PRB 99-42F

 

ANALYSE DU CONTEXTE DANS LEQUEL A EU LIEU
LE DÉPÔT DU PROJET DE LOI C-20, LOI SUR LA CLARTÉ

 

Rédaction :
Mollie Dunsmuir, Division du droit et du gouvernement
Brian O'Neal, Division des affaires politiques et sociales
Le 15 février 2000


TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

   A. L’approche du gouvernement du Québec

      1. Avant-projet de loi : Loi sur la souveraineté du Québec
      2. Consultations publiques
     
3. Entente tripartite du 12 juin 1995
      4. Projet de loi 1 : Loi sur l’avenir du Québec

   B. La question référendaire

   C. Les résultats du référendum de 1995

   D. Événements post-référendaires

   E. La réaction du gouvernement fédéral

      1. Le renouvellement du fédéralisme (le plan « A »)
      2. La clarification des règles régissant la sécession (le plan « B »)

   F. Le renvoi à la Cour suprême

   G. L’opinion de la Cour suprême

   H. Les réactions à l’opinion

PROJET DE LOI C-20: DESCRIPTION ET ANALYSE

COMMENTAIRE


ANALYSE DU CONTEXTE DANS LEQUEL A EU LIEU
LE DÉPÔT DU PROJET DE LOI C-20, LOI SUR LA CLARTÉ

CONTEXTE

Les événements ayant mené au dépôt du projet de loi C-20 (communément appelée « Loi sur la clarté ») à la Chambre des communes le 10 décembre 1999, qui ont fait suite à l’arrêt de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec* , se sont esquissés avant le référendum québécois du 30 octobre 1995 et se sont concrétisées par la suite. La description qui suit permet de situer le projet de loi C-20 dans le contexte historique récent et de mettre en lumière quelques-uns des facteurs qui peuvent avoir influé sur son élaboration.

   A. L’approche du gouvernement du Québec

La démarche précise par laquelle le Québec deviendrait un pays indépendant après un vote référendaire favorable a fait l’objet de discussions dans la province, tant durant qu’après le référendum de 1995. Le gouvernement du Québec a établi un processus incluant des consultations avec les Québécois (avant un référendum et sous la forme référendaire) et l’Assemblée nationale (avant et, en cas de vote positif, après un référendum).

      1. Avant-projet de loi : Loi sur la souveraineté du Québec

Les six étapes de l’accession à l’indépendance par le Québec ont été décrites dans les notes explicatives qui accompagnaient l’avant-projet de loi (Avant-projet de loi, Loi sur la souveraineté du Québec), déposé pour consultation publique par le gouvernement du Québec le 6 décembre 1994(1). Les étapes proposées comportaient la publication de l’avant-projet et des consultations publiques sur son contenu, puis son adoption par l’Assemblée nationale et un vote public dans le cadre d’un référendum. Si le projet suscitait un vote positif, il serait déposé à l’Assemblée nationale en tant que premier point à l’ordre du jour. Le Québec entamerait alors des discussions avec le gouvernement du Canada sur des dispositions transitoires, après quoi la province accéderait à l’indépendance.

Le premier article de l’avant-projet stipulait que le « Québec est un pays souverain », tandis que le deuxième aurait autorisé le gouvernement québécois à conclure avec le gouvernement canadien un accord visant à maintenir une association économique entre la nouvelle entité souveraine et le Canada. Cet accord économique aurait été approuvé par l’Assemblée nationale. D’autres articles du projet couvraient les questions des frontières québécoises (qui auraient été conservées), de la citoyenneté (qui aurait pu être détenue avec la citoyenneté canadienne), de la monnaie (le dollar canadien aurait été la monnaie légale), des traités, des alliances internationales, de la continuité des lois et du partage des biens et des dettes entre le nouveau Québec souverain et le Canada.

Il était proposé dans le projet de loi que certains articles comme ceux qui traitent de l’accord avec le Canada et de l’adoption d’une constitution entreraient en vigueur immédiatement après une victoire du Oui. La mesure dans son ensemble aurait eu force de loi un an après son approbation par référendum, à moins que l’Assemblée nationale n’ait fixé une date antérieure.

La mesure proposait également le libellé de la question référendaire à soumettre aux votants :

Êtes-vous en faveur de la loi adoptée par l’Assemblée nationale déclarant la souveraineté du Québec? OUI ou NON.

      2. Consultations publiques

En janvier 1995, le gouvernement du Québec a établi 18 commissions chargées de consulter la population sur l’avant-projet de loi(2). Selon Yves Duhaime, ancien ministre du gouvernement Lévesque, les audiences avaient pour but de « vérifier si ce genre de question permet de dégager un consensus » parmi les Québécois. En l’absence d’un consensus, M. Duhaime proposait que la question soit modifiée(3).

Durant les audiences des commissions, une grande diversité de points de vue ont été exprimés. La plupart des témoins étaient en faveur de la majorité simple. Pour ce qui est du libellé de la question, les membres d’une Commission nationale composée des présidents des commissions régionales ont noté dans leur rapport sommaire que la plupart de ceux qui avaient abordé le sujet s’étaient entendus sur un point :

De part et d’autre, on a généralement souhaité une question courte, claire, simple et dont la réponse ne prête pas à confusion ou à interprétations(4).

Même si le rapport de la Commission nationale a traité des questions soulevées dans l’avant-projet, il n’a pas abordé le concept de la négociation avec le Canada après un vote positif. Toutefois, les commissaires ont noté les craintes exprimées à propos d’un possible échec de la négociation d’une association économique entre un Québec souverain et le Canada. D’après eux, il fallait prendre des mesures pour éliminer ces préoccupations, notamment en faisant remarquer qu’une telle association serait désirable pour le Canada : « Ce pragmatisme économique, croit-on, s’avérera beaucoup plus déterminant, dans le débat, que l’humeur des élus politiques canadiens »(5).

Notant que certains Québécois désiraient qu’un Québec indépendant établisse des institutions conjointes avec le Canada, les commissaires ont recommandé que le gouvernement précise qu’un Québec indépendant pourrait proposer et négocier des structures politiques communes(6).

Lorsque le rapport de la Commission nationale a été publié le 19 avril 1995, il a été immédiatement attaqué par le chef des forces du Non, Daniel Johnson. M. Johnson, dont le parti n’avait pas pris part aux audiences des commissions, a fait valoir que le rapport ne représentait qu’une tentative de camouflage des véritables enjeux, un effort évident pour faire croire aux gens que le Canada anglais accéderait aux vœux d’un Québec indépendant :

Il n’y a rien qui permet aux Québécois de conclure que ces perspectives d’association et d’union sont réalisables. On ne peut pas se prononcer sur une association et sur des termes qu’on ne contrôle pas. On ne peut pas décréter l’association avec nos voisins. On ne peut pas décréter un mariage de façon unilatérale(7).

