85-6F

 

LA PROPAGANDE HAINEUSE

 

Rédaction :
Philip Rosen
Analyste principal
Révisé le
24 janvier 2000


TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.   Vue d'ensemble

   B.  Les lois fédérales

      1.  Le Code criminel
         a.  Législation en vigueur
         b.  Propositions de réforme

      2.  La Loi canadienne sur les droits de la personne
        
a.  Législation en vigueur
         b.  Propositions de réforme

   C.  Le pour et le contre de mesures législatives en matière de propagande haineuse

MESURES PARLEMENTAIRES

CHRONOLOGIE GÉNÉRALE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 


LA PROPAGANDE HAINEUSE*

 

DÉFINITION DU SUJET

La propagande haineuse suscite une controverse d'une virulence qui ne semble pas justifiée, si l'on ne tient compte que de son volume et de sa diffusion. La propagande incitant à la haine et préconisant l'inégalité raciale a probablement toujours existé; toutefois, les trente-cinq dernières années ont été le témoin d'une controverse sur ce qu'il convient de faire à ce sujet, si tant est qu'on y puisse quelque chose. Cette discussion met plus directement que jamais en évidence le conflit entre les valeurs sociales généralement acceptées au Canada que sont le multiculturalisme et l'égalitarisme, d'une part, et la liberté d'expression, d'autre part.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A. Vue d'ensemble

La diffusion de la propagande haineuse et les activités racistes se sont manifestées en deux vagues successives après 1960. Au milieu des années 60, la propagande antisémite et anti-Noirs était répandue au Canada, surtout en Ontario et au Québec. À la même époque, des groupes néo-nazis et des partisans de la suprématie des Blancs, qui avaient surtout leurs racines aux États-Unis, sont devenus actifs au Canada, si bien qu'en 1965, le comité Cohen a été constitué. Ses recommandations au ministre de la Justice ont servi de base aux modifications que le Parlement a apportées en 1970 au Code criminel (articles 318 à 320).

La deuxième vague de racisme et de propagande haineuse déferle depuis le milieu des années 70. La Société Edmund Burke, le Parti nationaliste du Canada et le Western Guard Party ont été actifs, le Ku Klux Klan a connu une remontée en Ontario et en Colombie-Britannique, et les activités du groupe dans cette dernière province ont donné lieu à l'enquête McAlpine. La propagande haineuse n'était pas dirigée uniquement contre les Juifs et les Noirs, mais aussi contre les Canadiens originaires des Indes orientales, les catholiques, les francophones et les autochtones. Elle ne prenait pas seulement la forme de tracts ou de brochures, mais était diffusée aussi bien par téléphone que par bande magnétoscopique ou par branchement sur l’Internet. On a aussi tenté de la répandre sous l'apparence d'une juste érudition dans des journaux et des ouvrages savants : un exemple de cette technique est fourni par les écrits tendant à nier l'extermination des Juifs ou émanant d'autres écoles de révisionnisme historique et publiés dans le but de susciter la haine. Plus récemment, des groupes dits « Aryan Nations » et ayant leur siège aux États-Unis, ainsi que le Heritage Front et les Skinheads ont été actifs au Canada.

Ce nouveau déferlement de propagande haineuse et d'activité raciste a mis notre société en émoi et provoqué un débat national. Différents groupes ont proposé des modifications législatives : en 1982, les participants au Colloque sur les relations raciales et le droit tenu à Vancouver; en 1984, le Comité spécial de la Chambre des communes sur les minorités visibles dans la société canadienne (L'égalité, ça presse!); en 1984, l'Association du barreau canadien, dans le rapport de son Comité spécial chargé d'étudier les questions de haine raciale et religieuse; en 1985, le Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution (Comité Fraser); et enfin, en 1988, la Commission de réforme du droit du Canada (Pour une nouvelle codification du droit pénal).

