92-1F

ORIENTATION SEXUELLE ET GARANTIES JURIDIQUES

Rédaction :
Mary C. Hurley
Division du droit et du gouvernement
Révisé le 2 septembre 2003


TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  La discrimination en raison de l’orientation sexuelle

   B.   Les conjoints de même sexe
      1.   La jurisprudence
         a.   Les premières décisions
         b.   Les décisions relatives à l’emploi
         c.   L’arrêt Egan et les décisions subséquentes
         d.   L’arrêt M. c. H.
      2.   La réforme antérieure au jugement M. c. H.
         a.   Les lois
         b.   Les projets de réforme du droit
         c.   Autres éléments
      3.   L’évolution postérieure au jugement M. c. H.
         a.   Les lois
         b.   Les activités de réforme du droit
         c.   Autres éléments
      4.   Questions relatives aux mariages entre partenaires de même sexe
      5.   Conclusion

   C.  Autres considérations d’ordre juridique

   D.  Conclusions

MESURES PARLEMENTAIRES

   A.  Les initiatives gouvernementales

   B.   Les projets de loi d’initiative parlementaire
      1.   1980-1996
      2.   Les 36e et 37e législatures

CHRONOLOGIE

JURISPRUDENCE


ORIENTATION SEXUELLE ET GARANTIES JURIDIQUES*

DÉFINITION DU SUJET

Au Canada, les garanties juridiques dont jouissent les homosexuels** font l’objet d’une activité judiciaire, politique et législative considérable depuis une vingtaine d’années.  La plupart des provinces et territoires ont adopté des lois contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés a modifié le cadre juridique des questions relatives aux droits des homosexuels à l’égalité.

En règle générale, les questions juridiques associées à l’orientation sexuelle ont été soulevées dans deux types de contexte :

De nombreuses décisions judiciaires ayant trait à des contestations de nature juridique contre des lois présumément discriminatoires et à l’affirmation de droits reconnus par la loi ont clarifié la situation juridique des homosexuels, ont donné matière au débat politique actuel concernant l’homosexualité et, dans plusieurs cas, ont créé un cadre propice à des réformes législatives de portées diverses.  Au cours des dernières années, on a également demandé de plus en plus souvent que l’institution du mariage soit ouverte aux partenaires de même sexe, conformément au droit constitutionnel à l’égalité.  Les tribunaux font maintenant droit à ces demandes.

Le présent document examine la nature et l’évolution de questions qui ont trait aux garanties juridiques dont jouissent les homosexuels à l’échelon fédéral et dans certains secteurs de compétence provinciale.  Il ne porte que sur des questions juridiques, et non sur les autres considérations d’ordre socioculturel ou moral que peut soulever l’homosexualité, ni sur les questions et les choix en matière de politique touchant les droits des homosexuels.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  La discrimination en raison de l’orientation sexuelle

La législation des droits de la personne dispose que la société considère le traitement inégal de certains groupes comme inacceptable en énumérant divers motifs de distinction illicite, le plus souvent en matière d’emploi, de logement et de services.  Au Canada, ces motifs sont généralement la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la religion ou les convictions, l’âge, le sexe, la situation matrimoniale ou familiale et la déficience mentale ou physique.

Avant les années 1980, les droits et les dispositions législatives que les homosexuels pouvaient invoquer sur le plan juridique étaient peu nombreux.  Cette situation a changé de façon appréciable depuis l’entrée en vigueur en 1985 de la disposition sur les droits à l’égalité énoncée à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).  Bien qu’il ait été décidé de ne pas inclure expressément l’orientation sexuelle comme motif de discrimination interdit, le paragraphe 15(1) est formulé de façon à ne pas limiter la garantie d’égalité qui y est prévue :

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Les tribunaux ont accepté que l’article 15 soit interprété de façon large et que des motifs « analogues », c’est‑à‑dire des caractéristiques personnelles autres que celles qui sont énumérées, puissent également constituer des motifs de discrimination contre un groupe ou un particulier (Andrews c. Law Society of B.C.).  En 1995, le point de vue selon lequel l’orientation sexuelle est un motif « analogue », et donc un motif de discrimination interdit par la Charte, a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Egan, décision qui sera analysée plus loin dans la section « Les conjoints de même sexe ».

La Charte ne suffit pas toujours comme recours unique pour faire reconnaître les droits à l’égalité.  Même si la discrimination au motif de l’orientation sexuelle est reconnue comme violation prima facie de l’article 15, un tribunal peut confirmer qu’une loi est justifiable en vertu de l’article premier de la Charte.  En outre, les garanties constitutionnelles de la Charte ne s’appliquent qu’aux activités gouvernementales, non aux actes privés, et, dans la plupart des cas, les recours en vertu de la Charte entraînent des poursuites coûteuses, longues et de caractère accusatoire.  Par contre, les lois relatives aux droits de la personne proposent des mécanismes administratifs relativement peu coûteux et, en principe du moins, rapides pour régler les plaintes concernant les mesures discriminatoires prises dans les sphères publiques et privées.  C’est pourquoi les défenseurs des droits de la personne ont insisté sur l’importance d’inclure l’orientation sexuelle comme motif de distinction illicite dans les lois sur les droits de la personne.

En 1979, la Commission canadienne des droits de la personne a pour la première fois recommandé que l’orientation sexuelle devienne un motif de distinction illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).  En 1985, un comité parlementaire recommandait la même mesure dans un rapport intitulé L’égalité pour tous.  Dans sa réponse, publiée en 1986, le gouvernement fédéral s’est dit persuadé que les garanties de l’article 15 s’appliquaient à l’orientation sexuelle et il s’est engagé à « prendre toutes les mesures nécessaires pour que, dans tous les domaines relevant du fédéral, l’orientation sexuelle soit un motif de distinction illicite ».

En août 1992, l’impact de la Charte sur la législation des droits de la personne s’est vérifié lorsque la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Haig v. Canada, a confirmé que l’omission de l’orientation sexuelle de la liste des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP contrevenait à l’article 15 de la Charte.  La Cour a conclu qu’il fallait interpréter et appliquer l’article 3 comme si l’orientation sexuelle y figurait comme motif de distinction illicite, c’est-à-dire qu’il fallait « tenir pour incluse » l’orientation sexuelle dans la LCDP.  Le gouvernement fédéral a décidé de ne pas appeler de la décision Haig et a indiqué qu’elle serait appliquée dans tout le Canada.  En conséquence, la Commission canadienne des droits de la personne accepte depuis 1992 les plaintes de distinction illicite fondées sur l’orientation sexuelle.

En juin 1996, le Parlement a adopté le projet de loi C-33 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, pour inclure dans la LCDP l’orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite.  Cette mesure a eu pour effet de codifier la loi ainsi que l’exigeait la décision Haig de la Cour d’appel de l’Ontario et comme l’interprètent depuis la Commission canadienne des droits de la personne et les tribunaux des droits de la personne.  Cette étape est examinée plus en détail dans la section intitulée « Mesures parlementaires ».

La modification apportée à la LCDP a également permis d’aligner la loi fédérale sur celles des provinces et des territoires.  Le Québec a été la première province à inclure l’orientation sexuelle dans la liste des motifs de distinction illicite lorsqu’elle a modifié sa Charte des droits et libertés de la personne en 1977.  À l’heure actuelle, la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est interdite par des lois et des codes sur les droits de la personne dans l’ensemble des provinces et des territoires, sauf dans les Territoires du Nord‑Ouest, où une loi a été adoptée sans toutefois avoir encore été proclamée en vigueur, au Nunavut, où un projet de loi a été déposé, et en Alberta.

Les tribunaux canadiens ont statué que l’orientation sexuelle est également un motif de distinction illicite en Alberta.  En 1998, dans un jugement semblable à celui rendu antérieurement dans l’affaire Haig, la Cour suprême du Canada a établi que l’omission du motif le plus important pour les homosexuels dans la loi sur les droits de la personne de cette province signifiait que ceux-ci se voyaient refuser l’égalité matérielle et les recours prévus par la loi.  La Cour a conclu que la meilleure solution serait de donner à la loi albertaine une interprétation large en « tenant pour incluse » l’orientation sexuelle dans les motifs de distinction illicite (Vriend c. Alberta).

De plus en plus de jugements concernant les droits de la personne portent sur le refus présumé de services, d’un emploi ou d’un logement à des homosexuels ou sur des questions connexes (p. ex. Waterman v. National Life Assurance Company of Canada, 1993 : perte d’emploi; Crozier v. Asselstine, 1994, et DeGuerre v. Pony’s Holdings Ltd., 1999 : harcèlement au travail; Grace v. Mercedes Homes Inc., 1995, et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Michaud, 1998 : logement; Geller v. Reimer, 1994, et Hughson v. Town of Oliver, 2000 : proclamations/permis relatifs aux activités de la Fierté gaie; Moffatt v. Kinark Child and Family Services (No. 4), 1998 : environnement professionnel; L. (C.) v. Badyal, 1998 : service dans une brasserie; McAleer c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1999 : incitation à la haine; Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, 2001 : programme de formation des enseignants; Hellquist v. Owens, 2001 : propagation de la haine; Brockie v. Brillinger (No. 2), 2002 : services d’imprimerie; Jubran v. North Vancouver School District (No. 44), 2002 : harcèlement à l’école).

Ceux qui militent pour l’inclusion explicite de l’orientation sexuelle comme motif de distinction illicite dans les lois sur les droits de la personne font remarquer que cela ne signifie pas qu’on approuve l’homosexualité, mais qu’on accorde une certaine protection juridique contre la perte d’un emploi ou le refus d’un service ou d’un logement.  Certains craignent que l’expression « orientation sexuelle » ait un sens suffisamment large pour englober la pédophilie et d’autres tendances sexuelles qui ne sont pas visées, mais le fait d’interdire toute distinction illicite fondée sur l’orientation sexuelle ne change rien aux dispositions du Code criminel interdisant certaines activités sexuelles, par exemple celles entre adultes et mineurs.  La Cour d’appel fédérale a statué que « le sens de cette expression [“orientation sexuelle”] a été précisé dans de nombreuses décisions judiciaires et est maintenant bien établi » (McAleer c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)).