Le premier ministre Chrétien a lui aussi attaqué le rapport, tout comme l’a fait la ministre du Travail, l’honorable Lucienne Robillard, qui a écrit au Devoir que ni le Canada anglais, ni le gouvernement fédéral ne seraient disposés à entreprendre un dialogue sur le partenariat en cas d’un vote positif. « C’est comme à la suite d’un divorce », a-t-elle écrit, « vous ne proposez pas le lendemain matin de vous remarier »(8).

      3. Entente tripartite du 12 juin 1995

Le 12 juin 1995, les chefs du Parti Québécois (Jacques Parizeau), du Bloc Québécois (Lucien Bouchard) et de l’Action démocratique du Québec (Mario Dumont, qui occupait le seul siège de son parti à l’Assemblée nationale) ont signé une entente sur une démarche commune en vue du prochain référendum. Cette entente, à laquelle renvoya ensuite le libellé de la question référendaire, énonçait les modalités d’accession du Québec à la l’indépendance, les dispositions d’un traité entre le Canada et le Québec indépendant et les institutions qui seraient communes aux deux entités.

L’entente stipulait que, après une victoire du Oui, l’Assemblée nationale « aura, d'une part, la capacité de proclamer la souveraineté du Québec et le gouvernement sera tenu, d'autre part, d'offrir au Canada une proposition de traité sur un nouveau Partenariat économique et politique »(9). La question référendaire devait incorporer ces deux éléments. Les négociations ne dureraient pas plus d’un an, mais « dans la mesure où les négociations seraient infructueuses, l'Assemblée nationale pourra déclarer la souveraineté du Québec dans les meilleurs délais »(10).

Lucien Bouchard a déclaré que l’entente représentait « un engagement sacré des souverainistes » à mener avec le reste du Canada des négociations de bonne foi sur un nouveau partenariat(11). Il a ajouté cependant que les négociations ne conduiraient pas à un fédéralisme renouvelé :

C’est un projet souverainiste. Notre but est de réaliser la souveraineté. Il n’y a aucun doute que les Québécois doivent avoir la conviction qu’une fois qu’on aura voté OUI, le Québec deviendra souverain, quelle que soit la réaction du Canada(12).

      4. Projet de loi 1 : Loi sur l’avenir du Québec

Après les consultations, le rapport de la Commission nationale et l’Entente tripartite du 12 juin 1995, un projet de loi modifié a été déposé. Le projet de loi 1, maintenant intitulé Loi sur l’avenir du Québec, comportait un long préambule se terminant par une déclaration de la souveraineté du Québec. Un nouvel article premier proposait de conférer à l’Assemblée nationale le pouvoir de proclamer la souveraineté dans le contexte du projet de loi. L’article 2 stipulait que le préambule prendrait effet et que le Québec deviendrait souverain à une date à déterminer par l’Assemblée nationale. Aux termes de l’article 3, le gouvernement du Québec était tenu de proposer au gouvernement du Canada de passer un traité de partenariat économique et politique(13) sur la base de l’Entente tripartite du 12 juin 1995. Comme l’avant-projet de loi, le projet de loi proposait le maintien du dollar canadien (article 13), la capacité pour les Québécois de détenir la double citoyenneté québécoise et canadienne (article 14) et le maintien des frontières du Québec telles qu’elles existaient au sein de la fédération canadienne (article 10).

Les consultations populaires, l’Entente tripartite du 12 juin et le projet de loi 1 peuvent être globalement considérés comme un effort pour dégager un large consensus en faveur du Oui ainsi qu’une tentative pour donner aux Québécois l’assurance que, s’ils votaient en faveur de ces propositions, ils ne seraient pas privés des avantages du partenariat économique et politique avec le Canada.

   B. La question référendaire

Le 7 septembre 1995 – soit un peu moins de deux mois avant la date du référendum – le gouvernement du Québec a rendu public le texte de la question référendaire :

Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l'entente du 12 juin?

En présentant la question, le premier ministre Parizeau a déclaré aux Québécois que « comme vous le constatez, elle [la question] est simple et directe ».

   C. Les résultats du référendum de 1995

Le 30 octobre 1995, 4 757 509 Québécois et Québécoises ont voté, ce qui donne un taux de participation de 93,52 p. 100 des inscrit(e)s. Une faible majorité ¾ 50,58 p. 100 des votes valides ¾ a voté Non. Ceux qui ont voté Oui formaient 49,42 p. 100 des votes valides(14). La différence était de 54 288 votes, soit 1,16 p. 100 du total(15).

   D. Événements post-référendaires

Les deux camps ont été fortement affectés par les résultats du référendum : les fédéralistes parce qu’ils étaient venus si près de perdre, les indépendantistes parce qu’ils ont été si près de gagner.

Pour les fédéralistes et les indépendantistes, les résultats indiquaient que la sécession du Québec de la fédération canadienne était plus qu’une possibilité abstraite. Pendant que les deux camps commençaient à envisager la possibilité d’un autre référendum, bien des fédéralistes ont affirmé que le gouvernement fédéral devait être en meilleure position pour gagner cet éventuel référendum, ou encore l’éviter complètement. Certains critiques ont été très véhéments, à la fois à l’endroit du gouvernement fédéral et du premier ministre Chrétien, leur reprochant de ne pas avoir pris une position plus agressive durant la campagne référendaire.

Bien des observateurs ont évoqué une réponse fédérale en deux parties. Le « plan A » consisterait en efforts pour renouveler les dispositions fédérales canadiennes afin de répondre aux préoccupations de la province et de persuader les Québécois que le Canada était en mesure d’accommoder les revendications du Québec.

Le « plan B » établirait des règles claires régissant la succession. Les tenants de ce plan y voyaient deux grands avantages : persuader les Québécois que la sécession constitue un processus complexe, sans issue garantie, et établir un cadre dans lequel la sécession se produirait avec le moins de confusion et de traumatismes possibles.

