PRB 00-31F

L'UNION SOCIALE CANADIENNE : QUESTIONS RELATIVES
AU PARTAGE DES POUVOIRS ET AU FÉDÉRALISME FISCAL

Rédaction :

Robert B. Asselin
Division des affaires politiques et sociales
Le 18 janvier 2001


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

BREF HISTORIQUE DE L’UNION SOCIALE

LE PARTAGE DES POUVOIRS DANS LE DOMAINE SOCIAL

   A. Fondements de l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine social

      1. Le pouvoir fédéral de dépenser

      2. La Charte des droits et libertés de 1982

      3. Les normes nationales

      4. Le droit de retrait avec compensation (« Opting Out »)

L’UNION SOCIALE ET LE FÉDÉRALISME FISCAL

   A. Mécanismes de transferts

      1. Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux

      2. Le programme de péréquation

   B. Problématiques relatives au fédéralisme fiscal canadien

      1. Le déséquilibre vertical

      2. Le déséquilibre horizontal

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE


L'UNION SOCIALE CANADIENNE : QUESTIONS RELATIVES
AU PARTAGE DES POUVOIRS ET AU FÉDÉRALISME FISCAL

INTRODUCTION

Au Canada, le gouvernement fédéral a exercé, depuis le début du siècle dernier, une influence considérable dans le domaine social, et ce, essentiellement par l’entremise de transferts fiscaux.  Lors de leur rencontre annuelle, en 1997, les premiers ministres provinciaux et territoriaux ont convenu d’entamer un processus qui les mènerait à renégocier avec le gouvernement fédéral les termes d’une union sociale renouvelée.  Les pourparlers entre les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont poursuivis et de nombreuses rencontres interprovinciales et territoriales ont eu lieu pour tenter d’en arriver à une position commune sur une éventuelle proposition d’entente avec le gouvernement fédéral sur l’union sociale(1).  En août 1998, à l’occasion de leur réunion annuelle à Saskatoon, tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux se sont entendus sur un cadre de projet d’entente.  Subséquemment, le gouvernement fédéral s’est joint aux négociations et une entente fédérale-provinciale-territoriale a été conclue le 4 février 1999.

En dépit du refus du gouvernement du Québec d’y adhérer(2), l’entente sur l’union sociale intervenue entre le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux le 4 février 1999 a marqué une étape importante dans l’évolution des relations intergouvernementales.  Malgré son caractère non constitutionnel(3), l’entente conclue entre les premiers ministres visait essentiellement à clarifier le rôle du gouvernement canadien dans le domaine social, à circonscrire le pouvoir fédéral de dépenser et à assurer une plus grande imputabilité quant aux services rendus aux citoyens et citoyennes. 

En 1998, le gouvernement du Canada résumait ainsi les trois principaux objectifs qu’il poursuivait dans le renouvellement de l’union sociale canadienne :

1)  promouvoir l’égalité des chances pour les Canadiens et les Canadiennes, peu importe leur lieu de résidence;

2)  améliorer la collaboration entre les deux niveaux de gouvernement pour mieux servir les Canadiens et les Canadiennes;

3)  accroître l’imputabilité auprès des Canadiens et des Canadiennes en ce qui a trait aux résultats obtenus.

Quant à eux, les gouvernements provinciaux et territoriaux partageaient, de manière relativement consensuelle, les buts suivants :

1)  établir des règles qui régissent le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine social, et ce, à l’intérieur d’un cadre non constitutionnel(4);

2)  éviter les dédoublements et favoriser l’harmonisation des politiques sociales;

3)  favoriser une plus grande collaboration intergouvernementale dans le domaine des politiques sociales.

À l’exception du Québec, il semble que les niveaux fédéral et provinciaux-territoriaux aient, de par leur adhésion à l’entente du 4 février 1999, réussi à respecter les objectifs qu’ils s’étaient fixés, non sans avoir fait de part et d’autre certains compromis.  

Dans le présent texte, nous traiterons des deux principaux aspects qui régissent l’union sociale canadienne sur le plan des relations intergouvernementales, soit le partage des pouvoirs et le fédéralisme fiscal.  Nous amorcerons la présente étude par un bref historique de l’union sociale canadienne.  Par la suite, nous examinerons la question du partage des pouvoirs dans le domaine social, en mettant l’accent sur les fondements de l’intervention et du rôle du gouvernement fédéral.  Finalement, nous nous pencherons brièvement sur l’incidence du fédéralisme fiscal sur l’union sociale. 

BREF HISTORIQUE DE L’UNION SOCIALE

En 1867, les Pères de la Confédération savaient fort bien qu’en concluant le pacte fédératif, ils empruntaient le chemin du compromis.   On ne saurait d’ailleurs en dire plus long sur l’éloquence des mots pacte et fédération.  Le fédéralisme canadien d’hier et d’aujourd’hui s’inspire à la fois des notions d’unité et de diversité, de partage et d’autonomie.  L’histoire du Canada depuis 1867 nous rappelle néanmoins les nuances et les imperfections du système fédératif canadien.  Comment est-il possible de concilier les intérêts nationaux et régionaux d’un pays aussi vaste et diversifié?  Comment les deux niveaux de gouvernement peuvent-ils collaborer tout en respectant les champs de compétences des uns et des autres?  Voilà des questions qui contribuent depuis longtemps à alimenter à la fois le procès et les fondements du fédéralisme canadien. 

