Direction de la recherche parlementaire


PRB 00-38F

 

LA SÉQUESTRATION DU CARBONE
PAR LES SOLS AGRICOLES

 

Rédaction :
Frédéric Forge
Division des sciences et de la technologie
Le 30 janvier 2001


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LA SÉQUESTRATION DU CARBONE DANS LES SOLS

   A. Les émissions de CO2 par l’agriculture canadienne

   B. Le cycle du carbone en milieu agricole

   C. Les pratiques agricoles qui permettent de séquestrer le carbone dans les sols

   D. La séquestration du carbone par les sols au Canada...

   E. ... Et dans le Protocole de Kyoto

QUELLES MÉTHODES POUR FAVORISER LA CRÉATION DE PUITS?

   A. Un marché pour le carbone

   B. Un « marché du carbone » est-il un intéressant pour les agriculteurs?

   C. Les autres approches

CONCLUSION


LA SÉQUESTRATION DU CARBONE
PAR LES SOLS AGRICOLES

INTRODUCTION

Selon la théorie de l’effet de serre, le rejet dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz carbonique (ou dioxyde de carbone, CO2)et, de façon tout aussi importante, d’autres gaz à l’état de traces aura pour effet de réchauffer la terre.  Bien que le climat de la planète ait toujours été en constante évolution, plusieurs climatologues, chercheurs scientifiques et groupes de défense de l’environnement estiment que l’augmentation des concentrations de gaz responsables de l’effet de serre dans l’atmosphère entraînera des hausses de température suffisantes pour provoquer d’importants changements climatiques(1).  Selon l’ébauche du troisième rapport du groupe 1 du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), parrainé par les Nations Unies, les concentrations croissantes de gaz anthropiques à effet de serre ont contribué substantiellement au réchauffement depuis 50ans(2).

En effet, ces changements climatiques présenteront pour l’agriculture canadienne des défis d’adaptation qui devraient devenir plus manifestes au cours du XXIe siècle.  Le secteur pourrait par exemple avoir à composer avec une augmentation de la variabilité des conditions météorologiques et à un risque plus élevé de sécheresses, d’inondations et d’infestations d’insectes.  Le changement climatique pourrait aussi avoir des avantages, notamment une extension vers le nord des terres cultivables et des pâturages(3).

À plusieurs reprises, la communauté internationale s’est engagée à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), dans le but de ralentir l’apparition des changements climatiques.  En 1997, à l’issue des négociations du Protocole de Kyoto, le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de 6 p. 100 par rapport au niveau de 1990.   En 1997, l’agriculture comptait pour 9 p. 100 des émissions de GES au Canada, soit 61,4 millions de tonnes, principalement du dioxyde de carbone (CO2), de l’oxyde nitreux et du méthane(4).

Le présent document se concentre sur le rôle des sols agricoles dans les émissions de CO2.  Il décrit tout d’abord le processus de séquestration du carbone par le sol et en quoi il peut permettre de réduire les émissions de CO2 issues de l’agriculture.   Dans une deuxième partie nous verrons comment  favoriser la création de « puits de carbone » par l’industrie agricole.

LA SÉQUESTRATION DU CARBONE DANS LES SOLS

   A. Les émissions de CO2 par l’agriculture canadienne

Le dioxyde de carbone rejeté par l’agriculture provient de trois sources principales.  On distingue d’abord les changements qui affectent les réserves de carbone dans le sol, puis les quantités de CO2 libérées par la consommation de combustibles fossiles à la ferme et enfin les émissions indirectes liées à la consommation de combustibles fossiles pour la production d’intrants tels que les pesticides et les engrais.  Le tableau suivant donne une estimation des émissions de CO2 par l’industrie agricole au Canada à partir des différentes sources de rejet.

Tableau 1 : Estimation des émissions de CO2 par l’industrie agricole au Canada

  1981 1986 1991 1996
  (millions de tonnes de CO2)
Sols 7,7 7,3 5,1 1,8
Combustibles utilisés dans les fermes 9,5 7,7 8,1 9,5
Émissions indirectes(5) 13,7 14,7 14,6 16,3
Émissions totales attribuables à l’agriculture 30,9 29,7 27,8 27,6

Source : R.L. Desjardins dans La santé de l’air que nous respirons, vers une agriculture durable au Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Direction générale de la recherche, 1998.

