96-1F

 

LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE ET
LA RÉFORME DE LA JUSTICE MILITAIRE

 

Rédaction :
Michel Rossignol
Division des affaires politiques et sociales
Révisé le 22 janvier 1997


 

TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  La cour martiale

   B.  Modifications législatives récentes et décisions de la Cour suprême

   C.  Les forces armées dans une société de droits individuels

   D.  Options de réforme

   E.  Faits nouveaux survenus à la fin de 1996

   F.  Groupe consultatif spécial sur le système de justice militaire

   G.  Critique des enquêtes menées par la police militaire

MESURES PARLEMENTAIRES

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 


LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE ET
LA RÉFORME DE LA JUSTICE MILITAIRE*

 

DÉFINITION DU SUJET

 

Même avant les événements en Somalie impliquant des membres du régiment aéroporté du Canada et le début des travaux la Commission d’enquête, on s’interrogeait déjà sur l’équité de la justice militaire, particulièrement compte tenu des garanties constitutionnelles de la Charte canadienne des droits et libertés. De 1985 à 1992, divers jugements de la Cour suprême et des modifications à la loi avaient amené des changements importants dans la justice militaire canadienne, mais la controverse soulevée par les incidents en Somalie a suscité des appels à de nouvelles réformes, voire à l’abolition du système de justice militaire.

C’est ainsi que les procédures de la police militaire menant à des accusations, et la cour martiale elle-même, sont maintenant examinées à la loupe. Alors que les Forces canadiennes s’efforcent de s’adapter aux réalités stratégiques et financières de l’après-guerre froide - pour ne rien dire de leur image ternie - , elles sont confrontées à la possibilité de changements radicaux dans leur système de justice. Ces changements pourraient nuire à la capacité des Forces armées canadiennes de maintenir la discipline dans leurs propres rangs et de conserver leur place dans la société canadienne.

Dans ce bulletin, nous décrivons la structure du système de justice militaire et les principaux changements intervenus jusqu’en 1992 dans le sillage de la Charte canadienne des droits et libertés et des décisions de la Cour suprême dans des affaires découlant de cours martiales. Nous examinons ensuite les pressions grandissantes en vue de l’adoption de réformes et les répercussions de telles réformes sur les Forces canadiennes.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A. La cour martiale

Les règles de conduite militaire sont consignées dans le Code de discipline militaire qui figure dans la Loi sur la défense nationale (Parties IV à IX). Le Code s’applique aux membres de la force régulière, en tout temps, et aux membres de la force de réserve lorsqu’ils sont en uniforme, de service, sur une base, ou appelés en service. Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes complètent la Loi.

Le Code de discipline militaire énumère les infractions particulières à l’armée. Aux termes de l’article 30 de la Loi, tout acte ou omission punissable sous le régime du Code criminel ou d’une loi fédérale est considéré comme une infraction au sens de la Loi et relève de la compétence d’un tribunal militaire. Une exception est prévue à l’article 70 pour certaines infractions commises au Canada, telles que le meurtre et l’agression sexuelle.

Tout contrevenant au Code de discipline militaire peut être jugé par procès sommaire, pour une infraction mineure, ou par une cour martiale. La Partie IV (articles 160 à 196) de la Loi sur la défense nationale définit la structure et les pouvoirs des tribunaux militaires, ainsi que les règles de la preuve, les modifications aux chefs d’accusation, et d’autres détails. Le procès sommaire est présidé par un commandant, un officier délégué ou un commandant supérieur. L’accusé ne peut se faire représenter par un avocat, les règles militaires de la preuve ne s’appliquent pas, et l’appel à une juridiction civile n’est pas permis. L’accusé peut toutefois choisir d’être jugé par une cour martiale.