Au moment de la création du Canada, en 1867, les rôles des gouvernements dans le domaine social étaient relativement limités.  À cette époque, la population du Canada ne comptait pas plus de 3,5 millions d’habitants(5).  Lorsque le pays connut une phase de développement industriel au début du XXe siècle, le gouvernement fédéral n’était pas apte à répondre aux besoins des citoyens sur les plans social et économique.  À la suite du krach boursier d’octobre 1929, le Canada entra dans une crise économique sans précédent.  La crise économique, et quelques années plus tard, la guerre, créèrent des attentes au sein de la population pour que le gouvernement fédéral intervienne davantage dans la vie économique et sociale du pays.  Dans ces situations, la conjoncture et les circonstances firent en sorte que l’intervention du gouvernement fédéral s’avérait nécessaire pour pallier les besoins engendrés par la crise financière et l’effort de guerre.  De plus, l’émergence de la pensée keynésienne exerça une influence considérable au sein des États occidentaux.  Il ne fait nul doute que la capacité financière du gouvernement fédéral, de loin supérieure à celle des provinces, lui permettait également de mener à bien ses projets centralisateurs.

En 1940, la Commission royale des relations entre le Dominion du Canada et les provinces (Rowell-Sirois) avait émis des recommandations prônant une centralisation des pouvoirs vers Ottawa en proposant entre autres la mise sur pied d’un programme national de péréquation.  Après la guerre de 1939-1945, l’effort de reconstruction et la prospérité économique permis au gouvernement canadien d’affirmer son leadership dans le domaine social.  Dans la plupart des démocraties occidentales, l’on assista, durant cette période, au début de la construction et de l’édification de l’État-providence (welfare state).  Dans le présent contexte, le gouvernement fédéral se servit de son pouvoir de dépenser pour financer des mesures à caractère social, notamment le programme d’allocations familiales (1944), l’assurance-chômage(6) (1956) et l’assurance-hospitalisation (1957).  La plupart des initiatives furent à frais partagés, c’est à dire que leur financement provenait des deux niveaux de gouvernement.  Ottawa débuta aussi à verser des subventions aux universités et renouvela son engagement au programme de pensions de vieillesse (1951)(7).  Il est à noter que, mis à part l’opposition du gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral n’a pas été, durant cette période, assujetti à une opposition féroce de la part des provinces, malgré le fait qu’il ait implanté ces mesures unilatéralement(8).

Caractérisées par un développement économique et social d’envergure, les années 60 ont été aussi marquantes au niveau du développement des programmes sociaux.  Au Québec, la révolution tranquille a été caractérisée par des changements majeurs au niveau du développement des politiques sociales et de l’intervention de l’État.  Dans la plupart des provinces canadiennes, on a observé un phénomène similaire.

Le Québec est la province qui, historiquement, a contesté le plus farouchement l’intervention du gouvernement canadien dans le domaine social.  Instituée en 1953, la commission Tremblay avait pour principal mandat d’étudier les relations fiscales fédérales-provinciales et d’émettre des recommandations visant à garantir l’autonomie du Québec sur le plan fiscal(9).  C’est depuis le gouvernement dirigé par le premier ministre Duplessis, à la fin des années 40, que les désaccords entre les gouvernements du Canada et du Québec au sujet du partage des pouvoirs dans le domaine social ont connu leur effervescence(10). À cette époque, le premier ministre Duplessis contestait vigoureusement l’utilisation du pouvoir fédéral de dépenser.  Tous les premiers ministres qui lui ont succédé ont été constants dans leurs refus d’accorder au gouvernement fédéral la légitimité politique d’intervenir dans le domaine social.  Cela a sans doute contribué à donner naissance au fédéralisme de concurrence du début des années 80, qui fut axé sur l’unilatéralisme du gouvernement fédéral(11).

En somme, le gouvernement fédéral a exercé depuis le début du XXe siècle une influence considérable en matière d’élaboration de politiques publiques, et ce principalement en raison de ses moyens financiers supérieurs et de la taille et du niveau d’expertise de l’appareil étatique fédéral(12).

LE PARTAGE DES POUVOIRS DANS LE DOMAINE SOCIAL

Dans tous les systèmes politiques fédéraux, la répartition des pouvoirs législatifs revêt une importance particulière, puisqu’elle détermine le niveau d’autonomie et l’interdépendance des différents niveaux de gouvernement.  Au cours des dernières années, et pendant la plus grande partie de son histoire, le fédéralisme canadien a été marqué par une ambiguïté certaine quant au partage des pouvoirs entre les deux niveaux de gouvernement.  En 1867, le partage des pouvoirs législatifs n’était pas une mince besogne dans l’élaboration de la Constitution fédérale comme en témoignent les diverses interprétations données aux articles 91 à 95 de la Loi constitutionnelle de 1867.  Avec le temps, leur pertinence n’a cessé d’être sapée par les nouvelles technologies, le développement économique, l’urbanisation et l’évolution des aspirations par rapport au rôle de l’État.  Il faut aussi ajouter que la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit de nombreux pouvoirs législatifs concurrents, tels que l’agriculture, l’immigration et les pensions de vieillesse.

