23).  En outre, l’intégration mondiale de l’économie canadienne que cet investissement suppose a également déclenché une spécialisation accrue dans la production des biens et services pour lesquels l’économie canadienne jouit d’un avantage comparatif.

Ce processus de mondialisation, qui est combiné à une baisse des coûts des transports et des communications, semble avoir commencé au début des années 1980, mais on ne sait trop que penser de la diminution relative concomitante des apports d’IDE au Canada par rapport au reste du monde.  Un autre des aspects les plus connus de la mondialisation, les flux commerciaux mondiaux accrus, seraient bénéfiques à la productivité canadienne, dit-on.

Dans les branches d’activité où il y a une réduction modérée des droits de douane, l’ALÉ a fait progresser la productivité de 0,6 p. 100 par an entre 1988 et 1995.  Dans celles où les réductions des droits de douane ont été importantes, les gains de productivité se sont élevés à 1,5 p. 100 par an.  Voilà des chiffres très importants. L’ALÉ a par ailleurs stimulé encore davantage la productivité en entraînant un déplacement des travailleurs et de l’investissement de la fabrication de faible technicité à la fabrication de produits innovateurs de haute technicité.  Sous l’angle étroit de l’augmentation de la productivité, force est de conclure que l’ALÉ est un succès(24).

Ce qui étonne, cependant, c’est que l’ALÉ n’ait pas entraîné une plus grande prospérité pour le Canada.  Avant la signature de l’ALÉ, les économistes et les experts en commerce international prédisaient une convergence des niveaux de productivité du Canada et des États-Unis.  Manifestement, d’autres facteurs ont joué, et il faut pousser l’enquête plus loin.

   E. La productivité des petites et moyennes sociétés manufacturières

Le fait que les PME aient affiché un taux de croissance de l’emploi plus élevé et un rendement financier plus faible que les grandes entreprises au cours de cette période laisse supposer que leur ratio capital-travail croît plus lentement, ce qui semble indiquer que leur main-d’œuvre n’est pas très productive.  Certains travaux récents (voir Daly et Helfinger cités plus haut) indiquent que les niveaux relatifs de valeur ajoutée par employé dans les grandes et les petites usines affichent un écart important entre le début des années 1970 et le milieu des années 1990.  De plus, par rapport aux États-Unis, il y a eu un léger gain dans les grandes usines canadiennes par rapport à la moyenne nationale américaine, mais, dans les petites usines canadiennes, une baisse spectaculaire a été enregistrée.   Cette plus faible productivité dans les petits établissements se manifeste aussi par des salaires plus bas, des profits inférieurs en moyenne, etc.  Nous avons donc ici un problème dans les petites entreprises pour ce qui concerne le niveau de productivité, surtout quand l’on songe que le nombre d’emplois a tellement augmenté.

Les données des chercheurs indiquent que les faibles niveaux de productivité sont largement concentrés dans les petites usines appartenant à des intérêts canadiens.  La productivité des grandes usines canadiennes appartenant à des intérêts nationaux est comparable à celle des grandes usines canadiennes détenues par des intérêts étrangers, alors que le taux de productivité des petites usines canadiennes appartenant à des intérêts nationaux ne représentait que les deux tiers à peu près de celui de leurs homologues appartenant à des intérêts étrangers.  Selon certains, cette différence tiendrait notamment à la difficulté relative de l’accès à la R-D et aux technologies étrangères.  Les petites entreprises appartenant à des Canadiens sont à cet égard désavantagées par rapport aux petites entreprises appartenant à des intérêts américains.

Les usines dont la nationalité des intérêts auxquels elles appartiennent est étrangère au Canada sont plus susceptibles d’utiliser des technologies de pointe que celles appartenant à des intérêts nationaux, et l’ampleur de l’écart entre les unes et les autres ne diminue pas en général.  Cet écart est cependant en partie relié à la taille et, une fois qu’on tient compte de cette dernière, on constate qu’il existe des différences sur le plan du rythme auquel les usines de tailles différentes contrôlées par des intérêts nationaux réduisent l’écart qui les sépare des usines contrôlées par des intérêts étrangers.  Dans les grandes usines, l’écart diminue généralement, ce qui n’est pas le cas dans les usines de petite taille et de taille moyenne.  Le fait que les taux globaux d’adoption des technologies de pointe par les usines appartenant à des intérêts nationaux soient encore inférieurs à ceux des usines appartenant à des intérêts étrangers, et ce pour tous les principaux groupes fonctionnels de telles technologies, est donc le résultat d’un rendement relativement plus faible dans les usines de petite taille et de taille moyenne(25).