Il y a quatre sortes de cour martiale : la cour martiale permanente, qui est compétente pour juger des infractions commises au Canada par des militaires ayant le grade de lieutenant-colonel ou un grade inférieur; la cour martiale spéciale, qui est convoquée uniquement pour juger des civils soumis à la loi militaire, telles les personnes à charge vivant dans des bases à l’étranger; la cour martiale disciplinaire; et la cour martiale générale. Cette dernière est le plus haut tribunal militaire, puisqu’elle peut juger les infractions les plus graves et imposer les peines les plus sévères. Le cour martiale générale se compose de cinq officiers choisis au hasard, dont l’un, ayant au moins le grade de colonel, est nommé président. Cette formation d’officiers joue un peu le même rôle que le jury d’un tribunal civil, alors qu’un juge-avocat, nommé par le juge en chef du tribunal militaire des Forces canadiennes, joue sensiblement le même rôle que le juge dans un tribunal civil.

L’accusé est défendu par un avocat militaire ou civil, et peut manifester son opposition à la composition de la formation ou au choix du juge-avocat. Comme dans un procès civil au criminel, l’accusé peut contester la compétence de la cour et avoir recours à d’autres motions, ou à la panoplie de mesures prévues par la Charte canadienne des droits et libertés. Il y a toutefois des différences importantes entre la cour martiale générale et un tribunal civil avec jury. Par exemple, la formation d’officiers peut rendre un verdict par un vote à majorité simple plutôt qu’à l’unanimité. En outre, contrairement au procès civil avec jury, où le jury décide de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé et où le juge impose la sentence, c’est la formation d’officiers qui impose la sentence, sur les instructions du juge-avocat. Les peines prévues par la Loi sur la défense nationale comprennent le réprimande, la destitution et la rétrogradation, mais il est possible d’ajouter d’autres peines.

L’accusé qui est déclaré coupable par une cour martiale peut en appeler devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada, qui a le même rôle et la même juridiction que les cours suprêmes des provinces. Les juges sont choisis parmi les juges de la Cour fédérale du Canada et d’autres cours civiles de juridiction criminelle. L’accusé qui est débouté devant la Cour d’appel de la cour martiale peut en appeler devant la Cour suprême du Canada. Dans certains cas, la «poursuite» peut en appeler de la décision ou sentence d’une cour martiale devant la Cour d’appel de la cour martiale ou devant la Cour suprême.

   B. Modifications législatives récentes et décisions de la Cour suprême

En 1985, la Loi sur la défense nationale a été modifiée par la Modification législative (Charte canadienne des droits et libertés), qui a notamment amélioré l’équité de la procédure des cours martiales en l’alignant sur les dispositions de la Charte. C’est ainsi que les personnes jugées par un tribunal militaire sont protégées contre une remise en accusation par un tribunal civil et assurées d’un procès rapide. Une autre modification interdit à la même personne de mener l’enquête et d’être juge des faits.

Ces modifications ainsi que d’autres ont été apportées pour des raisons de conformité avec l’alinéa 11d) de la Charte, qui dit que tout inculpé a le droit «d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable». Cette disposition s’applique tout autant à la justice militaire qu’à l’ensemble du système de justice canadien. De fait, le seul cas où la Charte ne s’applique pas à la justice militaire est prévu à l’alinéa 11f), selon lequel tout inculpé a le droit de bénéficier d’un procès avec jury «sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire».

Malgré les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale en 1985, l’équité et d’autres aspects des cours martiales ont fait l’objet de contestations qui sont allées jusqu’en Cour suprême. Dans ses décisions, celle-ci a généralement confirmé la décision du tribunal militaire, mais des décisions rendues en 1992, telles que R. c. Forster, et particulièrement R. c. Généreux, se sont traduites par des changements importants à la procédure de la cour martiale.

Dans R. c. Généreux, un caporal, trouvé coupable par une cour martiale générale de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic, avait vu son appel devant la Cour d’appel de la cour martiale débouté. Ayant été saisie de l’affaire, la Cour suprême a jugé que les droits de l’inculpé garantis par l’alinéa 11d) de la Charte avaient été violés, étant donné que la composition et la procédure de la cour martiale ne répondaient pas aux critères d’un tribunal indépendant.

