PRB 99-39F

 

PROTECTION LÉGISLATIVE DES
DÉNONCIATEURS EN GRANDE-BRETAGNE

 

Rédaction :
David Johansen
Division du droit et du gouvernement
Le 18 janvier 2000


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

DESCRIPTION DES MESURES LÉGISLATIVES

CONCLUSION

ANNEXE


PROTECTION LÉGISLATIVE DES DÉNONCIATEURS
EN GRANDE-BRETAGNE

INTRODUCTION

Le terme « dénonciateur » est fréquemment utilisé pour désigner un employé qui révèle l’existence d’abus de la part de l’employeur ou d’un collègue au sein d’une organisation. À la suite d’une telle divulgation, le dénonciateur peut faire l’objet de mesures de représailles, c’est-à-dire être congédié, rétrogradé ou pénalisé de quelque autre façon. Le principal objectif d’une loi visant à protéger les dénonciateurs consiste à mettre les employés à l’abri de ce genre de représailles. Non seulement une telle loi encourage-t-elle les dénonciateurs à divulguer l’information dont ils disposent au sujet d’un abus, mais elle a aussi un effet dissuasif en raison du risque accru d’être découvert.

Au Canada, comme dans d’autres pays et plus particulièrement aux États-Unis, un certain nombre de lois, surtout celles traitant de questions environnementales ou de sécurité et de santé au travail, protègent les dénonciateurs qui signalent l’existence de méfaits conformément aux lois existantes. Nos gouvernements, tant à l’échelon fédéral que provincial, ont toutefois refusé jusqu’à maintenant de promulguer une loi plus exhaustive visant à protéger les dénonciateurs dans les secteurs public et privé(1). Aux États-Unis, la législation fédérale s’applique aux employés de la fonction publique fédérale; dans bien des États, elle vise principalement les employés du secteur public mais, dans certains cas, ceux du secteur privé également.

La Grande-Bretagne est l’un des pays du Commonwealth où, jusqu’à récemment, les dénonciateurs étaient à peu près dans la même situation que ceux au Canada, c’est-à-dire qu’ils ne bénéficiaient d’une certaine protection législative que dans certaines situations précises. Il n’existait toutefois aucun système équivalent à la procédure officielle de traitement des plaintes établie aux États-Unis depuis l’adoption de mesures législatives spéciales pour protéger les dénonciateurs. Un observateur a déjà décrit la situation en Grande-Bretagne comme « un mélange de lignes directrices gouvernementales restrictives et de mesures de protection juridique inadéquates, [qui] ont pour effet de réduire au silence les employés qui seraient tentés de divulguer des renseignements d’intérêt public et de laisser l’employeur libre de punir les dénonciateurs(2). Parce qu’ils doivent se plier à certaines contraintes juridiques, les tribunaux n’ont généralement pas le pouvoir de protéger les dénonciateurs contre les mesures de représailles prises par leurs employeurs. Devant le peu de protection offerte aux dénonciateurs légitimes, un certain nombre de groupes et de services de soutien, tels que le Freedom to Care et le Public Concern at Work, se sont constitués(3). Toutefois, avec l’entrée en vigueur, le 2 juillet 1999, de la Public Interest Disclosure Act 1998 (ci-après désignée sous le nom de PIDA 1998), la situation juridique des dénonciateurs en Grande-Bretagne a changé du tout au tout; il semble qu’ils sont peut-être maintenant parmi les mieux protégés au monde. Voici une description des mesures législatives adoptées. Elles précisent de façon générale qui sont les personnes visées par la protection offerte, à l’égard de quel genre de divulgations elles le sont et dans quelles circonstances.

DESCRIPTION DES MESURES LÉGISLATIVES

La PIDA 1998 renferme 18 articles qui, pour la plupart, ajoutent de nouvelles dispositions à la Employment Rights Act 1996 de la Grande-Bretagne(4) (ci-après désignée sous le nom de ERA 1996) ou modifient celles existantes. Sous réserve de certaines restrictions limitées, la PIDA 1998 protège les personnes liées par un contrat de travail (p. ex., les employés, notamment les fonctionnaires de la Couronne); celles qui travaillent personnellement pour quelqu’un d’autre (en vertu d’un contrat « de travail ») mais qui ne sont pas véritablement à leur compte; les personnes travaillant à domicile; certains employés d’agences; les professionnels à l’emploi du National Health Service (NHS), tels que les omnipraticiens, certains dentistes, les pharmaciens et les opticiens; certaines catégories de stagiaires(5). De façon générale, les seules personnes qui ne sont pas protégées en vertu de ces mesures législatives sont celles qui sont véritablement à leur compte, les bénévoles, les agents de police, celles qui travaillent habituellement à l’extérieur de la Grande-Bretagne et celles qui font partie des forces armées ou des services de sécurité ou de renseignement(6).