LES LIENS ENTRE LA PRODUCTIVITÉ, LA COMPÉTITIVITÉ ET LA PROSPÉRITÉ

Les termes « productivité », « compétitivité » et « prospérité » peuvent s’appliquer à la fois aux personnes, aux entreprises, aux marchés et même à la société.  Dans une économie moderne, par souci de commodité le concept de la productivité est réservé à l’entreprise, celui de la compétitivité, aux marchés, et la notion de prospérité, à l’État-nation.  En effet, la productivité d’un individu se concrétise en règle générale dans les produits de l’entreprise qui l’emploie; la compétitivité de l’entreprise a de nombreuses retombées dans le secteur auquel elle appartient et peut refléter la mise en commun de ressources ainsi que les cadres de réglementation et les politiques en matière de concurrence; la prospérité, enfin, est généralement répartie dans l’ensemble du pays, grâce à une intervention de l’État.

Il existe aussi un lien hiérarchique entre ces termes.   La productivité est une notion liée au lieu de travail, car elle est le fondement de la compétitivité.  Cette dernière se rattache au marché, lorsqu’il s’agit des coûts relatifs qui déterminent si les opérations d’une entreprise sont soutenables sur la durée.  Cette hiérarchie productivité-compétitivité-prospérité signifie que la productivité ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen d’acquérir la prospérité, alors que cette dernière doit être vue comme plus que le simple PIB par habitant.

   A. La compétitivité du secteur canadien des entreprises

Le lien entre la productivité et la compétitivité du secteur des entreprises, du moins pour ce qui est des coûts, est clair.  Avec un minimum de données sur le salaire moyen et les taux de change, il est possible de convertir, par une équation mathématique, la productivité du travail en « coûts unitaires de main-d’œuvre » —  étalon servant habituellement à comparer la compétitivité des entreprises de pays rivaux.  L’évolution des coûts unitaires de main-d’œuvre exprimée dans une monnaie commune pendant une période relativement longue reflète avec une assez grande exactitude les tendances de la compétitivité relative de concurrents proches, comme le Canada et les États-Unis.

La figure 5 illustre la compétitivité relative des secteurs des entreprises canadien et américain au cours des deux périodes : le cycle conjoncturel actuel, soit de 1989 à 1998 (court terme) et les quatre cycles antérieurs, soit de 1966 à 1998 (long terme).  Les années de base, pour lesquelles l’indice est établi à 100 dans chaque période, sont 1966 et 1989.  Bien que le dollar canadien se soit déprécié vis-à-vis du dollar américain au cours des deux périodes, rendant le Canada plus concurrentiel que son voisin, à tous les autres égards la performance des deux secteurs a différé.  On peut dire qu’il y a eu renversement de la tenue des deux pays au chapitre de la productivité du travail, des salaires et des coûts unitaires de main-d’œuvre exprimés dans la monnaie du pays pendant ces périodes.

Figure 5
Productivité, rémunération du travail et coûts unitaires de main-d’œuvre,
le Canada et les États-Unis, 1966-1998
(en points de pourcentage)

1989-1998

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1966-1998

Source : Statistique Canada

Au cours des 40 dernières années, la productivité du travail au Canada a progressé de 73,6 points de pourcentage, soit de 10 points de plus qu’aux États-Unis.  Toutefois, la rémunération de la main-d’œuvre a explosé pendant cette période, donnant aux entreprises américaines un avantage d’environ 150 points de pourcentage.  Les coûts unitaires de main-d’œuvre exprimés dans la monnaie du pays ont augmenté de 372,8 points de pourcentage au Canada, soit de 63,8 points de pourcentage de plus qu’aux États-Unis.  Toutefois, comme le dollar canadien s’est déprécié de 25,2 p. 100 au cours de la période, cela s’est traduit pour le Canada par un avantage de 55,1 points de pourcentage, après conversion en dollars américains.   Autrement dit, entre 1966 et 1998, la compétitivité des entreprises du Canada s’est améliorée de 13,5 p. 100 par rapport à celle des États-Unis.

