LS-377F

 

PROJET DE LOI S-2 : LOI SUR LA RESPONSABILITÉ
EN MATIÈRE MARITIME

 

Rédaction :
David Johansen
Division du droit et du gouvernement
Le 5 février 2001

     


 

HISTORIQUE DU PROJET DE LOI S-2

 

CHAMBRE DES COMMUNES

SÉNAT

Étape du Projet de loi Date Étape du projet de loi Date
Première lecture : 2 février 2001 Première lecture : 31 janvier 2001
Deuxième lecture : 23 février 2001 Deuxième lecture : 31 janvier 2001
Rapport du comité : 2 avril 2001 Rapport du comité :  
Étape du rapport : 8 mai 2001 Étape du rapport :  
Troisième lecture : 9 mai 2001 Troisième lecture : 31 janvier 2001


Sanction royale : 10 mai 2001
Lois du Canada  2001, chapitre 6







N.B. Dans ce résumé législatif, tout changement d'importance depuis la dernière publicaiton est indiqué en caractères gras.

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A.  Partie 1 –   Blessures corporelles et accidents mortels (articles 4-14)

   B.  Partie 2 –   Partage de la responsabilité (articles 15-23)

   C.  Partie 3 –    Limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (articles 24-34)

   D.  Partie 4 –    Responsabilité en matière de transport de passagers par eau (articles 35-40)

   E.  Partie 5 –    Responsabilité en matière de transport de marchandises par eau (articles 41-46)

   F.  Partie 6 –    Responsabilité et indemnisation en matière de pollution (articles 47-105)

   G.  Partie 7 –    Validité de certains règlements (articles 106-107)

   H.  Partie 8 –    Disposition transitoire, modifications corrélatives, modification conditionnelle,
                          
abrogation et entrée en vigueur (articles 108-131) 

COMMENTAIRE


PROJET DE LOI S-2 :  LOI SUR LA RESPONSABILITÉ
EN MATIÈRE MARITIME

CONTEXTE

Le 31 janvier 2001, le projet de loi S-2 : Loi sur la responsabilité en matière maritime, a été déposé au Sénat par l’honorable Fernand Robichaud, leader adjoint du gouvernement au Sénat(1).

La législation canadienne actuelle du transport maritime comprend plusieurs régimes qui régissent la responsabilité civile des propriétaires de navires et chargeurs canadiens et étrangers, ainsi que leur responsabilité à l’égard des dommages aux biens et à l’environnement ou des décès et blessures d’autrui qui surviennent au cours d’activités maritimes.  Ces régimes visent donc les conséquences économiques et juridiques des accidents maritimes.  Ils sont habituellement fondés sur des conventions internationales qui cherchent à harmoniser le droit international et les pratiques des différents États afin d’appliquer des règles uniformes dans l’industrie maritime internationale.  Au fil des ans, le Canada a incorporé les dispositions de ces conventions dans diverses lois.

Le projet de loi S-2 refondrait les régimes de responsabilité existants en matière maritime (accidents mortels; limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes; responsabilité civile lors du transport de marchandises par eau; responsabilité civile et indemnisation pour les dommages dus à la pollution) en une seule loi qui comprendrait aussi deux nouveaux régimes : le régime de responsabilité civile des propriétaires de navires envers les passagers et le régime de partage de la responsabilité applicable à tous les délits régis par le droit maritime canadien.  En outre, le projet de loi validerait rétroactivement certains règlements pris sous le régime de la Loi sur la Société canadienne des ports et d’autres pris sous le régime de la Loi sur le pilotage.  Les dispositions de validation sont de nature strictement administrative et sont sans rapport avec les régimes de responsabilité civile prévus dans le projet de loi.

Lorsqu’il a annoncé le dépôt du projet de loi au Sénat, l’honorable David Collenette, ministre des Transports, a déclaré : « [Ce projet de loi] représente une étape logique qui améliore la structure et la compréhension de la législation canadienne des régimes de responsabilité en matière maritime et, en même temps, fait avancer la cause de la simplification de la Loi sur la marine marchande du Canada ». 

