84-3F

LA PORNOGRAPHIE

Rédaction :
James R. Robertson
Division du droit et du gouvernement
Révisé le 30 septembre 2002


TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  Pornographie et préjudice
   B.  La législation actuelle
   C.  La norme relative à l’obscénité
   D.  La pornographie – atteinte aux droits de la personne et propagande haineuse
   E.  L’exploitation pornographique des enfants
   F.  La pornographie sur Internet
   G.  Faits nouveaux sur le plan judiciaire

MESURES PARLEMENTAIRES

   A.  Rapport du Comité de la justice, 22 mars 1978
   B.  Projet de loi C-51, première lecture le 1er mars 1978
   C.  Projet de loi C-19, première lecture le 7 février 1984
   D.  Projet de loi C-38, première lecture le 1er avril 1985
   E.  Projet de loi C-114, première lecture le 10 juin 1986
   F.  Projet de loi C-54, première lecture le 14 mai 1987
   G.  Projet de loi C-128, sanction royale le 23 juin 1993
   H.  Rapport du Comité de la justice, le 16 novembre 1994

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


LA PORNOGRAPHIE*

DÉFINITION DU SUJET

La pornographie, c’est‑à‑dire toute représentation explicitement sexuelle, n’est pas un phénomène nouveau.  Elle a existé sous une forme ou une autre dans pratiquement toutes les sociétés au cours de l’histoire.  Toutefois, il est clair qu’aujourd’hui, la pornographie est plus répandue que jamais au Canada; elle est également plus explicite et plus violente qu’auparavant.  En outre, les nouvelles technologies comme l’Internet ont créé des problèmes particuliers.

Par le passé, l’attitude de la société à l’égard des représentations explicitement sexuelles a consisté à interdire ou à limiter celles qui dépassaient son seuil de tolérance.  Le principe sous‑jacent à cette attitude est que la pornographie peut être interdite parce qu’elle offense le bon goût.  On considère non seulement que la pornographie est immorale dans la mesure où elle véhicule une idéologie et une perception des sexes et de leurs rapports qui est répugnante, mais aussi qu’elle cause un préjudice réel.  C’est pourquoi beaucoup de gens croient qu’elle devrait être assujettie davantage aux pouvoirs de réglementation et de coercition de l’État.

En revanche, d’autres personnes estiment que rien ne prouve de façon convaincante qu’il existe un lien de causalité entre la pornographie et la violence physique réelle, et que les autres effets possibles de la pornographie sont trop ténus ou négligeables pour que l’on attente à bon droit à la liberté d’expression garantie dans la Constitution.  Il importe aussi de définir les moyens pour déterminer quel matériel est offensant et de décider à qui cette tâche doit être confiée et quelles normes il convient d’utiliser.  Dans le présent bulletin, nous tentons de donner un aperçu de ce débat.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  Pornographie et préjudice

Bon nombre des difficultés qu’on éprouve lorsqu’on traite de pornographie découlent de l’absence d’accord ou d’une certaine confusion quant au sens de ce terme.  Le droit pénal ne parle pas de pornographie, mais plutôt d’obscénité, sauf dans une modification apportée en 1993 portant sur la « pornographie juvénile ».  Le mot « pornographie » est parfois extrêmement chargé émotivement, et son sens peut varier selon la perspective adoptée par la personne qui l’emploie.

Pour certaines personnes, la nudité ou le sexe sont toujours pornographiques.  Pour d’autres, ce qui est inacceptable n’est pas le contenu sexuel à proprement parler, comme on le retrouve dans des représentations érotiques montrant des activités sexuelles consensuelles, mais bien les représentations où au moins un des participants est avili, humilié ou maltraité.  Dans cette perspective, la pornographie accepte ou encourage l’avilissement sexuel.  Cette distinction va à l’encontre des définitions conventionnelles puisque des représentations sexuelles extrêmement explicites seront considérées comme érotiques, tandis que d’autres, relativement peu explicites mais dégradantes, seront appelées pornographiques.  D’un autre côté, beaucoup de matériel pornographique montre des femmes nues et certains prétendent que cela perpétue la projection de la femme comme objet et que la pornographie peut ainsi, directement et indirectement, porter préjudice aux femmes.

En raison de l’ambiguïté du terme, il est aussi difficile de déterminer l’ampleur du phénomène pornographique.  Toutefois, il est évident que la pornographie est plus accessible et certainement plus explicite que jamais.  Le relâchement des normes sociales serait tel que 30 p. 100 des publications vendues aujourd’hui dans les kiosques à journaux canadiens seraient tombées sous le coup de la loi il y a 20 ans.  De plus, au cours des dernières années, un tout nouveau marché, celui des vidéocassettes, s’est développé et l’Internet est devenu un important réseau de communication.

Malgré l’imprécision qui caractérise la définition de la pornographie, beaucoup de gens croient que les représentations d’actes de violence – ou d’avilissement – envers des femmes sont manifestement préjudiciables et doivent être contrôlées, mais les divergences d’opinion sont considérables quant à la stratégie à adopter.  La pornographie causerait un préjudice de deux façons.  Premièrement, la théorie veut qu’il existe un lien de causalité direct entre la pornographie violente et la violence faite aux femmes, de sorte que des représentations pornographiques peuvent provoquer l’agression.  Deuxièmement, on soutient qu’en général, la pornographie entretient, au sujet de la sexualité et des femmes, des mythes qui rendent la violence et l’asservissement plus acceptables à l’ensemble de la société.  De ce point de vue, les distinctions entre les différents types de pornographie sont injustifiées, car les représentations pornographiques s’inscrivent dans un continuum : les consommateurs deviennent insensibles et blasés face à la pornographie « douce », dont la distribution généralisée rend plus acceptable la pornographie « dure », présumée plus nuisible, et en encourage même la production.

Il peut toutefois se révéler difficile de trouver des preuves objectives des effets nuisibles de la pornographie.  Il existe trois sources possibles de ces preuves :

  • preuves anecdotiques - rapports de police ou articles de presse indiquant qu’un délinquant sexuel est un gros consommateur de pornographie explicite, ou victimes affirmant que leur agresseur était sous l’influence de la pornographie;
  • preuves statistiques - tentant d’établir une corrélation entre la diffusion de la pornographie et l’incidence de crimes violents;
  • preuves expérimentales - résultats d’expériences visant à mesurer les réactions de sujets à la pornographie, en particulier la pornographie agressive et violente.

Les preuves anecdotiques et statistiques ne permettent pas d’établir un lien de causalité entre la pornographie et la violence.  La présence de la pornographie peut simplement être l’indice, plutôt que la cause, d’un comportement antisocial.  En fait, d’après certaines recherches, beaucoup de violeurs auraient déclaré ne guère faire usage de pornographie.  Pour ce qui est des preuves statistiques, la fréquence des agressions sexuelles a augmenté, mais guère plus que celles des autres crimes; de toute façon, l’établissement d’un lien statistique de ce genre est très problématique.

Ce sont les études expérimentales qui sont le plus susceptibles de prouver l’existence d’un lien entre la violence et la pornographie; de fait, certains travaux en laboratoire ont prouvé qu’il pouvait y avoir un lien mesurable entre le comportement agressif et l’habitude de la pornographie agressive.  Pourtant, des critiques font remarquer que ces expériences sont foncièrement artificielles et que leurs résultats ne sont pas très concluants.  Même les chercheurs qui mènent les expériences admettent que les résultats obtenus en laboratoire ne peuvent être directement transposés dans la réalité, où une multitude d’autres stimuli et inhibitions influent sur le comportement social.

Les études sur les effets de la pornographie ne portent pas toutes sur ses conséquences négatives.  Certains souscrivent à la théorie de la catharsis, selon laquelle la pornographie peut être libératrice et permettre à ses consommateurs d’exprimer leur agressivité sans violence.  Cette théorie est aussi difficile à défendre que celle selon laquelle la pornographie provoque l’agression, et l’on a contesté certaines des tentatives visant à la prouver à partir de l’expérience de pays qui ont libéralisé les lois sur l’obscénité.