Les deux niveaux de gouvernement ont cherché à étendre de facto leurs pouvoirs législatifs aux dépens de l’autre niveau.  Régulièrement, on a recouru aux tribunaux pour obtenir un jugement sur l’ampleur des pouvoirs législatifs dévolus à chaque niveau de gouvernement.   Dans la première moitié du XXe siècle, les jugements rendus par le Comité judiciaire du Conseil privé ont généralement favorisé les provinces.  Les changements constitutionnels ayant trait au partage des pouvoirs se sont avérés rares, difficiles et controversés en dépit du fait que, dans les 30 dernières années, les propositions n’ont pas manqué en vue de modifier la Constitution.  La plus récente tentative de réforme constitutionnelle d’envergure, l’Accord de Charlottetown (1992), prévoyait de fait une décentralisation des pouvoirs et un encadrement du pouvoir fédéral de dépenser(13)

   A. Fondements de l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine social

L’interventionnisme du gouvernement fédéral en matière sociale est essentiellement de nature fiscale.  Néanmoins, certaines provinces, telles que l’Ontario et le Québec, ont maintes fois déploré les intrusions du gouvernement fédéral dans leurs champs de compétences.  Ce grief ne date pas d’hier.  À l’époque de la Confédération, MM. Honoré Mercier et Oliver Mowat, respectivement premiers ministres du Québec et de l’Ontario, avaient vigoureusement défendu le principe de l’autonomie provinciale.  Qu’en est-il des fondements de l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine social?

      1. Le pouvoir fédéral de dépenser

Le pouvoir fédéral de dépenser existe dans la majorité des régimes politiques fédéraux(14).  Sans vouloir faire une analyse exhaustive du droit constitutionnel canadien en matière de répartition des pouvoirs législatifs, il nous semble opportun d’apporter quelques précisions quant aux principaux fondements du pouvoir de dépenser, qui a été souvent dénoncé par les provinces les plus autonomistes(15)

Le pouvoir fédéral de dépenser n’est pas explicitement décrit et reconnu dans aucun texte de loi, pas même à l’intérieur de la Constitution.  De l’avis de plusieurs juristes, il découle et prend sa source de d’autres pouvoirs énumérés aux articles 91.1(A), 91.3, 102 et 106 de la Loi constitutionnelle de 1867(16) et dans l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 (disparités et inégalités régionales)(17).  La jurisprudence et la doctrine ont aussi reconnu le pouvoir de dépenser du gouvernement canadien(18).  Dans le cadre de différents arrêts, la Cour suprême du Canada a établi une distinction entre les trois pouvoirs suivants : le pouvoir de taxation (article 91.3), le pouvoir de dépenser et le pouvoir de légiférer.  Dans la Constitution, les trois pouvoirs ne sont pas reliés.  Pour la Cour, le pouvoir d’allouer des crédits (pouvoir de dépenser) se distingue du pouvoir de légiférer(19).  En termes simples, le gouvernement fédéral peut dépenser comme il lui convient les sommes qu’il perçoit en vertu de son pouvoir de taxation.  En autant qu’il ne légifère pas directement dans des compétences provinciales reconnues par les articles 92 à 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, le gouvernement fédéral peut utiliser son pouvoir de dépenser sans que celui-ci soit jugé inconstitutionnel. 

Il convient de noter que les provinces dépensent également dans des domaines qui ne sont pas de leurs compétences.  À titre d’exemple, les gouvernements du Québec et de l’Ontario ont dépensé considérablement au cours des 30 dernières années dans les relations internationales et ont ainsi établi plusieurs délégations à l’extérieur du pays.   Or, la Constitution ne reconnaît pas explicitement aux provinces cette compétence.  Cela n’a pas pour autant l’effet d’être inconstitutionnel.  Malgré le fait que ces provinces dépensent dans une compétence qui ne leur est pas reconnue par la Constitution, cela n’a pas la même portée que si elles légifèrent à l’intérieur d’une compétence qui ne leur est pas dévolue.   Du point de vue constitutionnel, dépenser n’a donc pas la même portée que légiférer(20).  En réalité, les deux niveaux de gouvernement ont accordé une grande variété de subventions et de paiements à des particuliers ainsi qu’à des organismes et ils ont agi comme si leur pouvoir de dépenser était pour ainsi dire illimité.

Lors du discours du Trône de 1996, le gouvernement fédéral s’engagea à travailler en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux au renouvellement de l’union sociale et exprima son désir de limiter son pouvoir de dépenser dans le domaine social(21).  Cette annonce marqua un changement important dans l’approche du gouvernement fédéral eu égard à l’union sociale et laissait présager la pratique d’un fédéralisme davantage collaborationniste.  

Il faut comprendre que la nature des divergences entre les provinces et le gouvernement fédéral émerge essentiellement du fait qu’en plus de financer en partie des programmes qui ne relèvent pas de ses compétences constitutionnelles, le gouvernement fédéral a préconisé, dans la plupart des cas, une approche unilatérale dans l’établissement de nouvelles initiatives(22).  Le gouvernement fédéral a toujours soutenu qu’il serait difficile de maintenir la cohésion et des normes nationales en matière sociale sans l’utilisation de son pouvoir de dépenser.   Ainsi présenté, le pouvoir fédéral de dépenser constitue un outil national de développement social qui permet aussi à l’État fédéral de réduire les disparités entre les provinces au sein de la fédération.

Lorsqu’il est utilisé, le pouvoir de dépenser permet au gouvernement fédéral d’établir des priorités dans le domaine où il juge opportun d’investir.  Le politologue M. Daniel Cohn résume ainsi la situation actuelle :

Bien que [les provinces] soient responsables de satisfaire aux règles auxquelles sont assujettis les crédits fédéraux et d’assurer les soins de santé, elles ne participent aucunement à l’interprétation des règles auxquelles elles doivent répondre.(23)

Bien qu’ils bénéficient d’un financement qui n’est pas négligeable dans le cadre des programmes à frais partagés, les provinces et les territoires n’épousent pas toujours pour autant les buts visés par Ottawa.   Dans l’entente sur l’union sociale de février 1999, les gouvernements signataires se sont entendus pour collaborer à l’établissement des priorités et des objectifs pancanadiens.  Pour sa part, le gouvernement fédéral s’est engagé à ne pas créer de nouvelles initiatives sans le consentement de la majorité des provinces.  Il faut aussi noter que, dans le passé, le gouvernement fédéral a souvent profité d’une conjoncture favorable, qu’elle ait été de nature politique ou financière, pour lancer de nouvelles initiatives en matière sociale.  Historiquement, cela a été le cas lorsque le gouvernement fédéral s’est trouvé en situation de surplus budgétaire. 