D’après les données du tableau 1, les émissions de CO2 issues des sols agricoles sont passées de 7,7 millions de tonnes en 1981 à 1,8 millions de tonnes en 1996 et seraient pratiquement nulles aujourd’hui(6).  Les raisons de cette tendance font l’objet des sections suivantes.

   B. Le cycle du carbone en milieu agricole

Pour comprendre les émissions de CO2 par les sols, il faut s’intéresser au cycle du carbone dans les systèmes agricoles.  D’une manière générale, le CO2 de l’atmosphère est absorbé par les plantes qui le transforment en sucres tels que les glucides et la cellulose.  La plante utilise une partie de ses composés pour ses besoins énergétiques et les convertit de nouveau en CO2.  Une partie du carbone restant dans la plante est ensuite enlevé du système lorsque la plante est récoltée, le reste se retrouve dans le sol et est transformé de nouveau en CO2 par les microbes du sol.  Ce cycle est identique dans tous les systèmes de culture, mais les quantités de CO2 échangées varient selon le climat, le sol et le type de plante cultivée.  Ce cycle est un peu plus complexe là où on pratique l’élevage puisque à la place d’être enlevée du système, une part importante des matières végétales est utilisée comme litière ou fourrage.  Une partie de ce carbone est rejetée par les animaux sous forme de CO2, une autre partie est enlevée sous forme de produits animaux (la viande par exemple) et une quantité importante retourne dans le sol sous forme de fumier.

Dans une terre qui a subi peu de changements au cours des années (une prairie naturelle ou une parcelle agricole exploitée de la même manière depuis plusieurs décennies par exemple), il existe un certain équilibre entre le carbone capté par les plantes et celui qui retourne dans l’atmosphère, de sorte que les quantités de carbone stockées dans le sol ne changent pas(7).  Cependant, toute modification de la gestion des terres a pour effet de perturber le cycle du carbone.   Par exemple, lorsque les forêts et les prairies naturelles sont défrichées pour faire place à l’agriculture, une grande quantité de la matière organique d’origine est transformée en CO2 et relâchée dans l’atmosphère.  Puis, quand le sol est cultivé pendant quelques décennies, les quantités stockées dans le sol se stabilisent de nouveau.  Cependant, lorsque l’on modifie les pratiques agricoles de façon à accroître la teneur du sol en carbone organique, le phénomène inverse se produit : le sol capte plus de CO2 qu’il en émet, le CO2 est donc retiré de l’atmosphère et stocké par le sol.  Ce processus s’appelle la séquestration du carbone : on va parler de puits édaphiques (soil sinks) pour caractériser la terre agricole qui accumule le carbone(8).  La figure 1 illustre les changements que subissent à divers moments les réserves de carbone du sol dans les terres agricoles.

Figure 1 : Effet de la gestion des terres agricoles sur les quantités de carbone du sol

Source : adapté de R.L. Desjardins dans La santé de l’air que nous respirons, vers une agriculture durable au Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Direction générale de la recherche, 1998.

Un pays pourrait donc utiliser la capacité de ses sols agricoles à séquestrer le carbone pour réduire son bilan d’émission de GES.  Cette capacité n’est cependant pas illimitée puisque les réserves de carbone dans le sol atteignent un nouvel état stable après un certain nombre d’années sans modification de la gestion des terres.

   C. Les pratiques agricoles qui permettent de séquestrer le carbone dans les sols

La capacité du sol à fixer du carbone à long terme dépend d’une saine gestion des terres.  La création de puits édaphiques ne se fera pas sans l’adoption d’un certain nombre de pratiques qui permettent d’augmenter la quantité de carbone dans le sol.  Celles-ci peuvent varier selon le type de sol et de climat, et elles comprennent :

  • la diminution des jachères;

  • la pratique du semis-direct, qui diminue la perturbation du sol et la libération de CO2;

  • l’utilisation de légumineuses et/ou de graminées dans la rotation des cultures;

  • la conversion de terres agricoles marginales en zones de graminées vivaces ou d’arbres;

  • l’utilisation de la méthode de pâturage en rotation et le pâturage de haute intensité et de courte durée;

  • la plantation d’arbustes et d’arbres comme brise-vent;

  • la restauration des terres humides.

