RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS
Rédaction : TABLE DES MATIÈRES OBLIGATION FIDUCIAIRE ET NIVEAU DE DILIGENCE RESPONSABILITÉS LÉGALES DES ADMINISTRATEURS B. Responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS À LÉGARD DES SALAIRES RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS La responsabilité des administrateurs a toujours intéressé les milieux daffaires. Certes, le poids quelle représente pour les personnes qualifiées qui décident daccepter ou non des fonctions dadministrateur est un sujet qui a fait couler beaucoup dencre, mais son coût éventuel pour léconomie préoccupe aussi. Des responsabilités trop lourdes peuvent amener les conseils dadministration des entreprises à consacrer un temps considérable au respect des règles prescrites, au détriment de linnovation et, par conséquent, de la compétitivité. La responsabilité personnelle, parfois considérée comme un fardeau par les administrateurs, peut être un bon moyen de faire respecter les règles et de répartir le risque, en assortissant les relations de la société avec dautres parties dune obligation de rendre des comptes. La Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) impose des responsabilités légales aux administrateurs de sociétés. En plus, ceux-ci peuvent être appelés à répondre devant la société dun manquement à leurs obligations fiduciaires. Le présent document concerne ces responsabilités et les défenses qui sont prévues à cet égard dans la LCSA. OBLIGATION FIDUCIAIRE ET NIVEAU DE DILIGENCE La common law, le Code civil du Québec et les lois relatives aux sociétés imposent aux administrateurs dentreprises un certain nombre dobligations. La première est déviter les situations de conflit entre leurs intérêts propres et leur devoir dagir dans lintérêt de la société. Ce principe est codifié à lalinéa 122(1)(a) de la LCSA, qui dispose que les administrateurs doivent « agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société », dans lexercice de leurs pouvoirs et dans lexécution de leurs fonctions. Les administrateurs sont également tenus dassurer un certain niveau de soin. La norme légale concernant le devoir de soin, la diligence et la compétence des administrateurs de sociétés provient de la common law et elle a été codifiée dans lalinéa 122(1)(b) de la LCSA, où il est dit que ladministrateur doit agir « avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ». Cest donc dire que les administrateurs doivent sappuyer sur leur formation, leur capacité, leur expérience et leur instruction comme le ferait toute personne prudente et raisonnable dans une situation analogue. RESPONSABILITÉS LÉGALES DES ADMINISTRATEURS La LCSA impose un certain nombre de responsabilités aux administrateurs des sociétés quelle vise. De plus, dautres lois fédérales et provinciales rendent les administrateurs personnellement responsables des infractions environnementales, des salaires, des retenues à la source, de la TPS et des taxes sur la vente au détail, entre autres. Le principe de départ est que, si ladministrateur risque dêtre tenu responsable, il gérera la société en prêtant une attention plus grande à ses obligations légales. Il sera porté à surveiller de plus près la façon dont son entreprise applique la loi. De plus, la responsabilité des administrateurs permet de sanctionner les sociétés qui ne respectent pas leurs obligations. Essentiellement, les responsabilités légales peuvent être imposées de trois façons différentes. Premièrement, ladministrateur est tenu responsable, quil ait eu ou non lintention de commettre linfraction, ou même quil en ait eu connaissance ou non. Deuxièmement, sa responsabilité nest pas engagée sil a été diligent, cest-à-dire quune défense de « diligence raisonnable » lui permet de sen dégager, pourvu quil ait pris les mesures appropriées et ait instauré des procédures. Dans le troisième cas, sont considérés comme responsables les administrateurs qui ont « donné leur autorisation, leur permission ou leur acquiescement » à la perpétration de linfraction par la société. B. Responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA En vertu de la LCSA, la responsabilité des administrateurs peut être engagée en ce qui concerne :
La LSCA permet aux administrateurs dinvoquer une défense « reposant sur la bonne foi » à légard de beaucoup des responsabilités auxquelles ils sont assujettis en vertu de la Loi. Aux termes du paragraphe 123(4) ladministrateur nest pas responsable des émissions dactions ou des paiements irréguliers (art. 118), des salaires impayés (art. 119) ou dune violation de lobligation fiduciaire et de lobligation de diligence (art. 122) sil sappuie de bonne foi sur :
La défense de bonne foi prévue dans la LCSA est dune portée limitée. Elle permet aux administrateurs de justifier leurs actes en citant une source dinformation fiable, mais elle ne les autorise pas, à défaut dune justification expresse, de démontrer quils ont agi dune manière raisonnable dans les circonstances. Certains réclament lintroduction dans la LCSA dune défense de diligence raisonnable en remplacement de lactuelle défense de bonne foi. Le rapport de 1994 du Comité sur la gestion des sociétés de la Bourse de Toronto recommandait que les lois qui imposent des responsabilités aux administrateurs prévoient pour eux la possibilité de recourir à une véritable défense de diligence raisonnable(3) Selon ce document :
Selon un document de consultation publié en 1995 par Industrie Canada et portant sur la responsabilité des administrateurs aux termes de la LCSA, la défense de diligence raisonnable serait plus équitable pour les administrateurs.
