84-16F
LA CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS :
TABLE DES MATIÈRES A. L'effet de l'article 1 de la Charte sur les libertés fondamentales B. À qui s'appliquent les libertés fondamentales? 1. Liberté de conscience et de religion (alinéa 2a))
a. Observance du
dimanche
2. Liberté de pensée, de croyance,
d'opinion et d'expression, y compris la liberté de
a. L'activité
politique des fonctionnaires 3. Liberté de réunion pacifique (alinéa 2c)) 4. Liberté d'association (alinéa 2d))
LA CHARTE DES DROITS
ET LIBERTÉS :
La Charte canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur le 17 avril 1982. La présente analyse porte sur l'article 2 de la Charte qui traite des libertés fondamentales des Canadiens. Cet article énonce que chacun a les libertés fondamentales suivantes : la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. La liberté de réunion pacifique et d'association est aussi garantie sous la même rubrique. Personne ne peut contester que la violation de l'une ou de plusieurs de ces libertés aurait de profondes répercussions sur tous les Canadiens. Le présent document constitue une brève analyse de quelques-unes des causes les plus importantes découlant de l'adoption de l'article 2. Les jugements sont regroupés par sujet. Étant donné l'ampleur de la documentation, l'analyse détaillée de la Charte n'est pas incluse dans la plupart des cas. La dernière section présente une liste des causes dont il est question dans le document. A. L'effet de l'article 1 de la Charte sur les libertés fondamentales L'article 1 de la Charte se lit comme suit : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». Dans bien des causes ayant trait aux libertés fondamentales, la loi applicable, qui se trouvait en contravention de la Charte, a été validée par l'article 1 parce qu'elle constituait une limite raisonnable dont la justification pouvait se démontrer. Dans l'arrêt R. c. Oakes, rendu en 1986, la Cour suprême du Canada a établi un critère permettant de déterminer quand l'atteinte à un droit garanti par la Charte représentait une limite raisonnable dont la justification pouvait se démontrer dans une société démocratique, et, depuis, le critère Oakes vaut toujours. La première condition est que la loi dérogatoire doit avoir un objectif suffisamment sérieux pour justifier la restriction d'un droit garanti par la Charte. Autrement dit, l'objet de la loi doit être assez important pour qu'on puisse passer outre à un droit ou à une liberté jouissant d'une protection constitutionnelle. Deuxièmement, même si l'importance de l'objectif a été reconnue, il faut appliquer un « critère de proportionnalité » pour déterminer si le moyen choisi est raisonnable et justifiable d'une manière qui se démontre. L'analyse se fait alors en trois étapes : la mesure législative doit être liée de façon rationnelle à l'objectif; elle ne doit pas porter atteinte au droit plus qu'il n'est nécessaire pour réaliser l'objectif; et elle ne doit pas avoir un effet préjudiciable disproportionné sur le droit restreint. Dans l'arrêt Dagenais, affaire comportant une interdiction partielle de diffusion de la production de Radio-Canada intitulée Les Garçons de Saint-Vincent, le juge en chef Lamer, parlant au nom de la majorité, a clarifié ainsi la question d'un « effet préjudiciable disproportionné »: « La troisième étape du volet de la proportionnalité du critère Oakes a fréquemment été formulée en fonction de la proportionnalité de l'objectif et des effets préjudiciables, mais notre Cour a reconnu que, dans les cas appropriés, il est nécessaire d'apprécier les effets bénéfiques réels de la disposition législative contestée par rapport à ses effets préjudiciables, plutôt que de simplement considérer la proportionnalité de l'objectif lui-même ». B. À qui sappliquent les libertés fondamentales? La formule introductive de l'article 2 précise que « chacun » a les libertés fondamentales qui y sont énumérées. Les rédacteurs de la Charte semblent avoir employé indifféremment les termes « chacun », « toute personne » et « le public ». Le professeur Peter Hogg souligne qu'en l'absence dindication contraire, ces termes très généraux pourraient s'appliquer tant aux personnes morales qu'aux personnes physiques. On est parvenu à démontrer que les libertés prévues à l'article 2 s'appliquent autant aux sociétés qu'aux personnes physiques. Par ailleurs, les droits dont il est question dans les articles de la Charte où le terme « citoyen » est utilisé ne s'appliquent probablement pas à une société. 1. Liberté de conscience et de religion (alinéa 2a)) Avant l'entrée en vigueur de la Charte, la liberté de religion n'était pas expressément garantie dans la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 93 accordait cependant une protection limitée aux écoles confessionnelles. La Loi constitutionnelle de 1867 n'attribue à aucun gouvernement en particulier la compétence législative en matière de religion et les tribunaux ont été contraints de considérer que les lois s'y rapportant relevaient des articles 92 ou 91. Avant l'entrée en vigueur de la Charte, les tribunaux ont surtout été appelés à statuer lorsque des commerçants contestaient diverses lois les obligeant à fermer leurs établissements le dimanche. Le fait qu'on ait établi une distinction entre « conscience » et « religion » a amené certaines personnes à observer que la Charte pourrait rendre constitutionnel le droit à la désobéissance civile. Ce pourrait être le cas lorsque l'opposition à la loi est dictée par la conscience morale d'une personne et que ses convictions sont suffisamment profondes, qu'elles soient ou non fondées sur des considérations normalement jugées religieuses. Dans l'affaire R. c. Big M Drug Mart, la Cour suprême du Canada a toutefois fait remarquer que la liberté de conscience garantie par cette disposition a trait à la liberté de conscience en matière religieuse. Le paragraphe en question assure une protection contre tout empiétement de l'État sur l'expression des croyances religieuses, que cet empiétement soit direct ou indirect, délibéré ou non, prévisible ou imprévisible, à condition que ces croyances ne soient pas jugées dérisoires ou négligeables. Les différents aspects de l'alinéa 2a) sont abordés sous les titres suivants : observance du dimanche, enseignement, questions familiales et autres questions. Les lois interdisant aux commerces d'ouvrir le dimanche font l'objet d'un certain nombre d'affaires portées devant les tribunaux. Dans leur jugement faisant jurisprudence concernant la Loi sur le dimanche, la majorité des juges de la Cour d'appel de l'Alberta ont statué que la loi était inconstitutionnelle. Ils ont invoqué comme motif qu'elle avait un but religieux, en ce sens qu'elle obligeait les minorités à respecter le dimanche, jour saint de la majorité chrétienne. Le tribunal a ajouté que les termes de liberté de religion et de conscience qui figurent dans la Charte signifient tout au moins que dorénavant, les gouvernements, au Canada, ne prendront pas partie en cas de controverse religieuse. L'opinion minoritaire a interprété cet article de la Charte de façon beaucoup plus large en faisant valoir qu'elle appuyait la notion de liberté de religion, qui vise à éliminer l'oppression et la répression par les pouvoirs civils pour des motifs de croyance religieuse et qui supprime l'obligation d'accepter une doctrine particulière. Selon elle, la Loi sur le dimanche n'avait pas pour objet la contrainte ni l'intrusion dans les croyances religieuses des autres. La Cour suprême du Canada a soutenu l'opinion de la majorité des juges de la Cour d'appel de l'Alberta, selon lesquels la Loi sur le dimanche est anticonstitutionnelle. Dans son jugement, le juge en chef Dickson a d'abord rejeté l'argument du gouvernement de l'Alberta selon lequel Big M. était une entreprise commerciale et non un particulier et n'avait donc pas de droits religieux. Il a déclaré que dans la mesure où la loi est inconstitutionnelle, peu importe que l'accusé soit chrétien, juif, musulman, hindou, bouddhiste, athée ou agnostique ou qu'il soit un particulier ou une société commerciale. Conformément aux décisions qu'il a rendues dans d'autres affaires où la Charte était invoquée, le juge en chef a déterminé que les tribunaux doivent considérer le véritable objet de la loi pour établir si elle contrevient à la Charte. La Cour a soutenu qu'il était clair que la loi avait été adoptée par le Parlement pour donner force légale à l'observance, par les chrétiens, du dimanche comme jour de repos. Il ne s'agissait pas simplement d'une loi visant à empêcher toutes les entreprises commerciales d'ouvrir le dimanche et elle ne pouvait, non plus, être considérée comme une loi ouvrière visant à limiter la semaine de travail. La Cour a conclu qu'avec l'adoption de la Charte, il appartient maintenant à chaque Canadien de déterminer lui-même quelles sont, le cas échéant, ses obligations religieuses, et que l'État n'a pas à lui dicter sa conduite. La constitutionnalité des lois provinciales visant l'observance du dimanche n'a cessé d'être contestée depuis la révocation de la loi fédérale. La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail de l'Ontario a été contestée une première fois en 1984. Dans cette affaire, les commerçants désireux d'ouvrir leurs portes le dimanche ont invoqué à la fois le partage constitutionnel des pouvoirs et les garanties qu'offre la Charte canadienne des droits et libertés. La Loi interdit aux commerces de détail de vendre ou de mettre en vente des marchandises le dimanche ou « autres jours de fête ». Pour respecter la compétence provinciale, on a prétendu que cette mesure visait à instaurer des congés uniformes pour les travailleurs, et non à imposer la conformité aux obligations d'un culte. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire R. c. Edwards Books, en est arrivée à la conclusion que le but de la mesure était en fait d'assurer des congés uniformes au personnel des commerces de détail, ce qui constitue un but profane valable. Elle a fait valoir qu'il est souhaitable que les parents aient les mêmes jours de congé que leurs enfants et la plupart des autres membres de famille et de la collectivité. La Cour suprême estime en outre que l'exception dont bénéficient les petits détaillants, constitue une exception raisonnable à la règle générale. En modifiant la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail en profondeur en 1989, la législature de l'Ontario a créé une exception permettant à tout détaillant, quel que soit la taille de l'entreprise ou le jour de repos observé, d'ouvrir ses portes le dimanche s'il les ferme un autre jour de la semaine pour satisfaire aux obligations religieuses du propriétaire. Le but de cette disposition était de tenir compte des détaillants tenus par leurs croyances religieuses d'observer un jour de repos autre que le samedi ou le dimanche. Une autre modification offrait la possibilité aux municipalités de passer outre à l'interdiction d'ouvrir le dimanche. La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail modifiée a été contestée très peu de temps après l'adoption des modifications (Peel). Les intimées, des chaînes de supermarchés, furent inculpées d'avoir ouvert leurs portes de dimanche, en violation de la Loi. La Haute Cour de justice de l'Ontario a déclaré la loi invalide parce qu'elle enfreint la liberté de religion garantie par l'article 2 de la Charte et n'est pas justifiable en vertu de l'article 1. La Cour d'appel de l'Ontario a reconnu la validité de la Loi dans sa forme modifiée. Selon le juge Dubin, juge en chef de l'Ontario, qui écrivait pour la majorité, le juge J. Southey avait tort de prétendre que la Loi restreint la liberté de religion et que la disposition n'est pas justifiable en vertu de l'article 1. Il n'a pas été prouvé, à son avis, que la Loi a une incidence plus que banale et sans conséquence sur la liberté de religion. La Cour a donc décidé que même si la Loi empiète sur la liberté de religion, cela est justifié au sens de l'article 1 de la Charte. Pour arriver à cette décision, le juge en chef Dubin s'est appuyé sur les éléments de preuve présentés au nom du solliciteur général de l'Ontario pour exposer la nature et le but du nouveau choix offert aux municipalités. La législature de l'Ontario s'était fondée, pour adopter cette mesure législative, sur des données sociologiques et économiques qui révèlent la nécessité pour le personnel des commerces de détail d'avoir un jour de repos uniforme. Le but de la disposition permettant aux municipalités de déroger aux règles provinciales était de composer avec les divergences qui existent, d'une région à l'autre de la province, sur le plan de la culture, du milieu géographique et des considérations touristiques. Dans l'affaire Adler c. Ontario, des parents ont contesté l'absence de fonds publics en Ontario pour les écoles confessionnelles privées, affirmant que cette absence violait les droits garantis par l'alinéa 2a) de la Charte. La Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'il n'y avait pas violation de la liberté de religion de la partie appelante aux termes de l'alinéa 2a) puisque celui-ci ne prévoit pas le droit à un soutien de l'État pour exercer sa religion. Cette décision a été confirmée en 1996 par la Cour suprême du Canada. Au début de 1990, la Cour d'appel de l'Ontario a décidé que le règlement adopté en vertu de la Loi sur l'éducation, qui prévoit deux périodes obligatoires d'enseignement religieux par semaine dans les écoles publiques, porte atteinte à la liberté de conscience et de religion garantie à l'alinéa 2a) de la Charte. Dans l'affaire Association canadienne des libertés civiles c. Ontario, la Cour a examiné les éléments de preuve et jugé que le contenu du programme renfermait « suffisamment de matière à endoctrinement pour ne pas pouvoir être perçu comme banal et sans conséquence ». Même si les enfants peuvent être dispensés de ces cours à la demande des parents, la Cour a quand même estimé qu'ils pourraient se sentir obligés de rester en classe, malgré la gêne et le malaise que cela risquait de leur occasionner. Même si l'objectif du règlement, en l'occurrence l'inculcation de bons principes moraux, semble à première vue valable, il n'est pas justifiable en vertu de l'article 1, puisque l'endoctrinement d'enfants dans la foi chrétienne n'a rien à voir avec un tel objectif. Saisie du problème de la prière obligatoire à l'école, la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Zylberberg c. le Conseil scolaire de Sudbury a statué qu'une loi qui oblige les écoles publiques à tenir des séances de prière contrevient à l'article de la Charte concernant la liberté de conscience et de religion, même si cette loi exempte les élèves de participer aux séances. Un règlement adopté en vertu de la Loi sur l'éducation de l'Ontario va à l'encontre de la Charte en exigeant la lecture des Écritures ou d'autres prières appropriées. La Cour a jugé que les pressions exercées par d'autres élèves pourraient avoir pour effet d'annuler l'exemption prévue dans la loi. Dans un jugement qu'elle a rendu en 1989, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a adopté le raisonnement de la Cour d'appel de l'Ontario. En 1986, la Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de Thomas Larry Jones de Calgary, qui soutenait que les dispositions de l'Alberta School Act interdisant aux parents d'assurer eux-mêmes l'instruction de leurs enfants à domicile pour des raisons religieuses violent le principe de la liberté de religion. Le juge Gérard La Forest a déclaré que l'intérêt supérieur de la province et du pays en matière d'instruction a préséance sur cette liberté. Si M. Jones veut continuer à assurer lui-même l'éducation de ses enfants, il doit d'abord en obtenir l'approbation auprès des autorités scolaires provinciales. En 1995, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur une cause ontarienne mettant en cause des parents qui avaient refusé une transfusion sanguine pour leur nouveau-né (B.(R.)). L'enfant avait été temporairement confié à la Société d'aide à l'enfance et la transfusion sanguine avait été administrée accessoirement à d'autres traitements médicaux. Les parents en ont appelé de l'ordonnance de tutelle, alléguant qu'elle violait leur droit à la liberté de religion, mais ils ont été déboutés par la Cour de district et la Cour d'appel. Pour sa part, la Cour suprême a unanimement rejeté leur appel. Quatre juges ont déclaré que l'alinéa 2a) de la Charte n'avait pas été violé parce que la liberté de religion n'inclut pas la liberté d'imposer à un enfant des pratiques religieuses qui menacent sa sécurité, sa santé ou sa vie. La liberté de religion ne devrait pas comprendre une activité qui nie aussi catégoriquement la liberté de conscience d'autrui, y compris un enfant. Les cinq autres juges ont maintenu que le droit des parents d'élever leurs enfants selon leurs croyances religieuses est un aspect fondamental de la liberté de religion garantie par l'alinéa 2a) de la Charte. Même si le but de la Loi sur le bien-être de l'enfance est de protéger les enfants, elle a comme effet de restreindre la liberté de religion des parents. Or, une telle restriction est amplement justifiée par l'intérêt qu'a l'État de protéger les enfants en danger, ce qui est un objectif valable en vertu de l'article 1. Les tribunaux d'au moins trois provinces ont tenté de déterminer si les croyances et les pratiques religieuses d'un parent pouvaient influer sur les modalités d'une ordonnance de garde. Cet aspect du droit reste encore incertain, bien que la Cour suprême ait examiné cette question dans deux décisions rendues en 1993. En 1989, la Haute Cour de justice de l'Ontario a entendu un appel d'un père, témoin de Jéhovah, contre une ordonnance limitant son droit d'accès à ses fils et l'empêchant de les amener à l'église le dimanche. Le juge de première instance a déclaré que le fait d'exposer les enfants à des pratiques religieuses discordantes pouvait aller à l'encontre de leurs intérêts. La Cour de division de l'Ontario, où on avait interjeté appel, a jugé que, à moins qu'on puisse prouver de manière indéniable qu'il n'est pas dans l'intérêt de l'enfant que le parent qui a droit de visite fasse partager ses croyances religieuses à l'enfant, il faut interpréter la Loi sur le divorce d'une manière conforme au droit de ce parent à la liberté de religion (Hockey c. Hockey). En octobre 1993, la Cour suprême du Canada a rendu des décisions dans deux causes qui visaient à contester la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur le divorce (1985) fédérale relativement à la garde des enfants et au droit d'accès. Dans les deux cas, P.(D.) c. S.(C.), en appel d'une décision de la Cour d'appel du Québec, et Young c. Young, en appel d'une décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, la Cour a décidé que les dispositions sur la garde et le droit d'accès, qui mettent l'accent sur ce qui est dans le meilleur intérêt des enfants, ne contreviennent pas au droit à la liberté de religion du parent qui a droit d'accès. Les deux causes avaient été portées en appel par des témoins de Jéhovah, qui réclamaient le droit de donner une formation religieuse à leurs enfants, contrairement aux désirs des parents qui avaient la garde de ces enfants. d. Autres questions (paiement de limpôt, uniforme de la GRC, entretiens avec un pasteur) En 1991, la Section de première instance de la Cour fédérale a jugé que les contribuables ne pouvaient pas retenir une partie de leurs impôts pour protester contre le financement des avortements par l'État. À son avis, étant donné que les contribuables sont légalement obligés de payer l'impôt sur le revenu, l'utilisation de deniers publics à des fins qui répugnent à leurs croyances religieuses ne porte pas atteinte à la liberté de culte et, comme les contribuables ne paient pas l'impôt volontairement, leur conscience n'est pas en cause. De plus, selon elle, la reconnaissance de la « suprématie de Dieu » dans le préambule de la Constitution n'empêche pas le Canada d'être un État laïque; elle ne fait que l'empêcher de devenir officiellement athée. De même, la liberté de conscience et de religion d'un contribuable qui s'oppose aux dépenses militaires ou de guerre n'est pas enfreinte lorsque le gouvernement fédéral affecte une partie de ses recettes à des postes militaires (Prior). En 1985, un juge du Banc de la Reine du Manitoba a statué qu'un sikh baptisé ne pouvait porter le kirpan (symbole religieux ayant la forme d'une dague avec une lame de quatre pouces) en cour, durant son procès (Hothi). En 1994, il a été jugé quun règlement modifié permettant à un membre de la GRC de ne pas porter, en raison de ses croyances religieuses, luniforme réglementaire, par exemple un turban plutôt que le chapeau de feutre habituel, nétait pas contraire à lalinéa 2a) (Grant c. Canada). La Cour suprême du Canada, en 1991, a cherché à déterminer si les communications entre un pasteur et une personne accusée d'un crime étaient protégées par la disposition garantissant la liberté de religion. Elle en est arrivée à la conclusion qu'il n'existe pas de privilège automatique à l'égard de ces communications et que les circonstances doivent déterminer dans quelle mesure (s'il en est) la divulgation des communications brimait la liberté de religion d'un individu. La nature des communications, le but poursuivi, la façon dont les choses se sont produites et les parties en cause sont tous des facteurs pertinents (Gruenke).