L’indépendance des membres d’une cour martiale générale (et par extension d’une cour martiale disciplinaire, qui a des dispositions semblables) a été définie par la Cour suprême en termes d’inamovibilité, de sécurité financière et d’indépendance institutionnelle. Avant même que la Cour ne rende sa décision, le ministère de la Défense nationale avait modifié ses Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes de manière à assurer l’inamovibilité et la sécurité financière. Par exemple, les règlements modifiés interdisent qu’on se fonde sur la performance d’un officier comme membre d’une cour martiale générale pour déterminer s’il mérite de l’avancement ou établir son traitement. Pour ce qui est de la question de l’indépendance institutionnelle, toutefois, il a fallu modifier la Loi sur la défense nationale elle-même, et une mesure à cet effet a été introduite au Parlement en mai 1992.

Les dispositions régissant les cours martiales générales et disciplinaires ont été modifiées de manière à réduire l’exercice de pouvoirs discrétionnaires par la hiérarchie militaire. D’abord, l’autorité convocatrice s’est vu retirer le pouvoir de nommer le président et les membres du tribunal. Ensuite, elle a perdu le pouvoir de varier le nombre des officiers faisant partie de la formation (ou «panel»). Dans le cas de la cour martiale générale, le nombre a été fixé à cinq (auparavant, il pouvait y en avoir jusqu’à neuf) et, dans le cas de la cour martiale disciplinaire, à trois. En outre, la hiérarchie militaire s’est vu retirer l’autorité légale de limiter le rôle du juge-avocat pour ce qui est de décider des questions de droit et des questions mixtes de droit et de fait.

Si les modifications apportées à la loi et aux règlements ont répondu aux préoccupations de la Cour suprême quant à l’impartialité et à l’indépendance des tribunaux militaires, on prétend que d’autres aspects de la justice militaire pourraient être contraires aux dispositions de la Charte. Par exemple, à partir d’autres éléments de l’alinéa 11d), tels que le droit d’être présumé innocent et le droit à un procès équitable, serait-il possible de prétendre que la justice militaire viole les droits de l’inculpé ? En outre, le refus opposé par l’alinéa 11f) à un procès avec jury pour une personne inculpée devant un tribunal militaire soulève des questions. Ainsi, il se pourrait que d’autres jugements de la Cour suprême sur d’actuels ou futurs appels de décisions de cours martiales nécessitent de nouvelles modifications à la législation régissant les tribunaux militaires.

   C. Les forces armées dans une société de droits individuels

Pendant que dans les milieux juridiques on continue de discuter des effets de la Charte canadienne des droits et libertés sur la justice militaire, l’opinion canadienne est aujourd’hui mieux informée de ces questions et les pressions en faveur de changements sont de plus en plus fortes. Les procès en cour martiale de certains membres du régiment aéroporté du Canada associés aux incidents en Somalie ont donné l’impression que les militaires de grade inférieur ont été désignés comme boucs émissaires, alors que les officiers supérieurs s’en tirent avec des peines insignifiantes. Les médias ont relayé des accusations selon lesquelles les jurys de ces cours martiales comptaient un trop grand nombre d’officiers du quartier général de la Défense qui avaient des intérêts à protéger.

Des témoignages entendus par la Commission d’enquête ont également soulevé d’autres questions, notamment au sujet des enquêtes de la police militaire et de la possibilité de conflits d’intérêts, étant donné que le bureau du juge-avocat général peut être appelé à jour le rôle et de la poursuite et de la défense. Le rôle des officiers supérieurs et des commandants dans le choix des militaires à inculper a également été examiné de près. Tout cela, et d’autres choses encore, a sapé la confiance aussi bien du personnel militaire que du grand public dans la justice militaire, et donné naissance à des appels en faveur d’une réforme.

La nécessité d’aligner la justice militaire sur le système de justice civile fait l’objet de discussions depuis quelque temps dans les milieux militaires et juridiques. Les militaires prétendent qu’il faut un système distinct pour assurer une discipline efficace, surtout en situation de combat lorsque les cas de discipline doivent être réglés rapidement et adéquatement pour maintenir le moral et l’efficacité des troupes. Mais c’est une explication qui ne convainc pas les critiques, maintenant que la guerre froide est terminée et qu’il est peu probable que les soldats canadiens aient à participer à un conflit armé d’envergure dans le proche avenir.