Le document de consultation poursuit en recommandant que le paragraphe 123(4) de la LCSA soit modifié, de sorte que ladministrateur puisse éviter la responsabilité qui découle des paiements illégaux par la société, des salaires impayés et de la contravention aux devoirs généraux, lorsquil a exercé le degré de soin, de diligence et de compétence dont aurait fait preuve une personne prudente et avisée dans des circonstances comparables pour éviter lacte illégal(6). Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a examiné la question de la responsabilité des administrateurs et des défenses qui y sont associées dans son rapport daoût 1996 intitulé La régie des sociétés(7). Les témoins entendus aux audiences se sont dits inquiets de lélargissement des responsabilités des administrateurs et des effets de cette situation sur la régie des sociétés et la conduite des affaires. Selon eux, il faudrait que les administrateurs soient protégés par une défense de diligence raisonnable, sauf en cas de malhonnêteté, dactivité frauduleuse, de mauvaise foi ou de transactions intéressées. Après avoir entendu les témoins plaider fortement pour ladoption dune norme de diligence raisonnable, le Comité a recommandé que la LCSA soit modifiée de manière à prévoir une défense de diligence raisonnable pour les administrateurs de sociétés. Ainsi cette loi salignerait sur les autres lois fédérales qui engagent la responsabilité personnelle des administrateurs tout en assurant à ces derniers un traitement plus équitable. Une défense de ce genre, aux yeux du Comité, encouragerait les sociétés à mettre des mécanismes en place et à accorder aux administrateurs qui remplissent les conditions de diligence raisonnable une certaine marge de manuvre quant à leurs responsabilités personnelles, ce qui contribuerait à améliorer la régie des sociétés au Canada(8). Dune manière plus générale, le Comité des banques a souhaité que toutes les lois fédérales qui imposent une responsabilité aux administrateurs prévoient pour eux la possibilité de recourir à une défense de diligence raisonnable. LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS La question de savoir sil y a lieu de limiter la responsabilité des administrateurs a fait lobjet dun examen dans le document de consultation dIndustrie Canada et dans le rapport du Comité sénatorial des banques. Ce sujet a été débattu aux États-Unis à la fin des années 1980, à la suite dune décision de la Cour suprême du Delaware qui avait tenu les administrateurs dune certaine société responsables devant les actionnaires dune somme de plusieurs millions de dollars(9). Après cette décision, certains États ont révisé leurs lois sur les sociétés, de manière à permettre à celles-ci de modifier leurs statuts pour limiter la responsabilité personnelle de leurs administrateurs en cas de manquement à certains types dobligations. Dautres ont choisi de limiter le montant des dommages-intérêts pouvant être infligés aux administrateurs dans certaines circonstances précises. Dautres enfin ont choisi détablir ou de plafonner par une loi la responsabilité des administrateurs. Le document de consultation dIndustrie Canada énumère plusieurs objections à la limitation de la responsabilité des administrateurs. Il sagit entre autres du transfert de la responsabilité et du risque à dautres, par exemple à la société, aux assureurs et à la partie lésée, ainsi que la difficulté de tenir compte des différences entre les petites et les grandes sociétés(10). Un certain nombre de témoins aux audiences du Comité sénatorial des banques ont évoqué la limitation de la responsabilité des administrateurs. Certains étaient en faveur, dautres contre, et dautres encore estimaient quune limitation nétait pas nécessaire pour linstant au Canada, quoiquelle puisse le devenir si la situation à cet égard devait saggraver. Ni le Comité sénatorial des banques ni le document de consultation ne réclament une limitation de la responsabilité des administrateurs. Selon le Comité, la LCSA nest pas un instrument efficace pour limposition dune telle limite. Pour quune limite soit vraiment utile, il faut quelle sapplique aux responsabilités en vertu des lois fédérales et provinciales. De lavis du Comité, il serait difficile de réaliser le niveau de coordination nécessaire entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour quune telle proposition puisse être possible(11). RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS À LÉGARD DES SALAIRES Un volet important du débat dont il est question ici concerne la responsabilité des administrateurs à légard des employés. Le paragraphe 119(1) de la LCSA prévoit que les administrateurs sont responsables des rémunérations dues aux employés de la société. Plus précisément, elle dispose que les administrateurs sont solidairement responsables envers les employés de la société des dettes liées aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière pendant quils exercent leur mandat, et ce jusquà concurrence de six mois de salaire, sauf si :