Même si les gouvernements provinciaux et territoriaux sont titulaires des principaux pouvoirs constitutionnels qui régissent la livraison des services dans le domaine social, dont les soins de santé et l’éducation, le gouvernement fédéral a depuis toujours exercé une influence considérable sur les politiques sociales, que ce soit par l’utilisation de son pouvoir de dépenser ou par l’établissement de normes nationales.  Selon l’économiste M. Robin Boadway, le pouvoir fédéral de dépenser a des vertus économiques et sociales, dont les deux principales sont l’efficacité et l’équité(24).  La redistribution de la richesse collective est le principal moyen utilisé par le gouvernement fédéral pour atteindre ces objectifs.

      2. La Charte des droits et libertés de 1982

À la suite de l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982, le gouvernement fédéral a accru ses responsabilités sociales envers les citoyens et les citoyennes canadiens.  Dans le paragraphe 36(2), le gouvernement canadien s’engage à verser aux provinces les paiements de péréquation afin de leur fournir « [] des revenus suffisants pour assurer des services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables»(25).  Cet article vise à promouvoir l’égalité des chances et à assurer la mobilité des personnes.   Le professeur Hogg argumente qu’il y a également là une justification du pouvoir fédéral de dépenser(26).

      3. Les normes nationales

Les normes nationales constituent un aspect contesté de l’union sociale canadienne.  Elles permettent au gouvernement fédéral d’établir et de maintenir des standards uniformes dans l’ensemble du pays dans le domaine social.  Outre les cinq critères énoncés dans la Loi canadienne sur la santé(27), les normes nationales sont relativement limitées.  De fait, seul les secteurs de la santé et de l’aide sociale en font l’objet(28).  Le juriste M. Steven Kennett exprime ainsi la problématique relative aux normes nationales sur le plan des relations fédérales-provinciales-territoriales :

La division des pouvoirs permet au mieux au gouvernement fédéral d’espérer amener une perspective nationale en mettant sur pied des normes nationales, mais il ne peut se substituer aux rôles des provinces et de leurs responsabilités premières de conception et de livraison de programmes sociaux.(29)

Pour les tenants des normes nationales, il est justifié que les Canadiens et les Canadiennes aient droit, peu importe où ils habitent, à des niveaux de services comparables, en vertu des principes de la mobilité et de l’équité.   Ainsi, l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 rendrait légitime la mise en œuvre de normes nationales dans le domaine social. 

Par ailleurs, il semble que les programmes gouvernementaux nationaux en matière sociale soient de plus en plus le reflet d’une vision de la citoyenneté canadienne inspirée d’un certain libéralisme social.  En effet, les nombreux programmes sociaux initiés par le gouvernement fédéral depuis la Deuxième Guerre mondiale ont eu une influence considérable sur la construction d’une identité canadienne propre(30).  Plusieurs citoyens affichent une grande fierté à faire partie d’un pays qui, de par l’établissement de programmes nationaux, a voulu promouvoir des idéaux de partage social, de redistribution de la richesse et d’équité(31).

Pour leur part, les partisans de l’abolition ou de la limitation des standards nationaux prônent généralement le non-respect des compétences provinciales et territoriales, l’importance de la transparence et le besoin d’innover pour s’y opposer.  Selon eux, les normes nationales ont un effet de centralisation des pouvoirs vers le gouvernement fédéral et tendent à restreindre considérablement la marge de manœuvre des provinces et des territoires dans le domaine social.  Il va sans dire que ces arguments sont d’autant plus entendus au sein des provinces les plus autonomistes.

      4. Le droit de retrait avec compensation (« Opting Out »)

Le droit de retrait avec compensation se traduit par la capacité d’une province ou d’un territoire de se retirer de tout nouveau programme social pancanadien dans les secteurs de compétence provinciale-territoriale avec pleine compensation financière, en autant que la province ou le territoire offre un programme ou une initiative qui rencontre les objectifs pancanadiens.  En vertu de l’entente sur l’union sociale de 1999, les provinces et territoires disposent d’un droit de retrait implicite (que l’on pourrait qualifier de partiel) et qui s’applique strictement aux nouvelles initiatives pancanadiennes soutenues par des transferts aux provinces-territoires, et donc, aux programmes à frais partagés(32) :

Un gouvernement provincial ou territorial qui, en raison de sa programmation existante, n’aurait pas besoin d’utiliser l’ensemble du transfert pour atteindre les objectifs convenus, pourrait réinvestir les fonds non requis dans le même domaine prioritaire ou dans un domaine prioritaire connexe.(33)

Puisque les programmes sociaux relèvent de compétences provinciales et territoriales, le droit de retrait s’avère un compromis politique du gouvernement fédéral qui permet ainsi aux provinces et aux territoires d’exercer l’autonomie qui leur est conférée par la Constitution quant à l’élaboration et à la livraison de nombreux programmes sociaux.  Néanmoins, il est possible que cette disposition-clé de l’entente sur l’union sociale contribuera à accentuer la présence d’un fédéralisme asymétrique.