Bon nombre des méthodes de gestion visant le stockage du carbone dans des puits édaphiques contribuent également à la durabilité de l’environnement.   L’augmentation de la matière organique contenue dans le sol aide à améliorer les capacités agronomiques de celui-ci.  De plus, cette augmentation produit un sol de meilleure qualité et une meilleure productionvégétale, elle accroît la conservation de l’eau, réduit l’érosion et améliore l’habitat faunique et la protection des espèces, ce qui conduit à une biodiversité accrue(9).

Ces méthodes peuvent aussi favoriser la rentabilité de l’exploitation agricole.  Par exemple, un travail du sol minimum fait diminuer les coûts de production en réduisant l’utilisation de machinerie(10).

   D. La séquestration du carbone par les sols au Canada…

Les observations historiques au Canada, confirmées par des modèles mathématiques, ont montré que les réserves de carbone du sol ont diminué rapidement au début du XXe siècle par suite de la mise en culture d’une importante superficie de terres inexploitées, puis que ces pertes de carbone ont diminué graduellement pendant que le sol tendait vers un nouvel « état stable ».  Ces pertes ont quasiment cessé au milieu des années 1990(11).

En 1998, Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) prévoyait que les sols agricoles cesseraient d’être une source de CO2 avant 2001 et qu’ils emmagasineraient de 0,5 à 0,7 million de tonnes de carbone chaque année à partir de 2010(12).  Cette tendance se maintiendra seulement jusqu’à ce que les sols agricoles aient atteint un nouvel équilibre et seulement si les pratiques favorisant l’augmentation de la teneur en carbone sont maintenues(13).

Des incertitudes demeurent sur les moyens de quantifier le CO2 qui est effectivement retiré de l’atmosphère pour être emmagasiné dans les sols.  Les estimations d’AAC sont basées sur le modèle CENTURY.  Ce dernier permet, à partir de certaines hypothèses scientifiques sur le sol, le climat et la végétation entre autres, de calculer une estimation des variations de carbone en fonction des pratiques agricoles.  Cependant, il reste encore énormément de recherche à faire, notamment sur les effets de certaines pratiques séquestrant le carbone dans certains type de sols.

   E. … Et dans le Protocole de Kyoto

Contrairement au reboisement, la séquestration du carbone dans les sols agricoles n’a pas été incluse dans l’accord original du Protocole de Kyoto, c’est-à-dire que les sols ne sont pas reconnus officiellement comme des puits de carbone, et que le carbone fixé dans le sol ne peut pas entrer dans le bilan d’émission de chaque pays.

Pour corriger cette situation, le Canada n’a pas cessé d’insister pour que les puits édaphiques soient inclus dans le Protocole : cela se fait en accord avec bon nombre d’intervenants aux pays, dont la Table de concertation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le changement climatique(14) qui recommandait en janvier 2000 que le gouvernement fédéral continue son action pour la reconnaissance des sols agricoles comme puits de carbone dans le Protocole(15).  Les actions entreprises par le gouvernement et l’industrie pour la mise en place de mesures visant à réduire l’incidence des GES ont été conçues en fonction de cette éventualité.

Les négociations de La Haye sur l’application du protocole de Kyoto ont eu lieu en novembre 2000.  Elles visaient, entre autres, un accord sur la définition de « puits de carbone » et sur la manière de les utiliser dans les bilans d’émissions.  L’échec de ces négociations ne met pas nécessairement un terme aux espoirs de voir les sols agricoles inclus dans le Protocole, mais il révèle plutôt le besoin de surmonter certains obstacles, notamment le besoin d’une méthode fiable et efficiente sur les plans économique et technique pour déterminer les quantités de CO2 retirées de l’atmosphère et fixées dans les sols.  Les incertitudes scientifiques sur les moyens de quantifier ce CO2 séquestré ainsi que le caractère temporaire des sols agricoles comme puits ont été les principaux arguments contre leur inclusion dans le Protocole.

QUELLES MÉTHODES POUR FAVORISER LA CRÉATION DE PUITS?