En revanche, entre 1989 et 1998, la compétitivité des deux économies a affiché un profil un peu divergent, la croissance de la productivité ayant été plus marquée d’un point de pourcentage (12,3 contre 11,3) aux États-Unis.   Pendant cette période la progression de la rémunération du travail a été plus limitée au Canada, permettant au secteur canadien des entreprises d’enregistrer un avantage de 8,3 points de pourcentage (31,6 contre 39,9).  Les coûts unitaires de main-d’œuvre exprimés dans la monnaie de chaque pays ont donc progressé de 18,2 points de pourcentage, soit de 6,4 points de pourcentage de moins qu’aux États-Unis.  Ici encore, comme le dollar canadien a perdu 18,4 p. 100 de sa valeur au cours de la période, les coûts unitaires de main-d’œuvre ont gagné 21,7 points de pourcentage une fois convertis en dollars américains.  En d’autres termes, la compétitivité du secteur canadien des entreprises par rapport à celui des États-Unis s’est améliorée de 28,1 p. 100 entre 1989 et 1998 par suite des compressions dans les accords salariaux et de la dépréciation de la monnaie; ces deux phénomènes s’expliquent par la stagnation de la demande intérieure et la dégradation des termes de l’échange attribuable au recul des cours mondiaux des matières premières enregistrées dans les années 1990.

Le dollar canadien s’est déprécié de 18,4 p. 100 vis-à-vis de son homologue américain entre 1989 et 1998, expliquant plus de 77 p. 100 de l’amélioration de la compétitivité, au niveau des coûts des entreprises canadiennes comparativement à leurs pendants américains au cours de la période.  Une monnaie faible constitue donc un moyen extrêmement efficace de stimuler la compétitivité à court et à long termes, mais surtout à court terme.  Les hausses de productivité, accompagnées d’augmentations de salaires équivalentes mais sans plus (dans un contexte non inflationniste), constituent cependant la stratégie la plus efficace, car elles ne supposent aucun fléchissement de la valeur externe des salaires, ce qui est compatible avec l’objectif de prospérité et d’amélioration du niveau de vie.

   B. Le niveau de vie au Canada

Le niveau de vie se mesure d’après le PIB par habitant; au Canada il était estimé en 1999 à 31 454 $.  Par contre, le niveau de vie de l’Américain moyen est évalué à 50 816 $, si l’on calcule 67 ¢ américains par dollar canadien, ou à 40 516 $, si l’on choisit le taux de 84 ¢ américains, comme le fait l’OCDÉ dans sa formule de calcul de la parité du pouvoir d’achat.  Celle-ci vise à rajuster le taux de change d’après un calcul du pouvoir d’achat de certaines devises par rapport à un panier de produits représentatifs.

D’après cette formule, la différence du revenu par habitant entre le Canada et les États-Unis dépasse 9 000 $ par année par personne.  Si l’on applique le taux de change en vigueur, c’est-à-dire 67 ¢, cette différence s’établit à plus de 19 000 $.   Par conséquent, l’écart du niveau de vie entre le Canada et les États-Unis est de 22 p. 100 ou de 38 p. 100, selon la méthode de calcul utilisée.

Figure 6

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Source : Organisation pour la coopération et le développement économiques

La figure 6, d’un autre côté, nous offre une comparaison plus large, en illustrant les niveaux de vie des pays du G-7 pour 1998(26).  Comme les États-Unis ont enregistré la productivité la plus élevée des pays du G-7, il n’est pas étonnant que ce pays affiche le plus haut niveau de vie du monde.  Même si le Canada se situait en seconde place des pays du G-7 au début des années 1990, il se trouve maintenant en troisième position à égalité avec le Japon, s’étant fait dépasser par l’Allemagne.  L’écart de niveau de vie (en dollars américains constants de 1992) entre le Canada et les États-Unis s’est également élargi au cours de la période de huit points de pourcentage.