Les militaires font également valoir les différences entre la vie civile et la vie militaire, où des valeurs telles que l’honneur, l’efficacité et la discipline ont plus d’importance. Même si la justice militaire peut être plus sévère, certains préfèrent être jugés par des gens de leur métier plutôt que par des civils qui ignorent tout de la culture militaire. De fait, le noeud du débat est souvent de savoir si les forces armées sont une institution qui a ses propres règles ou s’il s’agit d’un métier comme n’importe quel autre, dont les membres devraient être traités exactement comme les autres citoyens.

Au Canada, toutefois, la différence entre société militaire et société civile s’est atténuée ces dernières années, surtout en raison de l’importance accrue des droits individuels. Comme tout autre secteur de la société canadienne, les forces armées sont devenues plus conscientes des droits et libertés de chaque citoyen et elles ont fait des adaptations institutionnelles pour faire en sorte que ces droits et libertés soient respectés. Au cours des dix dernières années, par exemple, les Forces canadiennes ont permis à leur personnel féminin d’exercer toutes les tâches opérationnelles, à l’exception de celles à bord d’un sous-marin, et elles ont déclaré très explicitement que le racisme et le harcèlement sexuel ne seront pas tolérés.

Il y a eu de la résistance à des changements tels que l’ouverture des activités opérationnelles aux femmes, sous prétexte que cela nuirait au moral et à l’efficacité des opérations. Mais on ne pouvait faire fi du respect grandissant des droits individuels au sein de la société, de sorte qu’il a fallu faire ces changements. Ce faisant, les Forces canadiennes se sont montrées plus ouvertes sur certains de ces points que leurs homologues américains et britanniques, dont l’influence sur la culture et les politiques des militaires canadiens s’est souvent fait sentir par le passé.

Mais les Forces canadiennes ne sauraient s’asseoir sur leurs lauriers. Sur le plan des droits individuels, la société canadienne évolue à son propre rythme, et les pressions pour une réforme de la justice militaire ont peut-être augmenté simplement par suite des appels devant la Cour suprême concernant les cours martiales actuelles ou futures. Depuis l’affaire de la Somalie, toutefois, la justice militaire est littéralement «dans le collimateur», et il faudra peut-être une véritable réforme pour rétablir la confiance du personnel militaire et des Canadiens dans son efficacité et son intégrité.

   D. Options de réforme

Les options qui s’offrent devront être examinées attentivement, car certaines présentent autant d’inconvénients que d’avantages. La première consisterait à abolir purement et simplement le système de justice militaire et à juger les militaires coupables d’une infraction selon la même justice que tous les Canadiens. Avant même les incidents en Somalie, c’était la voie recommandée par certains, ne serait-ce que pour réduire le nombre d’officiers supérieurs. À l’heure actuelle, le système exige des spécialistes du droit militaire de rang assez élevé pour commander le respect, et il faut les inciter à rester dans les forces plutôt que de se tourner vers une carrière civile plus payante. Le nombre de ces officiers demeure important, à une époque ou les compressions budgétaires obligent à des réductions dans l’effectif global des militaires, particulièrement ceux qui ne participent pas à des opérations ou des missions de combat.

Mais il faudra bien mesurer les conséquences qu’aurait sur la discipline, tant au Canada qu’à l’extérieur, l’abolition de ce système. La procédure actuelle pour juger les infractions commises sur le théâtre d’opérations à l’étranger devrait probablement être remplacée par une procédure civile aussi complexe. Il faudrait encore des avocats spécialistes, qui connaissent bien les opérations militaires, pour défendre l’accusé ou conseiller le ministère de la Défense sur des questions de droit international ou de nature législative. Autrement dit, abolir le système de justice militaire pourrait surcharger l’appareil de justice civile.

