Les documents qui figurent sur ce site ont été rédigés par le personnel de la Direction de la recherche parlementaire; ils visent à tracer, à l'intention des parlementaires canadiens, dans un libellé simple et facile à saisir, le contexte dans lequel chaque projet de loi gouvernemental examiné a été élaboré et à fournir une analyse de celui-ci. Les résumés législatifs ne sont pas des documents gouvernementaux; ils n'ont donc aucun statut juridique officiel et ils ne constituent ni un conseil ni une opinion juridique. Prière de noter que la version du projet de loi décrite dans un résumé législatif est celle qui existait à la date indiquée au début du document. Pour avoir accès à la plus récente version publiée du projet de loi, veuillez vous rendre sur le site parlementaire Internet à l'adresse suivante www.parl.gc.ca.

LS-353F

 

PROJET DE LOI C-15 : LOI MODIFIANT LA LOI DU
TRAITÉ DES EAUX LIMITROPHES INTERNATIONALES

 

Rédaction :
David Johansen
Division du droit et du gouvernement
Le 30 novembre 1999


HISTORIQUE DU PROJET DE LOI C-15

CHAMBRE DES COMMUNES

SÉNAT

Étape du Projet de loi Date Étape du projet de loi Date
Première lecture : 22 novembre 1999 Première lecture :  
Deuxième lecture :   Deuxième lecture :  
Rapport du comité :   Rapport du comité :  
Étape du rapport :   Étape du rapport :  
Troisième lecture :   Troisième lecture :  


Sanction royale :
Lois du Canada







N.B. Dans ce résumé législatif, tout changement d'importance depuis la dernière publicaiton est indiqué en caractères gras.

TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A.  Contexte
   B.  Définitions
   C.  Licences
   D.  Prohibition des prélèvements d'eaux limitrophes
   E.   Généralités
   F.  Pouvoirs du ministre des Affaires étrangères
   G.  Règlements
   H.  Infractions et peines
   I.  Injonction
   J.  Entrée en vigueur

COMMENTAIRE


PROJET DE LOI C-15 : LOI MODIFIANT LA LOI DU TRAITÉ
DES EAUX LIMITROPHES INTERNATIONALES

CONTEXTE

Le 22 novembre 1999, le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, a été déposé à la Chambre des communes par le ministre des Affaires étrangères, l’honorable Lloyd Axworthy. Le projet de loi vise à clarifier la Loi actuelle et à rendre plus efficace la mise en œuvre du Traité relatif aux eaux limitrophes et aux questions originant le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis de 1909 (communément appelé le Traité des eaux limitrophes internationales) : a) en interdisant le captage et le transfert d’eaux limitrophes hors de leur bassin hydrographique; b) en assujettissant à l’obtention d’une licence auprès du ministre des Affaires étrangères les activités qui ont pour effet de modifier le débit ou le niveau naturels des eaux du côté américain de la frontière; et c) en prévoyant des sanctions et peines précises en cas d’infraction. L’interdiction de capter des eaux limitrophes s’appliquerait principalement aux Grands Lacs, mais toucherait également d’autres eaux limitrophes, notamment une partie du Saint-Laurent, la rivière Ste-Croix, la partie amont du fleuve St-Jean et le lac des Bois. Lors du dépôt du projet de loi à la Chambre, M. Axworthy a déclaré :

Nous posons un acte déterminant dans un champ de compétence qui nous appartient afin de préserver, pour les générations à venir, nos eaux limitrophes qui sont d’une importance capitale. Ces changements nous donneront le pouvoir de prévenir les dommages que les prélèvements d’eau à grande échelle peuvent causer à l’environnement.

Les modifications à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales proposées dans le projet de loi C-15 s’inscrivent dans une grande stratégie à trois volets annoncée par le gouvernement fédéral le 10 février 1999 en vue d’interdire les prélèvements à grande échelle, y compris à des fins d’exportation, de tous les bassins hydrographiques canadiens. La gestion des ressources hydriques relève avant tout des provinces; toutefois, le Traité des eaux limitrophes accorde au gouvernement fédéral une nette compétence sur les eaux limitrophes dans les limites établies dans le traité. Conformément à l’article 132 de la Loi constitutionnelle de 1867, seul le gouvernement fédéral a le pouvoir de donner suite aux obligations prévues au traité concernant les eaux limitrophes.