2. Liberté de pensée, de croyance,
d'opinion et d'expression, y compris la liberté de La Charte n'utilise pas l'expression « liberté de parole ». Le professeur Hogg souligne que même si elle est rassurante, la mention de la « liberté de pensée, de croyance, d'opinion » à l'alinéa 2b) n'a aucune importance, parce que même les régimes totalitaires ne peuvent supprimer des idées non exprimées. La Cour suprême du Canada a toujours insisté sur la nature fondamentale de la liberté d'expression en statuant, dans l'affaire Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), qu'étant donné la place qu'elle tient dans une société libre et démocratique et la façon absolue dont l'alinéa 2b) la garantit, il ne faut la restreindre que lorsque les circonstances le justifient clairement. Les tribunaux ont inclus dans l'interprétation du mot « expression » les moyens de communication non verbale, comme le piquetage et l'établissement d'un « camp de la paix » sur la colline du Parlement (Weisfield). En 1993, dans l'affaire Ramsden c. (Ville de) Peterborough, il a été décidé que la pose d'affiches sur la propriété publique, y compris sur les poteaux d'électricité, est incluse dans le mot « expression », parce qu'on essaie ainsi de communiquer une opinion. En encourageant le processus de décision politique et social, la pose d'affiches sert au moins l'une des valeurs figurant à l'alinéa 2b), lesquelles ont été restreintes du fait que la municipalité s'était opposée à cette pratique. De l'avis du tribunal, l'objectif de l'interdiction, bien qu'ayant une certaine valeur, ne justifie pas linterdiction complète de la pose d'affiches. Aux fins de la présente étude, le débat sur l'alinéa 2b) comprend les catégories suivantes : l'activité politique des fonctionnaires, l'expression commerciale, la liberté d'accès et les médias, la censure et l'obscénité, la propagande haineuse, et le piquetage et les manifestations. a. L'activité politique des fonctionnaires En 1991, la Cour suprême du Canada a étudié l'article 33 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, qui interdit aux fonctionnaires de « travailler pour ou contre » un candidat ou un parti politique (Osborne). Le tribunal a décidé que l'article visait à mettre en oeuvre la convention constitutionnelle relative à la neutralité de la fonction publique, mais que ce facteur ne constituait pas une raison suffisante pour ne pas assujettir la disposition à la Charte. Il a déterminé que la protection de la neutralité de la fonction publique constituait un objectif nettement important, mais que, dans sa version actuelle, l'article 33 ne limite pas de façon raisonnable la liberté d'expression parce qu'il va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. La Cour a déclaré ne pas être prête à restreindre la portée de la loi de manière à la rendre valable parce que c'est au Parlement même et non aux tribunaux qu'il incombe de décider comment la loi devrait être modifiée. Il sagirait dune question de mesure. À la fin de 1989, la Haute Cour de justice de l'Ontario s'est prononcée sur une requête présentée par une infirmière du Service de santé de Sudbury et du district, qui désirait participer à la course à la mairie ou à l'échevinage de sa ville, laquelle faisait partie de la municipalité régionale de Sudbury et était représentée au Conseil régional. En vertu de la Loi sur les municipalités de l'Ontario, les fonctionnaires municipaux ne peuvent siéger à un conseil municipal, malgré la disposition autorisant les congés sans traitement pendant une campagne électorale. La Cour a jugé que la restriction avait un objectif valable : sauvegarder le processus démocratique en protégeant l'impartialité de la fonction publique et ainsi s'assurer que la gestion municipale soit à l'abri des conflits d'intérêts (Rhéaume). Elle s'est aussi demandée si la disposition n'était pas inutilement restrictive, compte tenu en particulier du fait que certaines provinces canadiennes autorisent leurs fonctionnaires élus à des charges publiques à prendre un congé plutôt qu'à démissionner. Elle en est cependant arrivée à la conclusion qu'il n'y avait pas lieu de qualifier la loi de déraisonnable même s'il existait une meilleure solution. Les aspects relatifs aux élections, autres que le droit de voter ou de briguer les suffrages, sont de plus en plus considérés comme ayant trait à la « liberté d'expression ». Ainsi, les dispositions de la Loi électorale du Canada touchant les dépenses d'élection ont donné lieu à un certain nombre de causes. En 1984, la National Citizens' Coalition a échafaudé une contestation judiciaire contre l'interdiction du financement par un tiers, prononcée en 1983. Le gouvernement a soutenu que la restriction s'imposait dans un cadre législatif réglementant les dépenses des candidats et des parties et qu'elle était nécessaire pour empêcher les candidats appuyés par des partisans nantis de jouir d'un avantage déloyal. Le tribunal a déterminé que ces craintes ne justifiaient pas à elles seules une restriction des droits garantis par la Charte et que le gouvernement n'avait pas prouvé que de telles dispositions s'imposaient. La décision, rendue quelques mois seulement avant les élections de 1984, n'a pas fait l'objet d'un appel. Le projet de loi C-114, qui a modifié la Loi électorale du Canada au printemps de 1993, a réimposé une limite de 1 000 $ pour ce qui est de la publicité directe par des tiers. Le 25 juin 1993, un juge de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, le même tribunal qui avait entendu la contestation de 1984, a de nouveau invalidé la restriction de dépenses par des tiers (Somerville c. Canada (Procureur général)). Le tribunal a décrété que le nouvel article violait le droit de voter d'une façon éclairée (article 3) ainsi que le droit à la liberté d'expression (alinéa 2b)). Selon lui, une disposition subséquente enfreignait également le droit à la liberté d'association (alinéa 2d)), en empêchant la mise en commun de fonds destinés à acheter pour plus de 1 000 $ de publicité. Pour ce qui est de savoir si la justification des limites pouvait se démontrer (critère de l'article 1), le tribunal n'a pas jugé que l'objectif de préserver l'intégrité et l'efficacité des limites de dépenses des partis et des candidats était suffisamment important pour invoquer l'article 1. Il semble que le tribunal ne disposait pas d'assez de preuves pour établir que l'absence de limites de dépenses risquait d'influer sur le résultat des élections. Le pourvoi devant la Cour dappel de lAlberta a été rejeté. La Cour suprême du Canada a confirmé la légitimité de l'utilisation, à des fins politiques, des cotisations syndicales obligatoires (Lavigne, 1991) et l'utilisation des fonds publics à l'appui de candidats sérieux (McKay, 1989). En 1995, la Cour d'appel de l'Alberta a tranché dans le cas d'une contestation du Parti réformiste du Canada concernant l'affectation de temps d'antenne durant une élection, en vertu de la Loi électorale du Canada. La Loi exige que les diffuseurs mettent à la disposition des partis politiques inscrits un total de six heures et demie à des fins de publicité politique payée. Comme à certains moments de l'année la publicité aux heures de grande écoute peut avoir été attribuée d'avance, les diffuseurs ont, par le passé, empiété sur des périodes publicitaires déjà vendues afin de se conformer aux exigences de la Loi électorale du Canada. Il se pourrait donc que les partis politiques soient incapables d'acheter, aux heures de grande écoute, d'autre publicité que celle que leur alloue la Loi. Le Parti réformiste a fait valoir que la formule d'allocation est discriminatoire à l'égard des partis politiques nouveaux ou en formation. La Cour d'appel de l'Alberta a décrété que le grand pouvoir discrétionnaire accordé à l'arbitre, en vertu de la Loi, éliminait toute injustice qui risquait de découler d'une application stricte de la formule d'allocation du temps d'antenne. Les articles contestés n'ont pas pour effet de restreindre la liberté d'expression d'un quelconque parti politique; ils ne font que réserver du temps d'antenne qui ne serait peut-être pas disponible autrement et prévoir l'allocation de ce temps. Par contre, le tribunal a déterminé que certains autres articles empêchaient un parti inscrit de se procurer du temps supplémentaire et il a déclaré que ces articles étaient invalides. Étant donné que l'ensemble des dépenses électorales tombent déjà sous le coup d'autres dispositions de la Loi, il n'est aucun besoin d'empiéter davantage sur la liberté des partis de décider comment utiliser au mieux les sommes autorisées. En 1998, la Cour suprême du Canada a jugé que la disposition de la Loi électorale du Canada qui interdisait la publication des résultats de sondages dopinion pendant les trois derniers jours dune campagne électorale fédérale était inconstitutionnelle. La Cour, à la majorité, a conclu que la disposition restreignait la liberté dexpression et quelle ne pouvait se justifier en vertu de larticle premier de la Charte. Elle a suggéré quun moyen plus légitime datteindre lobjectif de la protection du public contre la publication de résultats inexacts de sondages à la fin dune campagne électorale consisterait à exiger des sondeurs quils publient obligatoirement la méthodologie utilisée pour mener le sondage en même temps que les résultats de ce dernier, parce que cette façon de procéder restreint moins la liberté dexpression quun banissement pur et simple (Thomson Newspapers Co. c. Canada (Solliciteur général). Les tribunaux ont toutefois imposé quelques limites à la liberté d'expression politique. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déterminé, en 1994, que l'arrestation d'un groupe d'environnementalistes qui bloquaient une route forestière en contravention d'une injonction du tribunal ne violait pas leur liberté d'expression. Selon elle, l'injonction n'empêchait pas l'expression légitime, et les accusés pouvaient s'exprimer verbalement ou symboliquement ailleurs le long de la route latérale (MacMillan Bloedel). En 1994, la Cour suprême du Canada a jugé que l'alinéa 2b) n'imposait pas au gouvernement l'obligation de consulter des groupes précis ou de leur fournir des fonds pour les aider à participer à des discussions officielles. Le gouvernement avait octroyé à quatre groupes autochtones du financement pour représenter les peuples autochtones en réponse aux propositions constitutionnelles gouvernementales de 1991; par la suite, une association représentant les femmes autochtones avait cherché à obtenir une ordonnance de la Cour fédérale pour obliger le gouvernement à lui octroyer l'équivalent en temps de consultation et en fonds. La Cour suprême a déterminé que ladite association avait eu suffisamment de possibilités d'exprimer son opinion par l'intermédiaire des groups autochtones désignés ou en s'adressant directement au gouvernement (Association des femmes autochtones du Canada c. Canada). b. La liberté d'expression commerciale Dans l'affaire Procureur général du Québec c. Irwin Toy Ltd., la Cour suprême du Canada a clairement confirmé que l'expression commerciale est protégée par la Charte. La Loi sur la protection du consommateur du Québec interdit diverses formes de publicité commerciale destinée aux personnes de moins de 13 ans, y compris la publicité télévisée. La majorité des juges de la Cour suprême a ultimement statué que la loi était valide en vertu de l'article 1 de la Charte, parce qu'elle imposait une limite raisonnable à la liberté d'expression. Les cinq juges de la Cour suprême ont confirmé que la liberté d'expression commerciale est protégée par l'alinéa 2b) et ont convenu que la loi violait la liberté d'expression de la société Irwin Toys. Toutefois, la Cour s'est divisée lorsqu'il a fallu déterminer si la loi imposait à cette liberté une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article 1 de la Charte. Selon l'opinion majoritaire, le gouvernement du Québec avait présenté une preuve suffisante pour justifier le caractère raisonnable de sa conclusion selon laquelle une interdiction de la publicité commerciale destinée aux enfants constituait une atteinte minimale à la liberté d'expression, compte tenu du besoin pressant et important de protéger les enfants contre la manipulation par le truchement de la publicité. De plus, selon elle, les effets de cette interdiction n'étaient pas disproportionnés par rapport à l'objectif pressant et important du gouvernement, puisque les publicitaires demeuraient libres de destiner leur message aux parents et aux autres adultes et de s'engager dans la publicité éducative. Les juges majoritaires ont par la suite exposé un processus en deux volets permettant de déterminer s'il y a violation de l'alinéa 2b) de la Charte. Il faut tout d'abord déterminer si l'activité du demandeur est protégée par la disposition relative à la liberté d'expression. Ensuite, il faut se demander si la mesure gouvernementale concernée a comme objectif ou pour effet de restreindre cette liberté d'expression. Si le gouvernement cherchait à contrôler les tentatives pour transmettre un message, soit en restreignant directement le contenu du message, soit en restreignant une forme d'expression liée au contenu, son objectif empiéterait sur la liberté d'expression garantie par la Charte. D'autre part, si le gouvernement ne cherchait qu'à limiter les conséquences physiques d'une conduite particulière, son objectif n'empiéterait pas sur cette liberté d'expression. Deux affaires datant de la fin de 1989 mettent aussi en cause la limitation de la liberté d'expression commerciale. Dans l'affaire Canadian Newspapers Co. c. (Ville de) Victoria, la ville interdisait l'installation de boîtes distributrices de journaux sur son territoire. Le tribunal a jugé que, même si l'expression commerciale est elle aussi une liberté protégée, la ville n'avait pas porté atteinte à la liberté d'expression des journaux en question puisqu'il existait d'autres moyens de distribution. L'objectif de la ville était de protéger l'aspect esthétique de son territoire pour le bien-être des citoyens. La même année, dans un bref jugement, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé que les restrictions imposées à l'égard de la couleur de la margarine n'entravaient pas la liberté d'expression des producteurs de margarine, dont l'objectif est de convaincre la population que la margarine est équivalente ou préférable au beurre. En 1991, la Cour d'appel de la Saskatchewan a décrété que les règlements municipaux interdisant l'utilisation d'affiches publicitaires extérieures constituait une limite justifiable à la liberté d'expression, particulièrement lorsque le propriétaire de l'entreprise connaît la restriction au moment d'installer son commerce (Pinehouse Plaza Pharmacy). Il est cependant arrivé que des tribunaux rejettent certaines limites à la publicité commerciale. Ainsi, en 1990, la Cour suprême du Canada a déclaré invalides les dispositions réglementaires prises en vertu de la Loi sur les sciences de la santé de l'Ontario, qui qualifiaient d'inconduite professionnelle toute publicité faite par les dentistes et non expressément permise par voie réglementaire. Même si les objectifs de la réglementation professionnelle et de la protection du public étaient suffisamment importants pour l'emporter sur un droit garanti par la Charte, il ne convenait pas d'empêcher la diffusion d'informations utiles au public dans le choix de son dentiste (Rocket). La Cour d'appel de l'Alberta a déterminé, en 1994, que des articles de la Public Contributions Act (une loi provinciale), qui restreignaient la capacité d'organismes de mener des campagnes de levée de fonds à des fins de charité, limitaient de façon injustifiée la liberté d'expression. Selon elle, interdire toute demande d'aide financière non assortie d'un permis était disproportionné par rapport au méfait que la loi cherchait à contrer (Épilepsie Canada). En 1988, la Cour suprême du Canada a examiné les dispositions de la Charte de la langue française qui interdisent d'afficher le nom d'une entreprise dans une autre langue que le français (Ford). Le tribunal en est arrivé à la conclusion que la liberté d'expression comprend la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix et que cette liberté s'étend à l'expression commerciale. Même si l'objet de la loi était légitime et comportait un lien rationnel avec le fait d'assurer que le « visage linguistique » du Québec reflétait la prédominance du français, l'interdiction d'autres langues n'était, d'après la Cour, ni nécessaire ni proportionnée au but visé. À son avis, il aurait été acceptable d'exiger que le français prédomine sur l'affiche, laquelle aurait cependant pu contenir un message en d'autres langues; cependant, l'exclusivité ne satisfaisait pas au critère de proportionnalité. En 1995, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), cause ayant trait à la Loi réglementant les produits du tabac. Par une faible majorité de cinq contre quatre, le tribunal a déterminé qu'un certain nombre de dispositions de la Loi enfreignent le droit à la liberté d'expression et ne constituent pas des limites raisonnables en vertu du critère énoncé dans l'article 1. Pour des raisons légèrement différentes, la majorité des juges a dit ne pouvoir accepter les articles traitant de la publicité, de l'utilisation des marques, des messages non attribués relatifs à la santé, du commerce au détail et du parrainage. À son avis, la protection du public contre les dangers du tabac constitue un objectif valable, mais le gouvernement n'a pas réussi à démontrer que les éventuels bienfaits apportés par les dispositions en cause sont proportionnels à la gravité de l'empiétement sur les droits. Selon elle, les dispositions contestées avaient des objectifs plus précis que le simple fait de protéger le public contre les dangers du tabac. De l'avis de la majorité, par exemple, l'exigence de faire une mise en garde sur l'emballage est clairement justifiée; toutefois, rien ne prouve que le fait que le message soit non attribué et le fait d'empêcher les fabricants de mettre sur les emballages des renseignements non autorisés par la réglementation, puissent avoir des avantages supplémentaires marqués. Dans sa décision, la majorité reconnaît qu'une relation de cause à effet peut être difficile à établir lorsque la loi s'applique à changer des comportements humains. C'est pourquoi la Cour s'est dite disposée à trouver un lien causal entre l'empiétement et l'avantage recherché en se fondant sur le raisonnement ou la logique, sans insister sur la preuve directe d'un rapport entre la mesure de restriction et l'objectif législatif. Par contre, l'interdiction complète d'une forme d'expression est, à son avis, plus difficile à justifier qu'une interdiction partielle. Le gouvernement doit montrer que seule une interdiction totale lui permettra d'atteindre son objectif. Lorsque, comme dans ce cas, on ne fournit aucune preuve qu'une interdiction partielle serait moins efficace qu'une interdiction totale, il est impossible, selon la majorité des juges, d'apporter la justification imposée par l'article 1 pour restreindre la liberté de parole. c. La liberté d'accès et les médias Dans l'affaire Southam (n°1) (1983), la Cour d'appel de l'Ontario a statué que le paragraphe 12(1) de la Loi sur les jeunes délinquants exigeant que le procès d'un jeune délinquant soit tenu à huis clos était inconstitutionnel parce qu'il allait à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Charte. Il a été déterminé que la règle sur l'accès aux tribunaux permet au public d'avoir confiance dans l'intégrité du système judiciaire et de mieux comprendre l'administration de la justice, et que d'interdire au public d'assister au procès d'un jeune délinquant ne pouvait se justifier dans une société libre et démocratique. Le tribunal a admis que certains motifs pouvaient justifier l'exclusion du prévenu de certaines audiences tenues conformément à la Loi sur les jeunes délinquants, mais que l'interdiction absolue allait trop loin. Le même raisonnement a été repris par la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Re Southam (1986), en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Canadian Newspapers, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité du paragraphe 442(3) du Code criminel, qui oblige le tribunal à interdire la publication du nom du plaignant dans un procès concernant des délits d'ordre sexuel lorsque celui-ci en fait la demande. La Cour d'appel de l'Ontario avait soutenu que le paragraphe 442(3) empiétait sur lalinéa 2b) de la Charte et que le gouvernement n'avait pas démontré la nécessité d'une pareille interdiction. Le juge Lamer de la Cour suprême a déclaré que les limites imposées à la liberté de la presse par le paragraphe 442(3) sont minimes. Selon lui, la loi a pour but d'encourager les victimes à signaler les délits d'ordre sexuel et, pour ce faire, de leur éviter le traumatisme de voir leur nom publié dans les journaux. Elle appuie de ce fait la lutte contre le crime et