Certains affirment que l’absence de preuves scientifiques concluantes d’un lien de causalité direct entre la pornographie et la violence ne devrait pas empêcher de supprimer la pornographie; en raison de la nature du phénomène et de son contexte social, il est d’ailleurs pratiquement impossible d’obtenir ce genre de preuve.  Comme il serait évident que la pornographie contribue négativement à l’idée que la société se fait des femmes et de la sexualité, cela suffirait à leurs yeux pour justifier sa suppression.  Leurs adversaires font valoir que la société ne devrait imposer de restrictions à la liberté d’expression que s’il y a preuve de préjudice manifeste et que, de toute façon, les sanctions légales existantes, avec quelques modifications peut-être, sont tout à fait adaptées au problème.

Dans son rapport paru en 1985, le Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution (le Comité Fraser) a formulé plusieurs conclusions importantes au sujet de la pornographie au Canada.  Le Comité s’est abstenu de donner une définition explicite de ce qu’il entendait par « pornographie », surtout parce qu’il n’y a pas de consensus dans la population en général quant au sens de ce terme.  Il a reconnu qu’il y avait lieu de distinguer entre pornographie et érotisme et que, si c’est la pornographie à caractère violent qui est la plus préoccupante, il y a tout de même une certaine continuité entre elle et la pornographie « douce ».

Le Comité a constaté qu’au Canada, le matériel pornographique était presque exclusivement importé et qu’on en trouvait en 1985 beaucoup plus facilement que 15 ans auparavant; il a toutefois admis que cette conclusion « ne résulte pas de statistiques précises et exhaustives.  Il [s’agissait] plutôt d’une impression fondée sur le recoupement de certaines données statistiques, d’indications, de tendances et d’observations générales ».  De plus, le Comité n’a pas pu déterminer avec exactitude s’il y a maintenant véritablement plus de personnes qu’autrefois qui se procurent du matériel pornographique.  Il a conclu à cet égard :

Les études réalisées sur les revues et les cassettes vidéo ne confirment pas l’image résolument effrayante que nous ont présentée certains témoins [...].  Rien ne nous a prouvé que l’on fasse un grand usage de pornographie violente ou enfantine.

Le Comité a résolument soutenu que la pornographie représente et renforce des attitudes et des activités allant à l’encontre de l’égalité des hommes et des femmes et qu’elle présente comme étant normales et louables des images avilissantes, ce qui a pour effet « de perpétuer des mensonges sur [la] nature humaine [des femmes] et de nier leurs aspirations à l’égalité et à la plénitude de leurs droits humains ».

   B.  La législation actuelle

Les principales sanctions contre la pornographie se trouvent à l’heure actuelle dans le droit pénal, plus précisément à l’article 163 du Code criminel, qui crée un certain nombre d’infractions relativement à la fabrication et à la distribution, ou à la possession aux fins de distribution, de publications « obscènes ».  Le fait d’expédier par courrier des choses obscènes ou de présenter un spectacle « immoral, indécent ou obscène » constitue également une infraction.  Ces infractions sont punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou de mise en accusation; dans ce dernier cas, l’auteur du délit est passible d’une peine maximale de deux ans de prison.  La loi prévoit également un processus de saisie et de confiscation du matériel obscène.

Cette série d’interdictions se fonde essentiellement sur la définition de l’obscénité qu’on trouve au paragraphe 163(8) :

Aux fins de la présente loi, est réputée obscène toute publication dont une caractéristique dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un quelconque ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l’horreur, la cruauté et la violence.

Le caractère « indu » de l’exploitation est presque toujours déterminé par les valeurs morales de la société; ainsi, si la caractéristique dominante est l’exploitation du sexe ou du sexe associé à un autre des sujets mentionnés dans cette disposition, il incombe au juge des faits de déterminer le seuil de tolérance de la société.  La société tolérerait‑elle la présentation, la publication ou la distribution du document tel quel?  Si la réponse est négative, le document est jugé obscène.  Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’affaire Butler, le critère du seuil de tolérance de la société se rapporte non pas aux documents (écrits ou autres) auxquels les Canadiens ne toléreraient pas d’être exposés eux‑mêmes, mais aux documents auxquels ils ne toléreraient pas que d’autres Canadiens soient exposés.

Il convient de noter que le crime, l’horreur, la cruauté et la violence ne sont pas intrinsèquement obscènes; aux fins de la loi, ils doivent être associés au sexe pour qu’il y ait obscénité.

Le critère de l’obscénité n’est pas immuable : il varie selon la tendance de la population à accepter des représentations à caractère sexuel explicite.  Bien que ce critère s’applique prétendument à l’échelle nationale, il est sujet à des variations considérables puisque le droit pénal est administré par les provinces, qui sont libres d’établir leurs propres critères de poursuite devant les tribunaux.  Enfin, la norme acceptée en matière d’obscénité est, de nos jours, assez « libérale ».  Ainsi, elle est très peu sévère dans des médias comme les magazines ou les films, car il est peu probable que ceux qui ne souhaitent pas faire usage de représentations sexuelles y soient exposés; par ailleurs, elle est beaucoup plus stricte dans d’autres moyens d’expression plus accessibles à l’ensemble de la population, comme la télévision.

L’article 163.1 du Code criminel, adopté en 1993, interdit la production, la distribution et la vente de « pornographie juvénile », et rend coupable d’une infraction quiconque a ce genre de matériel en sa possession.  Elle fixe la sentence maximale pour la production et la distribution de pornographie juvénile à dix ans, et celle pour la simple possession à cinq ans.  La définition qu’elle donne de la pornographie juvénile comprend :

  • la représentation visuelle d’une activité sexuelle explicite avec une personne de moins de 18 ans ou présentée comme telle;
  • la représentation visuelle, dans un but sexuel, de personnes de moins de 18 ans;
  • tout écrit ou toute représentation qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne de moins de 18 ans.

À part la sanction pénale, la législation fédérale contient peu d’autres dispositions visant à contrôler les représentations violentes ou sexuellement explicites.  Avant 1985, les douaniers pouvaient, en vertu du Tarif des douanes, interdire l’introduction au Canada de documents dont le caractère « immoral ou indécent » était déterminé par la norme sociale.  Ces mots avaient une portée plus large que la simple obscénité : aussi était‑il possible d’interdire l’importation au Canada d’un éventail plus étendu de documents par des mesures administratives que par des poursuites pénales.  Toutefois, le 14 mars 1985, la Cour d’appel fédérale a jugé que cette disposition était trop vague pour être compatible avec la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.  La liste du Tarif des douanes a depuis été modifiée pour faire mention des documents « réputés obscènes » aux termes du paragraphe 163(8) du Code criminel ou constituant de la propagande haineuse aux termes du paragraphe 320(8).  Depuis 1993, la liste fait également mention de matériel qui constitue de la « pornographie juvénile » dans le sens donné à ce terme par le Code criminel.

Les provinces ont un rôle relativement limité dans la lutte contre la pornographie.  Comme l’élaboration du droit pénal échappe à leur compétence, elles ne peuvent interdire directement l’obscénité par voie législative, même si des règlements provinciaux peuvent porter accessoirement sur ce problème, ou compléter les lois fédérales relatives à l’obscénité.  C’est le cas des règlements établissant des organismes provinciaux de censure ou de classification des films, dont la constitutionnalité a été reconnue par la Cour suprême du Canada en 1978.  Toutefois, la capacité juridique de ces organismes de censurer des films ou d’en interdire la projection a été mise en doute par un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario rendu en 1984.  La Cour a statué que l’absence de lignes directrices précises relatives à la censure permettait à la Commission de censure de l’Ontario (maintenant la Commission de contrôle cinématographique de l’Ontario) de limiter d’une façon qui n’était pas raisonnable la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

Exception faite de la réglementation du cinéma, le rôle des provinces dans ce domaine est limité.  Les municipalités, grâce à des pouvoirs qu’elles tiennent des provinces, peuvent réglementer la pornographie en imposant des restrictions en matière d’exposition, d’octroi de permis ou de zonage, mais ce contrôle ne doit pas empiéter sur la compétence fédérale en matière pénale.  Les limites de la compétence des provinces ont été mises en évidence dans un jugement rendu par la Cour divisionnaire de l’Ontario en octobre 1984, relativement à une disposition de la Loi sur les municipalités de l’Ontario – et, en particulier, à un arrêté de la ville de Toronto – qui aurait permis de réglementer la vente des revues érotiques.  La disposition a été annulée pour le motif que l’arrêté municipal concernait la moralité publique, question qui est exclusivement de la compétence fédérale en matière pénale.