Parmi les différentes mesures qui visent la réduction des émissions de GES, l’on distingue celles qui utilisent le marché en mettant un prix sur le carbone (par exemple une taxe ou un système d’échange de droits d’émission) et celles qui utilisent le pouvoir de réglementation pour limiter certaines pratiques (par exemple des normes d’efficacité énergétique pour les véhicules automobiles).  Toutes ces mesures ne favorisent pas nécessairement la création de puits édaphiques.  La présente section se concentre donc sur la mise en place d’un marché pour le carbone et l’intérêt qu’il peut présenter pour les agriculteurs, puisdécrit brièvement lesautres solutions et leurs effets sur l’adoption de pratiques favorisant la séquestration du carbone.

   A. Un marché pour le carbone

De toutes les mesures énoncées ci-dessus, l’échange de « crédit de carbone » (Carbon credit trading) est l’instrument qui a été le plus étudié au Canada(16) et qui semble le mieux adapté pour inciter les agriculteurs à adopter des pratiques permettant la séquestration du carbone et favoriser ainsi la création de puits édaphiques.

Le Protocole de Kyoto permet la mise au point de systèmes d’échange de droits d’émission (Emission trading mechanism) comme outil pour réduire les rejets de GES dans l’atmosphère.   Pour mettre en place un système d’échange de droits d’émission, il faut tout d’abord fixer une limite de rejet de GES par pays; puis chaque pays répartit la quantité de rejet qui lui est assignée entre ses différents émetteurs.  Enfin, le mécanisme d’échange permet à une partie d’acquérir le droit de rejeter des GES que lui cède une autre partie qui a été capable de réduire ses émissions en deçà des quantités qui lui avait été attribuées.

Les activités séquestrant le carbone, comme les puits édaphiques, pourraient éventuellement être incorporées dans les systèmes d’échange de droits d’émission : on créerait un « crédit de carbone » pour chaque unité supplémentaire d’équivalent CO2 fixée dans le sol.  Ces crédits pourraient ensuite être vendus à des émetteurs de GES dans le but d’autoriser leurs émissions.  L’échange de ces crédits offrirait donc aux agriculteurs une prime pour l’adoption de méthodes favorisant la fixation du carbone dans le sol.

Il est à noter que le boisement et le reboisement sont considérés comme des puits de carbone selon le Protocole de Kyoto.  En plus de créer un puits édaphique en séquestrant du carbone dans les sols, la conversion de terres agricoles marginales en zones boisées constituerait aussi un puits forestier ce qui permettrait d’obtenir des crédits de carbone supplémentaires.

Si les sols agricoles sont reconnus comme des puits dans le protocole de Kyoto, il faudra définir les modalités du système d’échange de crédit de carbone.  S’agira-t-il d’un système volontaire ou obligatoire? Doit-on attribuer des crédits pour ce qu’un agriculteur séquestre réellement ou pour le potentiel de stockage de ses sols?   Qui détient les droits sur lecarbone, en d’autres termes à qui attribue-t-on les crédits, le propriétaire de la terre ou le producteur agricole?  Ces questions ne sont qu’une partie des points à éclaircir avant de mettre en place un système d’échange de crédit de carbone.

   B. Un « marché du carbone » est-il un intéressant pour les agriculteurs?

Les paragraphes qui suivent apportent quelques éléments de réflexion sur les effets qu’un système d’échange de crédit de carbone pourraient avoir sur les agriculteurs.

À l’heure actuelle, il est difficile de prévoir quelle sera la valeur du carbone pour un agriculteur.  En effet, on est encore incapable de déterminer la quantité de carbone qui sera séquestrée, le prix payé pour une unité de carbone ainsi que le mode de paiement(17).

On est cependant à peu près sûr que la quantité de carbone séquestré sur une exploitation agricole sera trop faible pour être échangeable.  Alors que si l’on considère les 45,5 millions d’hectares de terres agricoles au Canada, le potentiel de crédits échangeables est très important.  Il faudra très certainement envisager une forme de mise en commun des crédits de carbone pour obtenir un volume échangeable significatif(18).