   B.  Les conjoints de même sexe

La situation des couples homosexuels fait ressortir des problèmes particuliers relatifs à la distinction illicite fondée sur l’orientation sexuelle.  Nombre de ces problèmes tiennent au fait que les lois ont traditionnellement eu recours à la notion de « conjoint » – qui renvoie à une définition implicite ou explicite en termes hétérosexuels – pour accorder des droits, des pouvoirs, des avantages ou des responsabilités aux partenaires.

Nombreux sont ceux qui soutiennent que la majorité des Canadiens acceptent maintenant qu’on accorde aux couples de même sexe les droits réservés aux conjoints mariés.  Les mesures législatives visant à reconnaître la cohabitation de couples homosexuels comme étant de nature conjugale se sont multipliées et leur portée a été élargie, notamment depuis la décision cruciale rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire M. c. H.  Les décisions antérieures dont il est question ci‑après doivent être considérées à la lumière de cet arrêt, lui aussi analysé plus loin, et des réformes du droit effectuées en même temps ou plus tard relativement aux avantages accordés aux conjoints de même sexe.

      1.  La jurisprudence

Les tribunaux ont été saisis de nombreuses contestations en vertu de lois sur les droits de la personne, de la Charte ou des deux, pour déterminer si le terme « conjoint » s’applique aux partenaires de même sexe.  Plusieurs contestations portaient sur l’interprétation des conventions collectives ou sur la formulation de règlements ou de lois.  La jurisprudence s’est considérablement enrichie à cet égard.

         a.  Les premières décisions

Dans une des premières affaires, Andrews v. Ontario (Ministry of Health), où l’article 15 de la Charte était invoqué, une femme voulait que sa partenaire lesbienne puisse bénéficier de l’OHIP à titre de personne à charge aux termes de la Loi sur la santé de l’Ontario.  Le tribunal a rejeté sa requête au motif que le mot « conjoint », que la Loi ne définissait pas, s’entend toujours d’une personne du sexe opposé.  Conclusion inverse dans l’affaire Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la définition de « conjoint » comme personne de sexe opposé dans les règlements pris en vertu de la Medical Service Act contrevenait de manière injustifiée au paragraphe 15(1) de la Charte.

Dans l’affaire Veysey c. Canada (Service correctionnel), on avait refusé à un détenu et à son partenaire homosexuel le droit de participer au Programme de visites familiales privées.  La Section de première instance de la Cour fédérale a renversé ce refus, au motif qu’il contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte.  Dans son rejet de l’appel, la Section d’appel de la Cour fédérale s’est délibérément abstenue d’aborder la question de savoir si des conjoints de fait homosexuels constituaient des conjoints de fait au sens de la Charte.

         b.  Les décisions relatives à l’emploi

Bon nombre de décisions concernant l’attribution d’avantages aux conjoints de même sexe se rapportent à l’emploi.  Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, un fonctionnaire fédéral homosexuel à qui on avait refusé un congé de deuil prévu par la convention collective pour se rendre aux funérailles du père de son partenaire a soutenu qu’il avait été victime de distinction illicite fondée sur la « situation familiale » au sens de la LCDP.  En 1993, dans une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le Parlement n’avait pas eu l’intention d’inclure l’orientation sexuelle dans la notion de « situation familiale » et elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si l’absence de la notion d’orientation sexuelle dans la LCDP violait la Charte.  Cette question a par la suite été examinée par la Cour dans un contexte provincial, dans la décision Vriend, rendue en 1998 (voir plus haut).

D’autres décisions concernant l’emploi dans le secteur fédéral portent généralement sur des griefs présentés en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ou du Code canadien du travail pour contester le refus des employeurs d’accorder aux membres de couples homosexuels divers avantages accordés aux « conjoints ».  Depuis l’arrêt Haig, les décisions rendues par les arbitres ont, en général, donné satisfaction aux griefs pour distinction illicite fondée sur l’orientation sexuelle en vertu de la LCDP et les dispositions anti-discrimination des conventions collectives de la fonction publique applicables (Hewens v. Treasury Board; Lorenzen v. Treasury Board; Canada Post Corporation v. Public Service Alliance of Canada (grief Guèvremont); Canadian Telephone Employees’ Association (C.T.E.A.) v. Bell Canada; Canadian Broadcasting Corporation v. Canadian Media Guild; Yarrow c. Conseil du Trésor).  Il est arrivé au moins une fois qu’un jugement en faveur du plaignant soit annulé par les tribunaux pour une question de forme (Canada (Procureur général) c. Boutilier).

À l’échelon provincial, en 1992, dans une décision importante, une commission d’enquête ontarienne a jugé que le fait que la province refuse des prestations aux partenaires homosexuels de fonctionnaires contrevenait à l’article 15 de la Charte.  La commission a ordonné qu’on interprète la définition hétérosexuelle de « situation conjugale » figurant dans le Code des droits de la personne de l’Ontario de façon plus générale, comme si elle ne comportait pas les mots « de sexe opposé » (Leshner v. Ontario (Ministry of the Attorney General)).

         c.  L’arrêt Egan et les décisions subséquentes

L’affaire Egan c. Canada – une contestation des dispositions relatives aux allocations de conjoint de la Loi fédérale sur la sécurité de la vieillesse en vigueur à l’époque – a donné à la Cour suprême du Canada l’occasion d’examiner directement, pour la première fois, la question de l’orientation sexuelle dans le cadre de la Charte.  Les allocations en question étaient accordées aux couples hétérosexuels qui répondaient aux critères d’âge et qui cohabitaient depuis au moins un an, mais jamais aux couples homosexuels.  La prestation de conjoint ayant été refusée à un couple de gais (Egan et Nesbit) qui vivaient ensemble depuis plus de 45 ans, celui-ci a contesté la Loi en vertu de l’article 15 de la Charte en 1989.  En 1991 et en 1993, la Section de première instance et la Section d’appel de la Cour fédérale ont rejeté sa demande.

En 1995, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel d’Egan et Nesbit par une majorité de cinq contre quatre.  La Cour a statué, à l’unanimité, que l’orientation sexuelle est un motif analogue qui appelle la protection de l’article 15, ce qui réglait définitivement la question.  Par une décision majoritaire de cinq contre quatre, la Cour a également jugé que la définition de conjoint était discriminatoire du point de vue de l’orientation sexuelle et contrevenait donc à l’article 15 de la Charte.  Dans la conclusion déterminante, une autre majorité de cinq contre quatre a toutefois établi que cette discrimination est justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.  Un des membres de la majorité a rappelé que l’interdiction de la discrimination contre les gais et les lesbiennes était « d’origine récente » et qu’elle était « généralement considérée comme un concept nouveau », laissant supposer que la conclusion pourrait être différente à l’avenir.

Cette décision de la Cour suprême du Canada a considérablement influé sur les affaires ultérieures, aux niveaux fédéral et provincial, concernant l’octroi d’avantages aux conjoints de même sexe.

         d.  L’arrêt M. c. H.

En mai 1999, par une majorité de huit contre un dans un arrêt faisant jurisprudence, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité du jugement rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire M. c. H.  La Cour d’appel de l’Ontario avait accueilli une contestation fondée sur la Charte concernant la définition de « conjoint » à l’article 29 de la Loi [provinciale] sur le droit de la famille, selon laquelle les partenaires de même sexe ne pouvaient pas présenter de demande de pension alimentaire à la rupture de leur relation.  Confirmant que cette définition contrevenait à l’article 15, la Cour a résumé son point de vue, en partie, comme suit :

[La] définition […] établit une distinction entre les personnes qui forment une union conjugale d’une durée déterminée avec une personne de sexe différent et celles qui forment une union conjugale d’une durée déterminée avec une personne du même sexe […] Les unions entre personnes de même sexe peuvent à la fois être conjugales et durables, mais les personnes qui forment de telles unions se voient néanmoins refuser l’accès au régime de l’obligation alimentaire prévu par la LDF [...]

Le nœud de la question en litige est que cette différence de traitement établit réellement une discrimination en portant atteinte à la dignité humaine des personnes formant une union avec une personne du même sexe.  […] [L]a nature du droit touché est fondamentale, savoir la capacité de subvenir à des besoins financiers de base après la rupture d’une union caractérisée par l’intimité et la dépendance financière.  L’exclusion des partenaires de même sexe du bénéfice du régime de l’obligation alimentaire entre conjoints laisse entendre qu’ils sont jugés incapables de former des unions intimes marquées par l’interdépendance financière, peu importe leur situation.  […]

[L’]atteinte n’est pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte parce qu’il n’y a pas de lien rationnel entre les objectifs des dispositions relatives à l’obligation alimentaire entre conjoints et les moyens choisis pour réaliser cet objectif.  […] Les objectifs […] consistent à assurer le règlement équitable des différends d’ordre économique qui surviennent lorsque prennent fin des unions intimes entre personnes financièrement interdépendantes et à alléger le fardeau financier de l’État qui assume l’entretien des conjoints dépendants.  L’exclusion des membres des couples de même sexe du régime de l’obligation alimentaire entre conjoints ne favorise aucun de ces objectifs.  Au contraire, cette exclusion fait obstacle à leur réalisation.

La Cour a souligné que l’appel dont elle était saisie ne remettait pas en question les conceptions traditionnelles du mariage et qu’elle n’avait pas à examiner si les couples homosexuels peuvent se marier ou s’ils doivent toujours être traités de la même manière que des couples hétérosexuels non mariés.  Elle a ordonné comme mesure corrective en l’espèce de retrancher de la Loi l’article contenant la définition, et a précisé que l’application de cette mesure serait suspendue pendant six mois pour laisser aux législateurs de l’Ontario le temps de mettre au point leur propre méthode pour que les dispositions relatives à la pension alimentaire soient conformes à l’article 15.  En conclusion, la Cour a fait remarquer « qu’une déclaration portant que l’art. 29 de la LDF est inopérant pourrait bien avoir des incidences sur de nombreuses autres lois qui reposent sur une définition similaire du terme “conjoint”.  Il se peut que les législateurs veuillent régler la question de la validité de ces lois compte tenu de l’inconstitutionnalité de l’art. 29 de la LDF. »

Même si la décision de la Cour ne portait que sur la législation ontarienne, elle touche à peu près l’ensemble des provinces et des territoires, comme on le verra dans la section « L’évolution postérieure au jugement M. c. H. ».