Les nouvelles technologies créent de nouveaux problèmes : la pornographie informatique est de plus en plus préoccupante, en particulier parce que la diffusion de ce matériel ne peut pas, d’une manière générale, être contrôlée.  Des questions se posent également à propos de la responsabilité éventuelle des propriétaires ou gestionnaires de réseaux informatiques, comme les universités.  Des accusations criminelles ont été portées relativement à la distribution ou à la possession de matériel pornographique sur l’Internet, mais jusqu’à maintenant le système judiciaire a donné peu de repères sur ces questions.

   C.  La norme relative à l’obscénité

Nombreux sont ceux qui estiment que les interdictions pénales visant l’obscénité sont inadéquates en raison de l’importance qu’elles accordent à la sexualité explicite.  En outre, bien des gens estiment que le critère des valeurs de la société n’est pas particulièrement utile : si la pornographie est effectivement nuisible d’une façon ou d’une autre, il faut établir un critère objectif pour en juger au lieu de s’appuyer sur une simple appréciation subjective de ce que la société ne tolère pas.

En 1984, avec le projet de loi C-19, le gouvernement libéral a proposé une nouvelle définition de l’obscénité qui aurait tenu compte de ces critiques.  Elle se lisait ainsi :

Aux fins de la présente loi, toute chose est obscène lorsqu’une de ses caractéristiques dominantes est l’exploitation indue de l’un ou l’autre ou de plusieurs des éléments suivants, à savoir le sexe, la violence, le crime, l’horreur ou la cruauté, au moyen de représentations dégradantes de l’homme ou de la femme ou de toute autre façon.

Cette proposition aurait permis deux grands changements.  Premièrement, elle aurait établi de façon très claire que la définition se serait appliquée à toutes les « choses » et non pas simplement aux publications, ce qui aurait permis l’élimination d’une ambiguïté persistante.  Deuxièmement, elle aurait supprimé la nécessité d’un lien entre la sexualité et la cruauté, l’horreur ou la violence pour qu’il y ait obscénité.

Par contre, la proposition retenait le principe de l’« exploitation indue », et le critère des valeurs sociales se serait donc encore appliqué.  L’ajout de la dégradation n’aurait pas apporté grand‑chose aux sanctions existantes; en effet, les tribunaux disposent déjà des pouvoirs nécessaires pour statuer qu’il y a eu exploitation indue en se fondant sur des cas de dégradation.

Certains groupes féministes ont proposé une démarche différente en vue de définir la pornographie; elle ne serait nullement fondée sur une évaluation du seuil de tolérance de la société, mais plutôt sur une analyse prétendument objective visant à déterminer si une représentation peut être considérée comme véhiculant une approbation du comportement qui y figure.  Dans une des versions proposées, celle de l’Association nationale de la femme et du droit, le terme « obscénité » serait remplacé par le terme « pornographie », défini comme suit :

La présentation ou représentation simulée ou réelle en spectacle, en paroles, en images, sur film ou enregistrement vidéo, ou autrement, d’un comportement sexuel où un ou plusieurs des participants sont ouvertement ou implicitement contraints à participer ou sont blessés ou soumis à une violence physique ou psychologique; ou qui comporte un déséquilibre de force évident ou implicite, imputable au jeune âge d’un participant ou à certains aspects de la présentation, qui porte à croire qu’un tel comportement est encouragé ou approuvé.

Le propos évident de ce projet de définition est que toute représentation d’une activité non consensuelle est préjudiciable et devrait être supprimée.  Toutefois, du point de vue de l’application du droit pénal, pareille définition risquerait de poser de graves difficultés : bon nombre des expressions utilisées sont extrêmement vagues, et les tribunaux seraient obligés d’analyser les intentions des auteurs des représentations.

Le Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution (le Comité Fraser) a proposé une révision approfondie des dispositions du droit pénal concernant l’obscénité, qui serait allée beaucoup plus loin que les propositions faites par le gouvernement en 1984, tout en évitant le subjectivisme inhérent à certaines propositions féministes.  Il a basé ses recommandations sur le point de vue voulant que la pornographie cause deux types de préjudices : les préjudices individuels subis par ceux qui y sont involontairement exposés, et le préjudice social qu’elle cause en sapant le droit à l’égalité.

L’aspect le plus remarquable de ces propositions était la suppression du critère des normes sociales.  On voulait ainsi que la pornographie ne soit pas assujettie à une évaluation fondée sur le « goût » mais sur des critères plus objectifs, bien qu’un fort élément d’analyse subjective demeure toujours nécessaire à l’égard des moyens de défense relatifs au but scientifique ou éducatif ou, concernant les productions caractérisées par la violence ou l’avilissement, à l’intérêt artistique.  De plus, le caractère sexuellement explicite ne devait plus suffire, à lui seul, à justifier l’application de la sanction criminelle.  Toutefois, on peut toujours se demander si, en fait, on ferait bien d’autoriser ainsi toute représentation à caractère sexuel, si explicite qu’elle soit, pourvu qu’elle ne comporte pas de violence, qu’elle ne mette pas d’enfants en jeu et qu’elle ne soit pas accessible à tout le public sans distinction.

Le Comité Fraser était d’avis que ses propositions étaient conformes à la Constitution : elles portaient peut‑être atteinte à la liberté d’expression, mais la Charte permet d’assujettir les libertés qu’elle garantit à des limites raisonnables.  Selon le Comité, ces limites pouvaient être justifiées du fait que la pornographie peut encourager l’inégalité de certains éléments de la société.

   D.  La pornographie – atteinte aux droits de la personne et propagande haineuse

Le Comité Fraser estimait qu’il y aurait lieu d’étudier de nouveaux moyens de chercher à redresser les torts sociaux causés par la pornographie.  Ainsi, on pourrait envisager d’inclure dans les lois des mesures visant à réduire l’exposition des citoyens à la pornographie au travail, dans les magasins et dans les lieux publics.  On pourrait aussi prévoir des poursuites au civil pour les gens qui fomentent la haine par la pornographie.

Les opposants à la pornographie tentent d’amener leur lutte dans le domaine des droits de la personne et s’efforcent de miser sur des affaires où la représentation de femmes nues sur les lieux du travail a été assimilée à du harcèlement à l’endroit des employés.  En 1993, la Commission ontarienne des droits de la personne a soutenu devant une commission d’enquête que la présence de magazines pornographiques dans les magasins de quartier constitue une forme de discrimination à l’endroit des femmes.  L’affaire vise des magazines « soft-core », comme Penthouse et Playboy, qui sont en général jugés comme respectant la norme de tolérance de la collectivité, norme définie par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Butler.  Dans une décision rendue à deux contre un, l’affaire a été classée sur une requête préliminaire au motif que la Commission n’avait pas respecté l’obligation légale voulant qu’elle doive s’efforcer d’en arriver à un règlement avant de porter une affaire devant une commission d’enquête (Findley and McKay c. Four Star Variety, 22 octobre 1993).  En mai 1996, la Commission a finalement rejeté la plainte en affirmant que vu la nature des « preuves » contre le propriétaire du magasin et l’« état actuel du droit », il n’était pas « opportun » d’enquêter davantage sur cette affaire.

Enfin, les dispositions du Code criminel concernant la propagande haineuse pourraient être modifiées de manière à ajouter le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques dans les caractéristiques des « groupes identifiables » protégés par ces dispositions.  On présume que l’ajout du terme « sexe » permettrait de poursuivre en justice les distributeurs ou les producteurs de matériel visant à fomenter la haine à l’endroit de l’un ou l’autre sexe.  On peut se demander si ces modifications n’auraient pas qu’une importance symbolique.  Aux termes des dispositions actuelles du Code criminel, il s’est déjà révélé très ardu d’établir l’intention de fomenter la haine, et il en serait probablement de même si ces dispositions étaient élargies pour s’appliquer à la pornographie.