Une autre option serait de remplacer tout le personnel militaire concerné par des spécialistes civils. Dans certains cas, cela pourrait se faire sans mesures spéciales; par exemple, à l’heure actuelle, il n’est pas nécessaire que la personne qui fait fonction de juge-avocat général soit un miliaire, bien que par tradition ce soit le cas. Simplement en rompant avec cette tradition, l’armée pourrait faire bien des changements dans son système de justice.

À l’extrême opposé, on pourrait renforcer le côté militaire du système. Dans le débat actuel sur les mesures visant à rétablir l’intégrité de l’appareil militaire canadien, il a été question de mettre davantage l’accent sur la culture militaire et les valeurs traditionnelles, ou sur l’aspect strictement militaire et de faire moins de cas des droits des individus. On a laissé entendre que le relâchement des critères de recrutement et les changements apportés aux politiques pour protéger les droits individuels ont nui à l’efficacité des Forces canadiennes. Certains soutiendront peut-être que la justice militaire ne devrait se préoccuper que du seul maintien de la discipline et ne devrait pas être obligée de se conformer entièrement à la Charte.

Mais une telle orientation pourrait aliéner les forces armées de la société qu’elles sont censées défendre. Des forces armées qui, dans une société de droits individuels, insisteraient sur l’efficacité opérationnelle au détriment des droits des individus dans leurs rangs, risqueraient de perdre l’appui et la confiance du public et soulèveraient la crainte que cette attitude ne se reflète dans leurs rapports avec les civils, tant au pays qu’à l’étranger.

En résumé, la réforme de la justice militaire aurait des conséquences non seulement pour les militaires, mais également quant à la place des Forces armées canadiennes dans la société canadienne. En abolissant ou en renforçant le système, on réglerait certains problèmes, mais on en créerait d’autres, à moins que les diverses possibilités soient bien examinées. Face à la montée des pressions en faveur du changement, le ministre de la Défense nationale, M. David Collenette, a demandé la tenue d’un débat sur la meilleure façon d’améliorer et de moderniser le système. Dans sa déclaration du 1er août 1996, il a suggéré que ce débat commence par une étude en comité parlementaire.

   E. Faits nouveaux survenus à la fin de 1996

Les événements qui se sont produits à l’automne de 1996, notamment la démission de David Collenette à titre de ministre de la Défense nationale, le 4 octobre 1996, et son remplacement par Doug Young, ont retardé, voire modifié, les plans du gouvernement de tenir un débat parlementaire sur cette question dans les derniers mois de 1996. Néanmoins, la justice militaire a continué d’attirer l’attention du public à la suite des incidents suivants : le procès en cour martiale, en novembre, d’un officier accusé de la mort accidentelle du caporal Neil MacKinnon au cours d’un exercice militaire en 1995, les procès en cour martiale de soldats de la BFC Valcartier dans la falsification de factures, et, en particulier, le geste posé en guise de protestation par le lieutenant-commander Dean Marsaw.

Le lieutenant-commander Marsaw avait été reconnu coupable par une cour martiale de violence physique et verbale à l’endroit des marins placés sous son commandement, et il avait été rétrogradé au grade de lieutenant (Marine). Cependant, les questions soulevées par les médias à l’automne de 1996, notamment dans le cadre de l’émission Fifth Estate diffusée à la CBC, ont mis l’accent sur l’enquête de la police militaire ayant donné lieu à cette cour martiale et au déroulement du procès lui-même. Qui plus est, le lieutenant-commander Marsaw a entrepris une deuxième grève de la faim pour exiger un examen de l’enquête menée par la police militaire. Il a mis un terme à celle-ci le 28 novembre 1996, après que le Chef d’état-major de la Défense par intérim l’a informé qu’il pourrait conserver son grade en attendant le résultat de l’appel qu’il avait logé auprès de la Cour d’appel de la cour martiale, qui devait entendre sa cause le plus tôt possible.