L’UNION SOCIALE ET LE FÉDÉRALISME FISCAL

En raison de ses pouvoirs étendus de taxation et de sa capacité fiscale, le gouvernement fédéral a depuis toujours détenu un avantage considérable sur les provinces et les territoires en matière fiscale.  Par conséquent, le pouvoir fédéral de dépenser continue de s’avérer un outil d’intervention extrêmement puissant pour le gouvernement canadien.   Il est à noter que l’entente sur l’union sociale de février 1999 a fortement légitimé l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser.

Les transferts de l’État fédéral aux provinces existent depuis la Confédération.  Ils ont joué un rôle important dans le financement des dépenses publiques provinciales et territoriales dans toute l’histoire du Canada, particulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale.  Comme nous l’avons constaté précédemment, il existe des arguments économiques qui justifient les subventions fédérales-provinciales-territoriales et, par extension, l’utilisation du pouvoir fédéral de dépenser.

   A. Mécanismes de transferts

Depuis le début de la Confédération, mais surtout depuis les années 50, Ottawa a mis en place différents mécanismes de transferts fiscaux.   On en distingue deux principaux : les transferts aux provinces, qui sont versés en espèces et en points d’impôt, et les transferts aux individus.  Les principaux transferts fiscaux actuels versés aux provinces et aux territoires sont :

1)  le Transfert canadien social en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS);

2)  le programme de péréquation(34);

3)  la formule de financement des territoires. 

Le TCSPS comprend une composante de transferts en espèces et une composante de transferts en points d’impôt.  Dans les cas de transferts en points d’impôt, le gouvernement fédéral cède de l’espace fiscal en réduisant ses impôts pour permettre aux provinces d’augmenter les leurs du même montant.  Il s’ensuit une augmentation des recettes provinciales sans que le fardeau fiscal global des Canadiens ne soit augmenté. 

Le TCSPS est versé à toutes les provinces et à tous les territoires pour financer les programmes de santé, d’enseignement postsecondaire et d’aide sociale.  Il est certain que les provinces moins bien nanties sont davantage dépendantes des transferts au niveau de leurs recettes fiscales.  Par exemple, en 2000-2001, les transferts versés à la Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve et à l’Île-du-Prince-Édouard représentent plus de 40 p. 100 de leurs recettes totales(35).  Le tableau suivant fait état des transferts pour chacune des provinces et chacun des territoires pour l’exercice 2000-2001.

Transferts fédéraux aux provinces et aux territoires, exercice 2000-2001

Province-territoire

Montant total
des transferts(36)
(en milliards de dollars
)

Apport des transferts
dans les recettes
provinciales/territoriales
(en %)

Terre-Neuve

1,5

42

Île-du-Prince-Édouard

0,373

42

Nouvelle-Écosse

2,2

43

Nouveau-Brunswick

1,8

39

Québec

11,9

25

Ontario

11,8

19

Manitoba

2,2

35

Saskatchewan

1,0

16

Alberta

3,0

16

Colombie-Britannique

4,1

19

Territoires du Nord-Ouest

0,581

77

Yukon

0,358

74

Nunavut

0,584

91

Source : Ministère des Finances du Canada

En plus des transferts fiscaux aux provinces et aux territoires, le gouvernement fédéral alloue également des argents directement aux individus et aux organismes.  C’est le cas entre autres pour le Régime de pensions du Canada(37), le Régime d’assurance-emploi (anciennement le Régime d’assurance-chômage) et plus récemment, pour la Fondation canadienne pour l’innovation et les Bourses du millénaire.

L’introduction de ce type d’initiatives a souvent eu pour effet de provoquer des chevauchements avec certains programmes déjà implantés dans les provinces.   Certaines mesures introduites récemment ont fait l’objet de critiques sévères de la part du gouvernement du Québec.  Le gouvernement québécois a reproché au gouvernement fédéral d’agir unilatéralement et de ne pas tenir compte des spécificités de ses programmes.  Les Bourses du millénaire, annoncées en 1997, en constituent un exemple.  Pour sa part, le gouvernement fédéral actuel a maintenu qu’en vertu de ses obligations constitutionnelles, il avait le devoir de veiller à l’amélioration du bien-être des Canadiens et des Canadiennes et de redistribuer la richesse collective aux individus dans le besoin. 

Pour ce qui est des transferts fédéraux-provinciaux-territoriaux servant à financer les programmes à frais partagés, les provinces et les territoires détiennent une autonomie complète quant à la gestion et à l’affectation des sommes allouées.  Cela ne s’applique pas aux transferts directs aux individus où c’est le gouvernement fédéral qui s’occupe de l’administration et de la livraison des programmes. 

      1. Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux

Depuis les années 60, de nombreux mécanismes de coopération intergouvernementale ont pris place au sein de la fédération canadienne.  La prolifération du rôle de l’État a eu pour effet d’augmenter considérablement les responsabilités des gouvernements et par conséquent d’accroître la coopération entre les deux ordres de gouvernement.  Force est de constater que cela s’est souvent produit à partir de la volonté du gouvernement fédéral d’établir des priorités qui lui étaient propres sans se préoccuper outre mesure des revendications des provinces.   En 1996, le gouvernement fédéral instaurait une nouvelle formule de financement en ce qui concerne les transferts aux provinces.  Le Transfert canadien en matière de santé et de programmessociaux (TCSPS) marqua un changement majeur dans les relations fédérales-provinciales.  Selon M. Harvey Lazar,

Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux est peut-être la décision la plus importante du gouvernement fédéral influençant les relations avec les provinces.(38)

Le TCSPS est venu substituer les deux anciens régimes de transferts aux provinces et aux territoires, soit le Financement des programmes établis (FPE) qui couvrait les domaines de la santé et de l’enseignement postsecondaire, ainsi que le Régime d’assistance publique du Canada (RAPC) qui lui touchait les domaines des services sociaux et de l’aide sociale. 

