PRB 99-38F

 

TRANSACTIONS D'INITIÉS

 

Rédaction :
Margaret Smith
Division du droit et du gouvernement
Le 22 décembre 1999


TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION ET CONTEXTE

COMPÉTENCES LÉGISLATIVES

TRANSACTIONS D’INITIÉS – LOI CANADIENNE SUR LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS

   A. Obligation de déclaration

   B. Interdiction des transactions spéculatives

   C. Responsabilité civile

DOCUMENT DE CONSULTATION SUR LES TRANSACTIONS D’INITIÉS

   A. Production de rapports

   B. Transactions spéculatives

   C. Responsabilité civile

   D. Responsabilité pénale

RECOMMANDATIONS DU COMITÉ SÉNATORIAL
PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE


TRANSACTIONS D’INITIÉS

INTRODUCTION ET CONTEXTE

Par définition, une transaction d’initié consiste en l’achat ou la vente d’actions d’une société par une personne ayant accès à des renseignements confidentiels sur la société qui peuvent influer sensiblement sur la valeur de ses actions et que ne connaissent pas les autres actionnaires ou le grand public.

Le commerce d’actions par des initiés n’est pas en soi illégal; la plupart des lois qui régissent cette question permettent aux initiés de vendre ou d’acheter des actions des sociétés avec lesquelles ils ont des rapports à la condition qu’ils ne possèdent pas de renseignements confidentiels sur la société. Les transactions d’initiés sont prohibées lorsque l’initié possède des renseignements confidentiels importants ou se sert de tels renseignements pour réaliser un profit.

Les transactions d’initiés abusives sont réglementées et ce, pour plusieurs raisons. En effet, en l’absence de réglementation, les initiés pourraient se servir de renseignements importants à leur profit, au détriment des investisseurs externes. Cela pourrait porter atteinte à la réputation de la société et, ce qui est encore plus important, à la confiance dans le marché boursier en général.

La présente note porte sur les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) qui traitent des transactions d’initiés.

COMPÉTENCES LÉGISLATIVES

Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont habilités à adopter des lois sur les transactions d’initiés. La compétence des provinces tient au pouvoir de celles-ci de légiférer en matière de droits de propriété et de droits civils, tandis que la compétence du gouvernement fédéral tient au pouvoir du Parlement fédéral de créer et de réglementer les sociétés constituées aux termes de la législation fédérale.

Au niveau provincial, les transactions d’initiés sont réglementées aux termes des lois provinciales sur les sociétés et sur les valeurs mobilières. Les sociétés constituées au niveau fédéral aux termes de la LCSA sont elles aussi assujetties aux dispositions sur les transactions d’initiés contenues dans ces lois. Il s’ensuit certains chevauchements et doubles emplois.

Ces chevauchements et doubles emplois des législations fédérale et ontarienne sur les transactions d’initiés ont d’ailleurs fait l’objet d’une décision de la Cour suprême du Canada au début des années 80. Dans Multiple Access Ltd. c. McCutcheon(1), la Cour a statué que les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario permettant l’indemnisation des pertes à la suite de transactions d’initiés s’appliquaient à une société constituée au niveau fédéral, bien que la société en question ait aussi été assujettie à des dispositions analogues de la législation fédérale. La Cour a statué à la majorité que les dispositions sur les transactions d’initiés de la Loi sur les corporations canadiennes(2) et de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario étaient valables. Dans la décision qu’il a rédigée au nom de la majorité, le juge Dickson conclut que les dispositions contestées de la Loi sur les corporations canadiennes avaient un objet général de régie des sociétés et des rapports rationnels et fonctionnels avec le droit des sociétés.

Les dispositions prévoyant des garanties contre la malversation des gestionnaires font strictement partie de ce qu’on peut appeler à juste titre la constitution de la compagnie. Les rapports réguliers entre la compagnie et ses dirigeants sont au cœur du droit corporatif et, depuis l’origine des compagnies, ces rapports sont régis par la loi qui sanctionne la constitution en corporation de la compagnie. […] [L]es dispositions contestées de la Loi sur les corporations canadiennes visent à préserver l’intégrité des compagnies constituées en vertu de la loi fédérale et à protéger les actionnaires de ces compagnies; elles visent des pratiques préjudiciables à une compagnie ou à l’ensemble de ses actionnaires, auxquelles s’adonnent des personnes qui, parce qu’elles détiennent des postes de confiance ou autres, connaissent des renseignements auxquels n’ont pas accès tous les actionnaires(3).

