PRB 99-44F

 

RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

 

Rédaction :
Margaret Smith
Division du droit et du gouvernement
Le 29 février 2000


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

OBLIGATION FIDUCIAIRE ET NIVEAU DE DILIGENCE

RESPONSABILITÉS LÉGALES DES ADMINISTRATEURS

   A. Généralités

   B. Responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA

   C. Mécanismes de défense

LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS À L’ÉGARD DES SALAIRES


RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

 INTRODUCTION

La responsabilité des administrateurs a toujours intéressé les milieux d’affaires. Certes, le poids qu’elle représente pour les personnes qualifiées qui décident d’accepter ou non des fonctions d’administrateur est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre, mais son coût éventuel pour l’économie préoccupe aussi. Des responsabilités trop lourdes peuvent amener les conseils d’administration des entreprises à consacrer un temps considérable au respect des règles prescrites, au détriment de l’innovation et, par conséquent, de la compétitivité.

La responsabilité personnelle, parfois considérée comme un fardeau par les administrateurs, peut être un bon moyen de faire respecter les règles et de répartir le risque, en assortissant les relations de la société avec d’autres parties d’une obligation de rendre des comptes.

La Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) impose des responsabilités légales aux administrateurs de sociétés. En plus, ceux-ci peuvent être appelés à répondre devant la société d’un manquement à leurs obligations fiduciaires.

Le présent document concerne ces responsabilités et les défenses qui sont prévues à cet égard dans la LCSA.

OBLIGATION FIDUCIAIRE ET NIVEAU DE DILIGENCE

La common law, le Code civil du Québec et les lois relatives aux sociétés imposent aux administrateurs d’entreprises un certain nombre d’obligations. La première est d’éviter les situations de conflit entre leurs intérêts propres et leur devoir d’agir dans l’intérêt de la société. Ce principe est codifié à l’alinéa 122(1)(a) de la LCSA, qui dispose que les administrateurs doivent « agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société », dans l’exercice de leurs pouvoirs et dans l’exécution de leurs fonctions.

Les administrateurs sont également tenus d’assurer un certain niveau de soin. La norme légale concernant le devoir de soin, la diligence et la compétence des administrateurs de sociétés provient de la common law et elle a été codifiée dans l’alinéa 122(1)(b) de la LCSA, où il est dit que l’administrateur doit agir « avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ». C’est donc dire que les administrateurs doivent s’appuyer sur leur formation, leur capacité, leur expérience et leur instruction comme le ferait toute personne prudente et raisonnable dans une situation analogue.

RESPONSABILITÉS LÉGALES DES ADMINISTRATEURS

   A. Généralités

La LCSA impose un certain nombre de responsabilités aux administrateurs des sociétés qu’elle vise. De plus, d’autres lois fédérales et provinciales rendent les administrateurs personnellement responsables des infractions environnementales, des salaires, des retenues à la source, de la TPS et des taxes sur la vente au détail, entre autres.

Le principe de départ est que, si l’administrateur risque d’être tenu responsable, il gérera la société en prêtant une attention plus grande à ses obligations légales. Il sera porté à surveiller de plus près la façon dont son entreprise applique la loi. De plus, la responsabilité des administrateurs permet de sanctionner les sociétés qui ne respectent pas leurs obligations.

Essentiellement, les responsabilités légales peuvent être imposées de trois façons différentes. Premièrement, l’administrateur est tenu responsable, qu’il ait eu ou non l’intention de commettre l’infraction, ou même qu’il en ait eu connaissance ou non. Deuxièmement, sa responsabilité n’est pas engagée s’il a été diligent, c’est-à-dire qu’une défense de « diligence raisonnable » lui permet de s’en dégager, pourvu qu’il ait pris les mesures appropriées et ait instauré des procédures. Dans le troisième cas, sont considérés comme responsables les administrateurs qui ont « donné leur autorisation, leur permission ou leur acquiescement » à la perpétration de l’infraction par la société.

   B. Responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA

En vertu de la LCSA, la responsabilité des administrateurs peut être engagée en ce qui concerne :

  • l’autorisation de l’émission d’actions en contrepartie d’un apport autre qu’en numéraire et la différence entre la juste valeur de cet apport et celle de l’apport en numéraire que la société aurait dû recevoir (par. 118(1));
  • certaines sommes payées par la société, par exemple la prestation d’une aide financière, le rachat d’actions, le versement de dividendes ou de commissions, lorsque la société n’est pas solvable (par. 118(2));
  • les dettes impayées envers des employés, par exemple des salaires accumulés et des indemnités de congés (art. 119);
  • les transactions d’initiés(1) (art. 131); et
  • les recours en cas d’abus(2) (art. 241).