En plus de proposer des modifications à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et d’interdire ainsi le captage à grande échelle des eaux limitrophes canadiennes, y compris celles des Grands Lacs, la stratégie fédérale prévoyait également un renvoi binational pour demander à la Commission mixte internationale (CMI) d’étudier les effets de la consommation, de la dérivation et du prélèvement d’eau provenant des plans d’eau limitrophes, notamment à des fins d’exportation, avec insistance initiale sur les Grands Lacs. Dans son Rapport intérimaire sur la protection des Grands Lacs, publié en août 1999, la CMI appuie en général une approche environnementale. Le rapport définitif devrait être présenté aux gouvernements au plus tard en février 2000. Dans son rapport intérimaire, la Commission en arrive notamment aux conclusions suivantes :

  • « L’eau est une ressource non renouvelable ».
  • « Lorsqu’on tient compte de tous les intérêts dans le bassin [des Grands Lacs], il n’existe jamais d’« excédent » d’eau. Chaque goutte d’eau a plusieurs utilisations potentielles ».
  • « Les dispositions contenues dans les ententes [ALENA et OMC], à l’inclusion de celles du [GATT], n’empêchent pas le Canada et les États-Unis de prendre les moyens pour protéger leurs ressources en eau et de préserver l’intégrité de l’écosystème du bassin des Grands Lacs dans la mesure que, ce faisant, aucune discrimination n’est exercée par les décideurs contre des personnes de pays étrangers. Le Canada et les États-Unis ne sauraient être obligés par des lois commerciales de mettre en danger les eaux des Grands Lacs ».

La CMI a également recommandé que le gouvernement fasse preuve de prudence et elle a demandé l’adoption d’un moratoire sur tout prélèvement d’eau en vrac d’ici à la présentation de son rapport définitif.

Le troisième volet de la stratégie fédérale visait à proposer, de concert avec les provinces et les territoires, la conclusion d’une entente pancanadienne interdisant le prélèvement d’eau en vrac dans les bassins hydrographiques du Canada. En vertu de l’entente, chaque instance gouvernementale (fédérale, provinciale et territoriale) s’engagerait à agir par la voie d’une loi, d’un règlement ou d’une politique. Dans le cas des instances ayant déjà mis des mesures en place, l’accord servirait à confirmer l’engagement pris. Entre temps, le gouvernement fédéral a prié les provinces et les territoires d’imposer un moratoire interdisant les prélèvements en vrac d’eau des bassins hydrographiques, y compris à des fins d’exportation, jusqu’à ce que l’accord soit en place. Le gouvernement fédéral cherche actuellement à obtenir l’accord des territoires et des provinces; un tel accord complèterait les modifications proposées dans le projet de loi C-15 à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, en étendant la protection à toutes les eaux canadiennes. Lors du dépôt du projet de loi à la Chambre, le ministre de l’Environnement, l’honorable David Anderson, a déclaré notamment :

Lorsque je rencontrerai mes homologues des provinces et des territoires plus tard ce mois-ci, j’essaierai de faire en sorte que nous nous entendions sur un accord pancanadien interdisant les prélèvements massifs d’eau de tous les grands bassins hydrographiques du Canada. Il s’agit d’une question environnementale qui doit être décidée par l’ensemble des Canadiens. Nous cesserons les prélèvements massifs à la source, et non pas à la frontière.