La deuxième vague s'est également accompagnée de poursuites contre les marchands de haine raciale. Jim Keegstra, Donald Andrews et Robert Smith ont tous été condamnés pour avoir contrevenu au paragraphe 319(2) du Code criminel en fomentant intentionnellement la haine; ces condamnations ont été maintenues par la Cour suprême du Canada. Ernst Zundel a été condamné pour avoir contrevenu à l'article 181 du Code criminel en publiant volontairement de fausses nouvelles dans une brochure tendant à nier la réalité du massacre des Juifs; la Cour suprême du Canada a par la suite ordonné l’abrogation de cette disposition. John Ross Taylor et le Western Guard Party ont deux fois été reconnus coupables d'outrage au tribunal pour avoir refusé de se plier à une ordonnance du Tribunal des droits de la personne les enjoignant, en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de cesser de transmettre par téléphone des messages haineux; la Cour suprême a confirmé la validité de cette disposition. D’autres procès ont été intentés aux termes du Code criminel et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous décrivons ci-après brièvement les lois fédérales actuelles et brossons un tableau général des arguments pour et contre l'application de sanctions judiciaires dans les cas de propagande haineuse.

   B. Les lois fédérales

      1. Le Code criminel

         a. Législation en vigueur

Le débat sur la propagande haineuse a porté essentiellement sur les articles 318 à 320 inclusivement du Code criminel. Ces dispositions, adoptées par le Parlement en 1970, découlent en bonne partie des recommandations faites en 1965 par le comité Cohen, bien qu'elles en diffèrent considérablement à certains égards.

Aux termes de l'article 318, quiconque préconise ou fomente le génocide est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de cinq ans. Au paragraphe (2) du même article, le terme « génocide » est défini comme le fait de tuer des membres d'un groupe identifiable ou de soumettre délibérément le groupe à des conditions de vie propres à entraîner sa destruction physique. Aux termes du paragraphe 318(4), l'expression « groupe identifiable » désigne toute section du public qui se différencie par sa couleur, sa race, sa religion ou son origine ethnique. Le comité Cohen, dans son rapport, demandait d'ajouter un troisième élément à la définition de « génocide » : le fait d'imposer délibérément des mesures visant à empêcher la natalité dans un groupe identifiable. Par ailleurs, le comité recommandait d'ajouter la langue et l'origine nationale aux facteurs de différenciation énumérés dans la définition de « groupe identifiable ».

Aux termes du paragraphe 319(1) du Code criminel, quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu'une telle incitation est susceptible d'entraîner une violation de la paix, est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de deux ans ou d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. Aux termes du paragraphe 319(2), commet un acte criminel quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable. Le paragraphe 319(7) définit « communiquer » comme comprenant la communication par téléphone, radiodiffusion ou autres moyens de communication visuelle ou sonore. L'expression « endroit public » y est définie comme comprenant tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou tacite. Le terme « déclarations » désigne les mots parlés, écrits ou enregistrés par des moyens électroniques ou électromagnétiques ou autrement, ainsi que les gestes, signes ou autres représentations visibles.

Aucune poursuite pour une infraction prévue au paragraphe 319(2) du Code criminel ne peut être intentée sans le consentement du procureur général de la province intéressée. Quiconque est accusé d'une infraction prévue au paragraphe 319(2) du Code criminel peut invoquer quatre modes de défense décrits au paragraphe 319(3). L'accusé peut se défendre en établissant 1) que les déclarations communiquées étaient vraies, 2) qu'il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou tenté d'en établir le bien-fondé par discussion, 3) que les déclarations se rapportaient à une question d'intérêt public et qu'en se fondant sur des motifs raisonnables, il les croyait vraies ou 4) que, de bonne foi, il voulait attirer l'attention, afin que la situation soit corrigée, sur des questions de nature à provoquer des sentiments de haine à l'égard d'un groupe identifiable.