Plusieurs événements qui ont suivi le référendum ont peut-être persuadé davantage certains fédéralistes du besoin d’une réponse plus vigoureuse(16). En 1996, un livre de Benoît Aubin, directeur de l’information au réseau de télévision TVA, a fait allusion à une déclaration enregistrée sur vidéo par le premier ministre Jacques Parizeau, qui devait être diffusée immédiatement après une victoire du Oui. Selon Aubin, M. Parizeau cherchait à calmer les craintes des Québécois, des Canadiens et des gens d’ailleurs dans le monde, qui avaient des doutes sur les conséquences du vote référendaire. Cependant, c’est l’interprétation que Aubin a fait de la conduite de M. Parizeau qui a attiré le plus l’attention des médias(17) :

Bref, ils étaient prêts. Pas, comme on l’aurait cru à les entendre durant la campagne, à négocier patiemment avec Ottawa pendant au moins un an. Prêts à procéder. Immédiatement, avec force, sur tous les fronts. Plus vite, plus fort, et plus irrémédiablement que tout ce qu’ils avaient laissé voir durant cette campagne et dans le libellé même de la question soumise au peuple ce jour-là(18).

Deuxième événement aussi controversé, des extraits d’une série de discours de Jacques Parizeau, publiés en 1997 sous le titre Pour un Québec souverain, ont été dévoilés à la fois par les médias français et anglais avant publication. Il en est résulté l’impression, fortement rejetée par l’intéressé, que le gouvernement du Parti québécois avait manœuvré pour que la France reconnaisse officiellement le Québec indépendant peu après un Oui majoritaire, plutôt qu’à la conclusion de négociations réussies avec le Canada; en d’autres mots, Parizeau aurait déclaré unilatéralement l’indépendance immédiatement après un vote favorable(19). Plusieurs souverainistes proéminents, qui avaient travaillé avec M. Parizeau durant la campagne référendaire, se sont immédiatement dissociés de lui(20).

Dans certains milieux politiques au Québec, on estimait également qu’un vote pour le Oui dans un référendum sur la souveraineté pouvait servir de levier ou d’élément de négociation pour obtenir des concessions en faveur d’un changement constitutionnel qui n’aurait pas été possible dans le cadre de la Confédération. En fait, certains ont suggéré que la stratégie de Lucien Bouchard était de gagner un référendum sur la souveraineté, puis de négocier une nouvelle confédération avec le reste du Canada(21). Dans cette perspective, la loi qui permettrait au gouvernement fédéral de négocier après un vote favorable seulement la sécession, plutôt que la souveraineté, la souveraineté-association, ou un nouveau « partenariat », exclurait de façon effective cette approche.

Enfin, on s’est beaucoup inquiété de la clarté de la question référendaire de 1995, qui a fait l’objet d’un grand débat durant la campagne elle-même. Le comité du Non affirmait que le libellé masquait l’intention réelle du gouvernement, soit la séparation définitive et irréversible du Québec par rapport au Canada(22). Certains fédéralistes allaient même jusqu’à suggérer que le mot souveraineté pouvait induire en erreur(23). Pendant toute la campagne, les leaders du camp du Non ont affirmé qu’un vote pour le Oui entraînerait l’indépendance et la séparation irréversible du Québec du Canada, plutôt qu’une forme quelconque de partenariat ou de fédéralisme renouvelé. Ils ont également souligné qu’il n’y aurait aucune garantie quant à l’issue des négociations éventuelles, et que la référence dans la question à « la portée du projet de loi 1 et l’entente signée le 12 juin 1995 » induisait en erreur.

Les résultats des sondages parrainés par le comité du Non durant la campagne(24), par le Conseil pour l’unité canadienne en 1997 et 1998(25), ainsi que par le Bureau du conseil privé en 1999, donnent à penser qu’il y avait beaucoup de confusion chez l’électeur, et que celle-ci tenait en grande partie au libellé de la question(26). Le sondage du Conseil privé, en particulier, a trouvé que l’appui pour le Oui diminuait lorsque la question faisait clairement le lien entre référendum et sécession.

À partir de ces sondages, les médias de langue anglaise ont conclu qu’un nombre significatif de Québécois étaient confus quant à l’issue possible d’une victoire du Oui(27). Par ailleurs, les résultats pourraient également donner à penser que de nombreux Québécois ont accepté l’idée souverainiste voulant qu’une certaine forme de partenariat économique et politique entre le Canada et le Québec soit réalisable. Un nombre important de répondants semblent également avoir accepté l’affirmation des indépendantiste selon laquelle un Québec indépendant pourrait continuer d’utiliser le dollar canadien et que les Québécois pourraient, s’ils le souhaitaient, détenir la double citoyenneté canadienne et québécoise. Ces résultats démontrent clairement le succès limité des efforts des forces du Non pour réfuter les arguments des indépendantistes.

Selon les fédéralistes, ces résultats montraient que le Québec avait effectivement été induit en erreur. Ils soulignaient que les questions relatives à la devise, au partenariat politique et à la citoyenneté ne seraient pas résolues unilatéralement par le Québec, soit avant, soit après une victoire du Oui, mais qu’elles feraient plutôt l’objet de négociations, dont l’issue n’était pas prévisible.

   E. La réaction du gouvernement fédéral

      1. Le renouvellement du fédéralisme (le plan « A »)

Le 27 novembre 1995, le gouvernement a annoncé les suites qu’il donnait dans un premier temps au résultat du référendum et aux engagements pris par le premier ministre pendant la campagne référendaire. Il a annoncé que dans les jours qui suivraient, il déposerait les documents suivants à la Chambre des communes :

  • une motion reconnaissant que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte, qui comprend notamment une majorité d’expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil;
  • un projet de loi (C-110) obligeant le gouvernement à ne présenter au Parlement de projet de modification constitutionnelle qu’après avoir obtenu le consentement du Québec, de l’Ontario et des régions de l’Atlantique et de l’Ouest(28) (et donnant donc à ces provinces et régions un semblant de veto sur les modifications à la Constitution), et
  • un projet de loi remplaçant le titre de la Loi sur l’assurance-chômage par celui de Loi sur l’assurance-emploi et par lequel le gouvernement fédéral amorçait son retrait de la formation de la main-d’œuvre(29).

Dans les médias et ailleurs, les commentateurs ont en général vu dans ces mesures un élément d’un quelconque « plan A » conçu pour satisfaire les Québécois qui souhaitaient pour le Québec un nouveau statut au sein de la fédération canadienne. Mais certains observateurs ont fait valoir qu’il fallait non seulement convaincre les Québécois de la souplesse du fédéralisme canadien, mais aussi des difficultés que comportait la sécession. Cette approche à très vite été baptisée « plan B ».