l'amélioration de l'administration de la justice, ce qui l'emporte sur les limites qu'elle impose à la liberté de la presse. L'interdiction de publier a donc été jugée justifiée aux termes de l'article 1 de la Charte. Limportance pour les médias davoir accès à certains genres daudiences à été soulignée par la Cour dappel de la Colombie-Britannique dans laffaire Blackman. La Cour a statué que lalinéa 2b) garantissait aux journalistes le droit prima facie dassister aux audiences dune commission dexamen tenues en vertu de la Partie XX.1 du Code criminel et concernant la décision dans le cas dun accusé qui avait été trouvé non coupable en raison de troubles mentaux. En vertu du paragraphe 486(1) du Code criminel, un juge peut exclure de la salle d'audience l'ensemble ou l'un quelconque des membres du public s'il est d'avis « qu'il est dans l'intérêt de la moralité publique, du maintien de l'ordre ou de la bonne administration de la justice » de le faire. Ce jugement a été confirmé en 1994 par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans l'affaire Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général). Le paragraphe, bien que l'on ait jugé qu'il limite la liberté d'expression, s'est trouvé justifié par l'article 1 de la Charte. En effet, en l'absence d'une ordonnance d'exclusion, la victime dans l'affaire, où étaient portées des accusations d'agression sexuelle et d'attouchement sexuel, aurait été encore davantage victimisée. Bien que la décision ait été annulée en1996 par la Cour suprême du Canada, qui a fait valoir que les circonstances de laffaire ne justifiaient pas que le public soit exclu de la salle daudience, largumentation fondée sur la Charte appuyant le paragraphe 486(1) na pas été infirmée. La Cour suprême a par contre jugé inconstitutionnelle une loi albertaine limitant la publication de renseignements émanant d'une procédure judiciaire en matière matrimoniale parce qu'elle limitait la liberté d'expression. Dans l'affaire concernant le Edmonton Journal, la cour a insisté sur l'importance fondamentale du droit à la liberté d'expression et sur l'importance historique de l'audience publique dans une société démocratique. Elle a jugé que les objectifs de la province de protéger la vie privée des personnes désireuses de contester une décision en matière matrimoniale et de leur assurer un procès juste étaient suffisamment importants pour faire intervenir l'article 1, mais que les restrictions imposées par la loi étaient excessives. En 1994, une interdiction de publier a également été annulée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dagenais c. S.R.C. concernant la minisérie télévisée Les Garçons de Saint-Vincent. Le tribunal a évalué les intérêts opposés du droit à la libre expression et le droit de l'accusé à un procès équitable. La Cour a cassé l'interdit de publication, jugeant qu'il limitait de façon inacceptable les droits conférés par la Charte au radiodiffuseur. L'interdit était trop vaste, et le juge qui l'avait ordonné avait omis d'examiner d'autres mesures raisonnables permettant de réaliser l'objectif visé sans limiter les droits de tierces parties. Dans l'arrêt Moysa, la Cour suprême a été chargée de se prononcer sur l'existence d'une immunité relative pour les journalistes appelés à témoigner au Canada. L'appelante s'était vu ordonner de témoigner devant la Commission des relations du travail de l'Alberta à propos de ses communications avec les responsables d'une entreprise dans le cadre d'un article qu'elle avait rédigé sur une campagne de syndicalisation. Plusieurs employés ont par la suite été congédiés, et la Commission a tenu une audience sur des pratiques déloyales de travail. La journaliste a réclamé une immunité relative en invoquant le fait que, si on l'obligeait à témoigner devant la Commission, cela nuirait à sa capacité de recueillir de l'information. La Cour suprême a statué que les faits de l'affaire ne justifiaient pas une réponse à la question constitutionnelle d'une telle immunité relative pour les journalistes. On n'avait pas demandé à la journaliste qu'elle assure la confidentialité de ses sources et elle n'avait fait aucune promesse en ce sens. De plus, la preuve recherchée était d'une importance cruciale, pertinente et ne pouvait être obtenue d'une autre source, et rien ne laissait supposer qu'il existait un risque véritable que la journaliste ne puisse par la suite recueillir de l'information. En Nouvelle-Écosse, la Cour suprême a accordé une injonction à l'égard d'un diffuseur, l'empêchant de publier des documents protégés par le secret professionnel entre client et avocat. Le droit des journalistes à protéger l'identité de leurs sources d'information pourrait avoir été restreint par le jugement rendu dans l'affaire Rocca Enterprises c. University Press of New Brunswick. En effet, selon le tribunal, lorsqu'un journaliste ne peut prouver que s'il ne protège pas l'identité de ses sources d'information, il lui sera impossible de trouver des nouvelles à publier, le fait de l'obliger à divulguer lesdites sources ne constitue pas une infraction à l'alinéa 2b) de la Charte. De plus, à la fin de 1991, la Cour suprême du Canada a confirmé une décision de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick qui avait établi que le fait que la Charte protège la liberté de la presse ne modifiait pas les exigences relatives à l'obtention d'un mandat de perquisition, mais constituait plutôt un facteur dont on pouvait tenir compte afin de déterminer s'il était raisonnable de demander un tel mandat. Ainsi, les agents de la GRC ont été autorisés à utiliser leur mandat de perquisition pour saisir les bandes magnétoscopiques de la Société Radio-Canada sur des activités illégales menées au cours d'une manifestation syndicale, même si les renseignements fournis au juge de paix qui a accordé le mandat ne précisaient pas que les agents d'identification de la police avaient aussi assisté aux scènes en question ou encore pourquoi leur témoignage ne suffisait pas pour intenter des poursuites. Enfin, un tribunal a aussi examiné dans quelle mesure une assemblée législative provinciale et, par extension, le Parlement lui-même peuvent refuser aux médias d'avoir accès à leurs travaux. En 1991, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a décidé que l'assemblée législative de la province ne pouvait pas interdire totalement la télédiffusion de ses délibérations. Cette affaire a soulevé une question importante : La Charte s'applique-t-elle au privilège parlementaire et au droit conventionnel du Parlement de diriger ses propres délibérations? Dans un jugement rendu le 21 janvier 1993, avec lequel le juge Cory était en désaccord, la Cour suprême du Canada a fait droit à l'appel de l'assemblée législative, estimant que les membres des corps législatifs peuvent continuer à restreindre l'accès des médias en vertu de leur droit de diriger les délibérations législatives (New Brunswick Broadcasting). La Cour s'est divisée (3-4) quant à la mesure dans laquelle la Charte pourrait, dans d'autres circonstances, s'appliquer aux membres de l'assemblée législative ou d'un autre corps législatif. Dans le renvoi relatif à la Commission de censure de l'Ontario, la Cour d'appel de l'Ontario a décidé que, lorsque les normes dont se sert la Commission de censure ne sont pas établies dans une loi mais laissées à la discrétion de ladite Commission, la liberté d'expression s'en trouve limitée d'une manière qui ne peut être justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte. Selon la Cour, bien qu'une certaine censure des films puisse être justifiée dans une société libre et démocratique, en ce qui concerne la prédominance d'une loi sur la censure et de mesures judiciaires contre l'obscénité, il y a une différence entre des limites laissées à la discrétion d'une administration et celles qui sont prescrites par une loi. À Vancouver, il a été décidé qu'un règlement municipal interdisant dans toute zone de la municipalité la vente au détail « d'accessoires sexuels », définis dans le règlement, limitait la liberté d'expression d'une manière autorisée par l'article 1. La définition « d'accessoires sexuels » fournie dans le règlement contient des normes et des critères clairs en vue de son application. Les limites imposées ont donc été jugées raisonnables et justifiées, bien que la municipalité n'ait fourni aucune preuve des effets fâcheux de ces « accessoires » sur la société. Le tribunal a donc reconnu d'office leurs effets indésirables. Un tribunal a maintenu la validité d'un règlement municipal de la ville de Toronto qui exige que, dans les salles de spectacles licenciées pour adultes, le pubis des artistes soit couvert. Selon lui, même si le fait de découvrir son pubis constituait une forme « d'expression artistique » et était donc comprise dans le mot « expression » qui est garantie par la Charte, le droit qui est restreint par le règlement municipal n'était pas le droit à l'expression artistique, mais bien le droit d'exposer le pubis des artistes afin de promouvoir la vente de boissons alcooliques. Dans l'affaire R. c. Zikman, la Cour provinciale de l'Ontario a jugé que ce type de danse était une forme d'expression, mais que la disposition du Code criminel qui interdit toute nudité dans un endroit public sans excuse légitime constitue une limite raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte. La validité dun règlement de la ville de Toronto interdisant tout contact physique entre un danseur érotique et une autre personne au cours du numéro du danseur, a été maintenue par la Cour de division en 1995 dans laffaire Ontario Adult Entertainment Bar Assoc. c. Metropolitan Toronto. En 1994, la Cour d'appel du Québec a invalidé des règlements municipaux qui empêchaient les entreprises faisant commerce d'érotisme d'utiliser des images du corps humain dans leur publicité extérieure. Même si, de l'avis de la municipalité de Montréal, les images étaient dégradantes et humiliantes, particulièrement pour les femmes, la Cour a jugé que les effets de la mesure étaient disproportionnés par rapport à l'objectif lorsque les images n'étaient ni pornographiques ni obscènes (Cabaret Sex Appeal Inc. c. Montréal). Une cour de comté du Manitoba a reconnu la liberté d'importer un film documentaire sexuellement explicite destiné à illustrer un cours dans une faculté de médecine. Le tribunal a conclu que la décision du sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise, qui interdisait son entrée au Canada violait la liberté d'expression de la