   C. Réconcilier la productivité et le niveau de vie

Si l’on compare le rang du Canada dans le G-7 pour le niveau de vie en 1989 et en 1996 et son rang pour la productivité en 1989 et en 1997, la similitude est frappante.  Dans le premier cas, le Canada est passé de la seconde à la troisième place, et dans le second, de la seconde à laquatrième place.  Qui plus est, l’écart de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis, qui s’établissait à 20 p. 100 en 1989, avait augmenté de trois points de pourcentage en 1999, tandis que l’écart de productivité ne s’était accru que d’un point de pourcentage.  Bien qu’il y ait un lien évident entre la productivité et le niveau de vie, ce lien n’est pas direct.  Il existe cependant une formule mathématique précise qui s’applique ici.  Le niveau de vie, ou la production par habitant (PIB), est égal à la production par heures travaillées multipliées par le nombre d’heures travaillées et divisées par le nombre de personnes dans l’économie, puis multipliées par le taux de participation à la population active :

PIB Heures travaillées Population active PIB

x
x
=
Heures travaillées Population active Population Population

Les deux facteurs, soit la production par habitant et la production par heures travaillées, devraient être très proches, à moins que quelque chose arrive au deuxième et au troisième termes de l’équation.

Figure 7

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Source : Statistique Canada

La figure 7 illustre la productivité et le niveau de vie au Canada au cours des deux derniers cycles économiques calculés selon cette formule mathématique.  Elle peut expliquer le déclin des niveaux de vie au Canada au cours des années 1990.  Ce n’est pas la productivité qui a diminué.  En fait, si vous considérez le PIB par travailleur, il n’y a eu aucune diminution dans les années 1990 par rapport aux années 1980.  L’explication tient dans la chute du nombre d’heures ouvrées, qui est attribuable à un chômage plus important et à un déplacement du travail à temps plein vers un travail à temps partiel, mais aussi, et surtout, à la très grande baisse du taux de participation de notre main-d’œuvre.  D’après la figure 7, entre 1989 et 1998, le taux de croissance du PIB par habitant a été inférieur à celui de la productivité du travail, dans une proportion qui représente exactement la somme des reculs du taux de participation, du taux d’emploi et du nombre d’heures par emploi au cours de cette période.   Cette évolution est exactement l’inverse de celle qui a été enregistrée de 1981 à 1989, au cours de laquelle la croissance du PIB par habitant a été plus forte que celle de la productivité du travail.   À cette époque, la participation de la main-d’œuvre, l’emploi et le nombre d’heures ouvrées par travailleur étaient tous positifs.

La tenue du niveau de vie du Canada au cours des années 1990 par rapport à celui des États-Unis s’explique également par ces relations économiques. Si le Canada a eu un niveau de vie inférieur à celui des États-Unis au cours des années 1990, cela tient au rendement moindre de son marché du travail, et non pas à la faiblesse relative de sa productivité.  En fait, le Canada s’est presque maintenu au niveau des États-Unis en ce qui concerne les taux de croissance de la productivité au cours des années 1990, mais il ne l’a pas suivi sur le plan des taux de croissance du niveau de vie.  Plus que tout, c’est peut-être la détérioration des termes de l’échange au cours de la période (c’est-à-dire, les prix des exportations divisés par les prix des importations) qui est à l’origine de ce phénomène.   Le déclin des termes de l’échange entraîne un ralentissement des revenus et une dégradation des perspectives d’emploi, deux facteurs qui se traduisent dans les données.  Pour ce qui est des niveaux, toutefois, plus de 95 p. 100 de l’écart des niveaux de vie peut s’expliquer par l’écart des niveaux de productivité entre les deux pays; les piètres conditions du marché du travail ne peuvent justifier que les 5 p. 100 qui restent.

L’AVENIR DE LA PRODUCTIVITÉ ET DU NIVEAU DE VIE AU CANADA

Dans le présent document, nous sommes revenus sur le passé pour mieux comprendre la situation actuelle sur les plans de la productivité, de la compétitivité et du niveau de vie.  Il reste maintenant à prévoir ce que sera l’évolution future de ces indicateurs sociaux.