Contrairement au FPE et au RAPC, le TCSPS est un mode de financement global qui regroupe l’ensemble des transferts aux provinces et territoires dans le domaine social.  En 2000-2001, le gouvernement fédéral versera sous l’égide du TCSPS 18,3 milliards de dollars aux provinces et territoires(39).  Une loi fédérale prévoit d’ailleurs le cadre de financement qui comprend des transferts en espèces et des transferts de points d’impôts aux provinces.

Il faut se rappeler qu’au moment de son implantation, le TCSPS avait reçu de la part des provinces un accueil plutôt froid.  Le gouvernement fédéral affirmait avoir mis en place cette nouvelle formule de financement pour répondre aux pressions des provinces d’obtenir plus d’autonomie dans le domaine social.  Sous l’ancienne formule du FPE et du RAPC, le gouvernement fédéral attribuait des subventions à caractère conditionnel et inconditionnel.  Le fait que le financement du FPE et du RAPC soit rattaché à des conditions n’était pas sans déranger les provinces et les territoires (en 1977, le fédéral avait introduit des subventions conditionnelles globales dont la moitié s’effectuaient par l’entremise de transferts en espèces et l’autre moitié par des transferts en points d’impôts). 

Avec la mise en œuvre du TCSPS, les provinces devenaient dorénavant libres d’utiliser les fonds selon leurs priorités en matière de santé, d’éducation et de services sociaux.  Ottawa renonçait donc à imposer des conditions au financement qu’il accordait aux provinces et territoires en matière sociale, à l’exception des normes nationales contenues dans la Loi canadienne sur la santé et du droit d’accès à l’aide sociale sans durée minimale de résidence(40).

D’autre part, au moment d’introduire le TCSPS, en 1996, l’agenda fiscal du gouvernement libéral constituait clairement l’une de ses priorités.  D’importantes coupures budgétaires furent effectuées et les transferts aux provinces ne furent pas épargnés.  En fait, si l’on compare le montant total combiné des transferts du FPE  et du RAPC de 1995-1996 avec celui du TCSPS de 1996-1997, les provinces ont dû composer avec un manque à gagner de l’ordre de 2,5 milliards de dollars pour l’exercice 1996-1997 et de 4,5 milliards de dollars pour l’exercice 1997-1998(41).  Comparativement aux droits établis en vertu du FPE et du RAPC, qui s’étalaient à 29,7 milliards de dollars en 1995-1996, les montants associés au TCSPS étaient de l’ordre de 25,8 milliards de dollars en 1997-1998.

La volonté des provinces et des territoires d’établir des règles du jeu avec le gouvernement fédéral dans le financement des programmes sociaux s’est considérablement accrue à la suite des coupures importantes survenues en 1996.  Bien que l’implantation du TCSPS ait démontré la volonté du gouvernement fédéral de donner plus de flexibilité et d’autonomie aux provinces en matière sociale, les coupures massives dans les transferts sont rapidement devenues une source de tension dans les relations fédérales-provinciales(42).

En vertu de l’entente intervenue le 11 septembre 2000 entre les premiers ministres du Canada et des provinces et territoires sur le financement du secteur de la santé, le gouvernement fédéral versera 21,1 milliards de dollars de plus au cours des cinq prochaines années dans le TCSPS.  Le tableau suivant montre l’évolution des fonds alloués au TCSPS de 1997 à 2003.

Évolution des transferts relatifs au TCSPS

Année

TCSPS(43)
(milliards de dollars)

1997-1998

25,8

1998-1999

26,7

1999-2000

29,4

2000-2001

30,8

2001-2002

31,3

2002-2003

32,0

Source : Ministère des Finances du Canada.

Il est à noter qu’au cours des prochaines années, la proportion des transferts de points d’impôts augmentera considérablement par rapport aux transferts en espèces au sein du TCSPS.  Cela laisse présager une marge de manœuvre réduite pour le gouvernement fédéral dans son rôle d’agent de redistributeur de la richesse au sein de la fédération.

      2. Le programme de péréquation

Le programme de péréquation permet aux provinces moins prospères d’offrir à leurs citoyens et citoyennes des services publics de qualité sensiblement comparables à des niveaux de taxation sensiblement comparables.  Les paiements de péréquation ne sont assujettis à aucune condition.  Ainsi, les provinces bénéficiaires peuvent les dépenser selon leurs propres priorités en matière de services publics.  Le programme a été reconduit pour cinq ans en 1999.  En 2000-2001, les provinces recevront 9,8 milliards de dollars en paiements de péréquation du gouvernement fédéral.  À l’heure actuelle, sept provinces sont admissibles à la péréquation : Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan.

Les paiements de péréquation sont calculés selon une formule établie par une loi et un règlement fédéraux.  Les provinces dont la capacité de générer des recettes est inférieure à une norme établie ont droit à des paiements de péréquation de la part du gouvernement fédéral, de façon à amener leur capacité fiscale par habitant à la norme.  La capacité fiscale de chaque province est mesurée en fonction de plus de 30 sources de recettes (assiettes fiscales), dont l’impôt sur le revenu des particuliers, l’impôt des sociétés, les taxes de vente, l’impôt foncier et de nombreuses autres sources en supposant que la province a utilisé des taux moyens d’imposition pour chaque source.