      2. La clarification des règles régissant la sécession (le plan « B »)

Il est très vite apparu que le gouvernement fédéral entendait faire plus que de simplement donner suite à certains des vœux du Québec. À peine quelques jours après le référendum, au cours d’un dîner-bénéfice, le premier ministre a signalé l’ambiguïté de la question référendaire :

Vous savez aussi bien que moi que bon nombre de ceux qui ont voté « Oui » l’ont fait parce que les dirigeants du camp souverainiste avaient délibérément posé une question ambiguë dans l’espoir de maquiller leur projet…(30)

Plusieurs mois plus tard, dans le discours du Trône ouvrant la Deuxième session de la Trente-cinquième législature, le 27 février 1996, le gouvernement a donné forme à son engagement de clarifier le débat sur la sécession :

[…] tant qu’il sera question d’un autre référendum au Québec, le gouvernement s’acquittera de sa responsabilité, qui est de s’assurer que l’on joue cartes sur table, que les règles sont équitables, que les conséquences sont clairement énoncées et que les Canadiennes et les Canadiens, où qu’ils vivent, ont leur mot à dire sur l’avenir de leur pays.

Outre la quasi-défaite essuyée au référendum de 1995, les résultats des sondages et les affirmations gratuites sur les intentions réelles des indépendantistes, d’autres événements ont peut-être influé sur la décision du gouvernement fédéral de soumettre à la Cour suprême du Canada certains questions à l’égard d’une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance par le Québec.

Au début de 1996, une poursuite en responsabilité civile intentée en Cour supérieure du Québec a contribué à planter le décor en prévision du renvoi fédéral en Cour suprême concernant la sécession. Le 8 janvier 1996, l’avocat et ancien indépendantiste Guy Bertrand a déposé un premier avis en Cour supérieure demandant une injonction permanente interdisant la tenue au Québec d’autres référendums sur l’indépendance. Dans la documentation déposée devant la Cour, il disait qu’il soutiendrait que le Québec ne pouvait pas invoquer des lois adoptées par l’Assemblée nationale pour se séparer du Canada et déclarer unilatéralement son indépendance(31).

Le 27 mars, Me Bertrand a demandé au gouvernement fédéral de se joindre à lui dans sa démarche et il a déploré que le fédéral n’ait pas organisé de contestation judiciaire au référendum québécois d’octobre 1995, soutenant qu’en participant à ce référendum, Ottawa avait effectivement cautionné un acte illégal et anticonstitutionnel. Ottawa ne s’est pas immédiatement prononcé sur la requête de Me Bertrand.

Au début de mai, le premier ministre Bouchard a instamment demandé au gouvernement fédéral de ne pas intervenir dans l’affaire. Dans l’intervalle, le Québec a réagi à la tentative de Me Bertrand d’obtenir une injonction en affirmant qu’en ce qui concernait la sécession, le Québec n’était lié que par le droit international, et non par le droit canadien ou la Constitution du Canada.

Le 10 mai, le fédéral a annoncé qu’il interviendrait effectivement dans la cause de Me Bertrand, mais uniquement pour contester la position du gouvernement du Québec selon laquelle seuls les électeurs québécois pouvaient décider de l’indépendance du Québec, indépendamment de la Constitution du Canada et sans le consentement du reste du pays.

Le 30 août, la Cour a rejeté la requête du Québec demandant le non-lieu au motif que la sécession est une question politique et non juridique, et Me Bertrand a ainsi pu aller de l’avant. La semaine suivante, le 4 septembre, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il ne participerait plus aux contestations judiciaires de son droit de se séparer du Canada. Me Bertrand a de nouveau demandé au gouvernement fédéral de se joindre à lui dans son action en justice(32). Le 19 septembre, il déclarait qu’il irait de l’avant avant même qu’Ottawa n’ait annoncé publiquement sa position.

   F. Le renvoi à la Cour suprême

Une semaine après l’annonce de Me Bertrand, soit le 26 septembre, le ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Allan Rock, a informé la Chambre que le gouvernement fédéral entendait soumettre trois questions à la Cour suprême du Canada afin de « clarifier les questions juridiques qui se posent dorénavant entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec »(33) à l’égard du droit du Québec de déclarer unilatéralement son indépendance(34).

Ces questions étaient les suivantes :

  1. L’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec peuvent-ils, en vertu de la Constitution du Canada, procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada?
  2. L’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec possèdent-ils, en vertu du droit international, le droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada? À cet égard, en vertu du droit international, existe-t-il un droit à l’autodétermination qui procurerait à l’Assemblée nationale, à la législature ou au gouvernement du Québec le droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada?
  3. Lequel, du droit interne ou du droit international, aurait préséance au Canada dans l’éventualité d’un conflit entre eux quant au droit de l’Assemblée nationale, de la législature ou du gouvernement du Québec de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada?

Le gouvernement du Québec a déploré l’initiative du fédéral. Le premier ministre Bouchard a déclaré que ce renvoi n’était qu’une manœuvre de diversion conçue pour « ériger des obstacles artificiels pour empêcher le peuple du Québec d’accomplir sa volonté »; il a dit que le gouvernement du Québec refuserait de participer aux audiences devant la Cour suprême et ne tiendrait aucun compte de l’avis qu’elle émettrait(35).

   G. L’opinion de la Cour suprême

Le 20 août 1998, la Cour suprême du Canada a donné son opinion dans l’affaire relative à la sécession du Québec. En ce qui concerne la première question, la Cour a noté que les arguments en faveur de l’existence d’un droit unilatéral à faire sécession se fondaient sur le principe de la démocratie; cependant, ce principe ne pouvait pas « empêcher » les autres principes constitutionnels, tels le fédéralisme, le constitutionnalisme, la primauté du droit et le respect des minorités. Elle a indiqué qu’en vertu de la Constitution, la sécession d’une province ne pouvait être réalisée unilatéralement, mais exigeait une négociation raisonnée avec les autres participants à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant.

D’une part, selon la Cour, il y aurait obligation pour le reste du Canada de reconnaître la volonté démocratique du Québec à faire sécession, si une telle volonté existait en effet. D’autre part, cette volonté démocratique doit être claire, le test fondamental d’une volonté claire étant une question claire et une majorité claire. La Cour suprême n’a pas essayé de définir la notion de « clarté » dans aucun de ces contextes, mais a laissé aux acteurs politiques ou aux représentants élus le soin de juger de la question. Il fait peu de doute, cependant, qu’une majorité claire signifiait plus que 50 p. 100 des votes plus une voix :

73. […] Pour bien comprendre l’étendue et l’importance des principes de la primauté du droit et du constitutionnalisme, il est utile de reconnaître explicitement les raisons pour lesquelles une constitution est placée hors de la portée de la règle de la simple majorité […].