      2.  La réforme antérieure au jugement M. c. H.

Les tenants des avantages sociaux pour partenaires de même sexe étaient d’avis qu’une réforme législative systématique éliminerait la nécessité d’entreprendre, devant les tribunaux, des contestations coûteuses de chaque loi.  Les opposants à la réforme y voyaient de l’« activisme judiciaire » et reprochaient aux tribunaux de vouloir se substituer aux législateurs pour décider s’il y avait lieu de reconnaître les conjoints de même sexe et dans quels cas.  En janvier 1999, le manque apparent d’activité législative a amené la Fondation en faveur de l’égalité des familles à contester, en vertu de la Charte, 58 lois fédérales dans lesquelles les termes « conjoint » et « personne à charge » comportaient à son avis une discrimination contre les couples homosexuels.  Cette cause a été suspendue à la lumière des réformes fédérales dont il est questions dans la section « Mesures parlementaires ».

         a.  Les lois

Avant l’arrêt M. c. H., les conjoints de même sexe étaient reconnus dans certaines lois provinciales, notamment en Colombie-Britannique et au Québec.  De 1992 à 1999, la Colombie‑Britannique a innové en modifiant la définition de « conjoint » dans de nombreuses lois pour inclure les couples homosexuels dont la relation est « assimilable au mariage ».  Ces lois portent sur les services médicaux, le soutien familial, les relations familiales, les pensions dans le secteur public, les normes sur les prestations de retraite, la tutelle d’adultes, la représentation et les soins de santé (consentement et admission).  Les lois sur l’adoption en vigueur en Colombie‑Britannique depuis novembre 1996 autorisent les couples homosexuels à présenter des demandes conjointes d’adoption, et ce, en raison non de la définition de conjoint, mais plutôt de renvois sans distinction de sexe à l’adoption conjointe par « deux adultes ».

En mai 1999, le projet de loi 32 : Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait, a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec.  Cette mesure législative omnibus modifiait la définition de conjoint de fait dans 28 lois et 11 règlements afin d’inclure les couples homosexuels et, par conséquent, de leur accorder le même statut, les mêmes droits et les mêmes obligations que les couples hétérosexuels non mariés visés par ces lois.  Les lois modifiées portent notamment sur l’indemnisation des accidentés du travail, la santé et la sécurité au travail, les normes de travail, les assurances, l’impôt, les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, les prestations de pension, les régimes de retraite du secteur public, l’aide sociale et d’autres sujets.  La mesure législative n’a pas modifié le Code civil du Québec, qui régit les questions relatives à la famille, comme l’adoption et les pensions alimentaires, et qui limite le statut de conjoint aux couples mariés.  Le projet de loi 32 a été adopté à l’unanimité et est entré en vigueur en juin 1999.

Dans les autres provinces ou territoires, les mesures législatives ont été moins nombreuses et de portée plus limitée.  En Ontario, par exemple, la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui (1992) définit le terme « partenaires » sans égard au sexe, ce qui autorise un conjoint à prendre des décisions au nom de son partenaire de même sexe qui n’est pas en mesure de le faire.  En 1994, on a rejeté la vaste réforme qui avait été proposée par l’ancien gouvernement néo‑démocrate dans le cadre du projet de loi 167 et qui visait à éliminer les disparités dans le traitement des couples homosexuels et des couples hétérosexuels en Ontario.

En 1998 et au début de 1999, l’Assemblée législative du Yukon a adopté une définition sans distinction de sexe des termes « conjoint » (dans les lois territoriales régissant l’exécution des dispositions relatives aux pensions alimentaires) et « conjoint de fait » (dans les lois concernant l’administration de la succession et les pensions de retraite des députés).

En mai 1999, le gouvernement de l’Alberta a donné suite à l’engagement qu’il avait pris d’autoriser des adoptions privées chez les homosexuels.  Il a ainsi modifié la Child Welfare Act pour que le mot « conjoint » (spouse) soit remplacé par le terme sans distinction de sexe « beau-parent » (step-parent) dans les articles pertinents de la Loi.  Ce changement ne devait pas toucher les adoptions publiques.  En novembre 1999, un juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a approuvé les premières demandes d’adoption présentées en vertu de cette loi par des conjoints homosexuels (A (Re)).

Au niveau fédéral, le gouvernement a présenté, en avril 1999, un projet de loi proposant une réforme majeure des lois sur le régime de retraite des fonctionnaires.  Le projet de loi C‑78 visait notamment à donner aux couples homosexuels le droit aux prestations de survivant.  Cette question est étudiée plus loin dans la section « Mesures parlementaires ».

         b.  Les projets de réforme du droit

Les réformes législatives visant à reconnaître les conjoints homosexuels qui avaient été préconisées par la Commission de réforme du droit de l’Ontario en 1993 et par la Commission des droits de la personne de l’Ontario et la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Écosse en 1997 n’ont pas eu de suite.

Les recommandations formulées par le British Columbia Law Institute en 1998, dans son Report on Recognition of Spousal and Family Status, au sujet de l’adoption d’une loi sur le partenariat civil (Domestic Partnership Act) et d’une loi reconnaissant la situation de famille (Family Status Recognition Act) sont elles aussi demeurées lettre morte.  Selon la première loi, le partenariat civil ne se limiterait pas aux personnes dont la relation est assimilable au mariage, tandis que dans la seconde, le terme « conjoint » désignerait une personne mariée, un partenaire civil ou une personne « vivant une relation assimilable au mariage avec une autre personne, de sexe opposé ou de même sexe ».  Dans ce rapport, l’organisme soulignait l’importance de l’homogénéité dans les définitions de « conjoint » et de l’uniformisation de la notion de relation conjugale dans toutes les lois de la province.

         c.  Autres éléments

La situation a continué d’évoluer pour ce qui est de l’attribution d’avantages aux conjoints de même sexe et de la reconnaissance de leur statut au cours de la période qui a précédé le jugement M. c. H., le plus souvent dans le domaine de l’emploi.  Un nombre croissant d’employeurs du secteur privé, dont beaucoup de grandes sociétés ainsi que certains employeurs assujettis à la réglementation fédérale, ont permis aux couples homosexuels d’accéder à des régimes de prestation de soins de santé.  En plus de la Colombie-Britannique, plusieurs provinces et territoires ont adopté des politiques qui accordent aux couples homosexuels des avantages liés à l’emploi, notamment les soins de santé : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau‑Brunswick, l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest.  Plusieurs grandes municipalités accordent au moins certains avantages sociaux à leurs employés qui ont un partenaire homosexuel, dont Halifax, Montréal, Kingston, Ottawa, Kitchener-Waterloo, Hamilton, London, Toronto, Winnipeg, Calgary, Edmonton, Regina, Prince-Rupert, Vancouver et Victoria.

En ce qui concerne les pensions, en plus du régime « parallèle » de l’Ontario institué en 1994, la Nouvelle-Écosse a accepté, en 1998, d’accorder les prestations de survivant prévues par sa loi sur les régimes de pensions de la fonction publique aux partenaires survivants de couples homosexuels (Wilson Hodder; Paul Boulais); le gouvernement du Nouveau-Brunswick lui a emboîté le pas.

Au niveau fédéral, Revenu Canada a modifié, en 1996, son interprétation de la définition de « régime privé d’assurance-maladie » dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour permettre aux couples homosexuels d’avoir droit aux prestations médicales et dentaires non imposables payées par l’employeur.  À la suite de la décision Rosenberg, rendue en 1998,Revenu Canada a commencé à agréer les régimes de retraite qui accordent des prestations aux survivants de couples homosexuels.

Au niveau fédéral toujours, la politique du Conseil du Trésor accorde graduellement, depuis 1995, les avantages liés à l’emploi aux couples homosexuels, et le Bureau de régie interne de la Chambre des communes fait généralement de même.  À la suite de la décision Moore, le Conseil du Trésor a élargi l’application des dispositions relatives aux prestations dentaires et médicales, pour ensuite adopter une politique qui donne une interprétation sans distinction de sexe à la définition de « conjoint de fait » dans les conventions collectives, les politiques et les régimes de la fonction publique fédérale.  Toutefois, cette politique n’a pas d’effet réel sur le champ d’application des prestations en question, ni sur la définition de « conjoint » de sexe opposé dans les lois fédérales.

      3.  L’évolution postérieure au jugement M. c. H.

         a.  Les lois

En 1999, l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a adopté la Definition of Spouse Amendment Act, 1999.  Cette loi élargissait la définition de conjoint pour l’appliquer aux conjoints homosexuels vivant dans une union assimilable au mariage, et ce, dans un certain nombre de lois régissant les droits des conjoints survivants, notamment l’Estates Administration Act et la Wills Act.  En juillet 2000, les législateurs ont en outre adopté la Definition of Spouse Amendment Act, 2000, qui élargissait la définition de conjoint pour l’appliquer aux conjoints homosexuels dans environ 20 autres lois provinciales portant sur toute une gamme de questions et qui normalisait cette définition dans ces lois et les lois modifiées précédemment.  La majorité des dispositions de ces lois modificatives de 1999 et de 2000 sont entrées en vigueur en juillet ou en novembre 2000.