La Cour a aussi statué à la majorité que les dispositions pertinentes de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario constituaient aussi un exercice valable de la compétence provinciale en matière de droit des biens et de droit civil et que ces dispositions « ne neutralis[aient] pas les fonctions et les activités d’une compagnie constituée en vertu d’une loi fédérale et ne port[aient] pas atteinte à son statut ou à ses pouvoirs essentiels »(4).

Ainsi, la majorité a statué que les dispositions relatives aux transactions d’initiés présentent des aspects qui relèvent à la fois du droit des sociétés et du droit des valeurs mobilières. La majorité considérant que ces aspects sont d’importance à peu près équivalente, elle a estimé qu’aucun ne l’emportait sur l’autre.

La minorité (trois juges) n’était cependant pas du même avis. Les juges minoritaires ont conclu que les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario étaient constitutionnellement valables, car elles visaient à réglementer la détention et le commerce des valeurs mobilières en Ontario. Ils ont fait observer que la préoccupation première de la législation sur les valeurs mobilières n’était pas la constitution de la société, mais la réglementation du commerce de ses valeurs(5). D’un autre côté, ils ont estimé que les dispositions fédérales sur les transactions d’initiés n’étaient pas essentielles à la constitution d’une société fédérale ou à ses aspects fonctionnels, et étaient en conséquence non valables(6).

TRANSACTION D’INITIÉS — LOI CANADIENNE SUR LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS

Les premières dispositions sur les transactions d’initiés ont été adoptées au niveau fédéral en 1970 dans la Loi sur les corporations canadiennes et ensuite intégrées à la LCSA en 1975.

Énoncées à la partie XI de la Loi, les dispositions sur les transactions d’initiés de la LCSA portent en majeure partie sur les initiés des « sociétés ayant fait appel au public ». Par définition, il s’agit des sociétés dont les titres ont fait partie d’une souscription publique, sont émis et en circulation et sont détenus par plusieurs personnes.

Aux termes du paragraphe 126(1), un « initié » est un administrateur ou dirigeant d’une société ayant fait appel au public, une société ayant fait appel au public qui achète ou autrement acquiert, sauf par voie de rachat, ses propres actions ou les actions émises par une de ses filiales, ou le véritable propriétaire de plus de 10 p. 100 des actions d’une société ayant fait appel au public ou la personne qui exerce le contrôle ou a la haute main sur plus de 10 p. 100 des votes dont sont assorties les actions d’une telle société.

Les dispositions sont réparties en trois grandes catégories : obligation de produire des rapports, interdiction des transactions spéculatives et responsabilité civile.

   A. Obligation de produire des rapports

Une personne est tenue d’envoyer un rapport au directeur aux termes de la LCSA dans les 10 jours qui suivent la fin du mois durant lequel elle devient un initié d’une société ayant fait appel au public. Par la suite, les initiés doivent produire un rapport au directeur dans les 10 jours suivant la fin du mois où ils effectuent une transaction concernant les titres de la société en cause.

Toute personne qui, sans motif raisonnable, omet de produire un rapport d’initié est passible d’une amende maximale de 5 000 $ ou d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois, ou des deux (article 127).

   B. Interdiction des transactions spéculatives

La LCSA interdit aux initiés de vendre les actions d’une société ayant fait appel au public dont ils ne sont pas propriétaires ou qu’ils n’ont pas entièrement libérées (ventes à découvert) et d’acheter ou de vendre des options d’achat ou de vente portant sur les actions de la société (article 130). Les initiés peuvent cependant vendre des actions dont ils ne sont pas propriétaires si elles résultent de la conversion d’actions dont ils sont propriétaires ou s’ils ont l’option ou le droit d’acquérir les actions vendues.