collectivité universitaire (Re Université du Manitoba). Selon la Cour, l'article 163 du Code criminel (ancien article 159), qui limite la publication, lutilisation et la distribution de matériel obscène a pour but valable de protéger la société en général. Par conséquent, la disposition, y compris la peine prévue au Code criminel, est manifestement justifiée (R. c. Ramsingh). La validité de l'article 159 a été maintenue dans l'affaire R. c. Red Hot Video Ltd. (1985), soumise à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. En 1988, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi relatif à cette affaire. Dans l'affaire Re Luscher et le sous-ministre de Revenu Canada, Douanes et Accise, il a été décidé que l'interdiction d'importer des livres et d'autre matériel de nature immorale ou indécente, prévue à l'Annexe au Tarif des douanes (Canada), contrevenait à la Charte et qu'elle était par conséquent nulle et non avenue. Parce que l'interdiction visait tout d'abord les livres, elle empiétait à première vue sur la liberté d'expression. Elle ne constitue pas une limite raisonnable aux termes de l'article 1, en raison de son caractère imprécis et de sa subjectivité. Les mots « immoral » et « indécent » ne sont pas définis dans la loi. Ils sont également très subjectifs et ne se bornent pas à des questions d'ordre principalement sexuel. La Cour suprême du Canada a examiné au début de 1992 l'article 163 du Code criminel portant sur la vente ou la distribution de matériel obscène dans l'affaire R. c. Butler. Elle a examiné avec attention particulière le paragraphe 163(8) qui stipule qu'est « réputé obscène toute publication dont une caractéristique dominante est l'exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l'un ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l'horreur, la cruauté et la violence ». La Cour suprême a jugé que le paragraphe 163(8) constituait un critère exhaustif d'obscénité là où l'exploitation des choses sexuelles était une caractéristique dominante. Selon elle, le critère le plus important pour déterminer si une telle exploitation est « indue » demeure celui de « norme de tolérance de la société ». Ce critère concerne non pas ce à quoi les Canadiens ne toléreraient pas de se voir exposés, mais ce à quoi ils ne toléreraient pas de voir exposés les autres Canadiens. La Cour suprême a sanctionné « une reconnaissance croissante dans des affaires récentes que le matériel dont on pouvait dire qu'il exploitait les choses sexuelles d'une façon « dégradante ou déshumanisante » ne répondra évidemment pas au critère des normes de la société ». Ce matériel est considéré préjudiciable pour la société et plus particulièrement pour les femmes. Toutefois, même le matériel qui va à l'encontre des normes de la société ne sera pas considéré comme une exploitation « indue » s'il est nécessaire pour le traitement sérieux d'un thème; il s'agit du critère des « nécessités internes », plus communément invoqué sous le nom de mérite artistique. En général, l'exploitation des choses sexuelles combinée à la violence sera toujours considérée indue; leur exploitation de façon dégradante et déshumanisante sera peut-être considérée indue si le préjudice qu'elle risque de causer est important; et leur exploitation qui est ni violente ni dégradante sera généralement tolérée à moins qu'elle ne mette en cause des enfants. Quand le mérite artistique est invoqué, il faut se demander si l'exploitation indue des choses sexuelles constitue le principal objet de l'ouvrage ou si leur représentation dans l'ouvrage est essentielle à un objet plus vaste d'ordre artistique, littéraire ou autre du même genre. Étant donné que l'article 163 a précisément pour objet de limiter la communication de certains genres d'ouvrages en fonction de leur teneur, la Cour suprême ne doutait absolument pas qu'il allait à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Charte. Toutefois, elle a jugé que l'objectif consistant à protéger la société d'un préjudice associé à la diffusion de certains ouvrages obscènes constitue une préoccupation suffisamment vive et fondée pour justifier une limitation de la liberté d'expression. La Cour suprême a également confirmé qu'il ne serait plus justifié de chercher à maintenir des normes traditionnelles de convenances, sans égard à quelque préjudice que ce soit pour la société, étant donné les valeurs de liberté individuelle qui sont à la base de la Charte. Enfin, la Cour a estimé que l'article 163 respectait le critère de proportionnalité, c'est-à-dire qu'il existe un rapport rationnel entre les mesures contestées et l'objectif de restriction minimale du droit ou de la liberté, et un équilibre convenable entre les effets des mesures qui les restreignent et l'objectif de la loi. À son avis, il existe un rapport rationnel, car le Parlement est justifié de « redouter raisonnablement un préjudice » résultant de la désensibilisation des individus exposés aux ouvrages dépeignant la violence, la cruauté et la déshumanisation dans les relations sexuelles. Quant à la restriction minimale des droits, elle a indiqué que la loi n'a pas besoin d'être « parfaite »; il suffit qu'elle soit convenablement adaptée dans le contexte du droit qui a été enfreint. À son avis, l'atteinte à la liberté d'expression est limitée à une mesure destinée à interdire la diffusion d'ouvrages dépeignant explicitement des actes sexuels accompagnés de violence ou qui, dénués de violence, sont dégradants ou déshumanisants; la restriction est donc proportionnelle à l'objectif. La Cour suprême du Canada a maintenu la validité de la disposition du Code criminel qui interdit le racolage dans un endroit public aux fins de la prostitution. L'article 213 (portant le numéro 195.1 jusqu'en 1988) porte que « toute personne qui sollicite une personne dans un endroit public aux fins de la prostitution est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ». Le 31 mai 1990, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision concernant trois appels relatifs à l'article 213 : l'affaire Skinner, l'affaire Renvoi aux articles 193 et 195.1 du Code criminel et l'affaire Stagnitta, soumises respectivement par la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et l'Alberta. C'est seulement dans l'affaire Skinner que la disposition a été jugée inconstitutionnelle parce qu'elle empiétait sur le droit à la liberté d'expression garantie à l'alinéa 2b) de la Charte. Le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada a été rédigé par le juge en chef Dickson, les juges Wilson et L'Heureux-Dubé divergeant d'opinion. Le juge en chef a soutenu que l'article contesté contrevenait à la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b), mais non à la liberté d'association garantie par l'alinéa 2d), ni à la liberté garantie à l'article 7. Il a déclaré que l'empiétement sur l'alinéa 2b) pouvait se justifier aux termes de l'article 1 de la Charte et pouvait être considéré comme une limite raisonnable à un droit garanti et que, par conséquent, sa justification pouvait être démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dans l'arrêt Langer, un tribunal ontarien s'est penché sur les nouvelles dispositions du Code criminel concernant la pornographie infantile. Un certain nombre de peintures et de dessins montrant d'une façon explicite des enfants engagés dans diverses activités sexuelles, parfois avec des adultes, avaient été saisies dans une galerie d'art. Le ministère public avait réclamé que ces illustrations soient confisquées, par ordonnance, au profit de la Couronne à titre de pornographie infantile. Le propriétaire des peintures s'est fondé sur défense légale de la valeur artistique (paragraphe 163.1(6)), tout en contestant également la constitutionnalité des dispositions sur la pornographie infantile (articles 163.1 et 164 du Code criminel). Le tribunal a déterminé que les dispositions constituaient une atteinte justifiée à la liberté d'expression, après modification du libellé du paragraphe 164(1), disposition portant sur la saisie de matériel douteux. Il a été prouvé que la loi avait été conçue précisément de façon à réaliser l'objectif légitime du Parlement qui est de protéger les enfants du danger, qu'elle avait un rapport rationnel avec l'objectif et qu'elle restreignait le moins possible la liberté d'expression. Le tribunal a décrété qu'un artiste agissant avec sincérité et intégrité dans la création d'une oeuvre courait peu de risques d'enfreindre la disposition. Qui plus est, le tribunal a décrété que les peintures et les dessins en question avaient effectivement une valeur artistique et il a, par conséquent, rejeté la requête en confiscation de la Couronne. Dans l'affaire R. c. Zundel, la Cour suprême du Canada a invalidé la disposition du Code criminel qui interdisait la diffusion de fausses informations. Selon l'article 181, était coupable d'un acte criminel quiconque, volontairement, publiait une déclaration, une histoire ou une nouvelle qu'il savait fausse et qui causait, ou était de nature à causer, une atteinte ou du tort à un intérêt public. L'accusé avait été deux fois reconnu coupable de cette infraction par des jurys de l'Ontario. Le juge McLachlin a soutenu, au nom de la majorité, que l'article 181 du Code violait la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Elle a indiqué que l'article 181 pouvait difficilement être appliqué par les tribunaux à cause de sa formulation trop vague. Selon elle, il ne pouvait non plus être protégé par l'article 1 de la Charte parce qu'il menacait d'incarcération des gens qui auraient fait une déclaration qu'un jury pourrait déclarer fausse ou dommageable à certains intérêts publics, ce qui empêchait une foule d'affirmations, dont certaines sont depuis longtemps jugées légitimes et même profitables à notre société. De plus, selon la majorité des juges, l'article du Code pouvait difficilement être protégé par l'article 1 de la Charte parce que son objectif historique est maintenant dépassé et qu'il faudra que l'assemblée législative lui en attribue un nouveau. Dans leur jugement fortement dissident, les juges Cory et Iacobucci (avec l'accord du juge Gonthier) ont écrit que l'article 181, bien qu'il ait enfreint de manière limitée l'alinéa 2b), n'est pas trop vague parce qu'il établissait une ligne de conduite claire. La publication de faussetés, qui était visée par la disposition en question, a pour effet de fomenter la discorde et la haine et de rendre impossible d'atteindre la notion de multiculturalisme dans une société démocratique. Le