La mise en place d’un marché signifie également l’existence d’un mécanisme d’échange qui permettrait aux agriculteurs d’acheter des crédits.  En effet, pour certains agriculteurs qui voudraient accroître un élevage ou toute autre initiative qui serait consommatrice de combustible fossile ou augmenterait les émissions d’autres GES, cela veut dire qu’ils auront à payer pour des crédits(19).

   C. Les autres approches

Il existe d’autres outils pour inciter les agriculteurs à employer des méthodes favorisant la séquestration du carbone dans le sol.   Par exemple, une servitude de préservation est un accord juridique par lequel un propriétaire terrien restreint ou limite de son propre chef, le type et l’envergure des aménagements qu’il peut effectuer sur sa propriété, moyennant une compensation financière.  Ce système existe aux États-Unis pour la conservation d’habitatsfauniques (le U.S. Conservation Reserve Program) et pourrait être adapté au cas des GES notamment en incitant les agriculteurs à retirer les terres agricoles marginales de la production et de les convertir en zones de graminées vivaces ou forestières.  La mise en place d’une telle mesure semble à première vue peu compatible avec un mécanisme d’échange de crédit de carbone – une partie serait payée deux fois pour le même service.  De plus, il se pose le problème des critères sur lesquels on base la compensation financière.  Dans ce type de programme, on utilise généralement la perte de productivité ou le manque à gagner résultant de l’adoption des pratiques concernées.  Cependant, les pratiques séquestrant le carbone n’entraîne pas nécessairement une baisse de production ni un manque à gagner.

Parmi les autres approches qui visent une réduction des émissions de GES, l’imposition d’une « taxe sur le carbone » est une solution qui reçoit l’appui de nombreux groupes environnementaux.  Il est pour le moment difficile de dire quel effet aurait une taxe sur le combustible fossile, sur l’adoption de pratiques favorisant la séquestration du carbone, même si certaines de ces pratiques entraînent une diminution de la consommation d’énergie – par exemple, le semis-direct qui limite l’utilisation de machinerie.   Selon un document produit en 1998 pour la Table de concertation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le changement climatique, le processus de production agricole est trop complexe pour présumer que l’imposition d’une taxe entraînera une augmentation des pratiques séquestrant le carbone et, d’une manière plus générale, une diminution des émissions de CO2 provenant du secteur agricole(20).  Depuis, cette approche a été peu étudiée au Canada(21).

Les mesures réglementaires qui rendraient obligatoire l’utilisation de pratiques séquestrant le carbone dans les sols pourraient être vues comme une atteinte aux droits de propriété.  Il ne s’agit pas non plus d’une méthode traditionnellement utilisée au Canada pour encadrer la production agricole : les guides de « bonnes pratiques agricoles » sont plutôt volontaires et sont rarement transcrits en réglementation.  La gestion des déchets animaux est une exception, puisque la plupart des provinces ont des règlements qui régissent le stockage et l’épandage de fumier et de lisier.

CONCLUSION

La séquestration du carbone par les sols est une manière de réduire les émissions de GES issues de l’agriculture, et la mise en place d’un marché pour la réduction des émissions de carbone permettrait aux agriculteurs de tirer un avantage économique de ce processus.

Cependant, le Canada ne pourra pas intégrer la séquestration du carbone par les sols dans les mesures qu’il prendra pour réduire ses émissions de GES si ces sols agricoles ne sont pas reconnus comme des puits de carbone par le Protocole de Kyoto.

De plus, ce processus ne résout pas toute la question des rejets de GES par l’agriculture.  Il ne faudrait pas que les gains obtenus par la séquestration du carbone s’accompagnent d’une hausse des émissions des autres GES ou de CO2 provenant d’autres sources que le sol, notamment si ces émissions font partie du système d’échange de crédit de carbone.  En effet, la prime liée à la séquestration du carbone par les sols se verrait largement diminuée voire annulée.  De plus, les puits édaphiques ne sont pas une solution permanente puisque les réserves de carbone dans le sol atteignent un nouvel équilibre après un certain nombre d’années et il faut maintenir les pratiques requises pour ne pas relâcher à nouveau du CO2.