   B. Problématiques relatives au fédéralisme fiscal canadien

Le fédéralisme fiscal canadien,  dans sa forme actuelle, comporte deux grandes problématiques :

1)  un déséquilibre fiscal vertical entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux-territoriaux; 

2)  un déséquilibre fiscal horizontal entre les provinces et les territoires.

      1. Le déséquilibre vertical

Il apparaît clair que la répartition constitutionnelle des pouvoirs d’imposition de 1867 ne correspond pas aux responsabilités actuelles des provinces et des territoires en matière de dépenses.  En 1867, les Pères de la Confédération ont opté pour un régime quasi fédéral en octroyant de larges responsabilités au gouvernement central.  De plus, à cette époque, ils n’ont pas pu pressentir l’accroissement considérable du champ d’action des gouvernements provinciaux. Indubitablement, cela a résulté en l’avènement de nombreux domaines de politiques publiques.  Parallèlement, à partir des années 60, les provinces et les territoires se sont dotés d’administrations publiques compétentes et élargies pour pallier le rôle accru de l’État dans la vie des gens.

N’eut été de la dépendance des provinces moins fortunées à l’égard des transferts fédéraux, il aurait été difficile pour le gouvernement fédéral de poursuivre avec autant de fermeté son engagement dans le domaine social au cours des 20 dernières années.  Mais en raison de l’assiette fiscale et des larges pouvoirs d’imposition accordés au gouvernement fédéral, les provinces et les territoires n’ont jamais réussi à être totalement autonomes sur le plan financier.

      2. Le déséquilibre horizontal

En plus du problème de la répartition fiscale entre les deux niveaux de gouvernement, les provinces et les territoires affichent également entre elles des différences significatives au niveau de leur assiette fiscale respective et, par conséquent, de leur capacité financière.  Cette considération revêt une importance particulière sur le plan du fédéralisme fiscal.  Par exemple, même si elles devaient obtenir plus d’autonomie en matière de financement des programmes sociaux, les provinces atlantiques ne disposeraient pas de la capacité financière pour les supporter aux mêmes coûts que les provinces les mieux nanties.  Les paiements de péréquation leur seraient insuffisants pour combler la difficulté à majorer leurs revenus.  Pour leur part, l’Ontario et l’Alberta, sont des provinces beaucoup plus indépendantes sur le plan fiscal puisqu’elles bénéficient d’une assiette fiscale beaucoup plus imposante.  Dès lors, l’on comprend pourquoi les provinces et les territoires dont la capacité fiscale est réduite sont plus réceptifs à l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser.   Il faut bien réaliser que sans l’appui financier du gouvernement fédéral, les provinces canadiennes pourraient difficilement offrir un niveau de services comparable, à des coûts semblables, dans le domaine social.

CONCLUSION

Le vide juridique qui découle de la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet pas de départager avec exactitude les rôles des deux niveaux de gouvernement en matière sociale.  En dépit d’une jurisprudence abondante, de nombreuses zones grises demeurent.  Par l’entremise de son pouvoir de dépenser, reconnu explicitement par le judiciaire, le gouvernement fédéral joue un rôle considérable dans le domaine social.  Parce que son rôle est surtout concentré dans le financement des programmes sociaux, il va sans dire que les orientations fiscales du gouvernement central comportent des incidences majeures sur l’union sociale canadienne.  Sur ce plan, le gouvernement canadien bénéficie d’une capacité fiscale qui, jusqu’à présent, lui a permis de remplir sa fonction de redistribution de la richesse entre les provinces-territoires.  Toutefois, cette capacité fiscale se trouve davantage affectée par le transfert croissant de points d’impôts vers les provinces et les territoires. 

L’avènement de la Charte, et plus particulièrement de l’article 36, a eu pour effet de favoriser un lien plus direct entre l’État fédéral et les citoyennes et les citoyens canadiens.  Ce lien s’est traduit par une augmentation des transferts directs aux individus, telles qu’en font foi les récentes initiatives fédérales destinées aux enfants (Prestation nationale pour les enfants), aux étudiants et étudiantes du niveau postsecondaire (les Bourses du millénaire) et aux chercheurs (Fondation canadienne pour l’innovation).  Par ailleurs, même si elles demeurent controversées, les normes nationales imposées par le gouvernement canadien restent relativement limitées. 

Même si elle laisse présager la pratique d’un fédéralisme de plus en plus collaborationniste, l’entente fédérale-provinciale-territoriale intervenue le 4 février 1999 n’a pas réussi à résoudre les problèmes de déséquilibres fiscaux verticaux et horizontaux.  Sur le plan politique, l’entente a contribué à exacerber les divergences entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec et, dans une large mesure, à légitimer l’exercice d’un fédéralisme de plus en plus asymétrique(44).

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(1) Dans la présente étude, le terme union sociale ne fait pas allusion à l’entente intervenue le 4 février 1999 entre les gouvernements fédéral-provinciaux-territoriaux, mais désigne plutôt le concept qui se réfère à la collaboration fédérale-provinciale-territoriale en matière sociale.   Par conséquent, le présent texte n’est pas une analyse de l’entente de 1999.

(2) La légitimation du pouvoir fédéral de dépenser dans les programmes sociaux et le recours par le gouvernement fédéral à des transferts directs aux individus et aux organismes pour lancer de nouvelles initiatives sociales pancanadiennes constituent les principaux motifs qui justifient le refus du gouvernement du Québec de signer l’entente.