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A. Contexte

Le Traité des eaux limitrophes (« le Traité »), signé par la Grande-Bretagne (au nom du Canada) et les États-Unis en 1909, établissait les principes et les procédures de la prévention et du règlement des différends, particulièrement en ce qui touche à la quantité et à la qualité des eaux limitrophes, entre le Canada et les États-Unis. La Commission mixte internationale (CMI) a également été créée aux termes du traité pour faciliter la mise en œuvre des ses dispositions. Par le traité, le Canada et les États-Unis s’engagent mutuellement à protéger le niveau ou le débit naturel des eaux partagées par les deux pays. Sauf quelques exceptions, l’article III du traité affirme qu’aucun usage, obstruction ou dérivation des eaux limitrophes modifiant leur niveau ou leur débit naturels du côté opposé de la frontière ne se fait sauf avec l’autorisation du gouvernement du pays concerné et l’approbation de la Commission mixte internationale. Conformément à l’article IV du traité, les pays conviennent que, sauf dans les cas prévus dans une entente spéciale entre eux, ou avec l’approbation de la CMI, ils ne permettront pas, de leur côté respectif de la frontière, la construction ou l’entretien de tout ouvrage de réfection ou de protection, ou de tout barrage ou autre obstacle, dans des eaux provenant d’eaux limitrophes ou dans des eaux dont le niveau à la frontière est inférieur à celui de cours d’eau transfrontaliers, ce qui pourrait entraîner une hausse du niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière.

Le Parlement a adopté la Loi du traité des eaux limitrophes internationales en 1911 pour mettre en œuvre le Traité. La Loi reconnaît la compétence du gouvernement fédéral sur les eaux limitrophes, tels que les Grands Lacs, pour que le Canada respecte son obligation en vertu du Traité de ne pas modifier unilatéralement le niveau et le débit des eaux du côté américain de la frontière. Le projet de loi contient deux articles. L’article 1 modifierait la Loi par adjonction des nouveaux articles 10 à 26, alors que l’article 2 a trait à l’entrée en vigueur du projet de loi.

   B. Définitions

Le nouvel article 10 définirait certains termes aux fins des articles 11 à 26 proposés de la Loi.

« Eaux limitrophes » s’entendrait au sens du traité :

Aux fins du présent traité, « eaux limitrophes » s’entend des eaux de terre ferme à terre ferme, des lacs, fleuves et rivières et des voies d’eau qui les relient — ou les parties de ces eaux — que longe la frontière internationale entre les États-Unis et le Dominion du Canada, y compris les baies, les bras et les anses qu’elles forment. Sont toutefois exclues de la présente définition les eaux des affluents qui, dans leur cours naturel, se verseraient dans ces lacs, fleuves, rivières et voies d’eau, les eaux coulant de ces lacs, fleuves, rivières et voies d’eau, ainsi que les eaux des fleuves et rivières traversant la frontière.

Elles comprennent ainsi le lac des Bois, les Grands Lacs, la partie du Saint-Laurent comprise entre l’exutoire du lac Ontario et Cornwall (Ontario)-Massena (New York), la partie amont de la rivière St-Jean (Québec-Nouveau-Brunswick) et la rivière Ste-Croix (Nouveau-Brunswick). Une rivière qui constitue la frontière ou qui s’écoule le long de celle-ci sans la franchir est une eau limitrophe (p. ex., une section du Saint-Laurent).

« Licence » s’entendrait d’une licence délivrée en vertu de l’article 16. « Ministre » désignerait le ministre des Affaires étrangères et « bassin hydrographique » s’entendrait au sens des règlements.

   C. Licences

Les modifications proposées à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales dans le projet de loi C-15 officialiseraient une démarche de 90 ans selon laquelle le gouvernement fédéral (et la CMI, de son propre chef) a, aux termes du Traité des eaux limitrophes, examiné et approuvé ou rejeté officieusement certains projets relatifs aux eaux limitrophes ou transfrontalières, qui auraient pour effet de modifier le niveau ou le débit naturel des eaux du côté américain de la frontière. Ces projets ont toujours nécessité l’approbation du gouvernement fédéral. Ce dernier a respecté à sa façon ses obligations internationales en vertu du Traité. Toutefois, devant les pressions croissantes qui s’exercent sur les ressources en eau douce, le gouvernement fédéral est maintenant d’avis qu’il faut renforcer les mesures de protection et officialiser les conditions des licences. Par conséquent, le projet de loi C-15 propose que ces projets soient assujettis à l’obtention d’une licence auprès du ministre des Affaires étrangères (nouvel article 16).