Les recommandations du Comité Cohen différaient des dispositions du Code criminel en ce sens qu'elles n'exigeaient pas que le paragraphe 319(2) du Code prévoie que la haine soit fomentée volontairement autrement que dans une conversation privée. Le comité aurait non seulement inséré ce critère concernant un groupe identifiable, mais il y aurait ajouté le « mépris » à l'endroit de ce groupe. Enfin, il a recommandé que seuls le premier et le troisième modes de défense prévus au paragraphe 319(3) du Code criminel soient autorisés en cas de poursuites pour une infraction prévue au paragraphe précédent.

L'article 320 prévoit qu'un juge doit émettre un mandat autorisant la saisie ou la confiscation d'exemplaires d'une publication s'il a des motifs raisonnables de croire qu'elle véhicule de la propagande haineuse. Celle-ci est définie au paragraphe 320(8) comme désignant tout écrit, signe ou représentation visible qui préconise ou fomente le génocide, ou dont la communication constitue une infraction aux termes du paragraphe 319(2). Il suffit donc de démontrer que des publications constituent de la propagande haineuse, et non qu'elles sont dangereuses, pour les faire saisir. Les dispositions relatives à la saisie et à la confiscation ne peuvent être appliquées sans le consentement du procureur général de la province intéressée. Le Comité Cohen n'a pas recommandé d'autoriser ce genre de procédures in rem, mais a demandé instamment qu'on en étudie la possibilité.

         b. Propositions de réforme

Une bonne partie du débat sur l'application du Code criminel en matière de propagande haineuse a porté sur le paragraphe 319(2). À la suite du jugement rendu en 1979 par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c. Buzzanga et Durocher, selon lequel les accusés, pour être reconnus coupables, auraient dû avoir l'intention arrêtée de fomenter la haine par la distribution de tracts, le débat a surtout porté sur l'usage du terme « volontairement » dans la définition donnée à ce paragraphe de l'acte criminel consistant à fomenter la haine. Il ne suffirait pas de démontrer que la distribution d'une publication a entraîné l'incitation à la haine, mais il faudrait encore prouver que l'accusé était dans un état d'esprit tel qu'il avait fermement l'intention de produire cet effet. Les deux accusés dans l'affaire Buzzanga étaient des Franco-Ontariens engagés dans un conflit au sujet d'une école de langue française, qui, pour raviver l'enthousiasme déclinant de leurs partisans, avaient distribué un tract anti-francophone.

Les participants au Colloque sur les relations raciales et le droit tenu à Vancouver en 1982, le Comité spécial de la Chambre des communes sur les minorités visibles dans la société canadienne, le gouvernement du Canada, dans sa réponse au rapport de ce comité intitulé L'égalité, ça presse!, le Comité spécial de l'Association du barreau canadien chargé d'étudier les questions de haine raciale et religieuse et le Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution ont tous réclamé la suppression du terme « volontairement », au paragraphe 319(2) du Code criminel.  La Commission de réforme du droit a recommandé le remplacement de cette infraction par une autre, appelée « provocation à la haine », dont serait coupable quiconque attiserait publiquement la haine contre un groupe identifiable.

Les quatre modes de défense mis à la disposition d'un accusé aux termes du paragraphe 319(2) du Code criminel ont également polarisé l'attention. Le Comité spécial de la Chambre des communes sur les minorités visibles dans la société canadienne et le gouvernement du Canada, dans sa réponse au rapport de ce comité intitulé L'égalité, ça presse!, ont proposé de modifier le Code criminel de manière qu'il incombe à l'accusé, dans des poursuites au criminel, de prouver son innocence aux quatre titres. Le Comité spécial de l'Association du barreau canadien chargé d'étudier les questions de haine raciale et religieuse a instamment demandé que les deuxième et troisième modes de défense soient abandonnés et que l'accusé ne puisse désormais se défendre qu'en prouvant que ses déclarations incitant à la haine étaient « vraies » et qu'en les faisant, il « voulait attirer l'attention, afin qu'il y soit remédié, sur des questions provoquant des sentiments de haine à l'égard d'un groupe identifiable ». La Commission de réforme du droit du Canada a recommandé la suppression de ces modes de défense, qui deviendraient inutiles si l'on adoptait sa formulation de l'infraction de « provocation à la haine ».