   E.  L’exploitation pornographique des enfants

Il est généralement reconnu que l’exploitation pornographique des enfants soulève des questions qui ne s’appliquent pas à la pornographie impliquant uniquement des adultes.  Ces questions concernent la participation et l’exposition des enfants à des productions pornographiques.  On suppose que les adultes peuvent choisir de prendre part à de telles productions, alors qu’on considère que les enfants n’ont pas la faculté d’y donner leur consentement éclairé.  Par conséquent, certains allèguent que l’utilisation d’enfants devrait être interdite et que toute représentation sexuelle explicite montrant des enfants devrait être réputée obscène.

Un comité spécial nommé en 1981 par les ministres de la Santé et de la Justice, le Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes (le Comité Badgley), a déposé son rapport au mois d’août 1984.  Il était notamment chargé d’étudier l’exploitation des enfants dans la production de matériel pornographique et leur accès à la pornographie.  Le Comité a conclu que rien de concret ne permettait de croire que l’exploitation pornographique des enfants avait atteint, comme certains l’ont prétendu, des proportions « épidémiques » au Canada.  Tout le matériel pornographique mettant en cause des enfants était importé et ne constituait qu’un faible pourcentage de la pornographie qui entrait au pays.  Toutefois, selon lui, il entrait au Canada beaucoup de « pseudo‑pornographie infantile », qui présente des adultes d’apparence juvénile et qui peut trouver les mêmes amateurs et susciter les mêmes réactions que la pornographie mettant en cause de véritables enfants.  Le Comité a préconisé un effort concerté pour renforcer les moyens permettant d’empêcher l’importation de ce type de pornographie.

Quant à la pornographie exploitant des enfants qui était produite au Canada, le Comité a découvert qu’elle était le fait d’un système « clandestin et non organisé » de production privée et qu’elle servait surtout à la satisfaction sexuelle des participants.  Par contre, il s’est aussi rendu compte que la production de ce genre de pornographie comportait presque invariablement l’agression sexuelle des enfants qui y participaient et que les nouvelles techniques de communication offraient le moyen d’accroître considérablement cette production.  En conséquence, le Comité a recommandé que soient désormais considérées comme des infractions l’utilisation de personnes âgées de moins de 18 ans dans la production, la fabrication, la vente ou la distribution de représentations visuelles d’« activités sexuelles explicites », ainsi que la possession de telles représentations.  Toutes ces infractions, sauf celle concernant la possession, seraient des actes criminels punissables d’une peine d’emprisonnement maximale de dix ans; la possession serait punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

Le Comité a en outre conclu que les lois en vigueur restreignant l’accès des enfants à la pornographie étaient insuffisantes.  Les dispositions du droit pénal sur l’obscénité ne prévoient rien de précis à ce sujet, et les lois provinciales et les arrêtés municipaux, lorsqu’il en existe, ne sont pas appliqués uniformément.  Le Comité a recommandé de punir sur déclaration sommaire de culpabilité ceux qui, sciemment, vendent, exposent ou offrent de vendre du « matériel pornographique visuel » à des personnes âgées de moins de 16 ans.

Dans le rapport de 1985 du Comité Fraser, les recommandations concernant les enfants étaient présentées distinctement de celles concernant la pornographie, pour souligner le traitement spécial dont les enfants devaient bénéficier.  Selon ces recommandations, les producteurs de pornographie représentant des enfants seraient très sévèrement punis.  Il serait également interdit d’inviter, d’inciter ou d’obliger une personne de moins de 18 ans à participer à des représentations d’actes sexuels explicites.  Fait à noter, le Comité recommandait aussi qu’on considère comme un délit (punissable sur déclaration sommaire de culpabilité) la possession de productions pornographiques représentant des enfants; quant au matériel pornographique représentant des adultes, sa possession serait sanctionnée seulement lorsqu’il s’agirait d’en faire la vente ou la distribution.  Le Comité reconnaissait la sévérité de cette recommandation, mais il la justifiait comme étant nécessaire pour empêcher la production de pornographie représentant des enfants.

Le gouvernement fédéral a déposé à la Chambre des communes, le 13 mai 1993, le projet de loi C-128 : Loi modifiant le Code criminel et le Tarif des douanes (pornographie juvénile et corruption des moeurs).  La mesure ayant reçu l’appui de tous les partis, elle a été adoptée rapidement tant par la Chambre des communes que par le Sénat.  Tout en reconnaissant la nécessité de combattre la pornographie juvénile, divers groupes du monde des arts et de la culture ainsi que des défenseurs des libertés civiles ont exprimé de graves réserves et fait part de leurs préoccupations concernant le libellé du projet de loi, qui a néanmoins obtenu la sanction royale le 23 juin 1993, et est entré en vigueur le 1er août 1993.  Pour un examen plus détaillé du projet de loi, voir le résumé législatif LS‑178F de la Bibliothèque du Parlement – Projet de loi C-128 : Loi modifiant le Code criminel et le Tarif des douanes (pornographie juvénile et corruption des moeurs).

Un cas controversé survenu en décembre 1993 a entraîné des accusations de pornographie juvénile portées contre un artiste de Toronto, Eli Langer, et la galerie d’art qui exposait ses oeuvres.  Les peintures et les croquis de M. Langer représentent des enfants se livrant à divers actes sexuels.  Plus tard, en février 1994, la Couronne a retiré les accusations contre M. Langer et un représentant de la galerie d’art, en demandant toutefois une ordonnance de confiscation des oeuvres pour que les tableaux et les dessins saisis soient détruits.  Cette affaire suscite des questions sur la portée de la Loi et des exemptions qu’elle prévoit pour les oeuvres ayant une valeur artistique.  Des groupes d’artistes affirment que des artistes sérieux et de bonne foi courent le risque de contrevenir à la Loi et disent craindre que la perspective de faire face à des accusations d’acte criminel n’ait un effet dissuasif sur les artistes en raison des pertes de temps et d’argent et de la mauvaise publicité que cela supposerait.  Les partisans de l’adoption de mesures encore plus strictes contre la pornographie juvénile ont, quant à eux, des réserves au sujet de ce qu’on entend par oeuvre d’art et de l’ambiguïté de la notion de valeur artistique comme moyen de défense et craignent qu’on ne se serve de cette notion pour justifier ou camoufler la pornographie juvénile.

En avril 1995, le juge David McCombs a statué que les oeuvres de M. Langer n’allaient pas à l’encontre de la Loi.  Il a affirmé que les images étaient « choquantes et dérangeantes », mais qu’elles avaient une valeur artistique et qu’il n’était pas convaincu qu’elles « risquaient véritablement de faire du tort aux enfants ».  D’autre part, le juge a rejeté la contestation en vertu de la constitution présentée par M. Langer et par des groupes représentant des artistes, des écrivains et des défenseurs des libertés civiles.  Il a affirmé que la loi sur la pornographie juvénile constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression des artistes et visait à protéger les enfants des effets néfastes de ce genre de matériel.  L’affaire a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada.  Les demandeurs estiment que la Loi contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés et contestent la délivrance de mandats autorisant la saisie de matériel présumé pornographique.  Le gouvernement de l’Ontario a appuyé la demande, mais le 11 octobre 1995, le tribunal a refusé l’autorisation d’interjeter un appel et un pourvoi incident (Ontario (Procureur général) c. Langer (1995), 97 C.C.C. (3d) 290, 123 D.L.R. (4th) 289, 40 C.R. (4th) 204, autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. refusée 100 C.C.C. (3d) vi, 126 D.L.R. (4th) vii, 42 C.R. (4th) 410n)).

En janvier 1999, dans l’affaire R. c. Sharpe (169 D.L.R. (4th) 536, 22 C.R. (5th) 129, 58 C.C.R. (2d) 261, 40 W.C.B. (2d) 507), un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que l’interdiction de possession de pornographie juvénile prévue par le Code criminel était inconstitutionnelle, mais il a confirmé l’interdiction de possession de pornographie juvénile à des fins de publication, de distribution ou de vente.  Il a été fait appel de cette décision, par une procédure accélérée, à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui a décidé à la majorité en juin 1999 (136 C.C.C. (3d) 97, 175 D.L.R. (4d) 1) que le paragraphe 163.1(4) - l’infraction pour possession de pornographie juvénile - était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.  Il en a été appelé devant la Cour suprême du Canada, qui a entendu la cause les 18 et 19 janvier 2000, et qui a rendu sa décision le 26 janvier 2001.  La Cour a statué que les dispositions législatives relatives à la pornographie infantile établissent un équilibre constitutionnel entre la liberté d’expression et la prévention du préjudice causé aux enfants.  Néanmoins, elle a considéré la loi comme incluant deux exceptions concernant le matériel expressif créé et conservé en privé par l’accusé.  Elle a ainsi statué que ce matériel ne présente aucun risque raisonnable de préjudice pour les enfants s’il s’agit :

  • de matériel expressif créé par l’intéressé, c’est‑à‑dire les écrits ou représentations créés par l’accusé seul et conservés par ce dernier exclusivement pour son usage personnel;
  • d’enregistrements privés d’une activité sexuelle légale, c’est‑à‑dire tout enregistrement visuel créé par l’accusé ou dans lequel ce dernier figure, qui ne représente aucune activité sexuelle illégale et qui est conservé par l’accusé exclusivement pour son usage personnel.