Nul ne pourrait, sauf en conformité avec une licence, utiliser, obstruer ou dériver des eaux limitrophes d’une manière qui modifie ou est susceptible de modifier, de quelque façon que ce soit, le débit ou le niveau naturels de ces eaux de l’autre côté de la frontière internationale (paragraphe 11(1) proposé). Ce paragraphe ne s’appliquerait toutefois pas lorsque les eaux sont utilisées normalement à des fins domestiques ou sanitaires (conformément à l’article III du traité) ni dans les cas d’exceptions prévues par règlement (paragraphe 11(2) proposé). Le régime d’attribution des licences ne s’appliquerait pas aux utilisations traditionnelles, tels les prélèvements à des fins agricoles et industrielles à l’intérieur du bassin. Cette disposition permettrait de mettre plus efficacement en œuvre l’article III du Traité des eaux limitrophes.

De même, nul ne pourrait, sauf en conformité avec une licence délivrée en vertu de l’article 16 proposé, établir ou maintenir dans les eaux qui sortent des eaux limitrophes ou dans des eaux en aval de la frontière internationale des rivières transfrontalières, des ouvrages de protection ou de réfection, ou des barrages — ou autres obstacles faisant obstruction — de nature à exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière (paragraphe 12(1) proposé). Ce paragraphe ne s’appliquerait pas dans les cas d’exceptions prévues par règlement (paragraphe 12(2) proposé). Cette disposition ne s’appliquerait ni aux prélèvements d’eau ni aux eaux limitrophes. Elle permettrait de mettre plus efficacement en œuvre le premier paragraphe de l’article IV du traité.

   D. Prohibition des prélèvements d’eaux limitrophes

De l’avis du gouvernement, il faut interdire définitivement les prélèvements d’eaux limitrophes en grandes quantités pour protéger l’intégrité écologique de ces bassins partagés. Le projet de loi prévoit donc que, malgré l’article 11 proposé, nul ne pourrait prélever les eaux limitrophes d’un bassin hydrographique (paragraphe 13(1) proposé). Pour l’application de ce paragraphe et du traité, le captage et le transfert d’eaux limitrophes à l’extérieur de leurs bassins hydrographiques sont réputés, étant donné l’effet cumulatif de ce type d’activité sur les eaux limitrophes, modifier le débit ou le niveau naturels de ces eaux de l’autre côté de la frontière internationale (paragraphe 13(2) proposé). Ce paragraphe ne s’appliquerait pas dans les cas d’exceptions prévues par règlement (paragraphe 13(3) proposé) par exemple, les prélèvements d’eau de ballast, d’eau nécessaire à des fins humanitaires à court terme et d’eau utilisée dans la production d’aliments ou de boissons.

Selon des documents d’information du gouvernement, la prohibition susmentionnée permettrait de reconnaître que le prélèvement à grande échelle d’eau hors d’un bassin hydrographique doit être géré autrement que le prélèvement d’eau utilisée à l’intérieur du bassin. Le prélèvement à grande échelle entraîne une perte permanente d’eau du bassin. Compte tenu du fait que les écosystèmes et les collectivités à l’intérieur du bassin dépendent de cet approvisionnement en eau, le prélèvement en grandes quantités est considéré comme une utilisation non écologique de la ressource. Le gouvernement maintient qu’interdire le prélèvement à grande échelle d’eaux limitrophes va aussi dans le sens de ses obligations commerciales internationales telles que définies dans la Déclaration commune des gouvernements du Canada, du Mexique et des États-Unis de 1993. À l’époque, les trois pays ont déclaré que, dans son état naturel, l’eau n’est ni un bien ni un produit et n’est assujettie à aucun accord commercial, y compris l’ALENA.

   E. Généralités

Les articles 11 à 13 proposés sur le régime d’attribution des licences et la prohibition lieraient Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province (article 14 proposé).

Les articles 11 à 13 proposés ne s’appliqueraient pas aux utilisations, dérivations ou obstructions antérieures à la date de leur entrée en vigueur respective, sauf en cas de modifications importantes de celles-ci après cette date (article 15 proposé).

   F. Pouvoirs du ministre des Affaires étrangères

Sous réserve de règlements, le ministre pourrait, sur demande, délivrer, renouveler ou modifier une licence pour les activités visées par la Loi et l’assortir des conditions qu’il estime indiquées (article 16 proposé). Il est à prévoir que le régime d’attribution des licences serait conforme au présent système officieux des demandes d’approbation des projets touchant les eaux limitrophes.