jugement dissident traite également de l'évolution, à travers l'histoire, de la raison d'être de l'article 181 qui, en 1275, visait à protéger les nobles et « les grands du royaume », alors qu'il sert aujourd'hui à protéger les minorités et à préserver la mosaïque culturelle du Canada; les juges y concluent que ce changement est acceptable. Selon les juges dissidents, l'importance de l'objectif de l'État, par rapport à une violation extrêmement accessoire du droit à la liberté d'expression, rendait l'article 181 justifiable dans une société libre et démocratique comme le Canada. Dans trois autres décisions, la Cour suprême du Canada a soutenu deux autres dispositions interdisant des formes différentes de propagande haineuse. Les appels ont été entendus en décembre 1989 et les décisions ont été rendues le 13 décembre 1990. Dans les affaires R. c. Keegstra et R. c. Andrews, la disposition en cause était le paragraphe 319(2) du Code criminel, aux termes duquel il est interdit de fomenter volontairement la haine contre tout groupe qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l'origine ethnique. L'affaire R. c. Taylor concernait la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après avoir étudié tous les antécédents législatifs contre la propagande haineuse, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité des deux dispositions mais, dans les deux cas, par une mince majorité seulement. Le jugement dissident, rédigé par le juge McLachlin avec l'assentiment du juge Sopinka et l'appui partiel du juge LaForest, se fonde sur un bon raisonnement et est convaincant. Les juges y laissent entendre que la validité de telles dispositions pourrait de nouveau être mise en doute plus tard. Dans les affaires Keegstra et Andrews, les cours d'appel provinciales avaient rendu des décisions contradictoires. En effet, la Cour d'appel de l'Ontario avait confirmé la validité du paragraphe 319(2), alors que celle de l'Alberta avait jugé que cette disposition était inconstitutionnelle et imposait des restrictions injustifiées à la liberté fondamentale d'expression garantie en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte. Le juge Dickson (alors juge en chef de la Cour suprême du Canada) a conclu que le paragraphe 319(2) violait effectivement la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Il a cependant démontré que ce paragraphe était justifié par les dispositions de l'article 1 de la Charte en incluant dans son raisonnement des considérations sur les torts que cause cette forme de communication dans la société, sur les engagements pris par le Canada en droit international en matière d'interdiction de la propagande haineuse et sur les principes qui sous-tendent les articles 15 et 27 de la Charte. L'article 15 garantit les droits à l'égalité et l'article 27 met l'accent sur l'importance du patrimoine multiculturel des Canadiens. En vertu de l'article 1 de la Charte, par conséquent, tant les dispositions du paragraphe 319(2) que le renversement du fardeau de la preuve prévu à l'alinéa 319(3)a), aux termes duquel l'accusé peut se défendre en établissant la véracité de ses déclarations, sont valides puisqu'ils constituent une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dans son jugement dissident, le juge McLachlin a soutenu que la liberté d'expression garantie à l'alinéa 2b) ne devrait pas être limitée par les articles 15 et 27, ni par des documents internationaux en matière de droits de la personne. Même si elle reconnaissait que l'objectif législatif avait suffisamment de poids pour justifier une restriction de la liberté fondamentale d'expression, il n'a pas été clairement prouvé, selon elle, que le paragraphe 319(2) constitue une mesure efficace de prévention de la propagande haineuse. Le juge McLachlin semble avoir été influencée par l'argumentation voulant que, en poursuivant des personnes dans le cadre du processus criminel, on leur faisait de la publicité gratuite et on leur conférait le statut de martyr. Selon elle, punir comme criminels les auteurs de propagande haineuse peut rendre cette propagande attrayante dans la mesure où cela a pour effet de la valoriser en interdisant totalement son expression. À son avis, la disposition ne répond pas au critère de proportionnalité, car elle entrave la liberté d'expression au delà de ce que permettent ses objectifs. Le juge a conclu que les avantages hypothétiques découlant de la disposition cèdent le pas à l'atteinte portée à la garantie constitutionnelle de la liberté d'expression. L'affaire Taylor portait sur le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, aux termes duquel le fait d'aborder par téléphone des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris une personne ou un groupe parce qu'ils peuvent faire l'objet de discrimination pour un motif interdit constitue un acte discriminatoire. Les accusés avaient utilisé un répondeur automatique pour livrer des messages enregistrés dénigrant la race et la religion juives. Dans un jugement dissident, les juges La Forest, Sopinka et McLachlin ont soutenu que le paragraphe 13(1) ne répondait pas au critère de proportionnalité en raison de sa portée excessive. La majorité des juges ont toutefois confirmé sa validité, alléguant le fait que, même si la disposition impose une restriction plus large de la liberté d'expression que ne le fait le paragraphe 319(2) du Code criminel, les restrictions imposées aux termes d'une loi sur les droits de la personne semblent plus acceptables, en raison du caractère conciliatoire de ce type de loi, que celles qui sont imposées aux termes du droit pénal. Dans une décision rendue par la suite, la Cour d'appel de la Saskatchewan a appliqué le raisonnement exposé dans l'affaire Taylor pour soutenir les dispositions législatives interdisant la publication ou l'affichage de panneaux ou de représentations qui attisent la haine ou ridiculisent ou rabaissent un membre d'un groupe protégé ou qui offensent sa dignité. Dans une affaire liée aux dispositions relatives à la littérature haineuse, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a rejeté une partie d'une ordonnance rendue par une commission d'enquête constituée en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick, relativement à la conduite de Malcolm Ross, un enseignant qui a publié des documents affirmant qu'une conspiration internationale tramée par les Juifs était en train d'ébranler la civilisation chrétienne. La commission avait ordonné que M. Ross soit retiré de la salle de classe et qu'il soit licencié à moins qu'un poste de non-enseignant puisse lui être trouvé. De plus, il devait être démis de ses fonctions s'il publiait ou distribuait des écrits antisémites. Le premier tribunal à revoir l'ordonnance a annulé la disposition de « bâillon », et la Cour d'appel a soutenu l'annulation. De plus, la Cour d'appel a supprimé dans l'ordonnance les dispositions relatives à l'emploi de M. Ross puisque celui-ci ne s'était jamais servi de la salle de classe ou de l'école comme tribune pour diffuser ses opinions. Par conséquent, le retrait de la salle de classe n'a pas été jugé une question assez pressante et importante pour l'emporter sur le droit de M. Ross à la liberté d'expression. La Cour a statué que toute autre décision aurait pour effet de laisser croire que la suppression des opinions qui sont mal reçues politiquement à une époque donnée est acceptable. f. Le piquetage et les manifestations Une autre question, celle du droit de faire du piquetage secondaire, était en cause dans l'affaire Dolphin Delivery, qui a été jugée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Celle-ci a décidé que lorsque le piquetage n'a pas pour objet d'informer la population, d'exprimer une opinion ou de faire adopter un point de vue, il constitue une forme d'action plutôt que d'expression; par conséquent, il ne peut être contraire à cette disposition de la Charte d'imposer des restrictions à l'égard de ce genre de piquetage. M. le juge Hutcheon s'est dit d'un avis diamétralement opposé à celui de ses collègues et a déclaré qu'à ses yeux, le piquetage ordonné est une forme d'exercice de la liberté d'expression. L'affaire a été portée en appel devant la Cour suprême et celle-ci a statué que le piquetage ordonné constitue bel et bien une forme d'expression et fait donc partie des libertés garanties par la Charte. Cette liberté peut toutefois être restreinte s'il est évident que le piquetage va susciter une escalade du conflit entre les parties en cause. En outre, la Cour suprême du Canada a jugé que les employés d'un tribunal qui sont en grève légale ne peuvent plus faire de piquetage devant leur lieu de travail, puisqu'une telle activité équivaut à un outrage au tribunal (B.C.G.E.U. c. C.B.). La Cour a réaffirmé que le piquetage ordonné constitue une forme d'expression protégée par la liberté d'expression garantie par la Charte. Elle a cependant estimé que l'accès sans entrave aux tribunaux constitue un objectif suffisamment important pour justifier la suspension d'une liberté ou d'un droit protégé par la Constitution. Le piquetage risquerait de perturber gravement les travaux des tribunaux, ce qui constituerait un empiétement intolérable sur les droits juridiques et constitutionnels des Canadiens. Dans l'arrêt Dieleman, un tribunal ontarien a accordé une injonction contre les protestations anti-avortement aux abords de cliniques autonomes et de bureaux de médecins. Selon lui, même si l'injonction empiète sur la garantie de liberté d'expression, les intérêts physiologiques et psychologiques des femmes qui se préparent à avoir un avortement, ainsi que leur droit à la vie privée, constituent des objectifs suffisamment importants pour que cette liberté soit brimée. g. Autres questions (diffamation, déclarations contraires aux convictions) En mars 1996, la Cour de lOntario (Division générale) a invalidé larticle 301 du Code criminel du Canada, qui interdit la publication de libelle diffamatoire, défini comme suit : matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelquun en lexposant à la haine, au mépris et au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée. Dans laffaire R. c. Gill, deux personnes avaient publié des « avis de recherche » en alléguant que six gardes du pénitencier de Kingston avaient torturé et tué un détenu. La cour a établi sans difficulté quen vertu de lalinéa 2b) de la Charte, larticle 301 enfreignait les droits des accusés, et que cet article nétait pas justifié par larticle 1. Certains tribunaux ont également été appelés