D’autres pratiques permettent de réduire les émissions GES provenant de l’agriculture, par exemple, la substitution d’une partie de l’engrais azoté minéral par une couverture de légumineuse en hiver permet de réduire les émissions indirectes de CO2 attribuables à la fabrication d’engrais(22).  Les agriculteurs devront donc inclure les puits édaphiques dans une stratégie plus générale qui vise la réduction de leurs émissions de GES.


(1) Christine Labelle, William Murray, Les gaz à effet deserre et leschangements climatiques, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, révisé le 25 juin 1999.

(2) « La température de la planète devrait se réchauffer de 1,5 oC à 6 oC en 2100, affirment les scientifiques de l’IPCC », Le Monde, 2 novembre 2000.

(3) Site Internet de Agriculture et Agroalimentaire Canada, tiré d’une page disponible à l’adresse suivante :
http://www.agr.ca/policy/environment/eb/public_html/ebf/climatique.html mise à jour le 27 juillet 1999.

(4) Robert Hornung, Pembina Institute, Présentation à un atelier de la Bibliothèque du Parlement sur les changements climatiques, 29 septembre 2000.

(5) Les émissions indirectes couvrent la libération de CO2 provenant de la fabrication et du transport des intrants, notamment les engrais, la fabrication de machines agricoles, la production d’électricité, etc.

(6) Terence McRae, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Une perspective agri-environnementale de la multifonctionnalité, présentation à l’assemblée générale de la Fédération canadienne de l’agriculture le 23 février 2000, atelier sur les concepts de multifonctionnalité et de principe de précaution.

(7) Agriculture et Agroalimentaire Canada, Direction générale de la recherche, La santé de l’air que nous respirons, vers une agriculture durable au Canada, 1998.

(8) D’une manière générale on parle de « puits de carbone » pour définir une activité qui va retirer du CO2 de l’atmosphère : on a, par exemple, les puits édaphiques (séquestration du carbone par le sol) et les puits forestiers (séquestration du carbone par une forêt en croissance).

(9) Site Internet de Agriculture et Agroalimentaire Canada, tiré d’une page disponible à l’adresse suivante :
http://www.agr.ca/policy/environment/eb/public_html/ebf/climatique.html mise à jour le 29 juillet 1999.

(10) Ibid.

(11) Agriculture et Agroalimentaire Canada, Direction générale de la recherche, La santé de l’air que nous respirons, vers une agriculture durable au Canada, 1998.

(12) R.L. Desjardins et R. Riznek, « Bilan des gaz à effet de serre d’origine agricole », L’agriculture écologiquement durable au Canada : Rapport sur le Projet des indicateurs environnementaux, Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2000.

(13) Ibid.

(14) La Table de concertation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le changement climatique a été mise en  place pour élaborer une stratégie pour que le Canada atteigne son objectif fixé par le Protocole de Kyoto.  Elle comprend des représentants des provinces, du monde agricole, universitaire et de l’agro-industrie.

(15) Table de concertation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le changement climatique, Réduire les émissions de gaz à effet de serre issues de l’agriculture canadienne, Rapport sur les options, janvier 2000.

(16) Robert Hornung, Pembina Institute, Présentation à un atelier de la Bibliothèque du Parlement sur les changements climatiques, 29 septembre 2000.

(17) Carbon Sequestration and Trading Implications for Canadian Agriculture, Document de discussion produit au cours de l’atelier intitulé Carbon Sequestration and Trading Implications for Agriculture, coordonné par Soil Conservation Council of Canada en décembre 1998.

(18) Ibid.

(19) Daynard Terry, « Agriculture and Kyoto – An Update », Ontario Corn Producer, vol. 15, no. 7, aoûtseptembre 1999, p. 6-7.

(20) Don Buckingham, Cynthia Kallio Edwards, Instruments de politiques non économiques visant la réduction des émissions de GES dans le secteur agricole, Présentation à l’atelier de Montréal de la Table de concertation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le changement climatique, 17 novembre 1998.

(21) Robert Hornung, Pembina Institute, Présentation à un atelier de la Bibliothèque du Parlement sur les changements climatiques, 29 septembre 2000.

(22) Robertson G.P. et al, « Greenhouse Gases in Intensive Agriculture: Contributions of Individual Gases to the Radiative Forcing of the Atmosphere », Science Magazine, vol. 289,no. 5486, 15 septembre 2000, p. 1922-1925.