La Cour a statué que la possession de ce genre de matériel devrait être exemptée de l’application du paragraphe 163.1(4).  Il faut souligner que, dans le second cas, toutes les parties concernées doivent avoir consenti tant à l’activité qu’à la création de l’enregistrement, et que la personne qui l’a en sa possession doit l’avoir enregistré personnellement ou avoir participé à l’activité sexuelle qui y est montrée.

La Cour suprême s’est également prononcée sur le libellé de l’alinéa 163.1(1)b), qui interdit « tout écrit ou toute représentation qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de 18 ans ».  Elle a ainsi déterminé que pour remplir l’exigence voulant que le matériel « préconise » ou « conseille », ce dernier doit, objectivement parlant, être considéré comme « encourageant activement » la perpétration des infractions en cause avec des enfants.  Ainsi, la simple description de l’acte n’est pas suffisante pour contrevenir à la loi.

Le paragraphe 163.1(6) prévoit un moyen de défense fondé sur la « valeur artistique » dans le cas du matériel qui constituerait de la pornographie infantile.  Selon la Cour suprême, a « valeur artistique » ce qui « possède la qualité reconnue à l’art » ou « participe de l’art ».  Cette défense doit aussi être établie de manière objective.  La Cour a ensuite précisé ce qu’elle entendait par « art ».  Elle a souligné que cette décision doit dans chaque cas être laissée aux juges du procès, qui doivent pour la prendre se fonder sur tout un éventail de facteurs dont l’intention subjective du créateur, la forme et la teneur de l’œuvre et ses liens avec des conventions, traditions ou styles artistiques.  Les juges peuvent même s’en remettre en partie à l’opinion d’experts.  La Cour a bien précisé que la défense fondée sur la valeur artistique ne comportait pas une norme sociale de tolérance, parce que celle‑ci n’avait pas été incluse dans la loi.  La Cour a noté que l’inclusion d’une telle norme serait contraire à la logique de ce moyen de défense, qui veut que la valeur artistique l’emporte sur le préjudice susceptible de résulter de l’œuvre.  La Cour a aussi statué que le moyen de défense fondé sur l’existence d’un but éducatif, scientifique ou médical devrait être également pris en considération lorsqu’il faut déterminer ce qui constitue de la pornographie infantile.

Enfin, la Cour suprême a ordonné que les accusations portées contre M. Sharpe soient renvoyées à la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour procès.  le juge Shaw de ce tribunal a rejeté la défense de M. Sharpe voulant que les photographies des enfants qu’il avait en sa possession soient légales puisqu’elles ne devaient servir qu’à ses propres fins personnelles.  M. Sharpe a également soutenu que les jeunes qu’on y voyait étaient probablement âgés de plus de 14 ans et qu’étant donné que l’âge du consentement pour une activité sexuelle est de 14 ans au Canada, ces enfants avaient légalement consenti à figurer sur ces photos.

Le juge Shaw a statué que M. Sharpe ne pouvait prouver que ces photos ne serviraient qu’à ses propres fins personnelles, pas plus qu’il ne pouvait prouver que les jeunes garçons qu’on y voyait avaient été consultés concernant l’utilisation de ces photographies après qu’elles eurent été prises.  Ainsi, pour ces photographies, M. Sharpe a été reconnu coupable de possession de pornographie infantile.  Quant aux écrits que M. Sharpe avait en sa possession, le juge a déterminé qu’ils étaient répugnants sur le plan moral, mais qu’ils ne préconisaient pas ni ne conseillaient la perpétration d’infractions sexuelles contre des enfants.  Par conséquent, M. Sharpe a été acquitté de l’accusation de possession de pornographie infantile pour distribution ou vente.

Quant à la question de la valeur artistique, le juge Shaw s’est penché sur cette défense de M. Sharpe, même s’il n’avait plus à le faire pour sa décision.  Trois professeurs d’anglais et un psychiatre sont alors venus témoigner à titre d’experts.  La majorité a attribué une certaine valeur artistique à ces écrits.  L’un des professeurs ne leur a vu aucune valeur artistique, mais on s’est aperçu qu’il avait appliqué une norme sociale de tolérance dans son évaluation et avait donc commis l’erreur de laisser des considérations liées à la moralité jouer un rôle dans l’évaluation de l’œuvre.  Le juge s’est dit d’accord avec la majorité des témoins experts et a conclu que les écrits de M. Sharpe présentaient une certaine valeur artistique.  Parmi les facteurs invoqués, notons la description de gens, d’événements et de scènes dans un assez bon style, ainsi que le recours à la parodie, à l’allégorie, à des personnages, à l’imagination et à des intrigues parfois assez complexes.

La question est très controversée, et elle est devenue un enjeu politique.  Les implications de la suppression de l’interdiction de posséder de la pornographie juvénile ont provoqué une levée de boucliers et des appels ont été faits au Parlement pour qu’il invoque la disposition dérogatoire de la Charte afin de maintenir cette disposition en vigueur.

   F.  La pornographie sur Internet

La prolifération de matériel pornographique, surtout juvénile, sur Internet est une grande source de préoccupation depuis quelques années.  D’après un expert, l’Internet compte environ 250 000 sites « pour adultes ».  Cela soulève de sérieuses questions d’accès et de responsabilité, ainsi que de réglementation d’un tel matériel, surtout quand il déborde les frontières nationales.  Une grande partie des efforts de la police sont maintenant orientés vers l’Internet; bien qu’il y ait eu des condamnations, la nature même de la technologie de l’informatique nuit souvent aux enquêtes.

En 1995, un accusé a été reconnu coupable d’avoir diffusé de la pornographie juvénile sur un babillard électronique, mais il a été acquitté sous d’autres chefs d’accusation (R. c. Pecciarich (1995), 22 O.R. (3d) 748).  En avril 1998, la Cour d’appel de l’Ontario a maintenu le principe selon lequel il faut imposer des peines de prison pour lutter contre la pornographie juvénile sur Internet : R. c. Lisk, [1998] O.J. 1456.

D’autres avenues ont aussi été explorées.  En juillet 1996, iStar, un fournisseur de services Internet, a bloqué l’accès à du matériel jugé offensant, comme de la pornographie infantile ou des scènes de bestialité.  Ce geste a été posé en douce, après que des clients se furent plaints pendant des mois du contenu de forums de discussion sur Internet (« alt.binaries »), où on peut facilement transmettre des images.

iStar a pris cette décision après en avoir discuté avec la GRC.  La compagnie soutenait que puisque la pornographie infantile était illégale, elle se devait de prendre des mesures pour empêcher sa diffusion afin de « respecter la loi du pays » et vu que « la police ou le gouvernement a le droit de fermer ou de saisir notre équipement informatique si nous ne faisons rien pour contrer cette activité illégale ».  À l’époque, le Canada n’avait pas encore adopté de loi pour réglementer l’Internet.  Malgré cette situation, le ministre fédéral de la Justice d’alors, Allan Rock, avait publiquement appuyé le geste posé par iStar.

iStar craignait qu’on l’oblige à fermer ses portes si du matériel offensant était diffusé par son entremise, mais David Jones, président de La Frontière électronique du Canada, soutenait que l’Internet devait être traité de la même façon que la Société canadienne des postes ou le réseau téléphonique.  Dans ces cas, les transporteurs postaux ou autres ne sont pas responsables du contenu du message qui est acheminé par leur entremise.  Pour autant que ces entreprises ne le fassent pas d’une manière consciente, elles ne peuvent être tenues pour responsables d’avoir distribué du matériel offensant comme de la pornographie infantile.