D’autres mesures législatives importantes concernant les conjoints homosexuels ont été adoptées ou proposées entre 1999 et 2003, notamment les suivantes :

La Law Reform (2000) Act modifiait aussi la Vital Statistics Act provinciale et établissait le premier régime d’enregistrement des partenariats conjugaux au Canada.  Selon cette initiative, « deux personnes [de même sexe ou de sexe opposé] qui cohabitent ou qui ont l’intention de cohabiter dans le cadre d’une relation conjugale » ont le droit de faire inscrire leur partenariat au moyen d’une déclaration, à condition qu’aucune des deux personnes ne soit mineure, mariée ou engagée dans une autre union libre et que les deux partenaires résident habituellement en Nouvelle-Écosse ou y soient propriétaires d’un bien foncier.  Dès l’enregistrement, chaque partenaire jouit des droits et assume les obligations d’un conjoint [marié] aux termes de 12 lois provinciales.  Cinq lois ont été ajoutées à cette liste en juin 2001, lorsque les législateurs de la Nouvelle-Écosse ont adopté la loi 25 (Justice Administration Amendment (2001) Act).  Les avantages liés à l’enregistrement des partenaires conjugaux ne sont valables qu’en Nouvelle‑Écosse.

         b.  Les activités de réforme du droit

En décembre 2001, après de longues consultations, la Commission du droit du Canada a publié un rapport exhaustif sur la question des rapports personnels étroits, intitulé Au‑delà de la conjugalité : la reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes.  Le rapport conclut, entre autres, qu’il convient d’aborder différemment la réglementation gouvernementale, étant donné la diversité des rapports étroits entre adultes qui existent au Canada.  S’il est vrai que le mariage a été jusqu’ici le principal mode d’engagement social, il ne suffit plus aujourd’hui pour traduire la diversité des relations.  Selon la nouvelle méthodologie proposée en matière de réglementation, l’État conserverait un rôle dans la définition du cadre juridique des engagements volontaires à respecter des droits et des obligations mutuels, et il devrait élargir l’éventail des relations qu’il appuie en créant un système d’enregistrement ouvert aux couples conjugaux et non conjugaux et en légalisant le mariage entre partenaires de même sexe.  L’actuel ministre fédéral de la Justice a laissé entendre qu’il tiendrait compte des propositions énoncées dans le rapport.

         c.  Autres éléments

En janvier 2002, le gouvernement de l’Alberta a réagi à une contestation juridique de ses politiques en approuvant le versement de prestations de survivant aux partenaires homosexuels de hauts fonctionnaires.  En mai 2002, confrontée à d’autres actions en justice à cet égard, l’administration provinciale a élargi le champ d’application des prestations dans un certain nombre de régimes de pension du secteur public.  La réglementation a été modifiée pour inclure désormais la notion de « partenaire de retraite », à savoir toute personne ayant cohabité avec le retraité pendant au moins trois ans.  Le terme « conjoint » reste réservé aux partenaires mariés.

En décembre 2002, le tribunal albertain des droits de la personne, dans sa première décision relative à l’orientation sexuelle, statuait que le fait de refuser la protection familiale aux couples de même sexe et à leurs enfants parce que le terme « conjoint de fait » est défini comme une personne du sexe opposé dans les règlements pertinents contrevenait à la loi provinciale sur les droits de la personne (Anderson et al. v. Alberta Health and Wellness).

Le même mois, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé unrecours collectif à l’échelle nationale – sauf au Québec – contestant la date limite du 1er janvier 1998pour les prestations rétroactives de survivant dans le cas des partenaires de même sexe aux termes des modifications apportées par la loi C‑23 au Régime de pensions du Canada.  Les plaignants font valoir que les prestations devraient être rétroactives à avril 1985, date à laquelle l’article 15 de la Charte est entré en vigueur.  Le procès est prévu pour septembre 2003 (Hislop et al. v. Attorney General of Canada).  Un recours collectif semblable est en instance au Québec, dont le régime de pensions est l’équivalent du RPC.

En juin 2003, conformément à une ordonnance rendue en mai par le Tribunal canadien des droits de la personne relativement au consentement des parties, le Conseil du Trésor a donné instruction à tous les ministères d’accorder aux employés faisant partie d’un couple de même sexe un congé pouvant aller jusqu’à cinq jours, soit l’équivalent du congé qui est accordé pour un mariage, afin de leur permettre de participer à leur cérémonie d’engagement public en tant que conjoints de même sexe (Boutilier et al. c. Conseil du Trésor et al.).

      4.  Questions relatives aux mariages entre partenaires de même sexe

Selon la Loi constitutionnelle de 1867, la capacité de contracter mariage relève de la compétence du gouvernement fédéral, tandis que la célébration des mariages relève des provinces.  Même si aucune loi fédérale n’interdit explicitement cette pratique, le mariage entre deux personnes de même sexe n’est pas permis au Canada en vertu de la common law.  C’est pour cette raison que, dans une décision majoritaire rendue en mars 1993, la Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté une contestation en vertu de la Charte présentée par deux hommes à qui la province avait refusé de délivrer un permis de mariage (Layland and Beaulne v. Ontario).

L’arrêt M. c. H. et la loi fédérale C‑23 ont été suivis d’autres développements relatifs au mariage.  Dans le premier cas, une motion présentée par l’opposition en juin 1999 visant à préserver le mariage en tant qu’institution exclusivement hétérosexuelle (voir l’analyse dans la section « Mesures parlementaires ») a été adoptée avec une large majorité à la Chambre des communes.  Dans le deuxième cas, l’Assemblée législative de l’Alberta a entériné en mars 2000 un projet de loi d’initiative parlementaire portant modification à la Marriage Act de la province, afin de définir le mariage comme une institution exclusivement hétérosexuelle et d’ajouter une clause dérogatoire pour passer outre à la Charte.  Certains estiment que ces modifications auront peu de conséquences juridiques, puisque la capacité de contracter mariage est de compétence fédérale.

Par ailleurs, les tenants d’une définition plus large du mariage se sont adressés aux tribunaux au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique au sujet de la constitutionnalité des restrictions actuelles prévues par la common law et par la loi qui empêchent le mariage entre deux personnes de même sexe.

En octobre 2001, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la contestation formulée contre les gouvernements fédéral et provincial par plusieurs couples homosexuels et par l’organisation nationale EGALE.  Selon le juge Pitfield : on ne devrait modifier la common law « que progressivement »; le Parlement ne peut pas adopter une mesure législative pour changer la définition du mariage – qui avait une signification tout à fait différente à l’époque de la Confédération – de façon à inclure les unions homosexuelles; le sens du mot « mariage » selon la Constitution ne peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte, car on ne peut utiliser une disposition de la Constitution pour en modifier une autre; et même si l’article 15 s’appliquait, une violation des droits à l’égalité des demandeurs est justifiée en vertu de l’article premier, en partie en raison de la dimension essentielle du mariage que sont les couples de sexe opposé (EGALE Canada Inc. et al. v. Attorney General of Canada et al.).

En juillet 2002, trois juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) appelés à se prononcer dans une affaire semblable ont conclu que la règle de common law qui définit le mariage comme une union entre personnes de sexe opposé constituait une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte.  Cette décision était sans précédent au Canada.  Le juge LaForme a rejeté la conclusion de la Cour de la Colombie-Britannique selon laquelle la Constitution de 1867 interdit au Parlement de modifier le sens juridique du terme « mariage » ainsi que l’argument dugouvernement fédéral selon lequel l’octroide droits équivalents aux couples homosexuels en vertu d’un terme autre que « mariage » élimine toute possibilité de conclure à la discrimination.  Selon lui, ce raisonnement équivaut à l’argument du traitement « distinct mais égal », rejeté depuis longtemps comme justification de la discrimination : l’équivalence des avantages par d’autres moyens est insuffisante, car « ces solutions de rechange n’ont pas le même sens ni la même valeur que leur accès par la voie d’une institution sociale et culturelle fondamentale ».  L’argument voulant que la procréation soit l’objectif fondamental du mariage a également été rejeté comme justification de l’interdiction du mariage aux partenaires de même sexe.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a suspendu la déclaration d’invalidité de la règle de common law pendant 24 mois pour permettre au Parlement (et aux provinces, le cas échéant) d’aligner le droit matrimonial sur les valeurs constitutionnelles.  Faute d’intervention du Parlement, la règle de common law serait reformulée, et les termes « un homme et une femme » seraient remplacés par « deux personnes » (Halpern v. Canada (Attorney General)).

La cause entendue au Québec était une contestation, en vertu de la Constitution, de la disposition du Code civil réservant explicitement le mariage aux personnes de sexe opposé ainsi que de toute loi fédérale ou règle de common law interdisant le mariage homosexuel.  En septembre 2002, la Cour supérieure du Québec est devenue le deuxième tribunal au Canada à accueillir une demande de permis de mariage présentée par un couple homosexuel.  La juge Lemelin a conclu que le libellé de l’article 5 de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil (2001) – s’appliquant uniquement au Québec – qui dispose que « le mariage requiert le consentement libre et éclairé d’un homme et d’une femme à se prendre mutuellement pour époux » constituait une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte.  Comme l’avait fait la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la juge a conclu que la Constitution de 1867 n’empêche pas le Parlement de modifier par voie législative la définition du mariage et que le fait d’accorder des avantages équivalents aux couples homosexuels tout en leur interdisant l’accès au mariage ne saurait remédier à cette inégalité.  Ainsi, le nouveau régime d’union civile de la province reconnaît certes la légitimité des relations conjugales entre personnes de même sexe, mais n’est pas un équivalent du mariage.  La juge Lemelin a également statué que la procréation ne pouvait plus être considérée comme la seule caractéristique définissant le mariage.

La Cour supérieure du Québec a suspendu sa déclaration d’invalidité constitutionnelle pour une période de 24 mois, afin que le Parlement puisse prendre des mesures pour empêcher la discrimination qui résulte de l’article 5 de la loi d’harmonisation fédérale, mais elle n’a proposé aucune autre définition du mariage en l’absence d’une mesure parlementaire.  Cette conclusion s’applique également à la disposition d’interprétation du projet de loi C‑23, qui caractérise elle aussi le mariage comme une union hétérosexuelle (Hendricks c. Québec (Procureur général)).

 Toutes les décisions mentionnées plus haut ont fait l’objet d’un appel, celle de la Cour suprême de la Colombie-Britannique par les couples plaignants et EGALE, et celles des tribunaux de l’Ontario et du Québec par le gouvernement fédéral.

Le 1er mai 2003, une décision unanime de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé le jugement de la Cour suprême qui avait confirmé la règle de common law interdisant le mariage entre personnes de même sexe.  Dans l’exposé principal des motifs de cette décision, le juge d’appel Prowse :

Par conséquent, la Cour a déclaré inopérante l’interdiction des mariages homosexuels par la common law, reformulé la définition du mariage selon la common law pour désigner l’« union légitime entre deux personnes » et suspendu les deux formes de mesure corrective jusqu’au 12 juillet 2004, date d’expiration de la suspension dans l’arrêt Halpern.  Cette suspension a cependant été levée par la suite (Barbeau v. British Columbia (Attorney General)).