De plus, la responsabilité de ladministrateur à légard des salaires nest engagée que si laction est intentée durant son mandat ou dans les deux ans suivant la cessation de celui-ci. Les administrateurs peuvent se prévaloir du paragraphe 123(4) de la LCSA pour sexonérer dune responsabilité à légard de salaires en souffrance, sils sappuient de bonne foi sur :
Le document de consultation ne recommande ni de maintenir ni dabroger larticle 119. Il recommande toutefois que, si larticle 119 est conservé, il soit modifié pour confirmer et clarifier le fait que la responsabilité des administrateurs ne sétend pas aux indemnités de cessation demploi ou de départ prévues par la loi ou par un contrat(12). Le Comité sénatorial permanent sur les banques et le commerce sest penché sur la question du maintien de la responsabilité des administrateurs à légard des salaires dans la LCSA. Certains témoins ont fait valoir que les administrateurs de sociétés à fort coefficient de main-duvre devaient assumer de très lourdes responsabilités à légard des salaires des employés. Estimant quune telle responsabilité était désuète et quil fallait la supprimer, dautres ont soutenu que la question des salaires impayés relevait davantage de la Loi sur la faillite et linsolvabilité(13). Le Comité sénatorial des banques était daccord pour dire que la responsabilité à légard des salaires impayés devait figurer dans la Loi sur la faillite et linsolvabilité, plutôt que dans la LCSA. Selon lui, le premier objectif de larticle 119 de la LCSA est de protéger les employés en cas de faillite ou dinsolvabilité de leur employeur. Étant donné que les salaires impayés constituent une dette de la société à légard de ses employés, ils doivent être considérés dans le cadre dune loi dont lobjectif est dassurer un paiement ordonné des dettes. Lune des principales raisons pour lesquelles le Comité a recommandé que la responsabilité à légard des salaires soit retirée de la LCSA pour être insérée dans la Loi sur la faillite et linsolvabilité est quune telle solution aurait pour effet de créer une norme cohérente à léchelle du pays(14). (1) Il y a transaction dinitié irrégulière lorsque, à loccasion dopérations portant sur les valeurs mobilières dune société, les administrateurs, entre autres initiés, utilisent à leur profit un renseignement confidentiel dont il est raisonnable de croire que, sil était généralement connu, il provoquerait une modification sensible du prix des valeurs. (2) Le recours en cas dabus permet au plaignant de demander au tribunal de redresser par ordonnance la situation provoquée par une société qui abuse des droits des détenteurs de valeurs mobilières, des créanciers, des administrateurs ou des dirigeants, ou porte atteinte à leurs intérêts ou nen tient pas compte en raison soit du comportement de la société soit de la façon dont ces administrateurs exercent leurs pouvoirs. (3) Bourse de Toronto, Committee on Corporate Governance in Canada, Where Were the Directors?, décembre 1994, p. 36, par. 5.62. (4) Ibid. (5) Industrie Canada, Loi sur les sociétés par actions, Document de consultation, Responsabilité des administrateurs [appelé ci-dessous « document de consultation »], novembre 1995, p. 27. (6) Ibid. (7) Sénat du Canada, Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, La régie des sociétés, août 1996. (8) Ibid., p. 18-19. (9) Smith v. Van Gorkom, 488 A2d 858 (Del. 1985). Cette affaire est survenue lorsque les administrateurs dune société (Trans Union) ont approuvé sa fusion avec une autre société. La version préliminaire de laccord de fusion négocié par le président et directeur général de Trans Union a été présentée aux membres du conseil dadministration de lentreprise sans préavis et sans documentation daccompagnement. Après une discussion de moins de deux heures, les administrateurs ont approuvé la fusion. La Cour suprême du Delaware a arrêté que les administrateurs étaient responsables devant les actionnaires. (10) Document de consultation, 1995, p. 46. (11) La régie des sociétés,1996, p. 26. (12) Document de consultation, 1995, p. 13. (13) La régie des sociétés, 1996, p. 30. Aux termes de lactuelle Loi sur la faillite et linsolvabilité, les travailleurs dont lemployeur fait faillite détiennent une créance privilégiée équivalant à six mois de salaire impayé, jusquà concurrence de 2 000 $ et, sil sagit de commis-vendeurs, aux frais engagés sur la même période, jusquà un maximum de 1 000 $. Lorsquun employeur insolvable présente un projet de réorganisation de son entreprise conformément à la Loi, les salaires impayés et les frais des commis-vendeurs doivent être acquittés immédiatement jusquà concurrence de ces montants, dès lapprobation par la cour de la proposition. Les créances que détiennent les directeurs et dirigeants au titre de leurs salaires ou rémunérations impayés ne sont toutefois pas considérées comme des créances privilégiées en cas de faillite de la société (art.140). (14) Ibid., p. 33. |