Étant donné que le système de justice militaire fait maintenant de plus en plus l’objet d’un examen minutieux de la part du public, le ministre de la Défense nationale a commencé à annoncer des mesures visant à le réformer. Dans une allocution prononcée le 10 décembre 1996, M. Young a déclaré que l’examen du Code de discipline militaire présentement en cours se traduirait sans doute par la modification de la Loi sur la défense nationale. Il a toutefois ajouté qu’on avait déjà décidé de modifier les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes pour faire en sorte que le recours aux procès sommaires n’ait lieu essentiellement que pour maintenir la discipline au sein des unités et pour renforcer les garanties procédurales liées au processus d’inculpation. Il a également indiqué que le ministère songeait à prendre des mesures visant à améliorer les services d’enquête de la police militaire.

À la fin de décembre 1996, dans la foulée de la démission du Sous-chef d’état-major de la Défense, le lieutenant-général Armand Roy, en raison de demandes de remboursement injustifiées, le ministre de la Défense nationale a fait part de son intention de procéder à un examen approfondi des Forces canadiennes et de soumettre des propositions au premier ministre d’ici le 31 mars 1997. En plus de demander l’avis de quatre universitaires de renom sur les réformes générales possibles pouvant être apportées aux Forces canadiennes, M. Young a établi un groupe d’experts pour le conseiller en particulier sur la justice militaire et la police militaire.

   F. Groupe consultatif spécial sur le système de justice militaire

Le 16 janvier 1997, le ministre de la Défense a confirmé que l’ancien juge en chef de la Cour suprême, Brian Dickson, le lieutenant-général (à la retraite) Charles Belzile et J.W. (Bud) Bird, ancien député, formeraient le nouveau comité consultatif et qu’ils devaient lui faire rapport d’ici le 15 mars. Le comité a reçu pour mandat de formuler des recommandations concernant la compétence, les pouvoirs de sanction, la structure et les procédures des cours martiales et des procès sommaires; d’examiner le rôle de la chaîne de commandement dans les enquêtes et le dépôt d’accusations; d’étudier le rôle, la responsabilité et l’organisation du Bureau du juge-avocat général; d’indiquer quelles fonctions de la police militaire devraient continuer à être assurées par les Forces canadiennes, et d’examiner la coopération possible entre la police militaire et les autres services de police.

Le comité tiendra des audiences publiques dans quatre ou cinq villes et il invite les gens, tant du domaine militaire que de l’extérieur, à lui présenter des mémoires par écrit. M. Lowell Thomas, ancien commissaire adjoint de la GRC, maintenant à la retraite, qui a fait enquête sur la façon dont les officiers supérieurs ont traité les rapports voulant que des gardiens de la paix du Canada aient maltraités des patients à l’hôpital de Bakovici en ex-Yougoslavie, agira à titre de conseiller auprès du comité.

   G. Critique des enquêtes menées par la police militaire

Malgré l’annonce faite par le ministre de la création d’un comité chargé d’examiner la question, le système de justice militaire dans son ensemble et les enquêtes de la police militaire, en particulier, ont continué à susciter la controverse. Certains ont prétendu que le système de justice militaire a deux poids deux mesures comme en témoigne la décision de ne pas faire comparaître le lieutenant-général Armand Roy devant une cour martiale, alors que de nouvelles accusations étaient portées contre le caporal Michel Purnelle (qui fait déjà face à un procès en cour martiale pour avoir critiqué des officiers supérieurs). Certains disent que la perception voulant que les membres du personnel subalterne aient été punis plus sévèrement que les officiers supérieurs pour les délits qu’ils ont commis est un facteur qui a contribué au déclin du moral au sein du personnel des Forces canadiennes.

L’efficacité des enquêtes de la police militaire a également été remise en question, notamment par le colonel (à la retraite) Geoff Haswell qu’une cour martiale a déclaré, le 17 janvier 1997, non coupable des accusations d’avoir supprimé un document et d’avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline en ordonnant la destruction d’un dossier relatif aux opérations menées en Somalie. Il a prétendu que les accusations avaient été portées par suite d’erreurs commises lors de l’enquête de la police militaire.