À prime abord, il est tentant d’extrapoler le passé du Canada sur une décennie ou deux, sans plus.  C’est la façon la plus facile de résoudre le problème.  M. John McCallum, ancien économiste en chef à la Banque Royale du Canada, a justement choisi cette voie et propose la prévision conditionnelle suivante : si les tendances des années 1990 sont extrapolées sur la période allant jusqu’à 2010, le niveau de vie des Canadiens n’atteindra plus que 50 p. 100 de celui des Américains(27).  Cette conclusion assez explicite lance aux Canadiens un cri d’alarme qui devrait stimuler le débat public en vue de modifier les politiques de manière à stopper et à renverser ce déclin funeste.  Certes, on ne peut guère trouver à redire sur les motifs et les objectifs de cette marche à suivre, mais nous préférons emprunter ici une autre avenue.  La présente étude, si courte soit-elle, nous donne visiblement des raisons suffisantes de penser que cette prévision n’a guère de chances de se produire.

Il est en effet peu probable que les tendances économiques enregistrées au cours des années 1990 se poursuivent tout au long de la première décennie du XXIe siècle.  De fait, les tendances de certains indicateurs économiques essentiels (productivité et niveau de vie) se sont révélées différentes durant la deuxième moitié des années 1990 que pendant la première.  Elles sont en fait meilleures et plus encourageantes.  Les termes de l’échange se sont améliorés remarquablement en 1999 et en 2000.   L’investissement dans le capital physique, notamment dans le matériel et l’outillage, s’est considérablement accru depuis le début des années 1990.  Le marché du travail prend de l’expansion sur les plans du taux d’activité aussi bien que du déclin du chômage.  Par conséquent, cette évolution récente du marché du travail devrait normalement entraîner un réalignement de la croissance du niveau de vie sur la croissance de la productivité, ce qui devrait suffire à stopper l’élargissement de l’écart entre les niveaux de vie du Canada et des États-Unis.  Reste une question capitale en ce qui concerne la politique publique : la reprise de la croissance de la productivité au Canada l’année dernière (2,2 p. 100 au cours de la première moitié de 2000) est-elle le début d’une tendance ou simplement l’effet d’une évolution cyclique? Si nous retenons la deuxième réponse, nous donnerons sans doute raison aux pessimistes.  Par contre, si nous choisissons la première, il est probable que le Canada augmentera sa productivité au regard des États-Unis.

Cette éventualité a plus de chances de se produire si la reprise de la productivité américaine, laquelle est liée à la lenteur avec laquelle les investissements en informatique apportent leurs effets sur le secteur des entreprises, se concrétise jamais au Canada.  En effet, les investissements des entreprises dans les technologies de l’information et des communications se sont faits au Canada avec un décalage par rapport aux États-Unis.  On peut donc supposer que leur rendement, sous forme de hausse des niveaux de productivité et des taux de croissance liés à la révolution de l’information sont sur le point de se produire.  Enfin, le présent document demeure restreint, en ce sens qu’il jette un regard rapide sur les raisons possibles de la tenue du Canada en matière de productivité.  Il n’approfondit pas tous les facteurs déterminants à cet égard, omettant notamment ceux qui sont d’une façon ou d’une autre liés aux politiques publiques.  Nous avons néanmoins évoqué l’apport de la politique commerciale du Canada à la productivité du secteur manufacturier, particulièrement grâce à l’ALÉ.  Une évolution positive des autres politiques gouvernementales touchant la fiscalité, la réglementation, la R-D et le perfectionnement du capital humain — à condition d’être assez ample et stable à long terme — pourrait probablement amenuiser les écarts déjà anciens entre le Canada et les États-Unis sur les plans de l’innovation, de la productivité et du niveau de vie.


(1) Son point faible, s’il faut lui en attribuer un, c’est qu’elle ne tient pas bien compte de l’amélioration qualitative des produits et qu’elle ne reflète pas assez les progrès technologiques. Elle sous-estime donc la véritable croissance à long terme de la productivité canadienne.

(2) Le choix entre les deux dépend habituellement de l’usage qu’on veut en faire. La productivité du travail est préférable lorsqu’on mesure la productivité sous l’angle des niveaux de vie, à cause de la relation étroite entre les deux notions. Par contre, la productivité multifactorielle convient mieux à l’étude et à l’évaluation des décisions relatives à l’allocation des ressources, prises à l’échelle des sociétés, des industries, des secteurs ou des économies.