Le 10 juin 2003, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé à l’unanimité la décision de la Cour divisionnaire voulant que la définition du mariage donnée par la common law soit une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte.  Dans ses motifs per curiam, la Cour a explicitement repris une bonne partie du raisonnement et des conclusions des décisions antérieures en ce sens, évoquées plus haut, et a rejeté les arguments des avocats du gouvernement fédéral qui voulaient faire réfuter la conclusion d’inconstitutionnalité.  Voici, en partie, ces motifs :

La Cour a modifié la mesure corrective proposée par la Cour divisionnaire en mettant en vigueur sur‑le‑champ l’invalidation de la définition du mariage donnée par la common law et sa reformulation comme l’« union volontaire de deux personnes pour la vie ».  La Cour a également ordonné au greffier municipal de la Ville de Toronto de délivrer un permis de mariage aux couples homosexuels participant à la cause et, par le fait même, aux autres couples de même sexe admissibles.

Le 17 juin 2003, le premier ministre Chrétien a annoncé que le gouvernement fédéral n’appellerait pas de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario et rédigerait un projet de loi visant à reconnaître le mariage homosexuel.  Le gouvernement a également décidé de ne pas appeler de la décision rendue en appel par la Colombie-Britannique et de retirer son appel dans l’affaire du Québec.  La réponse du gouvernement fédéral est examinée plus en détail dans la section « Mesures parlementaires ».

Bien que le ministre fédéral de la Justice ait exhorté les autorités provinciales à permettre dès maintenant les mariages homosexuels, la décision rendue en appel par l’Ontario ne semble pas jusqu’ici avoir été appliquée ailleurs au pays.  Toutefois, le 8 juillet 2003, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a levé la suspension des mesures correctives qu’elle avait imposées et a immédiatement reformulé la définition du mariage donnée par la common law comme suit : l’« union légitime entre deux personnes à l’exclusion de toute autre personne ».

La plupart des autres provinces ont dit soit appuyer une éventuelle loi sur le mariage entre personnes de même sexe, soit être disposées à s’y soumettre.  Cependant, le premier ministre et le procureur général de l’Alberta ont exprimé leur intention d’invoquer au besoin la disposition de dérogation de la Charte afin d’interdire le mariage aux couples homosexuels en Alberta, en exerçant la compétence conférée à la province par la Constitution en matière de célébration des mariages, notamment la délivrance de permis et l’enregistrement.  On a signalé par contre des actions en justice dans d’autres provinces visant à donner effet à la décision de l’Ontario.

      5.  Conclusion

Les réformes législatives et judiciaires de la dernière décennie, notamment depuis l’arrêt M. c. H. en 1999, ont apporté un changement d’orientation important dans la société canadienne en ce qui concerne la reconnaissance du statut juridique et des revendications des couples homosexuels.  La tendance de ce changement à se répandre se remarque dans le fait que la majorité des provinces et des territoires se sont aujourd’hui dotés de lois reconnaissant l’adoption d’enfants par des personnes de même sexe ou sont sur le point de le faire et, de façon plus importante, dans la décision du gouvernement fédéral de reconnaître les unions entre personnes de même sexe.

Les opposants à ces réformes continuent de faire valoir que l’élargissement des droits aux couples homosexuels mine la famille traditionnelle et les valeurs familiales.  Par ailleurs, certains couples homosexuels (comme certains couples hétérosexuels) ne veulent ni des avantages ni des obligations juridiques découlant du statut de conjoint ou d’époux.  Comme le laissent penser le récent rapport de la Commission du droit du Canada et d’autres indicateurs, la question de savoir si l’on devrait réexaminer les droits aux prestations en fonction de la nature conjugale ou matrimoniale d’une relation demeure entière.

   C.  Autres considérations d’ordre juridique

Diverses autres considérations d’ordre juridique touchent la situation des homosexuels, certaines découlant des questions examinées ci-dessus : les pratiques en vigueur dans les Forces armées, les questions de droit pénal, la violence, les douanes, l’immigration, le VIH/sida et les soins médicaux et l’application discriminatoire des lois.  Certaines de ces questions ont été soumises aux tribunaux.

En 1992, les Forces armées canadiennes ont annoncé que l’enrôlement et la promotion de militaires ne seraient plus restreints en raison de l’orientation sexuelle.  Cette décision faisait suite à une entente à l’amiable conclue entre le gouvernement fédéral et une ancienne lieutenante qui avait démissionné après avoir admis entretenir une relation homosexuelle.  Selon le jugement de la Cour fédérale, accepté par les parties, l’ancienne politique des Forces armées au sujet des homosexuels est contraire à la Charte des droits et libertés (Douglas c. La Reine).

Aux termes de l’article 159 du Code criminel, le coït anal constitue une infraction criminelle, sauf entre époux ou adultes consentants de 18 ans ou plus.  Pour d’autres formes d’activité sexuelle, l’âge est fixé à 14 ans.  Depuis 1995, plusieurs tribunaux canadiens ont jugé que cette disposition était discriminatoire aux termes de la Charte, pour le motif de l’orientation sexuelle (Halm c. Canada), pour le motif de l’âge (R. v. M.(C.)), ou pour les motifs de l’orientation sexuelle, de l’âge et de la situation conjugale (R. c. Roy).  L’article 159 n’a toujours pas été modifié.

Malgré les vastes réformes qui ont été apportées dans bon nombre de provinces et de territoires, les politiques de certains organismes publics continuent de viser spécifiquement les homosexuels.  En 1996, un conseil scolaire de la Colombie-Britannique a interdit certains documents pédagogiques où figuraient des parents de même sexe.  En 1998, lors d’un contrôle judiciaire, on a soutenu que cette décision était contraire à l’exigence prévue par la School Act voulant que les écoles soient dirigées selon des principes strictement laïques.  En 2000, la Cour d’appel de la Colombie-Britanniquea annulé cette décision et conclu que la résolution relevait de la compétence du conseil scolaire.

En décembre 2002, la Cour suprême du Canada a accueilli un appel de la décision de la Cour d’appel.  Elle a conclu que la décision du conseil scolaire avait été déraisonnable dans le contexte du système d’enseignement prescrit par la loi et a renvoyé au conseil scolaire la question de savoir si les manuels devaient être approuvés au moyen de critères appropriés (Chamberlain c. Surrey School District No. 36).  En juin 2003, le conseil scolaire a de nouveau rejeté les manuels pour diverses raisons, notamment parce qu’ils comportaient des fautes de grammaire et d’orthographe, et a annoncé qu’il trouverait d’autres ressources illustrant des familles dont les parents sont des homosexuels.

En mars 2002, un conseil scolaire catholique de l’Ontario a entériné le refus par l’une de ses écoles secondaires de laisser un élève homosexuel se rendre à son bal des finissants avec son petit ami au motif que le fait d’autoriser un comportement représentatif d’un mode de vie homosexuel serait contraire aux enseignements de l’Église et aux valeurs de l’école catholique.  Le 10 mai, un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé une injonction interlocutoire, en attendant le procès, pour permettre au plaignant de se rendre au bal avec son partenaire masculin (Hall (Litigation guardian of) v. Powers).

La violence dont sont victimes les homosexuels demeure préoccupante.  En 1993, les audiences de la Commission des droits de la personne du Québec sur cette question ont eu un grand retentissement en raison du nombre élevé de meurtres d’homosexuels à Montréal.  D’autres villes, dont Vancouver et Toronto, ont convenu qu’il fallait s’attaquer en priorité au problème de la violence homophobe.  La police de Vancouver a décrit le meurtre d’un homosexuel, survenu en novembre 2001, comme un crime motivé par la haine et s’est dite préoccupée par le fait que les homosexuels constituent le groupe le plus susceptible d’être agressé dans la ville.  En 1995, les crimes motivés par la haine à l’égard des homosexuels ont été reconnus par le Parlement comme un facteur important dans l’imposition des peines.  Les gouvernements fédéral et provinciaux songent actuellement à élargir les motifs protégés par les dispositions du Code criminel relatives à la propagande haineuse afin d’y inclure l’orientation sexuelle.  Il est question, dans la section « Mesures parlementaires », d’un projet de loi d’initiative parlementaire sur ce sujet qui a été déposé au Parlement.

Des livres et des périodiques importés par les librairies canadiennes à l’intention des homosexuels et ayant fait l’objet de contrôles minutieux de la part des douaniers ont souvent été jugés comme obscènes au sens du Code criminel et saisis.  En 1994, certaines dispositions de la Loi sur les douanes, du Tarif des douanes et de son annexe VII ont été contestées.  En décembre 2000, la Cour suprême du Canada a confirmé la conclusion des tribunaux inférieurs selon laquelle la Loi et le Tarif sont constitutionnels.  Toutefois, elle a jugé que le traitement hostile réservé aux appelants dans l’application de la Loi au niveau administratif leur était préjudiciable et portait atteinte à leur dignité.  La violation de l’article 15 qui en résulte n’est pas justifiable en vertu de l’article premier puisqu’elle n’est pas prescrite par la loi (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice)).

En 1993, la Cour suprême du Canada avait statué que l’appartenance à un « groupe social » comme motif de persécution selon la définition du statut de réfugié au sens de la Convention comprend l’appartenance à des groupes définis par une caractéristique innée ou immuable, dont l’orientation sexuelle (Canada (Procureur général) c. Ward).  Au cours des dernières années, l’octroi du statut de réfugié à des homosexuels a fait l’objet de nombreux jugements (Muzychka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)).

Jusqu’à récemment, les règlements fédéraux en matière d’immigration limitaient l’appartenance de conjoints à la catégorie du regroupement familial pour l’immigration aux couples mariés.  Cependant, d’après les directives administratives, cette restriction n’avait pas pour effet d’empêcher totalement les demandes de résidence permanente présentées par des partenaires homosexuels ou hétérosexuels non mariés.  En janvier 1999, le programme proposé par le gouvernement pour moderniser les lois et les politiques d’immigration reconnaissait que la modification du règlement afin de reconnaître les couples de fait et les couples de même sexe épargnerait le recours à des formalités administratives discrétionnaires.  Le projet de loi C‑11, qui a reçu la sanction royale en novembre 2001, a amorcé le processus de changement; il est étudié plus loin, dans la section « Mesures parlementaires ».