Le jour même où prenait fin le procès en cour martiale du colonel Haswell, le ministère de la Défense nationale a rendu public les résultats de deux enquêtes. La première a confirmé que 57 gardiens de la paix ont maltraité de patients à l’hôpital de Bakovici en ex-Yougoslavie, entre octobre 1993 et mars 1994. L’autre enquête, menée par l’ancien commissaire adjoint de la GRC, Lowell Thomas, a révélé que, bien qu’il n’y ait aucune preuve évidente d’interférence de la part d’officiers supérieurs, il y a eu des problèmes dans la façon dont la police militaire a mené ses enquêtes. M. Thomas a recommandé que l’on examine de plus près l’indépendance de la police militaire et il a indiqué qu’on devrait séparer celle-ci de la chaîne de commandement. On s’inquiète de plus en plus du fait que des officiers, en particulier ceux qui sont directement impliqués dans une situation faisant l’objet d’une enquête, puissent ordonner à des membres de grade inférieur de la police militaire de cesser leur enquête ou de la modifier.

La question la plus controversée à découler de ces enquêtes est sans doute le fait qu’aucune des personnes mêlées aux incidents survenus à l’hôpital de Bakovici n’aura à subir un procès en cour martiale. Le paragraphe 69(1) de la Loi sur la défense nationale précise que, sauf pour certaines exceptions, tout procès en cour martiale doit commencer dans les trois ans qui suivent la prétendue perpétration d’une infraction. Le rapport a été publié plus de trois ans après que la plupart des incidents sont survenus. Le commandant des Forces terrestres, le lieutenant-général Maurice Baril, a décidé qu’il n’y aurait aucun procès en cour martiale concernant les autres incidents. Les cas des 47 militaires qui font toujours partie des Forces canadiennes seront plutôt examinés par des conseils spéciaux d’évaluation de carrière qui peuvent bloquer l’avancement en grade des personnes concernées ou les expulser des FC. Pour quelques incidents (tel le viol), qui comportent des infractions au droit pénal, les personnes peuvent quand même faire l’objet d’accusations, même si elles ne sont plus dans les FC.

Certains ont été indignés du fait que les personnes mêlées à ces incidents n’auront pas à subir de procès en cour martiale, surtout parce que le retard à confirmer les incidents a été causé en grande partie par le cafouillage de la police militaire lors de ses enquêtes. Cette situation est venue étayer les revendications de ceux qui veulent que la police militaire fasse l’objet d’importantes modifications, voire même qu’elle soit remplacée par la GRC. Cette situation a également soulevé des questions concernant la loi de prescription de certaines infractions, questions qui, jusqu’ici, n’avaient pas reçu beaucoup d’attention de la part du public.

MESURES PARLEMENTAIRES

Le ministre de la Défense nationale, David Collenette, a laissé entendre dans sa déclaration du 1er août 1996 que le débat sur la réforme du système de justice militaire pourrait s’amorcer par une étude en comité parlementaire; cependant, aucune étude du genre n’a été entreprise par le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants ni par quelque autre comité que ce soit dans les derniers mois de 1996. La démission de M. Collenette pourrait avoir modifié les plans prévoyant la participation du Parlement à la réforme du système, au stade initial. Néanmoins, il y a eu discussion au Parlement de certains aspects du système et du rôle du Parlement dans la réforme de celui-ci.

Le 1er octobre 1996, Jim Hart, député d’Okanagan-Similkameen-Merritt, a soulevé des questions à la Chambre des communes au sujet du cas du lieutenant-commander Marsaw et il a demandé que l’on procède à un examen du système de justice militaire. M. Collenette a répondu, entre autres, qu’il s’attendait encore à ce que le Parlement prenne part à un examen de cette question. Les 4 et 24 octobre 1996, Jean Leroux, député de Shefford, s’est interrogé sur l’état du système de justice militaire et les procès en cour martiale de militaires de la BFC Valcartier qui ont falsifié des factures. Le 24 octobre, en réponse aux questions soulevées par le député, le secrétaire parlementaire du ministre de la Défense nationale, James Richardson, a indiqué que la Cour suprême avait confirmé la validité générale du système de justice militaire, mais que tout système juridique devait être révisé pour s’adapter à l’évolution de la société.