(3) À la suite des échecs successifs de l’Accord du lac Meech (1990) et de l’Accord de Charlottetown (1992), les projets de réformes constitutionnelles se sont avérés beaucoup moins populaires et attrayants sur le plan politique.

(4) Parmi ces règles, mentionnons la prévisibilité et la stabilité du financement des programmes sociaux, de même que l’assurance d’un financement suffisant et adéquat aux besoins des provinces et des territoires.

(5) Rapport de la Commission royale sur les relations entre le Dominion du Canada et les provinces, volume 1, 1940, p. 23.

(6) Une modification constitutionnelle adoptée en 1940 a accordé au gouvernement fédéral la responsabilité de l’assurance-chômage.

(7) La Loi constitutionnelle de 1867 (article 94A) accorde ce pouvoir à Ottawa.  Toutefois, il s’agit d’une compétence partagée avec les provinces.

(8) R. Watts, Étude comparative du pouvoir de dépenser dans d’autres régimes fédéraux, Kingston (Ont.), Institute of Intergovernmental Relations (IIGR), 1999, p. 2.

(9) D. Kwavnick, The Tremblay Report, Ottawa, Carleton University Library, 1973, p. 2.

(10) Ibid., p. 2.

(11) Commission royale sur l’union économique et les perspectives d’avenir du Canada, L’État, l’évolution du fédéralisme et la société canadienne, 1985, p. 308.

(12) J. Stilborn, Normes nationales et programmes sociaux : que peut faire le gouvernement fédéral?, Étude générale BP-379F, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, septembre 1997.

(13) K. McRoberts et P. Monahan, The Charlottetown Accord, The Referendum and The Future of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1993, p. 85.

(14) Voir Watts (1999).

(15) Le Québec est de fait la province qui s’est le plus vigoureusement opposée au pouvoir fédéral de dépenser.  À ce sujet, voir le document du ministère du Conseil exécutif du gouvernement du Québec intitulé Position historique du gouvernement du Québec sur le pouvoir fédéral de dépenser, 1944-1998, 1998.

(16) Article 91.1A : pouvoirs législatifs sur la dette et la propriété publiques; 91.3 : prélèvement de deniers par tous les systèmes de taxation; 102 : création d’un fonds de revenu consolidé; 106 : emploi du fonds de revenu consolidé.

(17) G. Beaudoin, La Constitution du Canada, Lennoxville, Éd. Wilson-Lafleur, 1991, p. 503.

(18) Il existe un nombre appréciable d’arrêts de la Cour suprême qui reconnaissent l’existence et la constitutionnalité du pouvoir fédéral de dépenser, le plus notoire étant le Renvoi sur le régime d’assistance publique (1991) 2 R.C.S. 525.

(19) Voir Renvoi sur le Régime d’assistance publique, Ibid.

(20) P. Hogg, Constitutional Law of Canada, University of Toronto Press, 3e édition, 1985, p. 152.

(21) Discours du Trône de la Trente-sixième Législature du Canada, 1996.

(22) L’exemple classique est le programme de subventions fédérales directes aux universités (1951).

(23) D. Cohn, dans P.C. Fafard et D.M. Brown (dir.), Canada:  The State of the Federation 1996, Kingston (Ont.), IIGR, 1996, p. 168 (traduction).

(24) R. Boadway, The State of the Federation 1999-2000:  Recent Developments in the Economics of Federalism, Kingston (Ont.), IIGR, p. 54.

(25) Loi constitutionnelle de 1982, paragraphe 36(2).

(26) P. Hogg (1985), p. 151.

(27) Les cinq principes sont l’universalité, l’intégralité, l’accessibilité, la transférabilité et l’administration publique.

(28) J. Stilborn (1997).

(29) S. Kennett, Securing the Social Union:  A Commentary on the Decentralized Approach, Kingston (Ont.), IIGR, 1997, p. 39.

(30) Voir à ce sujet l’étude de Jane Jenson intitulée Les contours de la cohésion sociale : l’état de la recherche au Canada, Réseaux canadiens de recherche en politique publique, 1998.

(31) H. Lazar, Canada :  The State of the Federation 1999-2000:  « Toward a New Mission Statement for Canadian Fiscal Federalism », Kingston (Ont.), chapitre intitulé « Toward a New Mission Statement for Canadian Fiscal Federalism », Kingston (Ont.), IIGR, 1999, p. 22.

(32) Il est important de préciser que ce droit de retrait ne s’applique pas aux transferts directs aux individus et(ou) organismes.

(33) Entente sur l’union sociale canadienne, février 1999.

(34) Il est à noter que la péréquation et la Formule de financement des territoires sont versées aux provinces et territoires en espèces.

(35) Source : Ministère des Finances du Canada.

(36) Les transferts indiqués comprennent le TCSPS, la péréquation et la Formule de financement des territoires.

(37) Il est à noter que par suite d’une entente intervenue avec le gouvernement fédéral, le Québec dispose de son propre régime de rentes.  Ce régime est toutefois financé en partie par des transferts fédéraux.

(38) H. Lazar, Canada, The State of the Federation 1997 : Non-constitutional renewal, Kingston (Ont.), IIGR, p. 9 (traduction) .

(39) Source : Ministère des Finances du Canada.

(40) Ibid.

(41) Lazar (1997), p. 175.

(42) Ibid, p. 21.

(43) Les montants indiqués comprennent les transferts en espèces et en points d’impôt.

(44) Voir à ce sujet l’article du politologue Alain Noël intitulé « Without Quebec:  Collaborative Federalism With a Footnote? », Enjeux publics, IRPP, mars 2000, p. 15.