   C. Mécanismes de défense

La LSCA permet aux administrateurs d’invoquer une défense « reposant sur la bonne foi » à l’égard de beaucoup des responsabilités auxquelles ils sont assujettis en vertu de la Loi. Aux termes du paragraphe 123(4) l’administrateur n’est pas responsable des émissions d’actions ou des paiements irréguliers (art. 118), des salaires impayés (art. 119) ou d’une violation de l’obligation fiduciaire et de l’obligation de diligence (art. 122) s’il s’appuie de bonne foi sur :

  1. des états financiers de la société reflétant équitablement sa situation, d’après l’un de ses dirigeants ou d’après le rapport écrit du vérificateur;
  2. les rapports des personnes dont la profession permet d’accorder foi à leurs déclarations, notamment les avocats, comptables, ingénieurs, estimateurs ou autres.

La défense de bonne foi prévue dans la LCSA est d’une portée limitée. Elle permet aux administrateurs de justifier leurs actes en citant une source d’information fiable, mais elle ne les autorise pas, à défaut d’une justification expresse, de démontrer qu’ils ont agi d’une manière raisonnable dans les circonstances.

Certains réclament l’introduction dans la LCSA d’une défense de diligence raisonnable en remplacement de l’actuelle défense de bonne foi. Le rapport de 1994 du Comité sur la gestion des sociétés de la Bourse de Toronto recommandait que les lois qui imposent des responsabilités aux administrateurs prévoient pour eux la possibilité de recourir à une véritable défense de diligence raisonnable(3) Selon ce document :

L’existence d’une défense de diligence raisonnable incitera le conseil à établir, au sein de la société, un système qui permette d’éviter la conduite réprimée par la loi applicable. Ce système n’empêchera pas nécessairement la conduite en question, mais il en réduira sensiblement le risque (4).

Selon un document de consultation publié en 1995 par Industrie Canada et portant sur la responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA, la défense de diligence raisonnable serait plus équitable pour les administrateurs.

Elle leur permet de faire la preuve d’une prudence raisonnable en s’appuyant sur des états financiers reflétant la situation de la société, d’après l’un de ses dirigeants ou sur leur propre évaluation de la santé financière de la société. Elle tient toutefois compte du fait que la nature et la portée des précautions escomptées varient selon les circonstances. Ces précautions peuvent inclure, par exemple, la mise en place de systèmes et de mesures de surveillance adéquats, qui assurent la mise en œuvre de politiques, exigeant l’examen adéquat de rapports périodiques et la prise de mesures convenables lorsqu’un problème est porté à l’attention des administrateurs(5).

Le document de consultation poursuit en recommandant que le paragraphe 123(4) de la LCSA soit modifié, de sorte que l’administrateur puisse éviter la responsabilité qui découle des paiements illégaux par la société, des salaires impayés et de la contravention aux devoirs généraux, lorsqu’il a exercé le degré de soin, de diligence et de compétence dont aurait fait preuve une personne prudente et avisée dans des circonstances comparables pour éviter l’acte illégal(6).

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a examiné la question de la responsabilité des administrateurs et des défenses qui y sont associées dans son rapport d’août 1996 intitulé La régie des sociétés(7). Les témoins entendus aux audiences se sont dits inquiets de l’élargissement des responsabilités des administrateurs et des effets de cette situation sur la régie des sociétés et la conduite des affaires. Selon eux, il faudrait que les administrateurs soient protégés par une défense de diligence raisonnable, sauf en cas de malhonnêteté, d’activité frauduleuse, de mauvaise foi ou de transactions intéressées.

Après avoir entendu les témoins plaider fortement pour l’adoption d’une norme de diligence raisonnable, le Comité a recommandé que la LCSA soit modifiée de manière à prévoir une défense de diligence raisonnable pour les administrateurs de sociétés. Ainsi cette loi s’alignerait sur les autres lois fédérales qui engagent la responsabilité personnelle des administrateurs tout en assurant à ces derniers un traitement plus équitable. Une défense de ce genre, aux yeux du Comité, encouragerait les sociétés à mettre des mécanismes en place et à accorder aux administrateurs qui remplissent les conditions de diligence raisonnable une certaine marge de manœuvre quant à leurs responsabilités personnelles, ce qui contribuerait à améliorer la régie des sociétés au Canada(8).