Dans le cas d’iStar, même si peu de gens approuvaient le matériel qui était diffusé par l’entremise des forums de discussion, plusieurs ont exprimé des réserves sur le blocage décrété et le précédent ainsi créé, tout en soulevant la question de la censure.  Alan Borovoy, de l’Association canadienne des libertés civiles, s’est inquiété de ce qu’on puisse empêcher également la diffusion d’informations légitimes.

Certains autres fournisseurs de services Internet ont indiqué qu’ils n’imiteraient pas iStar.  Pour l’avenir, iStar a déclaré ne pas pouvoir exercer une surveillance sur les 20 000 forums de discussion sur son réseau, mais prévoit enquêter sur les plaintes reçues de clients ou d’autorités.  La compagnie bloquera ensuite l’accès aux sites s’ils diffusent du matériel « illégal » (mais non uniquement parce que quelqu’un le juge offensant).

En février 1996, le Congrès des États-Unis a adopté la Communications Decency Act (loi sur la décence des communications).  L’un de ses objectifs était de punir les responsables de la diffusion de matériel « indécent » sur Internet.  En juin de la même année, une formation de trois juges d’une cour de district de Philadelphie a toutefois statué que le terme « indécent » était trop vague et a jugé la loi inconstitutionnelle.  En 1998, le Congrès américain a adopté la Child Online Protection Act (loi sur la protection des enfants sur les réseaux informatiques), qui imposait des peines d’emprisonnement et des amendes pouvant atteindre 100 000 $ pour la diffusion de matériel « nocif pour des mineurs » au moyen d’un site Web auquel des jeunes de moins de 17 ans peuvent avoir accès; la Loi n’est jamais entrée en vigueur puisqu’une ordonnance d’une cour de district fédérale l’en empêche depuis février 1999 et que la Cour suprême des États-Unis a maintenu cette décision en mai 2002.  Toutes ces questions demeurent donc en suspens.

La nature et la quantité du matériel pornographique diffusé sur Internet continue de susciter des débats.  Plus ce matériel semble se multiplier, plus il contrevient aux lois publiques traditionnelles.  Les enjeux sont complexes et ne se limitent pas à l’accès à la pornographie ordinaire et à sa diffusion.  Divers gouvernements se sont attaqués au problème, qui va sans doute prendre de l’ampleur dans les années à venir.

   G.  Faits nouveaux sur le plan judiciaire

Les tribunaux ont rendu un certain nombre de décisions aux termes des dispositions du Code criminel sur l’obscénité.  En Ontario, dans une cause qui aurait, dit‑on, créé un précédent au Canada, un vendeur de pornographie a été emprisonné, en août 1990, après avoir été reconnu coupable de 12 infractions liées à son commerce de distribution de magazines.  À Ottawa, une compagnie et un distributeur de disques ont été accusés de distribuer et de posséder du matériel obscène, relativement à deux disques réalisés par un groupe punk de Colombie-Britannique, Dayglo Abortions.  Les défenseurs ont été acquittés après un procès de quelques jours.  En juillet 1991, un libraire de London (Ontario) a été reconnu coupable d’avoir vendu du matériel obscène après que les policiers eurent saisi un album du groupe américain controversé, 2 Live Crew.

Le 27 février 1992, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire R. c. Butler (1992), 70 C.C.C. (3d) 129, [1992] 1 R.C.S. 452, 11 C.R. (4th) 137, [1992] 2 W.W.R. 577.  La Cour a confirmé à l’unanimité le caractère constitutionnel des dispositions du Code criminel relatives à l’obscénité, soutenant que, même si l’interdiction de la pornographie va à l’encontre de la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte, en tant que limite raisonnable prescrite par la loi.  Le juge Sopinka, dans le jugement qu’il a rédigé au nom de la Cour, a déclaré que malgré la difficulté, voire l’impossibilité, d’établir un lien direct entre l’obscénité et le tort causé à la société, il existait néanmoins suffisamment de preuves selon lesquelles les représentations sexuelles dégradantes et déshumanisantes causent du tort à la société et, en particulier, influent négativement sur les attitudes à l’égard des femmes.  Il a soutenu que l’objectif primordial de la Loi n’était pas de porter un jugement moral, mais d’éviter que du tort soit causé à la société, et qu’il est impossible d’ignorer la menace à l’égalité qui résulte de l’exposition à certains types de documents violents et dégradants.

Dans l’exposé de ses arguments, le juge Sopinka a fourni des lignes directrices sur l’application de divers critères permettant de déterminer ce qui constitue une exploitation indue : le critère de la norme sociale, le critère de la dégradation et de la déshumanisation et le critère des nécessités internes ou de la défense artistique.  Il a également divisé la pornographie en trois catégories : 1) des représentations sexuelles explicites empreintes de violence; 2) des représentations sexuelles explicites sans violence mais dégradantes et déshumanisantes; et 3) des représentations sexuelles sans violence, qui ne sont ni dégradantes, ni déshumanisantes.  Il considère que les représentations des deux premières catégories constitueront presque toujours une exploitation indue de la sexualité, mais que celles de la troisième catégorie seraient généralement tolérées.  Deux des autres juges ne sont toutefois pas d’accord, soutenant que non seulement la teneur mais aussi la représentation peuvent être inacceptables.  Pour en connaître davantage sur cette affaire, prière de consulter le BP-289F, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler.

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Butler a permis de clarifier les dispositions du Code criminel, mais la confusion règne toujours à propos de ce qui constitue l’obscénité.  Comme le soulignait dans un article paru dans le Globe and Mail du 26 mars 1993, une année après que le Canada est devenu le premier pays à définir la pornographie comme étant toute publication causant du tort aux femmes en les dégradant, l’application de la loi à cet égard est peu fréquente, incohérente et fondée sur des termes mal définis.  Les forces de l’ordre se plaignent du fait qu’elles ne peuvent agir pour autant qu’on ne leur précise pas ce qui constitue la « dégradation ».  Certains groupes de femmes, tout en reconnaissant que peu d’accusations ont été portées, sont d’avis que la Loi et la décision de la Cour suprême ont néanmoins eu un effet d’autosurveillance sur les distributeurs.

En septembre 1991, la police de Toronto a saisi des cassettes vidéo explicitement sexuelles parce qu’elle les a jugées obscènes.  Deux personnes ont été accusées de posséder et de distribuer du matériel obscène, sans égard au fait que les cassettes vidéo avaient été visionnées et autorisées par la Commission de contrôle cinématographique de l’Ontario.  En octobre 1993, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la définition d’obscénité est restreinte de manière à ne s’appliquer qu’au matériel qui risque réellement de causer un tort.  De plus, le feu vert donné à un film ou à un vidéo par un bureau provincial comme la Commission de contrôle cinématographique de l’Ontario, même s’il est utile pour définir les valeurs sociales, n’équivaut pas à une justification de son contenu ou une excuse devant la loi, non plus qu’il confère une protection contre une action pénale : « L’approbation donnée par la commission n’est pas exécutoire pour un tribunal, et elle ne détermine pas si le film est obscène ou non. »  (R. c. Hawkins (1993), 15 O.R. (3d) 549).  Cet incident fait ressortir les différences entre les lois fédérales et provinciales.  Il illustre également les problèmes d’application des dispositions sur l’obscénité lorsque certaines provinces adoptent une attitude plus clémente que d’autres, ainsi que les difficultés et l’imprévisibilité inhérentes au critère que sont les « normes de la société. »

En novembre 1995, la Cour suprême du Canada a statué que les détaillants ne peuvent présumer qu’un film n’est pas obscène tout simplement parce qu’il a été autorisé au préalable par une commission de contrôle cinématographique.  Par contre, le tribunal a affirmé que les revendeurs de matériel pornographique devaient avoir au moins « l’impression générale » que les produits qu’ils offrent sont obscènes s’ils allaient être reconnus coupables de vendre délibérément du matériel obscène.  Le tribunal a toutefois prévenu les détaillants qu’ils ne pouvaient éviter les poursuites en ne se demandant pas si le matériel pourrait être considéré comme obscène en vertu de la loi, ou en jugeant eux-mêmes le matériel en l’examinant (R. c. Jorgensen, (1995) 4 R.C.S. 55).