à déterminer si des personnes ou des organisations peuvent être contraintes de faire une déclaration contre leur gré ou leurs convictions. Dans un procès en diflamation, un juge de la Cour provinciale de l'Ontario s'est prononcé en faveur du demandeur et, en plus de lui accorder des dommages-intérêts, a ordonné que le journal défendeur publie une rétractation et des excuses dans la partie du journal où avait paru l'article initial. En 1989, un appel a été accueilli, au motif que la Cour provinciale n'avait aucune juridiction pour ordonner ce type de redressement équitable; le juge d'appel a toutefois indiqué qu'autrement l'ordonnance aurait été valide sur le plan constitutionnel. Le juge d'appel a cité un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1989, Slaight Communications, confirmant l'ordonnance rendue par un arbitre en vertu du Code canadien du travail, selon lequel un employé d'une station radiophonique avait été congédié injustement. En plus d'ordonner le versement d'une indemnité pécuniaire, l'arbitre avait ordonné à l'employeur de remettre à l'employé congédié une lettre de recommandation énonçant certains faits relatifs au différend (l'« ordonnance positive »). Il avait par ailleurs délivré une deuxième ordonnance interdisant à la direction ou au personnel de la station radiophonique de répondre aux demandes de renseignements concernant l'employé congédié autrement que par l'envoi de la lettre de recommandation (l'« ordonnance négative »). Le juge Beetz, qui était dissident, a déclaré que cette ordonnance pouvait obliger l'employeur à rédiger des exposés des faits qu'il risquait de considérer personnellement inexacts ou trompeurs. Selon lui, on peut interdire la divulgation de certains faits, mais ordonner à une personne de confirmer des faits, que cette dernière croie ou non à leur exactitude, c'est autre chose. Bien que l'objectif visant à protéger l'employé fût valide, il aurait pu être atteint par d'autres moyens, notamment à l'aide d'une lettre déclarant que l'arbitre avait jugé que les faits en question étaient exacts. L'ordonnance négative en particulier était, de l'avis du juge Beetz, disproportionnée et déraisonnable. Dans l'arrêt RJA-MacDonald dont il a été question à la section sur la liberté d'expression commerciale, la Cour suprême du Canada a traité d'un aspect semblable dans ses commentaires sur les avertissements non attribués exigés par la Loi réglementant les produits du tabac. 3. Liberté de réunion pacifique (alinéa 2c)) Le mot « pacifique » a probablement été utilisé dans cet alinéa pour préciser qu'aucun doute n'est jeté sur les lois du pays en ce qui concerne les attentats à l'ordre public et les émeutes. Il est également clair qu'il existe une affinité naturelle entre la liberté de réunion et la liberté de parole, étant donné que ceux qui se voient refuser l'accès à la presse pour faire connaître leur point de vue ont d'ordinaire largement recours à diverses formes de réunions pour faire entendre leur message. Dans l'affaire Collins, un tribunal de l'Ontario a déclaré qu'il donnera au moins un certain poids au droit à la liberté de réunion pacifique. En effet, dans cette affaire, le tribunal a supprimé certaines conditions imposées à une personne accusée d'avoir entravé le travail de la police à la suite de sa libération sous cautionnement en attendant son procès. D'après ces conditions, l'inculpé ne devait participer à aucune manifestation, ni manifester lui-même ou causer quelque perturbation que ce soit dans un rayon d'un demi-mille d'une usine où on fabriquait des pièces d'armes. Le tribunal a estimé qu'il revenait à la Couronne de démontrer pourquoi le droit fondamental de faire ce qui est légal devait être restreint. Il a poursuivi en disant que, si la Couronne veut justifier une restriction à un droit fondamental, elle doit prouver que celle-ci est justifiée par une raison d'État importante ou substantielle sans aucun lien avec la suppression du droit d'expression et que cette restriction à la liberté de réunion ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire ou essentiel pour assurer la protection du public. Si un pareil raisonnement continue d'être appliqué, il est possible que dans un cas semblable à l'affaire Dupond, la municipalité doive justifier l'interdiction de tenir des assemblées en démontrant que toutes les assemblées interdites étaient tenues à des fins non pacifiques. Laffaire Dieleman, en Ontario, concernait une injonction interlocutoire accordée au Procureur général en vue de réprimer des manifestations anti-avortement. On a jugé que linjonction empiétait sur la liberté de réunion pacifique garantie par lalinéa 2c), mais que cette limitation était justifiée, tout comme la limitation à la liberté dexpression garantie par lalinéa 2b) dans la même affaire (voir ci-dessus). 4. Liberté d'association (alinéa 2d)) La liberté dassociation garantie par lalinéa 2d) comprend des droits en matière de relations de travail et de négociation collective, ainsi que des droits dassociation à des fins familiales, politiques et économiques; est également compris le droit de ne pas sassocier. Dans l'affaire Maltby, le tribunal de première instance de la Saskatchewan a statué que le droit de visite limité accordé aux personnes détenues en attendant leur procès dans les centres correctionnels de la Saskatchewan n'enfreint pas le droit à la liberté d'association, car cette restriction a été jugée incidente à un objectif légitime de l'administration pénitentiaire, c'est-à-dire assurer la sécurité. Dans l'affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine en chef du Canada, il a été décidé que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public (S.C. 1980-81-82-83, c. 122), qui prolongeait les régimes de rémunération des employés de la fonction publique fédérale, fixait les augmentations de salaire pour une période de deux ans et limitait ainsi les négociations collectives pendant cette période, ne contrevenait pas à la Charte. La majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont statué que la liberté d'association ne garantit pas le droit de faire la grève ou de négocier collectivement. Par conséquent, il n'était donc pas nécessaire que le tribunal examine la Loi pour déterminer si elle était justifiée en vertu de l'article 1. On a dit que les assemblées législatives pouvaient, au besoin, définir et délimiter de différentes façons les droits qui découlent du droit d'association. Le juge en chef Dickson, appuyé par Mme le juge Wilson, a formulé une opinion dissidente selon laquelle le droit de grève est effectivement protégé par la Charte. En cours de négociations collectives, la liberté des employés de débrayer collectivement doit être protégée. Il a été décidé que la perception obligatoire des cotisations syndicales, conformément à une clause sur les prélèvements prévue dans une convention collective, ne contrevient pas au droit de ne pas s'associer. Les employés demeurent libres de s'opposer au syndicat et de travailler avec d'autres pour faire abolir le droit de négocier du syndicat. Le paiement obligatoire n'associe pas personnellement l'employé aux objectifs politiques, sociaux ou idéologiques que le syndicat pourrait appuyer financièrement ou autrement. De plus, dans l'affaire Lavigne c. O.P.S.E.U., la disposition de la Colleges Collective Bargaining Act qui estime que tous les employés d'une unité de négociation participent à une grève lorsque le syndicat a donné avis d'une grève légale, ce qui empêche tous les employés de toucher leur rémunération ou leurs avantages pendant la période de grève, ne contrevient pas à l'alinéa 2d) de la Charte. Des décisions divergentes ont également été rendues dans un autre domaine, soit celui de l'utilisation des cotisations syndicales à des fins politiques. Dans l'affaire B.C.G.E.U. c. C.-B., la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que l'utilisation de ces fonds par le Syndicat des employés de la Fonction publique de la province ne violait pas la liberté d'association. Par ailleurs, un tribunal ontarien a jugé que la Charte n'autorisait pas le Syndicat des employés de la Fonction publique de l'Ontario à utiliser les cotisations syndicales obligatoires à des fins autres que la négociation collective. Cette décision a toutefois été infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario, qui a statué que les cotisations syndicales et l'usage qui en est fait sont des questions internes d'ordre privé qui ne sont pas visées par la Charte. La Cour a signalé que le syndicat agissait simplement comme les syndicats l'ont toujours fait au Canada et dans tous les États démocratiques. Les tribunaux ont toujours soutenu que la liberté d'association garantie par l'alinéa 2d) de la Charte ne s'étendait pas aux liens familiaux entre un parent et un enfant, ni à ceux qui existent entre époux. Dans le contexte de l'immigration, les ordonnances séparant parents et enfants et les époux (lorsque le mariage a été conclu à des fins d'immigration) ont été maintenues (Re Downes et Re Horbas). Dans une autre affaire entendue en Saskatchewan, Re S. et le ministre des services sociaux, le tribunal a également déterminé que la liberté d'association pouvait être restreinte dans le cas d'un enfant mis en détention préventive par un agent du bien-être social qui a des motifs raisonnables de croire que la santé et le bien-être de lenfant se trouve en danger immédiat. Il a ainsi été décidé que la privation du droit d'association était dans l'intérêt de l'enfant et qu'en conséquence, elle constituait une limitation raisonnable prescrite par la loi et pouvant suffisamment se justifier dans une société libre et démocratique. Dans l'affaire Catholic Children's Aid Society of Metropolitan Toronto c. S.(T.), il a été décidé que la loi ontarienne sur le bien-être d'un enfant, qui oblige les parents naturels à renoncer à l'accès à leur enfant donné en adoption, ne contrevenait pas à l'alinéa 2d) de la Charte. Même si ce paragraphe visait à protéger l'association entre parents et enfants, l'article 1 de la Charte doit primer afin de limiter cette liberté, dans l'intérêt de l'enfant. Les libertés fondamentales garanties par la Charte sont des libertés publiques et le désir d'un parent d'être uni à son enfant n'a aucun but ou objectif comparable à ceux d'associations à des fins économique, politique, religieuse, sociale, charitable ou même de divertissement.
* La première version de ce bulletin a été publiée en mai 1984. Le document a été périodiquement mis à jour depuis. |