La licence ne serait pas transférable sans le consentement du ministre (article 17 proposé). S’il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire d’une licence a contrevenu à la Loi ou aux conditions de la licence, le ministre pourrait suspendre ou révoquer celle-ci après, d’une part, lui avoir donné un avis écrit motivant la prise de cette mesure et, d’autre part, lui avoir accordé la possibilité de lui présenter ses observations (paragraphe 18(1) proposé). Il pourrait en outre suspendre ou révoquer la licence sur demande du titulaire ou avec son consentement (paragraphe 18(2) proposé).

Dans les cas où une personne contrevient aux paragraphes 11(1), 12(1) ou 13(1) proposés, le ministre pourrait lui enjoindre : a) d’enlever les ouvrages ou obstacles qui font l’objet de la contravention ou de les modifier; b) d’arrêter les travaux de construction ou autres ou l’utilisation ou la dérivation qui font l’objet de la contravention (paragraphe 19(1) proposé). Si la personne n’obtempère pas, il pourrait soit modifier ou enlever, soit confisquer au profit de Sa Majesté du chef du Canada, toute chose visée à l’alinéa 1a) ou ayant servi aux activités visées à l’alinéa 1b) (paragraphe 19(2) proposé). Les choses confisquées pourraient être enlevées ou détruites ou il pourrait en être autrement disposé conformément aux instructions du ministre (paragraphe 19(3) proposé). Les frais occasionnés par toute modification ou tout enlèvement au titre du paragraphe 19(2) proposé ou par l’enlèvement, la destruction ou l’aliénation au titre du paragraphe 19(3) proposé, ainsi que tous frais connexes, déduction faite du produit éventuel de toute aliénation, constitueraient des créances de Sa Majesté du chef du Canada dont le recouvrement pourrait être poursuivi à ce titre contre la personne visée au paragraphe 19(1) devant toute juridiction compétente (paragraphe 19(4) proposé).

Aux termes de l’article 20 proposé, le ministre pourrait, avec l’agrément du gouverneur en conseil, conclure avec une ou plusieurs provinces un accord ou une entente portant sur les activités visées aux articles 11 à 13 proposés. La disposition permettrait donc de conclure avec les provinces des ententes de collaboration visant à réduire les doubles emplois et les frais associés à l’examen des projets dans le cadre du régime d’attribution des licences et des prohibitions.

   G. Règlements

Les modifications proposées à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales dans le projet de loi C-15 permettraient la prise de règlements, ce que ne prévoit pas la Loi actuelle. Conformément au paragraphe 21(1) proposé, le gouverneur en conseil (le cabinet), sur recommandation du ministre, pourrait par règlement préciser ce qui constitue une utilisation ou un usage, une obstruction, un ouvrage ou une dérivation pour l’application de la loi; définir, pour l’application de la Loi, « bassin hydrographique » et les termes non définis des articles 11 à 26; établir les catégories de licences; préciser la procédure applicable à la présentation des demandes de licences; régir la forme des licences; fixer les droits à acquitter pour les licences; préciser la période de validité de la licence; régir le renouvellement et la modification des licences; préciser les usages, utilisations, obstructions, ouvrages ou dérivations pour lesquels une licence ne pourrait être délivrée; et prendre toute autre mesure nécessaire pour l’application de la Loi.

   H. Infractions et peines

Quiconque contreviendrait aux paragraphes 11(1), 12(1) ou 13(1) commettrait une infraction et encourrait, sur déclaration de culpabilité : a) par mise en accusation, une amende maximale d’un million de dollars et un emprisonnement maximal de trois ans, ou l’une de ces peines; b) par procédure sommaire, une amende maximale de 300 000 $ et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces deux peines (article 22(1) proposé). Il serait compté une infraction distincte pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue toute contravention à ces paragraphes (paragraphe 22(2) proposé).

Le tribunal saisi d’une poursuite pour contravention aux paragraphes 11(1), 121) ou 13(1) pourrait, s’il est convaincu que le contrevenant a tiré des avantages financiers de la perpétration de celle-ci, lui infliger, en plus de l’amende maximale qui peut être infligée en vertu de l’article 22 proposé, une amende supplémentaire d’un montant qu’il juge égal à ces avantages (article 23 proposé).