À l’automne de 1994, la British Columbia Civil Liberties Association, le Little Sisters Book & Art Emporium de Vancouver et ses propriétaires ont contesté les dispositions du Tarif des douanes et de l’annexe VII de ce document, qui autorisent la saisie de matériel obscène à la frontière ou la « restriction préalable », en soutenant qu’elles violent l’alinéa 2b) de la Charte, qui garantit la liberté d’expression.  Ils affirmaient également que l’application de cette Loi donne lieu à de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle à l’endroit des auteurs et des consommateurs du matériel interdit, ce qui va à l’encontre de l’article 15.  Les défendeurs du gouvernement ont convenu que les dispositions enfreignaient l’alinéa 2b), mais estimé qu’en vertu de l’article premier de la Charte, elles étaient justifiées; ils ont toutefois nié qu’elles violent l’article 15.

La décision rendue en janvier 1996 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique tient compte tant de la constitutionnalité de la Loi que de son application.  En ce qui a trait à la Loi, le tribunal a reconnu que celle-ci avait des conséquences disproportionnées pour les gais et les lesbiennes.  Il a toutefois jugé ces conséquences « inévitables » mais non discriminatoires aux termes de l’article 15, étant donné que « l’obscénité homosexuelle est proscrite en raison de son indécence et non pas parce qu’elle est le fait de personnes homosexuelles ».  Le tribunal a estimé que conformément à l’article premier, la Loi impose une limite justifiée à la liberté d’expression.  Il a en outre affirmé que le critère établi par la Cour suprême du Canada relativement à l’alinéa 2b) et à l’obscénité s’applique aussi au matériel destiné aux homosexuels.  Il a constaté que la Loi comme telle est conforme à la Charte, mais que des lacunes généralisées dans son application et le recours régulier des fonctionnaires des douanes à des pratiques arbitraires et inappropriées avaient donné lieu à l’interdiction injustifiée de matériel acceptable.  En raison de ces lacunes, il y a eu à son avis atteinte aux droits des demandeurs reconnus à l’alinéa 2b) ainsi qu’à ceux d’auteurs, d’artistes et de consommateurs canadiens.  Le tribunal a par conséquent publié une déclaration affirmant que l’interprétation et l’application des dispositions litigieuses avaient donné lieu à une violation de l’alinéa 2b) et de l’article 15 (Little Sisters Book and Art Emporium et al. c. Canada (ministre de la Justice du Canada) (1996), 131 D.L.R. (4th) 486).

En juin 1998, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a établi que la prolifération de matériel obscène (homosexuel ou hétérosexuel) peut causer des torts et que la Loi sur les douanes est raisonnable dans une société libre et démocratique.  De l’avis majoritaire de la Cour et malgré la longue opinion dissidente du troisième juge, la loi qui permet à des agents de saisir du matériel homosexuel n’est pas anticonstitutionnelle.  Il a été interjeté appel devant la Cour suprême du Canada, qui a entendu les parties le 16 mars 2000; le 15 décembre 2000, la Cour suprême a rendu sa décision, trois juges se déclarant dissidents en partie.  La Cour a statué que la Loi sur les douanes et le Tarif des douanes étaient constitutionnels, mais elle a jugé que les fonctionnaires des douanes avaient traité de manière préjudiciable les appelants en les ciblant au niveau administratif lors de l’application de ces lois, ce qui avait porté atteinte à leur dignité.  Par conséquent, la violation de l’article 15 ne pouvait être justifiée par l’article premier, puisqu’elle n’était pas « prescrite par une règle de droit » (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (ministre de la Justice)).

Plusieurs causes récentes ont porté sur des représentations théâtrales immorales ou indécentes, comme la « danse-contact ».  Dans l’affaire R. c. Ludacka (1996), 105 C.C.C. (3d) 565, 28 0.R. (2d) 19, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que les spectacles entraînant un contact physique d’ordre sexuel entre les danseuses et les clients constituaient un spectacle immoral allant à l’encontre du paragraphe 167(1) du Code criminel.  On a jugé que cette activité n’était pas protégée par l’article 2 de la Charte puisqu’elle ne pouvait être considérée comme une forme d’expression.  En mars 1997, la Cour suprême du Canada a confirmé que les« attouchements » étaient dans ces cas-là illégaux.  Dans un jugement unanime, le juge Sopinka a déclaré que cette pratique était dégradante pour les femmes et « les transformait en objet, une pratique socialement inacceptable ».  Selon le tribunal, la danse-contact dépasse les normes de tolérance de la société, même si on ne sait pas trop si les autres formes d’attouchements entre danseuses et clients seraient acceptables (R. c. Mara (1997) 2 RCS 630).

MESURES PARLEMENTAIRES

   A.  Rapport du Comité de la justice, 22 mars 1978

Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes a publié un rapport après avoir mené une étude sur la teneur de plusieurs projets de loi d’initiative parlementaire portant sur la pornographie.  Le rapport comprenait un certain nombre de recommandations, dont une nouvelle définition de l’obscénité qui fait mention de la « dégradation » et de l’exploitation pornographique des enfants.

   B.  Projet de loi C‑51, première lecture le 1er mars 1978
         (3e session, 30e législature)

Ce projet de loi omnibus portant modification du Code criminel proposait une nouvelle définition de l’obscénité analogue à celle proposée dans le rapport du Comité de la justice.  Le projet de loi est mort au Feuilleton, tout comme le projet de loi C‑21, texte identique déposé en novembre 1978.

   C.  Projet de loi C‑19, première lecture le 7 février 1984
         (2e session, 32e législature)

Ce projet de loi omnibus portant modification du Code criminel proposait une nouvelle définition de l’obscénité où l’élément sexuel n’était plus nécessaire; il précisait que les représentations dégradantes seraient considérées comme une forme d’« exploitation indue » et il remplaçait le terme « publication » par « matière ou chose » dans la définition.  Il prévoyait aussi la confiscation de toute chose obscène et imposait des limites quant aux poursuites judiciaires concernant le matériel coté par des organismes provinciaux de classification.  Il est mort au Feuilleton en juillet 1984.

   D.  Projet de loi C‑38, première lecture le 1er avril 1985
         (1re session, 33e législature)

Ce projet de loi, qui a reçu la sanction royale le 3 avril 1985, modifiait le Tarif des douanes pour que soit incorporée par renvoi dans le Code criminel la norme en matière d’obscénité.  Cela a été rendu nécessaire à la suite d’une décision judiciaire annulant l’interdiction antérieure relative à l’importation de documents à caractère « immoral ou indécent » parce que cette interdiction était contraire aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.  Alors qu’il devait à l’origine cesser d’être en vigueur le 30 juin 1987, le numéro tarifaire a été reconduit chaque année jusqu’en 1989, lorsqu’il est devenu permanent.  Il s’agit maintenant du numéro tarifaire 9956 de l’annexe VII du Tarif des douanes.

   E.  Projet de loi C‑114, première lecture le 10 juin 1986
        (1re session, 33e législature)

Aux termes de ce projet de loi, les dispositions du Code criminel et du Tarif des douanes relatives à l’obscénité étaient remplacées par des dispositions strictes et plus objectives sur les différents genres de pornographie.  Le projet de loi est mort au Feuilleton en août 1986.

   F.  Projet de loi C‑54, première lecture le 14 mai 1987
         (2e session, 33e législature)

Ce projet de loi reprenait le projet de loi C‑114, sauf certaines modifications relativement mineures et quelques ajouts importants.

La structure des modifications proposées au Code criminel et au Tarif des douanes était semblable à celle des recommandations du Comité Fraser, avec toutefois certaines différences majeures.  Le projet de loi créait une série d’infractions « graduées » entraînant des peines plus ou moins graves selon la nature du matériel visé.  Les infractions se seraient appliquées au matériel visuel, c’est‑à‑dire représentant l’exploitation pornographique d’enfants, des sévices infligés dans un contexte sexuel, des scènes de violence sexuelle, des scènes dégradantes et ce qu’on pourrait appeler de la pornographie « simple ».  Chaque genre de pornographie aurait fait l’objet d’une définition précise, et tout « pornographe » aurait été coupable d’une infraction.  Toute personne accusée d’une infraction relative à la pornographie, sauf l’exploitation pornographique d’enfants ou la pornographie montrant des sévices infligés à des personnes, aurait pu invoquer comme moyen de défense la valeur artistique ou le but éducatif, scientifique ou médical du matériel en cause.  La principale différence entre le projet de loi et le rapport Fraser portait peut‑être sur la pornographie « simple », c’est‑à‑dire la représentation d’actes sexuels non violents, librement consentis et non dégradants.  Le Comité Fraser se limitait à proposer des restrictions touchant l’exposition de ce matériel, tandis que le projet de loi (sous réserve des moyens de défense précités) en aurait interdit la fabrication, la distribution, la vente et toute autre action à cet égard.