(3) Il existe plusieurs problèmes de mesure : le premier tient à l’indépendance des mesures concernant les extrants et les intrants — problème particulier aux industries de services qui construisent les indices d’extrants en fonction des mesures de leurs intrants; le deuxième problème concerne le recours à des indices-chaînes, ou à pondération fixe, pour comparer des prix ou des quantités appartenant à deux périodes différentes. La plupart des économistes-statisticiens préfèrent l’indice-chaîne pondéré, car il permet de mieux saisir l’évolution des structures de prix. À ce jour, seuls les États-Unis ont adopté des indices-chaînes pondérés.

(4) Ce chiffre se fonde sur un indice des niveaux de productivité selon lequel les États-Unis équivalent à 100. Pour les fins des comparaisons directes, tous les chiffres sur la productivité des pays du G-7 sont convertis en dollars américains au moyen de la formule de la parité du pouvoir d’achat (PPA) de 1999.

(5) Les Américains travaillent plus d’heures chaque semaine que les Canadiens. En moyenne, les salariés des industries manufacturières travaillent 37,5 heures par semaine au Canada, contre 42 aux États-Unis. De plus, le travailleur nord-américain moyen travaille un plus grand nombre d’heures par semaine et un plus grand nombre de semaines par année que son homologue européen. Cela implique, en ce qui concerne les données ci-dessus sur la productivité, que si vous prenez un nombre donné d’employés et que vous leur faites faire des heures plus longues (à l’intérieur de certaines limites), vous obtiendrez des gains de productivité.

(6) Les États-Unis ont récemment révisé leurs données afin que les investissements dans les logiciels soient traités comme des dépenses d’établissement amortis sur leur durée de vie prévue plutôt que des dépenses de consommation. Le Canada n’a pas procédé à une telle révision. Cela a exercé un effet négatif sur les niveaux de productivité américaine pendant la période allant de 1950 à 1980, et un effet positif pendant la période allant de 1980 à 1999, ce qui permet de supposer que le meilleur rendement des États-Unis pour la période visée est en partie une aberration statistique.

(7) Donald Daly et Michael Helfinger, Small Business in Canada – U.S. Manufacturing Productivity and Cost Comparisons, Centre d’étude des niveaux de vie, conférence sur l’écart de productivité dans les secteurs manufacturiers Canada-États-Unis, 2000 page 14.

(8) J.B. DeLong et L.H. Summers, « Equipment Investment and Economic Growth », Quarterly Journal of Economics, 106, 1991, p. 445-502.

(9) Qui plus est, un stock de capital vieillissant suppose des frais d’entretien et de réparation plus élevés par unité de production, et l’affectation de ressources provenant d’autres activités productives aux réparations et à l’entretien ne peut certainement pas se solder par un essor de la productivité.

(10) Voir S. Gera, W. Gu et F.C. Lee, Progrès technique incorporé au capital et ralentissement de la croissance de la productivité au Canada, Industrie Canada, document de travail no 21, 1998, p. 13.

(11) Centre d’étude du niveau de vie, Productivity : Key to Economic Success, mars 1998, p. 32.

(12) Pour en savoir plus sur les études internationales concernant la TCI et la productivité, voir S. Gera, W. Gu et F.C. Lee, Technologie de l’information et croissance de la productivité du travail : analyse empirique de la situation au Canada et aux États-Unis, Industrie Canada, document de travail no 20, mars 1998.

(13) Grâce à l’amélioration de la distribution et du transport de l’électricité, les usines ont pu : a) être situées plus loin des voies navigables; b) adopter une forme plus allongée et rectangulaire mieux adaptée aux chaînes de montage (comme celles de la Ford); et c) délaisser les centres-villes pour s’installer dans les banlieues industrielles, de manière à pouvoir s’étendre sur une superficie plus grande. Toutefois, les manufacturiers n’étaient pas disposés à abandonner sur-le-champ leurs usines ni leur équipement. Mais ce n’est qu’une fois leurs installations suffisamment amorties et désuètes qu’il leur est devenu financièrement possible de tirer pleinement parti des avantages de l’électricité sur le plan de la productivité en procédant à des restructurations.

(14) La productivité de chacun étant devenue fortement dépendante de celle d’autrui dans un tel cadre, on peut supposer que le fait d’abandonner la prise de décisions à un chef d’atelier visait à faire en sorte que personne ne se dérobe à ses obligations. Ainsi, l’autorité directe a remplacé les liens contractuels comme mécanisme principal de régie.