L’article 1, qui constitue la principale disposition de la PIDA 1998, ajoute une nouvelle partie IVA intitulée PROTECTED DISCLOSURES (qui comprend les articles 43A à 43L) à la ERA 1996. L’article 43A définit la « divulgation protégée » comme une « divulgation admissible » qui est faite par un employé conformément à l’un ou l’autre des articles 43C à 43H. Une « divulgation admissible », au sens du paragraphe 43B(1), renferme des renseignements qui tendent à prouver, selon la conviction raisonnable qu’en a le divulgateur, que l’une ou l’autre des situations suivantes se produit, s’est produite ou se produira :

  • un acte criminel;
  • un manquement à une obligation juridique;
  • une erreur judiciaire;
  • un danger pour la santé ou la sécurité d’une personne;
  • un dommage à l’environnement;
  • une dissimulation délibérée de renseignements tendant à démontrer l’existence de l’une ou l’autre des cinq situations susmentionnées.

Aux fins de la disposition ci-dessus, il importe peu de savoir si l’incident en question s’est produit au Royaume-Uni ou ailleurs ou si la loi applicable en la matière est celle du Royaume-Uni ou d’un autre pays (paragraphe  43B(2)). De même, une divulgation n’est pas réputée être une divulgation admissible si, en la faisant, son auteur commet une infraction; ce serait le cas, par exemple, si la divulgation est interdite en vertu de la Official Secrets Act 1989 (paragraphe  43B(3)). Si l’information ne peut être divulguée parce qu’elle est protégée par le secret professionnel de l’avocat et que la personne qui la divulgue la tient de quelqu’un qui sollicitait un avis juridique, la divulgation n’est pas considérée comme étant admissible (paragraphe  43B(4)).

Pour qu’une « divulgation admissible » soit une « divulgation protégée », il faut que certaines exigences énoncées aux articles 43C à 43H de la ERA 1996 soient satisfaites; celles-ci portent généralement sur trois aspects :

  • l’objet de la divulgation;
  • la personne à qui elle est faite;
  • l’état d’esprit de l’employé qui la fait.

Selon l’article 43C de la ERA 1996, une divulgation admissible est protégée si elle est faite de bonne foi à l’employeur (soit directement ou suivant une procédure autorisée par l’employeur à cette fin) ou à une autre personne que l’employé croit raisonnablement être la personne responsable du manquement en question vis-à-vis de la loi. C’est la seule exigence applicable. On peut présumer que lorsqu’il y a en place une procédure interne facilement accessible que les employés sont encouragés à utiliser, la divulgation des préoccupations a plus de chance de se faire en premier lieu à l’employeur plutôt qu’à une tierce partie.

Conformément à l’article 43D de la ERA 1996, une divulgation admissible est réputée protégée si elle est faite dans le cadre d’une démarche visant à obtenir un avis juridique. Il n’y a pas d’autres conditions applicables.

Une divulgation admissible est réputée protégée, si elle est faite de bonne foi à un ministre de la Couronne, lorsque l’employeur concerné est une personne nommée en vertu d’une loi par un ministre de la Couronne, ou un organisme dont les membres sont eux aussi nommés de cette façon (article 43E).

Le paragraphe 43F(1) de la ERA 1996 protège une divulgation admissible faite de bonne foi à une personne dont le nom figure dans une ordonnance rendue par le secrétaire d’État aux fins de l’application de cette disposition, lorsque son auteur croit raisonnablement qu’il s’agit de la bonne personne pour recevoir les allégations et que celles-ci sont en grande partie vraies. Le Public Interest Disclosure (Prescribed Persons) Order 1999(7) désigne les personnes et les organismes habilités à cet égard et précise les questions pouvant leur être divulguées (paragraphe  43F(2)). Une copie de l’ordonnance en question est jointe en annexe au présent document. Par exemple, les dérogations à la réglementation en matière de santé et de sécurité peuvent être portées à l’attention d’un cadre responsable des questions de santé et de sécurité ou de l’autorité locale responsable de l’application des mesures législatives en vigueur à ce sujet, tandis que les dangers pour l’environnement peuvent être portés à l’attention de l’agence de l’environnement.