   D.  Conclusions

Depuis une dizaine d’années, la jurisprudence sur l’orientation sexuelle et les conjoints homosexuels reconnaît et confirme essentiellement les garanties juridiques dont jouissent les homosexuels.  Les droits à l’égalité prévus à l’article 15 de la Charte ainsi que l’interdiction de toute distinction fondée sur l’orientation sexuelle dans la législation des droits de la personne ont joué un rôle important dans cette réforme.  De nombreux observateurs estiment qu’il aurait été préférable d’effectuer ces changements au moyen de mesures gouvernementales, de lois ou de décisions de politique plutôt que de recourir aux tribunaux, mais les politiciens ont eu tendance, jusqu’à récemment, à considérer ces changements comme risqués sur le plan politique.

MESURES PARLEMENTAIRES

   A.  Les initiatives gouvernementales

Le Parlement a décriminalisé les relations homosexuelles entre adultes consentants en 1969, puis la Loi sur l’immigration (1976) a retiré les homosexuels de la catégorie des personnes dont l’admission est interdite au Canada.  Jusqu’en 1992, il n’y avait guère eu d’autres mesures législatives fédérales relativement aux aspects juridiques de l’homosexualité.

En 1992, la ministre de la Justice, Kim Campbell, a déposé le projet de loi C‑108, qui aurait ajouté l’orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite de la LCDP et aurait défini le statut de personne mariée en termes strictement hétérosexuels.  Le projet de loi est mort au Feuilleton en septembre 1993.

En 1995, le Parlement a adopté le projet de loi C‑41 : Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine).  En vertu de cette loi, des preuves établissant qu’un crime a été motivé par la haine ou des préjugés fondés sur un certain nombre de caractéristiques personnelles énumérées constituent des circonstances aggravantes devant mener à l’imposition d’une peine plus sévère.  L’inclusion de l’orientation sexuelle parmi ces caractéristiques personnelles a suscité énormément d’opposition.  La Loi est entrée en vigueur en septembre 1996.

En avril 1996, le ministre de la Justice, Allan Rock, a présenté le projet de loi C‑33 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, à la Chambre des communes pour proposer d’ajouter l’« orientation sexuelle » à la liste des motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP.  La présentation de ce projet de loi a relancé au sein du public et parmi les parlementaires le vieux débat sur les répercussions de cet ajout.  Après des audiences intensives du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, le projet de loi a été adopté par la Chambre lors d’un vote libre, par une majorité de 153 contre 76, puis a été adopté tel quel par le Sénat et est entré en vigueur en juin 1996.

En avril 1999, le président du Conseil du Trésor a présenté à la Chambre des communes le projet de loi C‑78 : Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public.  Cette mesure prévoyait d’importantes modifications aux lois régissant les régimes de pension des députés et des fonctionnaires civils et militaires.  Les modifications comprenaient le remplacement des dispositions en vigueur autorisant le versement des prestations de conjoint survivant à des conjoints de sexe opposé non mariés par des dispositions n’établissant pas de distinction fondée sur le sexe.  Le projet de loi définissait le « survivant » comme une personne qui « établit que, au décès du contributeur, elle cohabitait avec lui dans une union de type conjugal depuis au moins un an ».  Le projet de loi C‑78 était donc la première mesure législative fédérale à prévoir clairement des prestations pour les conjoints de même sexe.  Des députés de l’opposition officielle, de même que plusieurs autres députés de l’opposition et députés du parti ministériel, se sont opposés à cette mesure et ont proposé des amendements pour rétablir le statut de conjoint de sexe opposé comme fondement du droit à des prestations de survivant ou pour élargir la catégorie des bénéficiaires potentiels sans mentionner le statut de conjoint.  La Chambre des communes, en mai 1999, et le Sénat, en septembre 1999, ont adopté le projet de loi C‑78.  Au Sénat, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a recommandé que « le gouvernement examine sérieusement la possibilité d’élargir les prestations aux cas où il existe une situation de dépendance économique ».

En juin 1999, peu après l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire M. c. H., la Chambre des communes a adopté, par 216 voix contre 55, une motion de l’opposition selon laquelle, de l’avis de la Chambre, « il est nécessaire, parallèlement au débat public entourant les récentes décisions judiciaires, de confirmer que le mariage est et doit demeurer exclusivement l’union d’un homme et d’une femme, et que le Parlement prendra toutes les mesures voulues pour préserver au Canada cette définition du mariage ».

En février 2000, le projet de loi C‑23 : Loi visant à moderniser le régime d’avantages et d’obligations dans les Lois du Canada, a fait l’objet d’une première lecture.  Cette mesure visait à modifier 68 lois pour assurer une application uniforme des lois fédérales aux couples homosexuels et hétérosexuels non mariés et pour que certaines prestations et obligations auparavant réservées aux couples mariés s’appliquent aussi aux couples homosexuels et hétérosexuels vivant en union de fait.  Le projet de loi proposait d’ajouter les désignations sans distinction de sexe « conjoint de fait » et/ou « survivant » dans les lois qui accordaient auparavant des prestations exclusivement aux « époux ».  Selon ce projet de loi, un « conjoint de fait » est une personne qui a vécu dans une relation conjugale avec une autre pendant au moins un an et un « survivant » désigne l’« époux » ou le conjoint de fait d’une personne, la désignation d’« époux » étant réservée aux personnes mariées.

Les défenseurs des droits à l’égalité pour les homosexuels ont accueilli le projet de loi C‑23 comme une étape importante.  Cette mesure législative a également suscité beaucoup de controverse.  Ainsi, certains ont soutenu que :

Le ministre de la Justice a souligné que le projet de loi C‑23 ne visait pas l’institution du mariage et n’y porterait pas atteinte, mais les critiques ont soutenu qu’il aurait un impact négatif sur le mariage et ont exhorté le gouvernement à dissiper toute ambiguïté en y incluant une définition du mariage.  En mars 2000, le gouvernement a proposé l’ajout d’un article d’interprétation au projet de loi C‑23 en vertu duquel il « demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme “mariage”, soit l’union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne ».  Beaucoup ont jugé que cette proposition allait à l’encontre des objectifs de la loi en matière d’égalité et avait pour effet de maintenir la croyance que les relations homosexuelles sont par nature inférieures.  Le projet de loi C‑23 a été adopté par la Chambre des communes en avril 2000 par 176 voix contre 72 (17 députés du parti ministériel ont voté contre) et par le Sénat en juin 2000.

En février 2001, le projet de loi C‑11 : Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes.  La réforme complète de la loi sur l’immigration qu’il prévoyait comportait une mesure reconnaissant au « conjoint de fait » – à définir dans les règlements – le statut de membre de la catégorie du regroupement familial ayant droit au parrainage.  Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes et par le Sénat en juin et en octobre 2001 respectivement et est entré en vigueur le 28 juin 2002.  Le nouveau Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, également entré en vigueur le 28 juin, énonce la définition sans distinction de sexe de « conjoint de fait », promulguée dans le cadre du projet de loi C‑23, assortie d’une exigence de cohabitation d’un an.  Compte tenu des difficultés concrètes que suscite ce critère dans le contexte de l’immigration, une seconde catégorie sans distinction de sexe de « partenaire conjugal » a été créée pour l’application de la réglementation relative à la catégorie du regroupement familial.  Un « partenaire conjugal » est « [à] l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an ».

En novembre 2002, le ministre de la Justice a demandé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes de se pencher sur la question de savoir si, dans le contexte du cadre constitutionnel du Canada et de la définition traditionnelle du mariage, le Parlement devrait prendre des mesures pour reconnaître les unions entre personnes de même sexe et, dans l’affirmative, lesquelles.  Entre novembre 2002 et mai 2003, le Comité a tenu des audiences d’une durée d’environ trois mois sur cette question, à Ottawa et ailleurs au pays.  Le 3 juin, au moment où il rédigeait son rapport à la Chambre, la Cour d’appel de l’Ontario a fait connaître sa décision d’autoriser immédiatement les mariages homosexuels en Ontario.

Le 12 juin 2003, par un vote de 9 voix contre 8, le Comité a adopté une motion portant qu’il« appuie la récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario, qui redéfinit le mariage selon la common law comme étant “l’union volontaire pour la vie entre deux personnes à l’exclusion de toute autre chose”, tout en respectant pleinement la liberté de religion garantie par la Charte des droits ».

Le 17 juin, le premier ministre Chrétien a annoncé que le gouvernement fédéral n’appellerait pas des décisions des cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie-Britannique en faveur de la levée des restrictions interdisant le mariage homosexuel.  Conformément à la démarche de légalisation progressive du mariage entre personnes de même sexe qu’il préconise pour tout le pays, le gouvernement a soumis à la Cour suprême du Canada, dans le cadre d’un renvoi constitutionnel le 17 juillet, un avant-projet de loi qui reconnaît à la fois le mariage civil homosexuel et le droit des organisations religieuses de continuer à célébrer le mariage conformément aux préceptes de leur foi.  Il a demandé à la Cour de se prononcer sur les points suivants : si l’avant-projet de loi, qui accorde aux personnes du même sexe la capacité de se marier, est conforme à la Charte; et si la liberté de religion, que garantit la Charte, protège les autorités religieuses de l’obligation d’avoir à célébrer des mariages homosexuels si cela est contraire à leurs croyances?  Une fois que la Cour aura donné son avis non contraignant, le gouvernement a l’intention de soumettre le projet de loi à un vote libre à la Chambre des communes.

À l’heure actuelle, l’étude du renvoi semble prévue pour avril 2004.  Au 29 août 2003, l’Alberta, la Colombie-Britannique et le Québec étaient les seules provinces à avoir indiqué qu’elles participeraient à l’audition du renvoi.

   B.  Les projets de loi d’initiative parlementaire

      1.  1980-1996

Entre 1980 et 1992, aucun des projets de loi proposés à la Chambre des communes par des députés pour interdire la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle n’a dépassé l’étape de la première lecture.  Le projet de loi S‑15, déposé en 1992 et adopté par le Sénat en 1993, aurait ajouté « l’orientation sexuelle » à la liste des motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP.  Cette initiative du sénateur Noël Kinsella, morte au Feuilleton à la dissolution du Parlement à l’automne 1993, a été présentée de nouveau sous la forme du projet de loi S‑2, adopté par le Sénat en avril 1996.  Les projets de loi S‑2 et C-265 – ce dernier, parrainé par le député Svend Robinson, était la contrepartie exacte du premier à la Chambre des communes – ont été supplantés par le projet de loi C‑33, qui a été déposé par le gouvernement et est entré en vigueur en juin 1996.