Autre sujet passablement controversé : la nécessité d'obtenir le consentement du procureur général de la province intéressée pour intenter des poursuites pour propagande haineuse. Le comité Cohen n'a fait aucune recommandation précise au sujet de cette disposition, se contentant de demander que le bien-fondé en soit examiné. Les participants au colloque tenu à Vancouver en 1982, le Comité spécial sur les minorités visibles dans la société canadienne, le gouvernement du Canada, dans sa réponse au document intitulé L'égalité, ça presse!, et le Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution ont tous convenu qu'il ne devrait pas être nécessaire d'obtenir le consentement du procureur général de la province concernée pour intenter des poursuites aux termes du paragraphe 319(2) du Code criminel. Par contre, la majorité des membres du Comité spécial de l'Association du barreau canadien chargé d'étudier les questions de haine raciale et religieuse a conclu qu'il fallait maintenir cette exigence afin d'empêcher les poursuites non fondées ou intentées dans le seul but de nuire à l'accusé. La Commission de réforme du droit a pour sa part annoncé qu'elle ne ferait pas de recommandation sur la nécessité du consentement du procureur général avant d'avoir publié son document de travail sur les pouvoirs que détient le procureur général.

Dans son rapport publié en avril 1985, le Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution a recommandé que la définition de l'expression « groupe identifiable » qui figure au paragraphe 318(4) du Code criminel soit élargie de sorte que les facteurs de différenciation comprennent le sexe, l'âge et la déficience mentale ou physique, aux fins de l'application de l'article 319 du Code criminel. Dans son rapport, la Commission de réforme du droit a fait la même recommandation, afin que ces dispositions du Code criminel concordent avec les motifs de discrimination illicite mentionnés à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans son document de travail sur la propagande haineuse, la Commission a affirmé que cette modification ne frapperait pas la pornographie. Le 4 mai 1987, le projet de loi C-54, concernant la pornographie, a été présenté à la Chambre des communes. Il prévoyait de modifier le paragraphe 318(4) du Code criminel pour inclure le mot « sexe » dans la définition de l'expression « groupe identifiable ». Le projet de loi est resté en plan au Feuilleton lors de la dissolution du Parlement, le 1er octobre 1988.

      2. La Loi canadienne sur les droits de la personne

         a. Législation en vigueur

En 1977, le Parlement a adopté la Loi canadienne sur les droits de la personne qui, tout en sanctionnant les actes discriminatoires interdits dans des dispositions maintenant bien connues, prévoit à l'article 13 que le fait d'utiliser le téléphone pour propager la haine raciale constitue un acte discriminatoire. Pour tomber sous le coup de l'article 13, une communication faite par téléphone ou grâce aux services d'une entreprise de télécommunication doit être répétée et susceptible d'exposer une ou plusieurs personnes à la haine ou au mépris en raison de leur appartenance à un groupe racial, national, ethnique ou religieux identifiable ou à cause de leur âge, de leur sexe, de leur état civil, d'une infirmité ou d'une condamnation pour laquelle le pardon a été obtenu. Contrairement à ce que prévoient les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse, il n'est pas nécessaire de prouver l'intention expresse pour démontrer qu'il y a eu pratique discriminatoire, et l'intimé ne dispose d'aucun recours spécial.