   C. Responsabilité civile

Aux termes du paragraphe 131(4) de la LCSA, les initiés (selon la définition qui est donnée au paragraphe 131(1)) qui utilisent à leur profit un renseignement confidentiel à l’occasion d’une opération portant sur une valeur mobilière de la société (qu’il s’agisse ou non d’une société ayant fait appel au public) sont tenus d’indemniser toute personne ayant subi une perte directe par suite de cette opération. Ils sont d’autre part redevables envers la société des profits ou avantages directs obtenus suite à cette opération.

DOCUMENT DE CONSULTATION SUR LES TRANSACTIONS D’INITIÉS

En février 1996, Industrie Canada a fait paraître un document de consultation sur les transactions d’initiés(7). Dans ce document, on se pose la question de savoir si les dispositions de la LCSA sur les transactions d’initiés demeurent nécessaires et, dans l’affirmative, s’il faut les modifier. On y décrit les trois approches suivantes :

  • abrogation de toutes les dispositions sur les transactions d’initiés de la LCSA en laissant aux provinces le soin de réglementer les transactions d’initiés;
  • abrogation uniquement des dispositions sur la production de rapports d’initiés de la LCSA en laissant les lois provinciales sur les valeurs mobilières le soin de voir à la collecte de ces informations;
  • maintien des dispositions de la LCSA portant sur les transactions d’initiés en les harmonisant avec les dispositions des lois provinciales(8).

Dans le document de consultation, on s’interroge dès le départ sur la question de savoir si, du fait qu’il existe de grandes similarités entre les lois provinciales sur les valeurs mobilières et les dispositions de la LCSA sur les transactions d’initiés, ces dernières n’imposent pas un fardeau réglementaire superflu et ne devraient pas être abrogées.

Les partisans du maintien des dispositions de la LCSA affirment que celles-ci aident à assurer au moins un niveau minimum de réglementation des sociétés qui relèvent de la LCSA et que leur abrogation entraînerait sans doute une réduction assez limitée des doubles emplois.

Dans le document de consultation, on recommande le maintien des dispositions de la LCSA et en examine les trois principaux éléments.

   A. Production de rapports

Le premier élément concerne les dispositions relatives à la production de rapports. Les auteurs du document de consultation ne se prononcent pas pour ou contre le maintien de ces dispositions, mais notent qu’on pourrait éviter la production en double des rapports si le directeur aux termes de la LCSA exemptait les personnes tenues de déclarer des opérations en vertu des lois provinciales de l’obligation de produire aussi un rapport aux termes de la LCSA.

Ils envisagent aussi un certain nombre de modifications des exigences de production de rapports, notamment une réduction de la période accordée pour signaler des opérations sur actions ou déclarer l’acquisition du statut d’initié et un alourdissement des peines.

Comme nous l’avons dit précédemment, aux termes des dispositions actuelles de la LCSA, un rapport d’initié doit être produit dans les 10 jours de la fin du mois où une personne devient un initié ou effectue une opération. Dans certaines provinces, les rapports doivent être produits dans les 10 jours suivant l’acquisition du statut d’initié ou la transaction elle-même. Les auteurs du document de consultation recommandent que le délai soit abrogé et fixé à 10 jours de l’acquisition du statut d’initié ou de la transaction si les dispositions visant la production de rapports d’initié de la LCSA sont maintenues(9).

   B. Transactions spéculatives

Dans le document de consultation, on examine aussi les dispositions sur les transactions spéculatives qui interdisent aux initiés de vendre à découvert (c’est-à-dire de vendre des actions dont ils ne sont pas propriétaires ou sur lesquelles ils n’ont pas un droit de propriété) et de vendre ou d’acheter certaines options d’achat ou de vente sur des actions de la société ou de ses filiales. Toute personne qui contrevient à ces dispositions est passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de 5 000 $ ou d’un emprisonnement maximal de six mois, ou des deux.

Les auteurs du document de consultation recommandent que ces dispositions soient conservées, mais modifiées.

   C. Responsabilité civile

La LCSA impose une responsabilité aux personnes qui, à l’occasion d’une transaction portant sur une valeur mobilière d’une société, utilisent à leur profit un renseignement confidentiel précis dont il est raisonnable de prévoir que, s’il était généralement connu, il provoquerait une modification sensible du prix de cette valeur. Cette disposition s’applique aux sociétés fermées comme aux sociétés ouvertes. Deux catégories de personnes peuvent exercer un recours contre un initié : la société elle-même ou toute personne ayant subi une perte directe.