En cas de perpétration par une personne morale d’une infraction à la Loi, ceux de ses dirigeants, administrateurs ou mandataires qui l’ont ordonnée ou autorisée ou qui y ont consenti ou participé, seraient considérés comme des co-auteurs de l’infraction et encourraient, sur déclaration de culpabilité, la peine prévue, que la personne morale ait été ou non poursuivie (article 24 proposé).

Dans les poursuites pour infraction à la Loi, il suffirait, pour établir la responsabilité pénale de l’accusé, d’établir que l’infraction a été commise par son employé ou son mandataire, que celui-ci ait été ou non identifié ou poursuivi. L’accusé pourrait se disculper en prouvant qu’il avait pris les mesures nécessaires pour empêcher l’infraction (article 25 proposé).

   I. Injonction

Si, sur demande présentée par un ministre, il conclut à l’existence, à l’imminence ou à la probabilité d’un fait constituant une infraction à la loi, ou tendant à sa perpétration, le tribunal compétent pourrait, par ordonnance, enjoindre à la personne nommée dans la demande : a) de s’abstenir de tout acte susceptible de constituer l’infraction; b) d’accomplir tout acte susceptible, selon lui, d’empêcher la perpétration de l’infraction (paragraphe 26(1) proposé). Toutefois, l’injonction serait subordonnée à la signification d’un préavis d’au moins 48 heures aux parties nommées dans la demande, sauf lorsque cela serait contraire à l’intérêt public en raison de l’urgence de la situation (paragraphe 26(2) proposé).

   J. Entrée en vigueur

Aux termes de l’article 2 du projet de loi, l’article 1 (articles 10 à 26 proposés de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales), ou telle des dispositions édictées par cet article, entreraient en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.

COMMENTAIRE(1)

Le 23 novembre 1999, le lendemain du dépôt du projet de loi C-15 à la Chambre des communes, M. Bill Blaikie, député, a attiré l’attention du gouvernement sur la motion suivante, qui avait été adoptée par la Chambre le 9 février 1999 :

Que, de l’avis de la Chambre le gouvernement devrait, en collaboration avec les provinces, imposer immédiatement un moratoire sur l’exportation de grandes quantités d’eau douce et sur les transferts entre bassins hydrographiques, et devrait présenter une mesure législative pour interdire les exportations de grandes quantités d’eau douce et les transferts entre bassins hydrographiques, afin d’affirmer le droit souverain du Canada de protéger, de préserver et de conserver des ressources en eau pour les générations futures.

Notant que le projet de loi ne reflétait pas exactement sa motion, M. Blaikie a demandé au gouvernement pourquoi il abandonnait maintenant « son engagement à l’égard d’un moratoire national sur les exportations de grandes quantités d’eau […] qu’il a appuyé il y a quelques mois à peine […] Pourquoi les Libéraux ne veulent-ils absolument pas reconnaître que, à cause de l’ALENA, ils sont incapables d’adopter les mesures qu’ils avaient dit vouloir prendre? »

Le ministre des Affaires étrangères, l’honorable Lloyd Axworthy, a répondu en partie :

[…] le projet de loi interdit le captage et le transfert de grandes quantités d’eau. Par contre, le gouvernement n’a pas suivi la recommandation du député et de certains de ses collègues de la côte ouest qui voudraient transformer cela en une question commerciale, ce qui entraînerait une série de mesures commerciales qui enlèveraient au Canada la possibilité de protéger ses eaux.