Comme dans les autres affaires soumises aux commissions des droits de la personne, on essaie d'examiner et de régler les plaintes portées aux termes de l'article 13 de la Loi avant de constituer un tribunal des droits de la personne. Toutefois, dès qu'un pareil tribunal est constitué, il tient une audience et rend un jugement, qui est irrévocable. Comme il ne dispose d'aucun pouvoir contraignant pour faire appliquer ses jugements et ses ordonnances, ceux-ci doivent être déposés à la Cour fédérale, et leur non-respect donne lieu à des poursuites pour outrage à ce tribunal.

         b. Propositions de réforme

Étant donné l'expérience qu'a la Commission canadienne des droits de la personne des problèmes de racisme et de discrimination raciale, le Comité spécial de la Chambre des communes sur les minorités visibles a recommandé qu'elle obtienne le pouvoir de contrer la propagande haineuse quel que soit le mode de distribution utilisé (téléphone, courrier, radio ou télévision), qu'il s'agisse d'exportations ou d'importations. Dans sa réponse au rapport L'égalité, ça presse!, le gouvernement du Canada a fait savoir qu'il étudierait cette recommandation et tiendrait des consultations étendues pour en étudier l'aspect pratique.

   C. Le pour et le contre de mesures législatives en matière de propagande haineuse

Voici les arguments en faveur de la législation sur la propagande haineuse :

  1. Les droits ne sont jamais absolus; au Canada, ils sont exercés conformément à la loi, et une intervention législative est parfois justifiée.

  2. Contrairement à l'approche libertaire du Premier amendement de la Constitution des États-Unis, la Charte canadienne des droits et libertés est empreinte d'égalitarisme, comme en fait foi l'article 15, qui doit être rapproché de l'article 2, où sont énumérées les libertés fondamentales.

  3. Le Canada est une société multiculturelle : le multiculturalisme est accepté comme norme constitutionnelle fondamentale et figure à ce titre à l'article 27 de la Charte; cette norme constitutionnelle doit être interprétée à la lumière des libertés fondamentales prévues à l'article 2 de la Charte.

  4. De nombreux rapports et de nombreuses lois témoignent d'un consensus social quant à la légitimité d'une législation contre la propagande haineuse.

  5. De nombreuses autres démocraties occidentales ont une législation contre la propagande haineuse.

  6. Le Canada doit respecter ses obligations internationales en adoptant des lois contre la propagande haineuse. En effet, la Convention sur la prévention et la répression du génocide, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont le Canada est signataire, obligent le pays à combattre le racisme et les théories du génocide et de la supériorité raciale.

Voici les arguments contre les lois sur la propagande haineuse :

  1. Les libertés fondamentales, comme la liberté d'expression, ne sont pas divisibles. Lorsqu'on commence à les restreindre, il est difficile de déterminer où l'on peut s'arrêter.

  2. Les poursuites engagées contre quelqu'un qui se livre à la propagande haineuse lui permettent de se servir du tribunal pour diffuser davantage ses idées. S'il est reconnu coupable d'un acte discriminatoire interdit, il peut se proclamer le martyr de sa cause pour la faire avancer.

  3. Une fois promulguée, une loi contre la propagande haineuse peut faire l'objet d'abus et être utilisée contre ceux qu'elle devait initialement protéger.

  4. À l'heure actuelle, les marchands de propagande haineuse n'ont qu'une importance marginale et peu d'influence sur la collectivité. Par conséquent, aucune mesure législative ou, du moins, aucun renforcement de la loi n'est nécessaire pour contrer leurs activités.

  5. Accorder aux marchands de propagande haineuse le droit de distribuer librement leurs publications a un effet cathartique et agit comme soupape de sûreté.

MESURES PARLEMENTAIRES

À la suite du dépôt du rapport du Comité Cohen sur la propagande haineuse le 14 avril 1966, le sénateur Connolly a présenté le projet de loi S-49, qui a reçu la première lecture le 6 novembre 1966, mais a expiré au Feuilleton. Le 9 mai 1967, le sénateur Deschatelets a déposé le projet de loi S-5, qui a reçu la première lecture le même jour. Le 21 novembre 1967, le projet a reçu la deuxième lecture et a été renvoyé au Comité sénatorial spécial sur la propagande haineuse. Le Comité a tenu des audiences mais n'a pas déposé de rapport.