Conformément à l’article 43G de la ERA 1996, une divulgation admissible est protégée si elle est faite de bonne foi sans que son auteur espère en tirer un gain personnel, et si celui-ci croit raisonnablement que l’information divulguée et les allégations qu’elle renferme sont en grande partie vraies. Une ou plusieurs des conditions suivantes doivent en outre être respectées :

  • au moment de faire la divulgation, son auteur doit être raisonnablement convaincu qu’il s’expose à des représailles de la part de son employeur, si la divulgation doit être faite à l’employeur en question ou en conformité avec l’article 43F (c.-à-d., à une personne ou à un organisme désigné);
  • lorsqu’aucune personne ou aucun organisme n’a été désigné aux fins de l’article 43F en rapport avec l’omission à signaler, l’auteur de la divulgation doit être raisonnablement convaincu que la divulgation à l’employeur de l’information en question risque d’entraîner sa destruction ou sa dissimulation;
  • l’auteur de la divulgation doit auparavant avoir divulgué une bonne partie de cette même information à son employeur ou en conformité avec l’article 43F (c.-à-d., à une personne ou à un organisme désigné).

Enfin, dans toutes les circonstances de fait, il doit sembler « raisonnable » à l’employé de faire la divulgation, compte tenu des aspects suivants :

  • l’identité de la personne à qui la divulgation est faite;
  • la gravité du manquement en question;
  • la possibilité que le manquement en question se perpétue ou se produise de nouveau dans l’avenir;
  • la possibilité que la divulgation porte atteinte à l’obligation de confidentialité de l’employeur envers une autre personne;
  • les mesures qui ont été prises ou auraient pu raisonnablement l’être, lorsqu’une divulgation a été faite antérieurement à l’employeur ou, en conformité avec l’article 43F, à une personne ou à un organisme désigné;
  • si, au moment de la divulgation antérieure, la procédure interne approuvée par l’employeur a été respectée.

L’article 43H de la ERA 1996 stipule qu’une divulgation admissible est protégée aux fins de la disposition en question si :

  • son auteur la fait de bonne foi;
  • son auteur est raisonnablement convaincu que l’information divulguée et les allégations qu’elle renferme sont en grande partie vraies;
  • l’auteur de la divulgation n’espère pas en tirer un avantage personnel;
  • le manquement en question revêt un caractère exceptionnellement grave (il importe de préciser ici que le degré de gravité sera déterminé en fonction des faits se rapportant au cas particulier et ne sera pas laissé au simple jugement de l’employé);
  • à la lumière de toutes les circonstances de fait, il semble raisonnable à l’employé de faire la divulgation, compte tenu en particulier de l’identité de la personne à qui elle est faite.

Toute disposition d’une entente entre un employé et son employeur, qui a pour effet d’empêcher l’employé de faire une divulgation protégée en vertu de la Loi est frappée de nullité. C’est le cas, par exemple, d’une entente visant à empêcher l’engagement de poursuites en vertu de la Public Interest Disclosure Act 1998 ou de toute autre procédure pour rupture de contrat(8).

Un employé a le droit de ne pas être pénalisé par son employeur lorsqu’il fait une divulgation protégée(9), et il peut déposer une plainte auprès d’un tribunal du travail s’il subit un préjudice pour cette raison(10). Un préjudice peut prendre plusieurs formes, par exemple un refus d’accorder une promotion, de fournir des installations ou d’offrir des possibilités de formation qui en d’autres circonstances l’auraient été. Les employés visés par les dispositions qui sont congédiés pour avoir fait une divulgation protégée peuvent déposer une plainte pour congédiement injustifié. Ceux qui ne sont pas des employés ne peuvent déposer de plainte pour congédiement injustifié, lorsque leur contrat est résilié parce qu’ils ont fait une divulgation protégée; toutefois, ils peuvent déposer une plainte s’ils ont subi un préjudice(11).

Lorsqu’un tribunal du travail juge que la plainte d’un employé pour congédiement injustifié est recevable, il ordonnera sa réintégration ou son réembauchage, ou obligera son employeur à lui verser une indemnité(12). Lorsque quelqu’un qui n’est pas un employé dépose une plainte parce qu’il a été victime d’un préjudice et que le tribunal juge que sa plainte est fondée, il fera une déclaration à cet effet et pourra ordonner le versement d’une indemnité(13).