77. […] L’exigence d’un vaste appui sous forme de « majorité élargie » pour introduire une modification constitutionnelle garantit que les intérêts des minorités seront pris en considération avant l’adoption de changements qui les affecteront […].

87. Dans ce contexte, nous parlons de majorité « claire » au sens qualitatif. Pour être considérés comme l’expression de la volonté démocratique, les résultats d’un référendum doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l’appui reçu.

La Cour suprême a également noté que même l’expression claire de la volonté de faire sécession ne signifiait pas que le Québec pouvait dicter les conditions d’une sécession proposée.

92.  Les droits des autres provinces et du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecte les droits des autres. Des négociations seraient nécessaires pour traiter des intérêts du gouvernement fédéral, du Québec et des autres provinces, d’autres participants, ainsi que des droits de tous les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec(36).

149.  Le Renvoi nous demande de déterminer si le Québec a le droit de faire sécession unilatéralement. Ceux qui soutiennent l’existence d’un tel droit fondent leur prétention d’abord et avant tout sur le principe de la démocratie. La démocratie, toutefois, signifie davantage que la simple règle de la majorité. Comme en témoigne notre jurisprudence constitutionnelle, la démocratie existe dans le contexte plus large d’autres valeurs constitutionnelles, telles celles déjà mentionnées. Pendant les 131 années de la Confédération, les habitants des provinces et territoires ont noué d’étroits liens d’interdépendance (économique, sociale, politique et culturelle) basés sur des valeurs communes qui comprennent le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le respect des minorités. Une décision démocratique des Québécois en faveur de la sécession compromettrait ces liens. La Constitution assure l’ordre et la stabilité et, en conséquence, la sécession d’une province ne peut être réalisée unilatéralement « en vertu de la Constitution », c’est-à-dire sans négociations fondées sur des principes, avec les autres participants à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant.

Relativement à la deuxième question, la Cour suprême a déclaré que le Québec n’avait aucun « droit » en vertu du droit international à faire sécession unilatéralement, parce que les Québécois ne remplissent pas la condition de peuple opprimé ou colonisé(37). Cependant, la Cour a également reconnu que les négociations seraient difficiles et qu’elles pourraient achopper.

151.  Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l’acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait effectivement être réalisée. Il n’y aurait aucune conclusion prédéterminée en droit sur quelque aspect que ce soit. Les négociations devraient traiter des intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en fait, des droits de tous les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec, et plus particulièrement des droits des minorités. Il va sans dire que de telles négociations ne seraient pas aisées.

Il est donc possible que le Québec puisse faire une déclaration inconstitutionnelle de sécession ou une déclaration unilatérale d’indépendance conduisant à une sécession de facto. Le succès d’une telle déclaration unilatérale d’indépendance dépendrait cependant de la réaction de la communauté internationale. La Cour a laissé entendre que cette réaction dépendrait en partie de la conduite du Québec et du Canada après un éventuel vote en faveur du Oui.

155.  Même s’il n’existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu la Constitution ou du droit international, c’est-à-dire un droit de faire sécession sans négociations sur les fondements qui viennent d’être examinés, cela n’écarte pas la possibilité d’une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d’une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider d’accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la sécession eu égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada. Même si elle était accordée, une telle reconnaissance ne fournirait toutefois aucune justification rétroactive à l’acte de sécession, en vertu de la Constitution ou du droit international.

Puisqu’il n’y avait aucun conflit entre le droit interne et le droit international, la Cour n’a pas eu besoin de répondre à la troisième question.

   H. Les réactions à l’opinion

Contrairement à l’opposition qu’ils avaient manifestée lorsque le gouvernement fédéral avait fait le renvoi à la Cour suprême, les indépendantistes ont accueilli favorablement l’opinion de celle-ci, en mettant l’accent sur les références à l’obligation du Canada de négocier advenant qu’une claire majorité de Québécois votent  Oui en réponse à une question claire. Le premier ministre Bouchard a notamment déclaré, en conférence de presse, que « l’obligation de négocier a une reconnaissance constitutionnelle. C’est de la plus haute importance. Le gouvernement fédéral ne peut aucunement y échapper ». Il a ajouté, en outre, qu’il serait plus facile pour les Québécois de voter  Oui lors d’un futur référendum, en sachant qu’il y aurait des négociations avec le Canada(38).

Le reste du Canada a eu tendance, lui, à insister sur la nécessité d’une question claire et d’une majorité claire exprimant la volonté non ambiguë du peuple du Québec. (C’est sur cette question que porte le projet de loi C-20.) Cependant, certains commentateurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec, ont également noté que la Cour n’avait pas vraiment été claire en décrivant quelle entité négocierait avec le Québec advenant l’expression d’une volonté claire de faire sécession.

93. […] Le processus de négociation qui découlerait d’une décision d’une majorité claire de la population du Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, exigerait la conciliation de divers droits et obligations par les représentants de deux majorités légitimes, à savoir une claire majorité de la population du Québec et une claire majorité de l’ensemble du Canada, quelle qu’elle soit. [c’est nous qui soulignons]

Comme l’indique, entre autres, Alan Cairns, de telles négociations entraîneraient l’émergence non pas d’un, mais de deux nouveaux pays. Alors que le Canada sans le Québec, que Cairns appelle le « nouveau Canada », pourrait conserver le nom de Canada, il serait une entité très différente de l’actuel « Canada  en tant qu’entité ». « Le Canada en tant qu’entité » cesserait d’exister au moment de la sécession, mais le « nouveau Canada » pourrait se trouver lié par des accords négociés par ce pays.

Qui plus est, on devrait rejeter toute idée que le gouvernement fédéral de l’ancien Canada puisse parler et négocier au nom de son successeur, le gouvernement central d’un nouveau pays différent(39).

Claude Ryan, ancien chef du Parti libéral du Québec, a exprimé des préoccupations semblables concernant l’ambiguïté de la structure des négociations, d’un point de vue quelque peu différent :

Comment peut-on concilier le paragraphe proposant des négociations entre « les deux représentants de majorités légitimes » avec les nombreux passages dans lesquels la Cour affirme que l’amendement de la Constitution commence par le processus politique entrepris conformément à la Constitution elle-même [c’est nous qui soulignons]? Y aurait-il deux tables de négociation, l’une politique mais sans poids juridique, l’autre juridique mais avec peu de poids politique auprès de l’une des deux « majorités légitimes »?