Le 9 décembre 1968, le sénateur Martin a déposé le projet de loi S-21, qui a reçu la première lecture le même jour, mais est ensuite mort au Feuilleton. Le 27 octobre 1969, le ministre de la Justice (M. Turner) a déposé le projet de loi C-53. Après examen par les comités des deux Chambres, le texte a reçu la sanction royale le 11 juin 1970.

CHRONOLOGIE GÉNÉRALE

9 décembre 1948 - L'Assemblée générale des Nations unies adopte la Convention sur la prévention et la répression du génocide.

3 mars 1953 - Devant le Comité spécial de la Chambre chargé d'étudier le projet de loi modifiant le Code criminel, le Congrès juif canadien demande au Parlement de prévoir une infraction criminelle particulière pour la propagande haineuse.

janvier 1965 - Le ministre de la Justice, Guy Favreau, charge un comité spécial présidé par Dean Maxwell Cohen de lui soumettre un rapport au sujet de la propagande haineuse.

24 mars 1965 - À partir du 18 novembre 1964, le Comité permanent des affaires extérieures étudie des projets de loi d'initiative parlementaire concernant la propagande haineuse et l'incitation au génocide et demande dans son rapport que son mandat soit prolongé pendant la nouvelle session du Parlement.

21 décembre 1965 - L'Assemblée générale des Nations unies adopte la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

14 avril 1966 - Le ministre de la Justice dépose à la Chambre le rapport du Comité Cohen, qu'il avait reçu le 10 novembre 1965.

16 décembre 1966 - L'Assemblée générale des Nations unies adopte le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11 juin 1970 - Le Parlement adopte la Loi modifiant le Code criminel, qui s'inspire en grande partie des recommandations du Comité Cohen, au sujet de l'incitation au génocide et de la propagande haineuse; la loi reçoit la sanction royale.

14 juillet 1977 - Le Parlement adopte la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui comporte notamment une disposition concernant la propagande raciale par téléphone; la loi reçoit la sanction royale.

17 septembre 1979 - La Cour d'appel de l'Ontario acquitte deux Franco-Ontariens (Buzzanga et Durocher) inculpés aux termes du paragraphe 319(2) du Code criminel, parce qu'ils n'avaient pas expressément l'intention de fomenter la haine.

30 avril 1981 - Le Comité McAlpine soumet au ministre du Travail de la Colombie-Britannique son rapport sur les activités du Ku Klux Klan. Il recommande que le Code criminel soit plus sévère et que le code des droits de la personne de la Colombie-Britannique soit modifié pour traiter de l'incitation à la haine raciale.

7 juillet 1981 - L'Assemblée législative de la Colombie-Britannique adopte la Civil Rights Protection Act (Loi sur la protection des droits civils), qui s'inspire en partie des recommandations du rapport McAlpine.

22-24 avril 1982 - Le Colloque sur le droit et les relations raciales, tenu à Vancouver, adopte des recommandations préconisant de rendre plus sévères les dispositions du Code criminel relatives à la propagande haineuse.

28 mars 1984 - Dans son rapport intitulé L'égalité, ça presse!, le Comité spécial de la Chambre des communes sur les minorités visibles inclut un certain nombre de recommandations concernant la propagande haineuse.

avril 1984 - Patrick Lawlor, c.r., présente au procureur général de l'Ontario son rapport intitulé Group Defamation Report.

25 mai 1984 - La Commission des droits de la personne du Manitoba publie un projet de révision du Code des droits de la personne qui comporte une disposition sur la propagande haineuse.

20 juin 1984 - Le gouvernement du Canada dépose à la Chambre des communes sa réponse au rapport L'égalité, ça presse!, dont certaines dispositions portent sur la propagande haineuse.