Le gouvernement a abordé précisément cette question dans son document d’information sur le projet de loi C-15. Il a déclaré publiquement qu’il est d’accord que des mesures doivent être prises pour protéger l’intégrité de ressources en eau du Canada, mais qu’il estime que cet objectif sera mieux atteint dans le cadre de sa stratégie visant à interdire le captage et le transfert de grandes quantités d’eau de tous les grands bassins hydrographiques du Canada. De l’avis du gouvernement, cette interdiction vaudrait mieux que d’interdire les exportations « parce qu’il s’agit d’une mesure plus complète, respectueuse de l’environnement, et conforme au partage des compétences défini par la Constitution et aux obligations du Canada en matière de commerce international. […] L’eau est protégée dans son bassin hydrographique avant que la question de son exportation ne se pose ». De l’avis du gouvernement, il s’agit d’une mesure de protection de l’environnement d’application générale visant à préserver l’intégrité des écosystèmes. Elle protégerait l’eau à sa source en prévenant son transfert en grandes quantités à l’extérieur du bassin par toute partie, canadienne ou étrangère. Comme il a déjà été mentionné, chaque niveau de gouvernement aurait la responsabilité, aux termes de l’accord pancanadien que le gouvernement fédéral cherche à obtenir de toutes les provinces et territoires, de prendre les mesures qui s’imposent pour interdire le prélèvement de grandes quantités d’eau relevant de sa compétence. L’eau serait ainsi réglementée dans son état naturel, avant d’être considérée comme une marchandise ou un produit commercialisable. Le gouvernement fédéral maintient que cela ne contrevient pas aux obligations commerciales du Canada et à la déclaration de 1993 des trois pays de l’ALENA :

L’ALENA ne confère de droits sur les ressources naturelles en eau d’aucune des parties. […] Rien dans l’accord n’obligerait une des parties à exploiter ses eaux à des fins commerciales ou à entreprendre de les exporter sous quelque forme que ce soit. L’eau à l’état naturel, dans les lacs, cours d’eau, réservoirs, aquifères, bassins hydrographiques et autres, ne constitue pas une marchandise, n’est pas commercialisable et, par conséquent, elle ne fait pas et n’a jamais fait l’objet de dispositions d’aucun accord.

À l’argument voulant qu’il impose une interdiction légale immédiate à toute exportation d’eau canadienne, le gouvernement fédéral répond que cette solution apparemment simple et commode « ne met pas l’accent sur la dimension environnementale, comporte d’éventuelles limitations pour des motifs constitutionnels et peut être contestée sur le plan commercial ». Le gouvernement maintient qu’une interdiction de l’exportation « viserait l’eau une fois qu’elle est devenue un bien et est, de fait, assujettie aux accords commerciaux internationaux. Comme ces accords limitent la capacité des gouvernements de contrôler les exportations de biens, interdire les exportations pourrait être contraire aux obligations commerciales internationales du Canada. Cette mesure diverge de manière marquée de l’approche retenue par le gouvernement fédéral ».

Le gouvernement fédéral a fait remarquer que sa stratégie est, pour ce qui est des implications commerciales, conforme aux conclusions auxquelles est arrivée la Commission mixte internationale (CMI) dans son rapport provisoire sur la protection de l’eau des Grands Lacs (août 1999). La CMI a affirmé que « il semblerait peu vraisemblable que l’eau dans son état naturel (p. ex., dans les lacs, cours d’eau ou aquifères) soit visée par un de ces accords commerciaux car ce n’est pas un produit ou un bien […] ». De plus, le gouvernement souligne que, lors d’une audience publique de la CMI à Ottawa le 13 octobre, deux experts en droit commercial indépendants se sont dits d’accord avec le point de vue du gouvernement fédéral pour toutes les grandes questions de politique commerciale.

Dans un essai intitulé « Ottawa’s Leaky Water Policy », paru dans le Globe and Mail du 18 novembre 1999, Maude Barlow, présidente nationale du Conseil des Canadiens(2), faisait remarquer que les ministres de l’Environnement fédéral et provinciaux se rencontreraient bientôt à Kananaskis, en Alberta, pour discuter d’un projet d’accord pancanadien du gouvernement fédéral sur le prélèvement de grandes quantités d’eau dans les bassins hydrographiques du Canada. Elle a exhorté les provinces à ne pas signer ce document si elles ont à cœur de protéger les eaux canadiennes contre leur exportation commerciale. Elle a notamment déclaré :

Le gouvernement fédéral essaie de se défiler des ses responsabilités. Un accord volontaire ne serait que — volontaire — et n’engagerait sérieusement aucune province à protéger maintenant ou dans l’avenir ses ressources en eau. De plus, même si la responsabilité de l’eau douce est essentiellement de compétence provinciale, le commerce international relève du gouvernement fédéral. Seul le gouvernement fédéral a compétence pour imposer une interdiction nationale importante sur les exportations d’eau et peut mettre fin à la menace commerciale qu’il a fait peser sur les provinces (traduction).