Quelle serait la position des partis à ces tables? Qui aurait le pouvoir de décider? Comment pourrait-on en arriver à des décisions efficaces?(40)

PROJET DE LOI C-20 : DESCRIPTION ET ANALYSE

Le projet de loi C-20 comporte un préambule de huit paragraphes, qui explique en détail les motifs des mesures proposées, et trois dispositions portant sur :

  • le rôle de la Chambre des communes dans l’examen d’une question référendaire portant sur un projet de sécession;
  • le rôle de la Chambre des communes dans l’évaluation des résultats d’un référendum sur un projet de sécession;
  • les modifications constitutionnelles éventuellement nécessaires pour réaliser la sécession d’une province.

Le préambule précise ce qui suit :

  • la Cour suprême du Canada a statué que, aux termes de la Constitution du Canada ou du droit international, ni le gouvernement ni la législature du Québec n’ont le droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada (c’est la seule mention du Québec dans le projet de loi);
  • la sécession est une question extrêmement grave, importante pour l’ensemble des citoyens;
  • le gouvernement d’une province a le droit de consulter sa population par référendum sur n’importe quel sujet et de décider du texte de la question référendaire;
  • la Cour suprême du Canada a déclaré que seule une majorité claire en faveur de la sécession peut créer l’obligation de négocier la sécession, que cette condition exige plus que la simple règle de la majorité et qu’il faudrait pour cela déterminer l’existence d’une majorité claire d’un point de vue qualitatif;
  • la Cour suprême du Canada a statué que, pour être légale, la sécession d’une province exige une modification négociée de la Constitution, négociation à laquelle doivent participer les gouvernements de toutes les provinces et le gouvernement fédéral et qui doit être régie par quatre principes (fédéralisme, démocratie, constitutionnalisme et primauté du droit, et protection des minorités);
  • en sa qualité de seul corps élu représentant l’ensemble des Canadiens, la Chambre des communes jouerait un rôle important dans la détermination de ce qui constitue une question et une majorité claires, conditions préalables à la négociation, par le gouvernement du Canada, des modalités de la sécession d’une province;
  • le gouvernement du Canada ne doit pas s’engager dans des négociations pouvant mener à la sécession d’une province et à la perte de droits dont jouissent les citoyens canadiens à moins que la population de la province concernée n’ait manifesté clairement son souhait que la province fasse sécession.

La première disposition du projet de loi conférerait à la Chambre des communes un rôle dans la détermination de la clarté d’une question référendaire posée par un gouvernement provincial et portant sur un projet de sécession. Aux termes du paragraphe 1(1), la Chambre aurait 30 jours pour se prononcer, présumément avant la tenue du référendum, mais aux termes du paragraphe 1(2), le délai serait prorogé de 40 jours en cas d’élections générales fédérales.

Le paragraphe 1(3) porte que la Chambre des communes déterminerait si la question est propre à permettre l’expression claire de la volonté de la population d’une province de faire sécession du Canada.

Selon le paragraphe 1(4), deux cas forceraient la Chambre à conclure qu’une question référendaire ne permet pas l’expression claire de la volonté populaire : a) si la question porte sur un mandat de négocier sans mention d’une sécession; et b) si, outre la sécession, d’autres possibilités sont mentionnées, notamment un accord politique ou économique.

Aux termes du paragraphe 1(5), la Chambre des communes serait forcée de tenir compte de l’avis de tous les partis politiques représentés à l’assemblée législative de la province dont le gouvernement propose la sécession, des gouvernements et assemblées législatives des autres provinces ou territoires, du Sénat du Canada et « de tout autre avis qu’elle estime pertinent ».

Le gouvernement du Canada ne pourrait pas entamer des négociations sur la sécession si la Chambre des communes concluait que la question référendaire n’était pas claire (paragraphe 1(6)).

Le paragraphe 2(1) prévoit que la Chambre des communes devrait procéder à un examen et déterminer par résolution si une majorité claire de la population s’est prononcée en faveur de la sécession pour que le gouvernement fédéral puisse entamer des négociations sur les modalités de cette sécession.

Le paragraphe 2(2) porte que la Chambre des communes devrait prendre en considération l’importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la sécession, du pourcentage des électeurs admissibles ayant voté et de « tous autres facteurs ou circonstances » qu’elle estime pertinents.

Aux termes du paragraphe 2(3), avant de se prononcer, la Chambre des communes devrait tenir compte de l’opinion des entités mentionnées au paragraphe 1(5), ainsi que tout autre avis qu’elle estime pertinent.

Le gouvernement du Canada ne pourrait pas entamer des négociations sur les modalités d’une sécession si la Chambre des communes déterminait que les résultats référendaires ne constituent pas l’expression claire de la volonté d’une nette majorité de la population de la province de faire sécession (paragraphe 2(4)).

Étant donné que la Constitution ne prévoit pas le droit de faire sécession unilatéralement, l’article 3 porte que la sécession exigerait une modification de la Constitution, laquelle nécessiterait des négociations auxquelles participeraient au moins le gouvernement fédéral et les gouvernements de toutes les provinces.

Selon le paragraphe 3(2), aucun ministre ne pourrait proposer de modification constitutionnelle pour permettre la sécession d’une province à moins que le gouvernement du Canada n’ait réglé les questions suivantes par la voix de négociations : la répartition de l’actif et du passif, les modifications éventuelles des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones et la protection des droits des minorités.

COMMENTAIRE

Le projet de loi C-20 est le résultat d’une décision de la Cour suprême en réponse à un renvoi sur la sécession du Québec(41). Il s’appliquerait à toute question référendaire portant sur la sécession de n’importe quelle province; la seule mention spécifique du Québec dans le projet de loi figure dans titre et dans le premier paragraphe du préambule.

Le projet de loi ne précise pas la taille de la majorité qui serait nécessaire pour que le gouvernement fédéral entame des négociations sur les modalités d’une sécession.

Selon le projet de loi C-20, toute question mentionnant d’autres possibilités outre la sécession, par exemple des accords économiques ou politiques avec le Canada, ne serait pas considérée comme une question claire. La question devrait indiquer clairement que la décision à prendre consiste à savoir si la province doit cesser de faire partie du Canada. La Chambre des communes ne serait pas non plus tenue de prendre en compte des questions ou des résultats référendaires portant sur des changements proposés aux accords constitutionnels autres que la sécession. Même une question claire et une majorité claire sur des propositions de souveraineté-association ou de partenariat politique ou économique ou sur toute autre solution autre qu’une sécession, n’entraîneraient aucunement l’obligation de négocier.