D’une manière plus générale, le Comité des banques a souhaité que toutes les lois fédérales qui imposent une responsabilité aux administrateurs prévoient pour eux la possibilité de recourir à une défense de diligence raisonnable.

LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

La question de savoir s’il y a lieu de limiter la responsabilité des administrateurs a fait l’objet d’un examen dans le document de consultation d’Industrie Canada et dans le rapport du Comité sénatorial des banques. Ce sujet a été débattu aux États-Unis à la fin des années 1980, à la suite d’une décision de la Cour suprême du Delaware qui avait tenu les administrateurs d’une certaine société responsables devant les actionnaires d’une somme de plusieurs millions de dollars(9).

Après cette décision, certains États ont révisé leurs lois sur les sociétés, de manière à permettre à celles-ci de modifier leurs statuts pour limiter la responsabilité personnelle de leurs administrateurs en cas de manquement à certains types d’obligations. D’autres ont choisi de limiter le montant des dommages-intérêts pouvant être infligés aux administrateurs dans certaines circonstances précises. D’autres enfin ont choisi d’établir ou de plafonner par une loi la responsabilité des administrateurs.

Le document de consultation d’Industrie Canada énumère plusieurs objections à la limitation de la responsabilité des administrateurs. Il s’agit entre autres du transfert de la responsabilité et du risque à d’autres, par exemple à la société, aux assureurs et à la partie lésée, ainsi que la difficulté de tenir compte des différences entre les petites et les grandes sociétés(10).

Un certain nombre de témoins aux audiences du Comité sénatorial des banques ont évoqué la limitation de la responsabilité des administrateurs. Certains étaient en faveur, d’autres contre, et d’autres encore estimaient qu’une limitation n’était pas nécessaire pour l’instant au Canada, quoiqu’elle puisse le devenir si la situation à cet égard devait s’aggraver.

Ni le Comité sénatorial des banques ni le document de consultation ne réclament une limitation de la responsabilité des administrateurs. Selon le Comité, la LCSA n’est pas un instrument efficace pour l’imposition d’une telle limite. Pour qu’une limite soit vraiment utile, il faut qu’elle s’applique aux responsabilités en vertu des lois fédérales et provinciales. De l’avis du Comité, il serait difficile de réaliser le niveau de coordination nécessaire entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour qu’une telle proposition puisse être possible(11).

RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS À L’ÉGARD DES SALAIRES

Un volet important du débat dont il est question ici concerne la responsabilité des administrateurs à l’égard des employés.

Le paragraphe 119(1) de la LCSA prévoit que les administrateurs sont responsables des rémunérations dues aux employés de la société. Plus précisément, elle dispose que les administrateurs sont solidairement responsables envers les employés de la société des dettes liées aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière pendant qu’ils exercent leur mandat, et ce jusqu’à concurrence de six mois de salaire, sauf si :

  • l’exécution n’a pu satisfaire au montant accordé par jugement, à la suite d’une action en recouvrement de la créance intentée contre la société dans les six mois de l’échéance;
  • l’existence de la créance est établie dans les six mois de la première des dates suivantes : celle du début des procédures de liquidation ou de dissolution de la société ou celle de sa dissolution;
  • l’existence de la créance est établie dans les six mois d’une cession de biens ou d’une ordonnance de mise sous séquestre frappant la société.

De plus, la responsabilité de l’administrateur à l’égard des salaires n’est engagée que si l’action est intentée durant son mandat ou dans les deux ans suivant la cessation de celui-ci.

Les administrateurs peuvent se prévaloir du paragraphe 123(4) de la LCSA pour s’exonérer d’une responsabilité à l’égard de salaires en souffrance, s’ils s’appuient de bonne foi sur :

  1. des états financiers reflétant la situation de la société d’après l’un de ses dirigeants ou d’après le rapport écrit du vérificateur;
  2. les rapports des personnes dont la profession permet d’accorder foi à leur déclaration, notamment les avocats, comptables, ingénieurs, estimateurs ou autres.