CONCLUSION

Avant l’entrée en vigueur de la PIDA 1998, les dénonciateurs en Grande-Bretagne n’étaient généralement pas protégés contre les mesures de représailles prises par leur employeur. À cause des contraintes juridiques auxquelles ils sont assujettis, les tribunaux britanniques n’avaient pas le pouvoir d’offrir cette protection. Si l’adoption de mesures législatives à ce sujet a tant tardé, c’est apparemment parce qu’« on craignait que cela n’entraîne une épidémie de dénonciations de la part d’employés lésés et déloyaux qui ont toujours quelque chose à reprocher à leur patron pour la moindre irrégularité perçue »(14). Il a été constaté, en fait, que la Loi incitait les employés à d’abord faire part de leurs préoccupations à leurs employeurs, et que les dispositions n’offraient aucune protection aux employés qui agissent de façon irresponsable et déraisonnable. Selon un observateur, « les employeurs peuvent réduire radicalement le risque d’une divulgation publique embarrassante en adoptant des politiques efficaces en matière de dénonciation, pour ainsi démontrer à leurs employés le sérieux de leur engagement à mettre fin à l’incurie au travail »(15).

Comme la Loi n’est en vigueur que depuis peu, il est trop tôt pour savoir le genre de problèmes auxquels elle est susceptible de donner lieu ou ce qu’il adviendra si jamais une loi modifie les droits qu’elle reconnaît aux dénonciateurs. Quoi qu’il en soit, la Loi semble offrir aux dénonciateurs en Grande-Bretagne la protection qui jusqu’ici leur faisait cruellement défaut. En plus de faire en sorte que les problèmes soient portés à l’attention de la personne compétente, son application a pour effet d’inciter les dénonciateurs eux-mêmes à agir de façon responsable.


ANNEXE

 

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(1) À la connaissance de l’auteur, il n’existe qu’une seule province au Canada où une loi précise sur le sujet est en vigueur; voir l’article 28 de la Loi sur les normes d’emploi du Nouveau-Brunswick, qui s’applique aux employés des secteurs public et privé. En décembre 1993, l’Ontario a adopté une loi afin de protéger expressément les employés du secteur public (partie IV de la Loi sur la fonction publique de l’Ontario), mais celle-ci n’est jamais entrée en vigueur.

(2) J. Cooper et D. Green, « Whistleblowers », Solicitors Journal, 20 novembre 1992, p. 1166.

(3) Voir la description dans : Australie, Senate Select Committee on Public Interest Whistleblowing, In the Public Interest, 1994, p. 21-4.

(4) 1996, chapitre 18  http://www.legislation.hmso.gov.uk/acts/acts1996/1996018.htm.

(5) Pour une définition du terme « worker » au sens de la partie IVA de la ERA 1996, voir l’article 1 de la PIDA 1998 qui ajoute, entre autres nouvelles dispositions, un article 43K à la ERA 1996; voir aussi l’article 10 de la PIDA 1998 qui modifie l’article 191 de la ERA 1996 (emploi dans la fonction publique).

(6) Voir de façon générale, l’article 11 de la PIDA 1998 qui modifie l’article 193 de la ERA 1996; l’article 12 de la PIDA 1998 qui modifie l’article 196 de la ERA 1996 et l’article 13 de la PIDA 1998 qui modifie l’article 200 de la ERA 1996.

(7) Grande-Bretagne, Statutory Instuments 1999, n 1549.

(8) Article 1 de la PIDA 1998 qui ajoute un article 43G à la ERA 1996.

(9) Article 2de la PIDA 1998 qui ajoute un article 47B à la ERA 1996.

(10) Article 3 de la PIDA 1998 qui ajoute un article 48 à la ERA 1996.

(11) Guide to the Public Interest Disclosure Act 1998.

(12) Ibid., voir aussi l’article 8 de la PIDA 1998 qui modifie les articles 112, 117, 118 et qui ajoute un article 127B à la ERA 1996. Le calcul du montant de l’indemnité versée aux employés congédiés pour avoir fait une divulgation protégée se fait conformément aux dispositions prévues par règlement.

(13) Ibid., voir aussi l’article 4 de la PIDA 1998 qui modifie l’article 49 de la ERA 1996 et impose une limite à l’égard du montant de l’indemnité pouvant être versée dans un cas semblable.

(14) C. Camp, « Openness and Accountability in the Workplace », New Law Journal, vol. 149, janvier 1999, p. 46 à 50.

(15) Ibid.