Le projet de loi C-20 établit une distinction entre le problème de la clarté de la question et le problème de la clarté de la majorité, mais on a des raisons de penser que la Cour suprême considérait les deux questions comme intrinsèquement liées, et liées aussi par ailleurs à la situation de fait qui entourerait un référendum. Il s’agit de savoir si lors d’un référendum la qualité de question et la taille de la majorité exprimeraient sans ambiguïté la volonté claire de la population d’une province.

Si elle séparait la question de la qualité de la question de celui de la taille de la majorité, et si elle attendait le milieu ou la fin du processus référendaire pour se prononcer sur la clarté de la question, la Chambre des communes pourrait par mégarde influer sur les résultats du référendum. En effet, si la Chambre statuait que la question manque de clarté, le taux de participation au référendum pourrait en être réduit ou les électeurs pourraient décider qu’ils n’ont rien à perdre à voter Oui.

Par contre, les observateurs se sont demandé si le projet de loi C-20 n’aurait pas dû aller plus loin dans plusieurs domaines. Par exemple, certains se sont demandés s’il y aurait lieu de modifier la paragraphe 1(5) pour qu’il y soit précisé qu’il faudrait tenir compte de l’avis d’autres personnes, en particulier les organismes autochtones, ou encore s’il convenait d’allonger la liste de questions à négocier indiquées au paragraphe 3(2).


*   [1998 2 R.C.S. 217] Le titre intégral du projet de loi C-20 est « Loi donnant effet à l’exigence de la clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le renvoi sur la sécession du Québec ». Divers termes recouvrent le concept (par ex., souveraineté indépendance). Dans le présent document nous utilisons la plupart du temps le terme « sécession » qui figure dans le projet de loi C-20.

(1) Le processus proposé comportait six étapes : 1. la publication de l’avant-projet de loi; 2. une période d’information et de participation permettant d’améliorer le projet et de rédiger une Déclaration de souveraineté qui en deviendrait le préambule; 3. la discussion du projet de loi sur la souveraineté du Québec et son adoption par l’Assemblée nationale; 4. l’approbation de cette loi par la population au moyen d’un référendum; 5. une période de discussion avec le Canada sur les mesures transitoires à prendre notamment sur le partage des biens et des dettes, période servant aussi à la préparation de la nouvelle constitution du Québec; 6. l’accession du Québec à la souveraineté.

(2) Il y avait 16 commissions régionales ainsi qu’une commission pour les jeunes et une pour les aînés. Les partis libéraux du Canada et du Québec ont boycotté les audiences.

(3) Le Devoir, « Yves Duhaime fera campagne pour le Oui », 23 février 1995. On a demandé à M. Duhaime si la question devait être modifiée ou le référendum reporté, étant donné les récents résultats de sondage. M. Duhaime a répondu que la démarche devait se poursuivre sans changement, ajoutant que « Le but de l’exercice est précisément de vérifier si ce genre de question permet de dégager un consensus ».

(4) Ibid, p. 16.

(5) Commission nationale sur l’avenir du Québec, Rapport, Québec, p. 35-36.

(6) Ibid., p. 65.

(7) Le Devoir, « Rapport de la Commission nationale : Johnson crie au camouflage », 22 avril 1995.

(8) Le Devoir, « Les péquistes ne peuvent promettre l’association, croit Robillard », 28 avril 1995.

(9) Texte de l’Entente entre le Parti Québécois, le Bloc Québécois et l’Action démocratique du Québec, 12 juin 1995, p. 2.

(10) Ibid., p. 2.

(11) Le Devoir, « L’entente tripartite : un engagement sacré de négocier de bonne foi », 13 juin 1995.

(12) Ibid.

(13) L’avant-projet de loi ne proposait qu’une association économique. Ce changement semblait donner suite aux recommandations du rapport de la Commission nationale sur l’avenir du Québec, p. 65 et à la recommandation 19 ainsi qu’à l’Entente tripartite du 12 juin.

(14) Les « votes valides » excluent les bulletins de vote rejetés. En 1995, 86 501 bulletins ont été rejetés, soit 1,82 p. 100 des suffrages. Au référendum de 1980, 1,74 p. 100 des votes avaient été rejetés.

(15) Lors du référendum de 1980 sur la souveraineté au Québec, le taux de participation avait été de 85,61 p. 100. Ceux qui ont voté Non constituaient 59,56 p. 100 du suffrage valide, et 40,44 p. 100 avaient voté Oui. La différence séparant les deux options était de 19,12 p. 100. Il convient de noter que la question de 1980 demandait essentiellement aux Québécois s’ils autorisaient le gouvernement du Québec à négocier la souveraineté avec le gouvernement fédéral et promettait un deuxième référendum sur les résultats de la négociation.

(16) Voir, par exemple, Susan Delacourt, « Thinking the Unthinkable Suddenly in Vote: In the Wake of Jacques Parizeau’s Remarks This Week, ‘Plan B – Confronting the Possibility of Separation – Gains Currency », Globe and Mail (Toronto), 9 mai 1997.

(17) Le Soleil, « Ce qu’aurait dit Parizeau avec un OUI…Benoît Aubin révèle dans un livre l’AUTRE discours et le commente », 17 février 1996. L’article note que deux proches conseillers de M. Parizeau, Jean Royer et Jean-François Lisée, ont rejeté l’interprétation d’Aubin et produit des extraits d’un discours où M. Parizeau rappelle à son auditoire l’engagement de son gouvernement à négocier un nouveau partenariat avec le Canada.

(18) Benoit Aubin, Chroniques de mauvaise humeur, Montréal, Boréal, 1996, p. 217.

(19) Voir, par exemple, Alan C. Cairns, « The Quebec Secession Reference: The Constitutional Obligation to Negotiate », Constitutional Forum, automne 1998, p. 26; Rhéal Séguin et Graham Fraser, « Parizeau Book Stuns Separatists. Bouchard, Duceppe Deny Any Knowledge of Plan to Declare Independence Unilaterally », Globe and Mail (Toronto), 8 mai 1997.

(20) Globe and Mail (Toronto), 10 mai 1997.

(21) Rhéal Séguin, Globe and Mail (Toronto), 29 décembre 1999.

(22) Publicité dans Bonjour Dimanche, 17 septembre 1995, p. 13, payée par Les Québécoises et les Québécois pour le NON.

(23) Le professeur John Trent de l’Université d’Ottawa a préparé un guide pour le référendum de 1995, dans lequel il affirme que souveraineté est un terme édulcoré, choisi pour semer la confusion. Ainsi, la définition habituelle de fédéralisme précise que chaque ordre de gouvernement, fédéral et provincial, est souverain dans son champ de compétence. Ainsi, la souveraineté peut signifier des degrés divers d’autonomie politique qui, affirme-t-il, est exactement ce que les nationalistes utilisent plutôt que indépendance ou séparation. (« A Practical Guide to the 1995 Referendum », Dialogue Canada, Ottawa, Internet).