Le rôle du Parlement a de nouveau fait l’objet d’une question le 22 novembre 1996; Jack Frazer, député de Saanich-Les Îles-du-Golfe, a alors demandé au ministre si un examen du système de justice militaire serait soumis au Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants. M. Young a répondu qu’il était fort probable que le Comité se penche sur cette question. Cependant, il n’est pas clairement établi si le comité permanent participera à l’examen au stade initial ou seulement lorsque des modifications à la Loi sur la défense nationale seront présentés au Parlement.

 

CHRONOLOGIE

1985 - Les dispositions de la Loi sur la défense nationale concernant les tribunaux militaires sont modifiées par la Modification législative (Charte canadienne des droits et libertés).

1992 - Les dispositions de la Loi sur la défense nationale et des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes concernant les cours martiales générales et disciplinaires sont modifiées à la lumière de la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Généreux.

18 octobre 1993 - Début du procès en cour martiale du premier de six soldats inculpés à la suite d’incidents impliquant le régiment aéroporté du Canada en Somalie.

17 novembre 1994 - Le ministre de la Défense nationale, M. David Collenette, annonce la création de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie.

1er août 1996 - Le Ministre de la Défense nationale souligne la nécessité d’un débat sur la réforme de la justice militaire, qui pourrait commencer par une étude en comité parlementaire.

4 octobre 1996 - Doug Young remplace David Collenette au poste de ministre de la Défense nationale.

28 novembre 1996 - Le lieutenant-commander (M) Dean Marsaw met un terme à la grève de la faim qu’il a menée pour protester contre la sentence prononcée à son endroit lors de son procès en cour martiale; le chef d’état-major de la Défense par intérim avait annoncé que l’officier en question pourrait demeurer dans la Marine en attendant que son appel soit entendu, ce qui devrait se faire le plus tôt possible.

10 décembre 1996 - Le ministre de la Défense nationale, M. Doug Young, annonce que les règlements seront modifiés afin de renforcer les garanties procédurales liées au processus d’inculpation et de redéfinir les procès sommaires afin qu’il y soit fait recours surtout pour maintenir la discipline interne des unités. Il indique également que les procédures d’enquête de la police militaire font l’objet d’un examen.

16 janvier 1997 - Le ministre de la Défense nationale annonce la création d’un groupe consultatif spécial composé de l’ancien juge en chef de la Cour suprême, Brian Dickson, du lieutenant-général (à la retraite) Charles Belzile et de M. Bud Bird, qui se penchera sur le système de justice militaire et les procédures de la police militaire.

17 janvier 1997 - Le ministère de la Défense nationale rend public un rapport qui confirme bon nombre des allégations de mauvaise conduite par des gardiens de la paix du Canada à l’hôpital de Bakovici en ex-Yougoslavie. En raison de la loi de prescription sur les procédures disciplinaires, les soldats impliqués dans l’affaire ne seront pas traduits en cour martiale.

- Après qu’une cour martiale l’a reconnu non coupable d’avoir ordonné la destruction de documents relatifs à l’opération en Somalie, le colonel (à la retraite) Geoff Haswell critique l’enquête menée par la police militaire.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Bryden, Joan. «Minister Wants Overhaul of Military Justice System». The Ottawa Citizen, 2 août 1996, p. A4.

Coulon, Jocelyn. «Des réformes pour une armée moderne». Le Devoir (Montréal), 27 janvier 1997, p. A1.

Doi, Michael. «The Judicial Independence of Canadian Forces General Courts Martial: An Analysis of the Supreme Court of Canada Judgment in R. v. Généreux». Dalhousie Law Journal, no 16, printemps 1993, p. 234-269.

Gans, Arthur (major). «Vocation of Job: A Warrior’s Place in a Rights-driven Society». Revue canadienne de la défense, décembre 1994, p. 10-13.

Gibbons Rick. «Headed for the Scrap Heap». Ottawa Sun, 8 août 1996.

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La version originale de ce bulletin d'actualité a été publiée en septembre 1996.