Les lois provinciales en matière de valeurs mobilières contiennent elles aussi des dispositions sur la responsabilité des initiés. Le fait que des dispositions analogues se retrouvent à la fois dans la LCSA et dans les lois provinciales sur les valeurs mobilières peut sembler faire double emploi à première vue, mais on signale dans le document de consultation l’avantage juridictionnel de la LCSA (les investisseurs de tout le Canada peuvent s’en prévaloir pour contester les activités d’initiés de toute société régie par la LCSA) et le fait que celle-ci permet une vaste catégorie de demandeurs. Les auteurs du document de consultation recommandent que l’on conserve les dispositions de la LCSA portant sur la responsabilité civile, soient conservées mais modifiées au besoin.

   D. Responsabilité pénale

Enfin, on s’interroge dans le document de consultation sur l’opportunité de prévoir une disposition de responsabilité pénale en cas de transactions d’initiés impropres. Les auteurs du document signalent que les lois provinciales en matière de valeurs mobilières prévoient une responsabilité pénale, mais pas la LCSA, ce qui complique l’application de cette dernière. Il est en outre soutenu que si la LCSA contenait une disposition sur la responsabilité pénale dans les transactions d’initiés, une poursuite couronnée de succès intentée en vertu de cette disposition pourrait faciliter les choses à ceux qui prévoient intenter une action civile.

Les auteurs du document de consultation recommandent que soit ajoutée à la LCSA une disposition sur la responsabilité pénale interdisant les transactions d’initiés abusives et la communication injustifiée de renseignements confidentiels importants. Cette disposition serait limitée aux transactions d’initiés portant sur les valeurs mobilières de sociétés ayant fait appel au public. La peine maximale serait la suivante : deux ans de prison et le plus élevé des montants suivants : un million de dollars ou trois fois les profits réalisés, ou l’une de ces deux peines(10).

RECOMMANDATIONS DU COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT
DES BANQUES ET DU COMMERCE

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce s’est penché sur les dispositions de la LCSA portant sur les transactions d’initiés dans son rapport de 1996 intitulé La régie des sociétés(11).

Le Comité n’a pas estimé nécessaire d’abroger ces dispositions, mais a fait remarquer que, là où des chevauchements et des doubles emplois existent, le directeur désigné termes de la LCSA devrait accorder des exemptions individuelles et générales afin de réduire la production de rapports en double.

De toutes les propositions du document de consultation visant à moderniser les dispositions sur les transactions d’initiés, celle qui a le plus retenu l’attention du Comité concerne le délai de production des rapports d’initié. Un certain nombre de témoins ont réclamé un raccourcissement du délai, certains proposant même que les rapports soient produits le jour de la conclusion des transactions. D’autres, pas moins soucieux d’accélérer la production des rapports, ont cependant signalé que certaines institutions auraient peut-être du mal à déclarer les opérations le jour même.

Le Comité s’est dit en faveur d’une divulgation plus rapide des activités des initiés et il a recommandé que ceux-ci soient tenus de produire un rapport dans les 10 jours suivant l’acquisition du statut d’initié ou une opération(12). Le Comité a aussi recommandé que le délai de production des rapports soit prescrit par règlement et non pas dans la Loi elle-même. Il serait ainsi plus facile de moderniser les dispositions et d’harmoniser les délais de production en fonction des exigences des provinces(13).


(1) Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et al. [1982] 2 R.C.S. p. 161.

(2) La Loi sur les corporations canadiennes a précédé la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

(3) Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et al., p. 179.

(4) Ibid., p. 185.

(5) Ibid., p. 219-220.

(6) Ibid., p. 224.

(7) Industrie Canada, Loi canadienne sur les sociétés par actions, Document de consultation, Transactions d’initiés, février 1996.

(8) Ibid., p. 7.

(9) Ibid., p. 17.

(10) Ibid., p. 58.

(11) Sénat du Canada, Comité permanent des banques et du commerce, La régie des sociétés, août 1996.

(12) Ibid., p. 56.

(13) Ibid.