Mme Barlow prétend que certaines dispositions importantes de l’ALENA menacent les eaux canadiennes. Elle soutient que si une seule province révoquait son interdiction et entreprenait d’exporter de l’eau, les interdictions des autres provinces feraient l’objet de contestations de la part des compagnies désireuses d’acheter de l’eau canadienne. Selon elle, le gouvernement fédéral doit imposer une interdiction générale exécutoire sur les exportations d’eau à grande échelle et chercher à soustraire l’eau de tout accord commercial pernicieux [comme l’ALENA et le GATT] qui aurait pour effet de privatiser et de commercialiser nos précieuses ressources en eau, et de les vendre sur le marché mondial libre au meilleur offrant.

Le gouvernement fédéral est d’avis contraire. Il soutient que rien dans les obligations commerciales internationales du Canada n’exige que les projets futurs de prélèvement de grandes quantités d’eau à des fins d’exportation soient approuvés au seul motif que des projets antérieurs de ce genre ont été approuvés. Notant que les gouvernements canadiens, fédéral et provinciaux, conservent leur pleine souveraineté sur l’eau au Canada, le gouvernement déclare que « le principal argument est que l’eau dans son état naturel n’est pas une marchandise et qu’elle n’est donc pas visée par les dispositions des accords commerciaux ». Il maintient que « selon les obligations du Canada en matière de commerce international, le fait que certains projets aient été approuvés ne signifie nullement que des projets futurs de prélèvement d’eau en vrac pour l’exportation doivent l’être aussi (par lui ou par un autre gouvernement au sein du Canada) ». Selon le gouvernement, tout précédent dû à l’approbation d’un projet d’exportation d’eau aurait une portée limitée à la province concernée et serait lié à la législation qui a permis le prélèvement d’eau pour exportation, non à des accords commerciaux. Le gouvernement fédéral maintient qu’une province pourrait même modifier sa loi afin d’interdire le prélèvement d’eau en grandes quantités à condition de le faire sans discrimination à l’égard de la nationalité dans la façon de traiter les demandes (provenant par exemple d’investisseurs).

Selon les communiqués de presse émis lors de la conférence du Conseil canadien des ministres de l’Environnement tenue à Kananaskis, en Alberta, les 29 et 30 novembre 1999, tous les ministres étaient d’avis qu’on mette les eaux douces du Canada à l’abri de l’exploitation commerciale. Même si plusieurs provinces, dont l’Alberta et la Colombie-Britannique, avaient imposé auparavant des interdictions de prélever des quantités importantes d’eau dans les bassins hydrographiques de leur compétence, cinq provinces ont refusé d’adhérer à l’accord. La Colombie-Britannique, l’Alberta et le Québec se sont opposées pour des motifs précis, alors que le Manitoba et la Saskatchewan ont demandé plus de temps pour l’étudier. Le ministre de l’Environnement de la Colombie-Britannique a souligné que l’accord ne prévoit pas une interdiction fédérale sur les exportations d’eau, un élément qu’elle juge nécessaire pour mettre l’eau à l’abri des sociétés ayant l’intention de faire appel au droit commercial international pour obtenir des droits d’exportation. Le ministre de l’Environnement de l’Alberta a dit ne pas aimer le préambule de l’accord qui indique qu’il faut agir suivant le « principe de prudence ». Le Québec s’est opposé pour des motifs constitutionnels, soutenant que l’action du gouvernement fédéral visant à protéger les eaux limitrophes internationales nuisait au contrôle que la province entend exercer sur ses ressources. Le ministre fédéral de l’Environnement, l’honorable David Anderson, a déclaré aux journalistes qu’il tentera de résoudre les questions provinciales à temps pour la rencontre des ministres sur le réexamen de l’accord au printemps 2000.


(1) Pour une analyse plus détaillée de certains des points abordés, consulter : David Johansen, Les exportations d’eau et l’ALENA, Bibliothèque du Parlement, PRB 99-5F, 8 mars 1999.

(2) Le Conseil des Canadiens est un organisme de surveillance des citoyens, fondé en 1985, qui s’est distingué par sa lutte contre le libre-échange.