Le document de consultation ne recommande ni de maintenir ni d’abroger l’article 119. Il recommande toutefois que, si l’article 119 est conservé, il soit modifié pour confirmer et clarifier le fait que la responsabilité des administrateurs ne s’étend pas aux indemnités de cessation d’emploi ou de départ prévues par la loi ou par un contrat(12).

Le Comité sénatorial permanent sur les banques et le commerce s’est penché sur la question du maintien de la responsabilité des administrateurs à l’égard des salaires dans la LCSA. Certains témoins ont fait valoir que les administrateurs de sociétés à fort coefficient de main-d’œuvre devaient assumer de très lourdes responsabilités à l’égard des salaires des employés. Estimant qu’une telle responsabilité était désuète et qu’il fallait la supprimer, d’autres ont soutenu que la question des salaires impayés relevait davantage de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité(13).

Le Comité sénatorial des banques était d’accord pour dire que la responsabilité à l’égard des salaires impayés devait figurer dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, plutôt que dans la LCSA. Selon lui, le premier objectif de l’article 119 de la LCSA est de protéger les employés en cas de faillite ou d’insolvabilité de leur employeur. Étant donné que les salaires impayés constituent une dette de la société à l’égard de ses employés, ils doivent être considérés dans le cadre d’une loi dont l’objectif est d’assurer un paiement ordonné des dettes. L’une des principales raisons pour lesquelles le Comité a recommandé que la responsabilité à l’égard des salaires soit retirée de la LCSA pour être insérée dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité est qu’une telle solution aurait pour effet de créer une norme cohérente à l’échelle du pays(14).


(1) Il y a transaction d’initié irrégulière lorsque, à l’occasion d’opérations portant sur les valeurs mobilières d’une société, les administrateurs, entre autres initiés, utilisent à leur profit un renseignement confidentiel dont il est raisonnable de croire que, s’il était généralement connu, il provoquerait une modification sensible du prix des valeurs.

(2) Le recours en cas d’abus permet au plaignant de demander au tribunal de redresser par ordonnance la situation provoquée par une société qui abuse des droits des détenteurs de valeurs mobilières, des créanciers, des administrateurs ou des dirigeants, ou porte atteinte à leurs intérêts ou n’en tient pas compte en raison soit du comportement de la société soit de la façon dont ces administrateurs exercent leurs pouvoirs.

(3) Bourse de Toronto, Committee on Corporate Governance in Canada, Where Were the Directors?, décembre 1994, p. 36, par. 5.62.

(4) Ibid.

(5) Industrie Canada, Loi sur les sociétés par actions, Document de consultation, Responsabilité des administrateurs [appelé ci-dessous « document de consultation »], novembre 1995, p. 27.

(6) Ibid.

(7) Sénat du Canada, Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, La régie des sociétés, août 1996.

(8) Ibid., p. 18-19.

(9) Smith v. Van Gorkom, 488 A2d 858 (Del. 1985). Cette affaire est survenue lorsque les administrateurs d’une société (Trans Union) ont approuvé sa fusion avec une autre société. La version préliminaire de l’accord de fusion négocié par le président et directeur général de Trans Union a été présentée aux membres du conseil d’administration de l’entreprise sans préavis et sans documentation d’accompagnement. Après une discussion de moins de deux heures, les administrateurs ont approuvé la fusion. La Cour suprême du Delaware a arrêté que les administrateurs étaient responsables devant les actionnaires.

(10) Document de consultation, 1995, p. 46.

(11) La régie des sociétés,1996, p. 26.

(12) Document de consultation, 1995, p. 13.

(13) La régie des sociétés, 1996, p. 30. Aux termes de l’actuelle Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les travailleurs dont l’employeur fait faillite détiennent une créance privilégiée équivalant à six mois de salaire impayé, jusqu’à concurrence de 2 000 $ et, s’il s’agit de commis-vendeurs, aux frais engagés sur la même période, jusqu’à un maximum de 1 000 $. Lorsqu’un employeur insolvable présente un projet de réorganisation de son entreprise conformément à la Loi, les salaires impayés et les frais des commis-vendeurs doivent être acquittés immédiatement jusqu’à concurrence de ces montants, dès l’approbation par la cour de la proposition. Les créances que détiennent les directeurs et dirigeants au titre de leurs salaires ou rémunérations impayés ne sont toutefois pas considérées comme des créances privilégiées en cas de faillite de la société (art.140).

(14) Ibid., p. 33.