En septembre 1995, le député Réal Ménard a présenté une motion proposant que la Chambre des communes reconnaisse les conjoints de même sexe, laquelle a été rejetée par une large marge.  Son projet de loi C‑282 (mai 1996), intitulé Loi prévoyant le traitement égal des personnes cohabitant dans le cadre d’une relation analogue à une relation conjugale, aurait exigé l’interprétation du terme « conjoint » dans les lois fédérales pour accorder aux couples homosexuels les droits octroyés aux couples hétérosexuels non mariés.  Le projet de loi n’a pas dépassé l’étape de la première lecture.

      2.  Les 36e et 37e législatures

Beaucoup des nombreux projets de loi présentés par des députés entre octobre 1997 et juin 2003 l’ont été à plus d’une reprise.  Sauf indication contraire, aucun n’a fait l’objet d’une deuxième lecture :

CHRONOLOGIE

1977 -  Le gouvernement du Québec est le premier à interdire toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

1979 -  La Commission canadienne des droits de la personne recommande de modifier la LCDP pour y ajouter l’orientation sexuelle.  Cette recommandation figure dans tous les rapports annuels de la Commission jusqu’en 1995 inclusivement.

1982 - La Charte canadienne des droits et libertés est incorporée dans la Constitution du Canada.

1985 - L’article 15 de la Charte (droits à l’égalité) entre en vigueur.

-  Le Sous-comité parlementaire sur les droits à l’égalité, dans son rapport Égalité pour tous, demande l’interdiction, dans la LCDP, de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

1992 -  La Cour d’appel de l’Ontario juge que la LCDP doit être interprétée comme interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (Haig v. Canada).

-   Les Forces armées canadiennes annoncent qu’elles mettent fin aux restrictions à l’enrôlement et à la promotion fondées sur l’orientation sexuelle.

1993 -  Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, la Cour suprême du Canada statue que le terme « situation de famille » dans la LCDP ne comprend pas l’orientation sexuelle.

1994 - Le gouvernement néo-démocrate de l’Ontario présente le projet de loi 167, qui vise à élargir la définition des relations conjugales dans les lois de l’Ontario de manière à ce qu’elle s’applique aux couples homosexuels.  Le texte est rejeté en deuxième lecture par 68 voix contre 59.

1995 -  La Cour suprême du Canada rend sa première décision basée sur l’article 15 de la Charte relativement à l’orientation sexuelle et à l’attribution d’avantages à des conjoints de même sexe.  Dans l’affaire Egan c. Canada, les neuf membres de la Cour jugent que l’orientation sexuelle est un motif analogue pour l’application de l’article 15 et une majorité des juges décide que la définition de « conjoint » énoncée dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse (une personne de sexe opposé) contrevient à l’article 15.  Toutefois, une majorité juge la violation justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

1996 - Le projet de loi C-41 entre en vigueur.  Cette mesure législative modifie le Code criminel de manière à prévoir des sanctions plus sévères pour les crimes motivés par des préjugés ou la haine fondés sur diverses caractéristiques personnelles, dont l’orientation sexuelle.

-  Le projet de loi C-33 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui ajoute l’« orientation sexuelle » aux motifs de distinction illicite prévus dans la LCDP, est adopté en mai et entre en vigueur en juin.

-  Le Tribunal canadien des droits de la personne confirme le bien-fondé d’une plainte de discrimination concernant l’orientation sexuelle en vertu de la LCDP et découlant du refus d’accorder des avantages aux conjoints de fonctionnaires fédéraux homosexuels (Moore c. Canada (Conseil du Trésor)).

1997 -  Le Conseil du Trésor reçoit l’ordre d’interpréter sans égard au sexe le terme « conjoint » dans les conventions collectives, les politiques et les régimes applicables aux fonctionnaires fédéraux, au lieu d’ajouter une nouvelle catégorie « partenaire de même sexe ».

1998 -  En février, la Family Relations Amendment Act de la Colombie-Britannique entre en vigueur.  Il s’agit de la première loi à accorder aux couples homosexuels les avantages et les obligations concernant la pension alimentaire pour enfants, la garde et le droit de visite.

-   En avril, dans l’affaire Vriend c. Alberta, la Cour suprême du Canada décide à l’unanimité que l’omission délibérée d’orientation sexuelle dans la Individual Rights Protection Act albertaine contrevient à l’article 15 de la Charte et n’est pas justifiée en vertu de l’article premier.  Comme mesure corrective, la Cour ordonne que l’orientation sexuelle soit tenue pour incluse dans cette loi.

-   En avril, dans l’affaire Rosenberg v. Canada, la Cour d’appel de l’Ontario décide que la définition discriminatoire de « conjoint » basée sur l’hétérosexualité dans la Loi [fédérale] de l’impôt sur le revenu n’est pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.  La Cour ordonne que la définition soit élargie de manière à s’appliquer aux conjoints homosexuels en les tenant pour inclus dans cette loi pour l’enregistrement des régimes de pension.  Le gouvernement fédéral n’appelle pas de cette décision.

-  En mai et en juin respectivement, les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick adoptent des politiques qui accordent aux partenaires de couples homosexuels les prestations de survivant prévues par leur régime de retraite des fonctionnaires.  En juillet, la Colombie-Britannique devient la première administration provinciale à légiférer pour accorder les prestations de retraite aux partenaires homosexuels de fonctionnaires provinciaux.

1999 -  En mai, dans l’affaire M. c. H., la Cour suprême du Canada, dans une décision à huit contre un, déclare que la définition de « conjoint » comme personne de sexe opposé dans la partie III de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario relative à la pension alimentaire contrevient à l’article 15 de la Charte et n’est pas justifiée en vertu de l’article premier.  La Cour ordonne que cette disposition soit retirée de la Loi, mais suspend la mesure corrective pendant six mois pour permettre aux législateurs de l’Ontario de corriger l’infraction à la Charte.

-   En mai et en septembre respectivement, la Chambre des communes et le Sénat adoptent le projet de loi C‑78.  Cette importante loi sur la réforme des pensions remplace les dispositions qui autorisent le versement de prestations de survivant aux conjoints non mariés de sexe opposé par des dispositions autorisant le versement de prestations au « survivant », sans distinction de sexe.  Le projet de loi C‑78 constitue la première loi fédérale accordant des prestations à des partenaires de même sexe.

-   En juin, l’Assemblée nationale du Québec adopte à l’unanimité la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait.  Cette loi modifie la définition de « conjoint de fait » dans de nombreuses lois et de nombreux règlements pour accorder aux couples homosexuels le même statut, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’aux couples hétérosexuels non mariés.

-   En octobre, l’Assemblée législative de l’Ontario adopte le projet de loi 5 : Loi modifiant des lois en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M. c. H. (1999).  Cette mesure accorde aux couples homosexuels les mêmes droits et responsabilités reconnus par la loi qu’aux couples hétérosexuels de fait.  Elle ajoute l’expression « partenaire de même sexe » dans des dizaines de lois touchées et préserve la définition de « conjoint », soit une personne de sexe opposé.

2000 -   En avril et en juin respectivement, la Chambre des communes et le Sénat adoptent le projet de loi C‑23 : Loi visant à moderniser le régime d’avantages et d’obligations dans les Lois du Canada.  Cette mesure législative modifie 68 lois fédérales afin qu’elles s’appliquent également aux couples homosexuels et aux couples hétérosexuels non mariés, grâce à l’ajout des termes sans distinction de sexe « conjoint de fait » et/ou « survivant » et à la restriction du terme « conjoint » aux personnes mariées.  Un amendement subséquent présenté par le gouvernement prévoit que le projet de loi n’a aucune incidence sur la définition du terme « mariage », soit l’« union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne ».

-   En novembre, l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse adopte la Law Reform (2000) Act.  Cette loi ajoute la définition sans distinction de sexe de « conjoint de fait » dans un certain nombre de lois provinciales, tout en restreignant apparemment le sens de « conjoint » aux personnes mariées.  Elle établit aussi le premier régime enregistré de partenariat conjugal du Canada pour les couples de sexe opposé ou de même sexe cohabitant maritalement et répondant à certains critères prescrits.  Dès l’enregistrement, le partenaire conjugal jouit des droits et assume les obligations d’un conjoint [marié] aux termes de lois provinciales désignées.

2001 -   En juillet, l’Assemblée législative de la Saskatchewan adopte une loi modifiant des lois provinciales ayant trait à toutes sortes de questions, soit pour élargir la définition de « conjoint » et inclure les partenaires homosexuels dans les programmes jusque‑là réservés aux couples hétérosexuels mariés ou non mariés, soit pour accorder aux partenaires homosexuels et aux partenaires hétérosexuels non mariés les droits et les obligations jusque‑là réservés aux couples mariés.

-   En octobre, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique rejette une contestation de la décision de l’administration provinciale de ne pas accorder de permis de mariage aux couples homosexuels.  Le juge conclut que, si la restriction juridique aux partenaires hétérosexuels pouvait contrevenir à l’article 15 de la Charte, cette violation se justifierait par l’article premier en raison de l’importance du mariage hétérosexuel comme institution fondamentale de la société canadienne.

-  En novembre, l’Assemblée législative de Terre‑Neuve adopte la Same Sex Amendment Act, qui autorise les « partenaires cohabitants » homosexuels ou hétérosexuels à acquérir des droits et des obligations dans plusieurs domaines.

2002 - En juin, l’Assemblée nationale du Québec adopte à l’unanimité le projet de loi 84 : Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation.  Cette loi modifie le Code civil et reconnaît le statut conjugal des couples homosexuels et des couples hétérosexuels non mariés en créant une nouvelle institution facultative pour eux, qui permet à des adultes sans lien de parenté de contracter une « union civile » officielle comportant les droits et les obligations liés au mariage.  D’autres modifications notables au Code civil clarifient les droits parentaux des conjoints de même sexe dans le cadre d’unions civiles ou de fait.

-   En juin, pour la première fois, le nouveau Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés autorise les couples de même sexe à se prévaloir du parrainage de la catégorie du regroupement familial.  Il définit deux nouvelles catégories admissibles sans égard au sexe.  Dans chaque cas, la relation conjugale doit exister depuis au moins un an.