(15) Les principes clés qui sous-tendent les techniques de production de masse sont la normalisation du produit et des pièces, la spécialisation de l’équipement et l’élimination de la main-d’œuvre spécialisée sur la chaîne de montage.

(16) Les principes clés derrière les techniques de production maigres sont la disponibilité « juste à temps » des pièces, qui permet d’économiser sur les stocks; le contrôle autonome des défauts; la possibilité pour les travailleurs des chaînes de montage d’arrêter le processus lorsqu’ils découvrent un défaut, jusqu’à ce que la source du problème soit trouvée et corrigée, de manière à économiser au niveau du travail de reprise et des rappels de fabricants, qui sont onéreux; et le remplacement des travailleurs non spécialisés et spécialisés par des équipes multidisciplinaires qui contribueraient davantage, par l’entremise des « cercles de qualité », à l’amélioration de la production.

(17) On verra dans la prochaine section que, en fait, les choses ne sont pas vraiment égales par ailleurs. C’est à partir de la fin des années 1970 que les divergences ont commencé à se faire sentir entre les deux secteurs, sans doute à cause des forces irrépressibles de la mondialisation et de la spécialisation qui s’est ensuivie, mais l’ALÉ a peut-être forcé une spécialisation encore plus grande des deux économies.

(18) Dans le calcul de la productivité du secteur de l’électronique, le Bureau de la statistique des États-Unis corrige les prix réels des produits (p. ex., les ordinateurs) pour tenir compte des différences de qualité (puissance de calcul et autres caractéristiques), ajustement inexistant au Canada. Il s’ensuit que l’indice des prix de ces produits croît plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis (en fait d’après cet indice, les prix ont progressé de 9 p. 100 au Canada mais reculé de 51 p. 100 aux États-Unis entre 1992 et 1995), ce qui aboutit à un taux de croissance de la productivité supérieure aux États-Unis. L’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis dans cette branche d’activité est donc essentiellement, mais pas totalement, une aberration statistique. Il faut se garder d’accorder une trop grande importance à cette disparité et de voir dans cette branche d’activité une des causes de l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis.

(19) Organisation pour la coopération et le développement économiques, Principaux indicateurs de la science et de la technologie, 1, 1999, tableau 5.

(20) Certains affirment que, avant 1973, la R-D américaine comptait pour environ 0,9 point de pourcentage dans l’accroissement de la productivité des facteurs au Canada, et que cet effet de coup de pouce a été ramené entre 0,3 et 0,4 point avec la baisse de la R-D aux États-Unis depuis 1973. Voir J. Bernstein et T. Mamuneas, The Contribution of U.S. Spending to Manufacturing Productivity Growth in Canada, document présenté lors de la conférence de janvier 2000 du Centre d’étude du niveau de vie. Il faut cependant faire une réserve ici. Curieusement, les auteurs de ce document ne se servent pas de variables de contrôle pour tenir compte des autres facteurs qui contribuent au ralentissement de la croissance de la productivité comme la baisse de la demande globale au Canada dans les années 1990 ou la possibilité que les gestionnaires canadiens aient moins bien réussi qu’avant à exploiter le potentiel de la R-D américaine et ne distinguent donc pas suffisamment le capital R-D en tant qu’explication potentielle.

(21) Daniel Treffler, « Does Canada Need A Productivity Budget? », Policy Options, 20 juillet 1999, p. 68.

(22) J.R. Baldwin et D. Sabourin, Technology Adoption : A Comparison Between Canada and the United States, août 1998, p. ix et p. 27.

(23) Organisation des Nations Unies, World Investment Report 1999 : Trends and Determinants, 1999.

(24) Daniel Treffler, « Does Canada Need a Productivity Budget? », (1999), p. 69.

(25) J.R. Baldwin, E. Rama et D. Sabourin, Croissance de l’utilisation des technologies de pointe dans le secteur canadien de la fabrication durant les années 1990, Statistique Canada, 11F0019MPE no 105, 2000 p. 30.

(26) Ce graphique est fondé sur un indice où les États-Unis équivalent à 100. Aux fins de la comparaison directe, les valeurs du PIB par habitant de tous les pays du G-7 ont été converties en dollars américains.

(27) John McCallum, « Le Canada comptera-t-il pour quelque chose en 2020? », Conjonctures, Banque Royale du Canada, février 2000.