27 août 1984 - Le Comité spécial de l'Association du barreau canadien chargé d'étudier des questions de haine raciale et religieuse publie son rapport intitulé Hatred and the Law.

22 janvier 1985 - Le ministre de la Justice informe le Comité permanent de la justice et des questions juridiques que les modifications concernant les dispositions du Code criminel en matière de propagande haineuse seront annoncées en février ou mars 1985.

avril 1985 - Le Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution (comité Fraser) publie son rapport.

15 août 1986 - La Commission de réforme du droit du Canada publie son document de travail (no 50) sur La propagande haineuse.

4 mai 1987 - Le projet de loi C-54, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, est déposé en première lecture. Il reste en plan au Feuilleton lors de la dissolution du Parlement, le 1er octobre 1988.

20 juin 1989 - En réponse à une question posée pendant l'examen des prévisions budgétaires par le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général de la Chambre des communes, le ministre de la Justice déclare qu'un groupe de travail fédéral-provincial étudie les dispositions du Code criminel relatives à la propagande haineuse, mais qu'on attendra que la Cour suprême se soit prononcée dans les affaires Keegstra et Andrews-Smith pour y proposer des changements.

13 décembre 1990 - Dans les affaires Keegstra et Andrews/Smith, la Cour suprême du Canada confirme la validité du paragraphe 319(2) du Code criminel comme limite raisonnable à la liberté d’expression garantie dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le même jour, dans l’affaire Taylor, la Cour confirme la validité de l’article 13 de la Loi canadienne des droits de la personne pour les mêmes motifs.

27 août 1991 - La Cour suprême du Canada donne raison à Ernst Zundel en appel et déclare inconstitutionnel l’article 181 du Code criminel (diffusion délibérée de fausses nouvelles).

14-29 août 1994 - On prétend publiquement que le SCRS serait mêlé à l'établissement et aux activités du Heritage Front. Le CSARS et le Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes entreprennent une enquête.

15 décembre 1994 - Le CSARS publie un rapport sur une source du SCRS au Heritage Front. Le CSARS conclut que bon nombre des allégations sont fausses et que la source a rendu d'utiles services au SCRS. Il recommande l'établissement d'une politique plus détaillée relativement aux sources du SCRS.

3 avril 1995 - En réponse à une question à la Chambre des communes, le Solliciteur général indique que le gouvernement envisage des façons possibles de prévenir la diffusion à grande échelle de propagande haineuse sur Internet.

19 juin 1996 - Le Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes dépose son rapport sur la participation d’une source du SCRS aux activités du Heritage Front.

2 août 1996 - La Commission canadienne des droits de la personne informe Ernst Zundel de son enquête au sujet d’une plainte concernant un message téléphonique haineux et mettant en cause son site Internet. (C’est la première fois que cette disposition est utilisée de cette façon.)

22 novembre 1996 - Un tribunal des droits de la personne est établi pour entendre la plainte mettant en cause le site Internet d’Ernst Zundel.

mai 1997 - Le tribunal des droits de la personne commence à examiner la plainte mettant en cause le site Internet d’Ernst Zundel.

avril 1998 - Un fournisseur de service Internet d’Oliver, en Colombie-Britannique, que l’on soupçonnait d’accueillir des sites Web fomentant la haine, cesse ses activités.

15 juin 1998 - Lors de la tenue de son assemblée annuelle à Ottawa, B’nai Brith Canada adopte à l’unanimité une résolution demandant que le refus de reconnaître l’Holocauste soit considéré comme un acte criminel.

mars 1999 - Les participants à un symposium international sur la haine sur Internet, tenu à Toronto sous les auspices de B’nai Brith Canada, recommandent que le Code criminel soit modifié afin le téléchargement et la possession de propagande haineuse dans le but de faire la promotion de la haine deviennent des infractions criminelles.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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La première version de ce bulletin d'actualité a été publiée en janvier 1985.  Le document a été périodiquement mis à jour depuis.