(24) Le Devoir, 23 septembre 1995. Le sondage a été effectué du 15 au 19 septembre auprès de 1 004 répondants, ce qui donne une marge d’erreur de plus ou moins 3,2 p. 100, 19 fois sur 20. Parmi ceux qui ont indiqué leur intention de voter Oui, 49 p. 100 estimaient que la souveraineté serait déclarée seulement après des négociations et la conclusion d’un accord avec Ottawa; 28 p. 100 estimaient qu’un Québec souverain demeurait une province du Canada.

Parmi les personnes sondées, 57 p. 100 ne savaient pas que « l’accord signé le 12 juin » dans la question référendaire concernait l’accord entre les trois chefs de parti (voir plus haut). Des 43 p. 100 qui connaissaient l’accord, 16 p. 100 pensaient qu’il s’agissait d’un accord entre le fédéral et les provinces.

(25) Le Conseil de l’unité canadienne est un organisme fédéraliste sans but lucratif qui tire la majeure de son financement du gouvernement fédéral. La firme CROP a mené le premier sondage par téléphone du 3 au 9 juin 1997. L’opinion de 604 Québécois a été enregistrée et le sondage a une marge d’erreur de plus ou moins 4 p. 100. Trente-et-un pour cent des répondants estimaient qu’un Québec souverain ferait encore partie du Canada. Parmi ceux qui ont indiqué vouloir voter Oui à la même question que celle du référendum de 1995, 44 p. 100 pensaient que le Québec demeurerait au sein du Canada après un vote favorable.

Le deuxième sondage a été mené du 3 au 19 avril 1998, auprès de 1 004 répondants et avec une marge d’erreur de 3 p. 100. Il s’est révélé que 29 p. 100 des répondants estimaient qu’en vertu de la souveraineté-partenariat, les Québécois continueraient d’envoyer des députés à Ottawa; 39 p. 100 des répondants pensaient que les Québécois demeureraient citoyens du Canada; 36 p. 100 des répondants pensaient que le Québec serait encore une province du Canada.

(26) Le sondage a été réalisé par CROP entre le 9 juin et le 2 août 1999, avec un échantillon de 4 992 répondants. Du total, 3 394 ont été choisis au hasard. La marge d’erreur au sein de ce groupe est de 1,6 p. 100, 19 fois sur 20. Un total de 1 058 autres répondants a été choisi de façon non aléatoire. Au sein de cette population statistique, la marge d’erreur est de 3 p. 100, 19 fois sur 20.

Quand on leur lisait la question référendaire de 1995, 61 p. 100 des répondants ont dit qu’elle n’était pas claire;

À la suite d’une victoire du Oui, 58 p. 100 croyaient qu’il serait « vraisemblable » qu’un accord d’association économique serait conclu avec le Canada, 58 p. 100 croyaient que le Québec continuerait d’utiliser le dollar canadien, 54 p. 100 croyaient que les Québécois continueraient de pouvoir travailler au Canada, 49 p. 100 croyaient que les Québécois pourraient conserver leur citoyenneté et leur passeport canadien, et 23 p. 100 croyaient que les Québécois continueraient d’envoyer des députés à Ottawa.

Le sondage a également révélé que 10 p. 100 des répondants qui voteraient Oui à la souveraineté-partenariat voteraient également Oui à une question demandant si le Québec devait demeurer une province du Canada. Parmi ces électeurs (étiquetés « électeurs ambivalents pour le Oui »), 71 p. 100 ont affirmé que si la souveraineté-partenariat était réalisée, le Québec ferait encore partie du Canada; 59 p. 100 ont dit qu’ils voulaient que le Canada devienne un pays indépendant; 75 p. 100 voteraient Oui pour forcer le Canada à faire une meilleure offre au Québec et 78 p. 100 ont dit qu’en cas de souveraineté-partenariat, les Québécois continueraient d’être des citoyens canadiens.

(27) Voir, par exemple, Jeffrey Simpson, « Conditional Voters », Globe and Mail (Toronto), 16 décembre 1999.

(28) La Colombie-Britannique a par la suite été ajoutée à la liste à titre de cinquième région.

(29) Contrôler la formation de la main-d’œuvre était une des exigences traditionnelles du Québec.

(30) Le premier ministre Jean Chrétien, Canadian Speeches : Issues of the Day, novembre 1995, p. 5 (traduction).

(31) M. Bertrand a tenté d’obtenir une injonction temporaire pour empêcher la tenue du référendum d’octobre 1995, mais la Cour a rejeté sa requête. Le gouvernement du Québec n’a pas participé à l’affaire quand il a constaté qu’il ne pouvait pas empêcher son audition. Il n’a pas non plus appelé du jugement.

(32) Globe and Mail (Toronto), 6 septembre 1996.

(33) Hansard, 26 septembre 1996, p. 4709.

(34) Aux fins de ce renvoi, le gouvernement s’appuyait sur le paragraphe 53(1) de la Loi sur la Cour suprême, qui énonce ce qui suit : « Le gouverneur en conseil peut soumettre au jugement de la Cour toute question importante de droit ou de fait touchant : a) l'interprétation des Lois constitutionnelles; b) la constitutionnalité ou l'interprétation d'un texte législatif fédéral ou provincial; c) la compétence d'appel en matière d'enseignement dévolue au gouverneur en conseil par la Loi constitutionnelle de 1867 ou une autre loi; d) les pouvoirs du Parlement canadien ou des législatures des provinces, ou de leurs gouvernements respectifs, indépendamment de leur exercice passé, présent ou futur.

(35) Rhéal Séguin, « Bouchard Dismisses Bid for Ruling on Sovereignty », Globe and Mail (Toronto), 27 septembre 1996.

(36) Renvoi relatif à la sécession du Québec, R.C.S. 217, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 92.

(37) Ibid., par. 154.

(38) Rhéal Séguin, « Federalist Cause Poisoned by Ruling, Bouchard Says », Globe and Mail (Toronto), 22 août 1998.

(39) Alain C. Cairns, « The Constitutional Obligation to Negociate », David Schneideman (éd.), The Quebec Decision, p. 147 (traduction).

(40) Claude Ryan, « What if Quebecers Voted for Separation », Ibid., p. 151 (traduction).

(41) Voir Tableau indiquant les annotations au projet de loi sur la clarté, Direction de la recherche parlementaire, mars 2000.