L’exploitation pornographique des enfants aurait été traitée sévèrement, la participation de personnes âgées de moins de 18 ans à la production de matériel sexuellement explicite étant durement réprimée.  La simple possession de ce genre de matériel (à des fins autres que sa vente ou sa distribution) aurait aussi constitué une infraction punissable par procédure sommaire.  Autre nouveauté, toute utilisation d’un « objet ou communication commerciale qui encourage, favorise ou approuve les conduites, scènes ou actes » visés par les divers types de pornographie (sauf la pornographie simple) aurait été sévèrement réprimée.

Le projet de loi aurait incorporé ces nouvelles normes en matière de pornographie, y compris les moyens de défense correspondants, dans les infractions concernant les spectacles ainsi que dans la disposition du Tarif des douanes portant sur les objets d’importation interdite.  Enfin, suivant une recommandation du rapport Fraser, on aurait ajouté le mot « sexe » à la définition de « groupe identifiable » dans les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse.

Le projet de loi C‑54 a été très controversé.  Bien qu’on ait fait certains efforts pour limiter la portée des restrictions proposées en matière de pornographie, d’aucuns ont soutenu que les changements apportés auraient été de pure forme.  D’autres ont fait valoir qu’en limitant comme il le faisait les moyens de défense, et en appliquant toute la rigueur de la loi au matériel qui n’était que sexuellement explicite et non violent ou dégradant, le projet de loi constituait une réaction exagérée et une menace pour les libertés civiles.  Toutefois, nombreux sont ceux qui souhaitent que le matériel explicite soit assujetti à des contrôles encore plus stricts.  Il ne sera peut‑être pas possible de concilier tous ces points de vue dans une loi.

Le projet de loi C‑54 est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement le 1er octobre 1988.

   G.  Projet de loi C-128, sanction royale le 23 juin 1993
         (3e session, 34e législature)

Le projet de loi C-128, qui jouissait d’un appui général, a été adopté rapidement par le Parlement.  Portant exclusivement sur la « pornographie juvénile », dont il donnait une définition, il faisait de la production, de la distribution et de la possession de ce genre de matériel des infractions distinctes, et interdisait l’importation de la pornographie juvénile. 

   H.  Rapport du Comité de la justice, le 16 novembre 1994
         (1re session, 35e législature)

En avril 1994, le ministre de la Justice a déposé à la Chambre des communes un avant-projet de loi interdisant l’importation, la vente et la distribution de cartes et de jeux de société à diffusion restreinte (relatifs à des criminels célèbres) aux jeunes de moins de 18 ans.  Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes a entrepris une vaste étude de la question et a déposé son quatrième rapport en novembre 1994.  Il a rejeté l’avant-projet de loi dont il jugeait la portée trop restreinte et recommandé que le ministre de la Justice modifie les dispositions du Code criminel sur l’obscénité afin d’interdire l’exploitation ou la glorification indue de l’horreur et de la cruauté et de la violence.

CHRONOLOGIE

1959 ‑ Le Code criminel est modifié pour inclure une définition de l’obscénité fondée sur l’« exploitation indue », et non plus sur le critère de la common law selon lequel il fallait déterminer si le matériel  incriminé pouvait « dépraver » ou « corrompre ».

19 janvier 1978 -  La Cour suprême du Canada confirme, dans l’arrêt McNeil, la constitutionnalité des organismes provinciaux de classification et de censure des films.

22 mars 1978 -  Le Comité de la justice de la Chambre des communes remet son rapport sur la pornographie.

1er mai 1978 - Le projet de loi C‑51, qui redéfinit la notion d’obscénité, est déposé à la Chambre des communes.

12 janvier 1981 - Le projet de loi C‑53, modifiant le Code criminel en matière d’exploitation pornographique des enfants, est déposé à la Chambre des communes.

16 février 1981 - Le Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes (le Comité Badgley) est formé, une partie de son mandat consistant à faire enquête sur l’exploitation pornographique des enfants.

17 avril 1982 - La Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté d’expression, est proclamée.

31 mars 1983 - La Cour divisionnaire de l’Ontario conclut que selon la Charte, les pouvoirs de la Commission de censure de l’Ontario de censurer des films ou d’en interdire la projection doivent s’appuyer sur des lignes directrices clairement énoncées qui ne portent pas atteinte à la liberté d’expression.  La Cour d’appel confirme par la suite cette décision.

23 juin 1983 - Le ministre de la Justice annonce la formation du Comité spécial de l’étude de la prostitution et de la pornographie (le Comité Fraser).

7 février 1984 - Le projet de loi C‑19, qui propose plusieurs modifications aux dispositions du Code criminel en matière d’obscénité, est lu pour la première fois à la Chambre des communes.

22 août 1984 - Le Comité Badgley dépose son rapport, qui recommande la création d’infractions pour la production de matériel pornographique mettant en cause des enfants et la vente de matériel pornographique aux enfants.

31 octobre 1984 - La Cour divisionnaire de l’Ontario annule un arrêté de la ville de Toronto et une disposition de la Loi sur les municipalités de l’Ontario qui visaient à réglementer la vente de magazines érotiques.

14 mars 1985 - La Cour d’appel fédérale conclut que la disposition du Tarif des douanes qui interdit l’importation de documents à caractère « immoral ou indécent » est invalide aux termes de la Constitution.  En conséquence, la Loi est modifiée dans les Lois révisées du Canada (1985) (1er supplément), ch. 21, de manière à y incorporer, par renvoi, la norme en matière d’obscénité.  Par la suite, le numéro tarifaire est reconduit annuellement jusqu’en 1989, lorsqu’il devient permanent.

3 avril 1985 - Le projet de loi C-38, modifiant le Tarif des douanes de manière à y incorporer par renvoi la normeen matière d’obscénité utilisée dans le Code criminel, reçoit la sanction royale.

23 avril 1985 - Publication du rapport du Comité Fraser sur la pornographie et la prostitution, qui recommande une révision en profondeur de la loi.

10 juin 1986 - Le gouvernement dépose le projet de loi C‑114, qui prévoit de nouvelles mesures législatives sur la pornographie.  Ce projet de loi meurt au Feuilleton à la prorogation du Parlement en août 1986.

4 mai 1987 - Le gouvernement dépose le projet de loi C‑54, version révisée des propositions sur la pornographie du projet de loi C‑114.  Le projet de loi meurt au Feuilleton à la dissolution du Parlement en octobre 1988.

27 février 1992 - La Cour suprême maintient le caractère constitutionnel des dispositions du Code criminel relatives à l’obscénité, dans l’affaire R. c. Butler.

13 mai 1993 - Le gouvernement dépose le projet de loi C-128, qui traite de la pornographie juvénile.  Le projet de loi, adopté rapidement par la Chambre des communes et le Sénat, reçoit la sanction royale le 23 juin 1993.  Il entre en vigueur le 1er août 1993.

16 novembre 1994 - Dans son quatrième rapport, le Comité permanent de la justice et des questions juridiques recommande que le ministre de la Justice propose de modifier les dispositions du Code criminel sur l’obscénité afin d’interdire l’exploitation ou la glorification indue de l’horreur, de la cruauté et de la violence.  Dans sa réponse en date du 19 avril 1995, le gouvernement indique son accord et entreprend d’étudier plus à fond d’éventuelles modifications qui pourraient être apportées aux dispositions du Code criminel relatives à l’obscénité.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Bibliothèque du Parlement.  Pornographie et prostitution au Canada,  Bibliographies nos 241 et 241 (mise à jour).


*  La première version de ce bulletin d’actualité a été publiée en février 1984.  Le document a été périodiquement mis à jour depuis.