-  En juillet, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) rend une décision sans précédent selon laquelle la règle de common law définissant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme représente une violation injustifiable de l’article 15 de la Charte.  La Cour conclut qu’un régime « distinct mais égal » proposant des avantages équivalents n’est pas une solution équitable pour les couples homosexuels en raison des valeurs constitutionnelles exigeant l’accès égal aux droits et aux avantages liés au mariage par droit d’accès à l’institution.

-   En août, l’Assemblée législative du Manitoba adopte la Loi sur l’observation de la Charte, qui modifiera plus de 50 lois ayant trait à toutes sortes de questions, afin d’élargir les droits et les responsabilités prévus par la loi des couples homosexuels, ainsi que la Loi sur les conjoints de fait et modifications connexes.  Cette dernière a trait aux droits des conjoints de fait relativement à la répartition des biens et prévoit l’enregistrement des unions de fait en vertu de la Loi [provinciale] sur les statistiques de l’état civil, qui a pour effet d’accorder immédiatement aux couples enregistrés les avantages et les obligations auxquels les couples non enregistrés ont accès sur preuve d’une certaine durée de cohabitation.

-   En septembre, la Cour supérieure du Québec conclut que la caractérisation du mariage comme institution hétérosexuelle à l’article 5 de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, qui n’est applicable qu’au Québec, représente également une atteinte injustifiée aux droits à l’égalité garantis par la Charte.  La juge conclut également que le nouveau régime d’union civile de la province n’équivaut pas à l’institution du mariage proprement dite.

2003 -  En mai, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique annule à l’unanimité la décision du tribunal inférieur qui avait confirmé la règle de common law interdisant les mariages homosexuels.  Elle conclut que la définition de common law du terme « mariage » établit une discrimination importante au sens de l’article 15, car le mariage « représente la plus haute forme d’acceptation sociale de la relation de couple et, par conséquent, touche l’essence même de la dignité humaine ».  La Cour juge l’infraction à la Charte injustifiée, d’une part, parce que l’objectif de la procréation ne justifie plus qu’on limite le mariage aux couples de sexe opposé et, d’autre part, parce que faute de preuves que l’autorisation des mariages entre personnes du même sexe réduirait la procréation chez les hétérosexuels, la restriction n’a pas de lien rationnel avec cet objectif.  Comme dans le cas des décisions rendues en Ontario et au Québec, l’invalidation est suspendue pour permettre au Parlement de prendre les mesures législatives voulues.

-   En juin, la Cour d’appel de l’Ontario confirme à l’unanimité la décision de la Cour divisionnaire voulant que la définition de common law du terme « mariage » soit une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte.  Elle juge cette violation injustifiée en partie parce que le fait de réserver le mariage aux couples de sexe opposé ne constitue pas une atteinte minimale aux droits des couples homosexuels, qui devraient avoir accès à la même institution que les couples hétérosexuels.  Permettre aux homosexuels de se marier ne lèse pas les couples de sexe opposé et, puisque la Charte garantit aux groupes religieux le droit de refuser de célébrer des mariages homosexuels, il ne s’agit pas non plus de concilier les droits des couples de même sexe et ceux des groupes religieux qui s’opposent au mariage homosexuel.  La Cour invalide la définition du « mariage » donnée par la common law et en formule une nouvelle, l’« union volontaire entre deux personnes pour la vie », qui entre en vigueur immédiatement.

-   Le 17 juin, le premier ministre Chrétien annonce que le gouvernement fédéral n’appellera pas des décisions des cours d’appel de la Colombie-Britannique et de l’Ontario et qu’il optera plutôt pour la légalisation progressive du mariage entre personnes du même sexe dans tout le pays : 1) le gouvernement rédigera un avant-projet de loi reconnaissant à la fois le mariage homosexuel et le droit des organismes religieux de continuer à considérer le mariage conformément aux préceptes de leur foi; 2) l’avant-projet de loi sera immédiatement renvoyé à la Cour suprême du Canada pour qu’elle donne un avis non contraignant sur sa constitutionnalité; 3) le projet de loi fera l’objet d’un vote libre à la Chambre des communes.

-  Le 8 juillet, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique lève la suspension des réparations qu’elle avait imposées et reformule immédiatement comme suit la définition de common law du mariage : l’« union légitime entre deux personnes à l’exclusion de toute autre personne ».

-   Le 17 juillet, l’avant-projet de loi reconnaissant le mariage civil entre personnes du même sexe est renvoyé à la Cour suprême du Canada.  À l’heure actuelle, l’audition du renvoi semble prévue pour avril 2004.  Les provinces de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et du Québec ont indiqué leur intention d’y participer.

JURISPRUDENCE

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Barbeau v. British Columbia (Attorney General), 2003 B.C.C.A. 251, 1er mai 2003, infirmant EGALE Canada Inc. v. Canada (Attorney General) (2001), 88 C.R.R. (2d) 322 (C.S. C.‑B.); motifs supplémentaires 2003 C.A C.‑B. 406, 8 juillet 2003.

Bleau et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), no 500-09-007479‑983, 1er mars 2002 (C.A.Q.), infirmant JE 99‑85.

Boutilier et al. c. Conseil du Trésor et al., nos T727/3202, T781/3103, T782/3203, 26 mai 2003 (T.C.D.P.).

Brockie v. Brillinger (No. 2) (2002), 43 C.H.R.R. D/90 (Cour supérieure de justice de l’Ontario).

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Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.F), confirmant [1999] 1 C.F. 459 (Section de première instance).

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Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, confirmant [1991] 1 C.F. 18, 71 D.L.R. (4th) 661, 12 C.H.R.R. D/355, 114 N.R. 241 (C.A.F.).

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Canada Post Corporation v. Public Service Alliance of Canada (grief Guévremont), dossier no 20101-CR-93-004, 8 mars 1994 (arbitrage d’un grief).

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Canadian Telephone Employees’ Association (C.T.E.A.) v. Bell Canada (1994), 43 L.A.C. (4th) 172 (arbitrage d’un grief).

Chamberlainc. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, 20 décembre 2002, infirmant (2000), 191 D.L.R. (4th) 128 (C.A. C.‑B.).

Clinton v. Ontario Blue Cross (1994), 21 C.H.R.R. D/342 (Cour de l’Ont. (Cour div.)), infirmant (1993), 18 C.H.R.R. D/377 (Commission d’enquête de l’Ontario).

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DeGuerre v. Pony’s Holdings Ltd.(1999), 36 C.H.R.R. D/439 (Tribunal de la C.-B.).

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Leshner v. Ontario (Ministry of the Attorney General) (1993), 16 C.H.R.R. D/184 (Commission d’enquête de l’Ontario).

Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69, infirmant en partie (1998), 160 D.L.R. (4th) 385 (C.A. C.‑B.).

Lorenzen v. Treasury Board (1993), 38 L.A.C. (4th) 29 (Commission des relations de travail dans la fonction publique).

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McAleer c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1999), 36 C.H.R.R. D/255 (C.A.F.), confirmant [1996] 2 C.F. 345 (Section de première instance).

Moffatt v. Kinark Child and Family Services (No. 4) (1998), 35 C.H.R.R. D/205 (Commission d’enquête de l’Ontario).

Muzychka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 141 F.T.R. 233 (C.F. (Section de première instance)).

Newfoundland (Human Rights Commission) v. Newfoundland (Minister of Employment and Labour Relations) (1995), 24 C.H.R.R. D/144 (Cour supérieure de T.‑N. (Section de première instance)), appel no 1996, no 63.

Nova Scotia (Birth Registration No. 1999-02-004200) (Re), [2001] N.S.J. No. 261 (Q.L.), 28 juin 2001 (C.S. N.‑É. (Div. de la famille)).

Paul Boulais, dossier no 105-655-781, 5 mars 1997 (Tribunal de révision).

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Michaud (1998), 34 C.H.R.R. D/123 (T.D.P.Q.).

Québec (Commission des droits de la personne) c. Camping & Plage Gilles Fortier Inc. (1996), 25 C.H.R.R. D/506 (T.D.P.Q.).

R. v. M.(C.) (1995), 30 C.R.R. (2d) 112, 23 O.R. (3d) 629 (Cour d’appel de l’Ontario).

R. c. Roy, JE 98-967 (C.A.Q.).

Re The Marriage Act, 2001 BCSC 53, 8 janvier 2001 (C.S. C.‑B.).

Rosenberg v. Canada (Attorney General) (1998), 158 D.L.R. (4th) 664 (Cour d’appel de l’Ontario), infirmant (1995), 127 D.L.R. (4th) 738, 25 O.R. (3d) 612 (Cour de l’Ontario
(Div. gén.)).

Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dossier no IMM‑6093‑99, 30 juillet 1999 (C.F. (Section de première instance)).

The Minister of Human Resources Development v. Donald Fisk (1998), Canadian Employment Benefits and Pension Guide Reports 6330 (Commission d’appel des pensions), contrôle judiciaire accordé le 3 septembre 1999, dossier no A-25-98 (C.A.F.).

Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31, confirmant (1998), 35 C.H.R.R. D/435 (C.A. C.‑B.).

Veysey c. Canada (Service correctionnel) (1990), 43 Admin. L.R. 316, 109 N.R. 300, (C.A.F.).

Vogel v. Manitoba (1997), 31 C.H.R.R. D/89 (décision de la Commission du Manitoba) sur renvoi de (1995), 23 C.H.R.R. D/173 (Cour d’appel du Manitoba), infirmant (1992), 90 D.L.R. (4th) 84 (Cour du Banc de la Reine du Manitoba).

Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, infirmant (1996), 132 D.L.R. (4th) 595, 34 C.R.R. (2d) 243 (Cour d’appel de l’Alberta), infirmant (1995), 23 C.R.R. (2d) D1 (Cour du Banc de la Reine de l’Alberta).

Waterman v. National Life Assurance Company of Canada (No. 2) (1993), 18 C.H.R.R. D/176 (Commission d’enquête de l’Ontario).

Wilson Hodder, dossier no 104-241-492, 9 janvier1997 (Tribunal de révision).

Yarrow c. Conseil du Trésor, dossier no 166-2-25034, 5 février 1996 (Commission des relations de travail dans la fonction publique).



*    La version originale de ce bulletin d’actualité a été publiée en octobre 1992 : le document est régulièrement mis à jour depuis.

**   Dans le présent document, « homosexuel » s’entend généralement, par souci d’économie, des gais et des lesbiennes.