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A.  Partie 1 – Blessures corporelles et accidents mortels (articles 4-14)

D’après des documents du Ministère, jusqu’à la décision rendue en 1993 par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Shulman c. McCallum, il était entendu que les parents d’une personne décédée dans un accident maritime pouvaient intenter des poursuites en vertu de la partie XIV de la Loi sur la marine marchande du Canada (qui vise les accidents mortels) ou des lois provinciales traitant des accidents mortels.  En 1998, toutefois, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Ordon c. Grail que le droit de réclamer pour un décès survenu dans un contexte maritime et causé par la faute d’autrui, ou pour des lésions corporelles résultant d’accidents maritimes, est basé uniquement sur le droit maritime fédéral et non sur le droit provincial.  La Cour suprême a décidé que le droit maritime canadien était un corpus de règles de droit distinct et uniforme dans tout le Canada, qui comprend des règles de droit spécifiques de l’amirauté et dérivées du droit maritime international, de la common law britannique et du droit civil.  Comme il est maintenant clair que le Parlement a compétence exclusive en matière de réclamations en responsabilité civile délictuelle en cas de décès ou de blessures résultant d’accidents maritimes, la mise à jour de la législation fédérale est devenue prioritaire pour Transports Canada.

La partie 1 du projet de loi réédicterait essentiellement les dispositions de la partie XIV de la Loi sur la marine marchande du Canada visant les accidents mortels, les révisant de manière à donner effet aux divers arrêts pertinents de la Cour suprême du Canada. En particulier, elle mettrait à jour le droit maritime canadien pour mieux refléter l’évolution des lois provinciales traitant des accidents mortels; confirmer que les réclamations pour décès ou blessures causés par la faute d’autrui peuvent être formées tant contre les personnes que contre les navires; donner effet aux droits des parents des personnes décédées ou blessées de réclamer pour perte de soins, de conseils et de compagnie; et moderniser le texte de la loi.  Les modifications proposées ont déjà été présentées dans le projet de loi C-73 : Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada et d’autres lois en conséquence (2e session, 35e législature), qui est mort au Feuilleton en avril 1997 à la dissolution du Parlement.

La partie 1 ne s’appliquerait qu’aux réclamations présentées sous le régime du droit maritime canadien (au sens de la Loi sur la Cour fédérale) ou au titre de toute autre règle de droit canadienne liée à la navigation et à la marine marchande (article 5).

Si quiconque décédait ou était blessé par suite de la faute ou de la négligence d’autrui dans des circonstances lui donnant le droit de réclamer des dommages-intérêts, les personnes à sa charge auraient aussi le droit de poursuivre pour obtenir réparation de ce qu’elles auraient elles-mêmes perdu (paragraphes 6(1) et (2)).  Les dommages-intérêts recouvrables par une personne à charge pourraient comprendre une indemnité compensatoire pour la perte des conseils, des soins et de la compagnie auxquels elle aurait été en droit de s’attendre de la personne blessée ou décédée si l’incident ne s’était pas produit, ainsi que toute somme pour laquelle une autorité publique pourrait être subrogée relativement aux paiements effectués à la personne blessée ou décédée ou à la personne à sa charge ou pour leur compte (paragraphe 6(3)).  Les dommages-intérêts ne pourraient être réduits du montant du produit d’une assurance-vie (paragraphe 6(4)).  Les dommages-intérêts recouvrables par une personne à charge seraient assujettis à la règle générale du partage de la responsabilité, énoncée  à la partie 2 du projet de loi (paragraphe 6(5)).

Les dommages-intérêts seraient adjugés en fonction des pertes occasionnées aux personnes à charge par les blessures ou le décès et ils seraient répartis entre elles dans les proportions fixées par le tribunal (article 7).   La personne contre qui une action serait intentée sous le régime de la partie 1 du projet de loi pourrait verser au tribunal une somme à titre d’indemnité pour toutes les personnes y ayant droit, sans préciser la part attribuable à chacune (article 8).  Le tribunal, à sa discrétion, pourrait différer le versement de toute somme à laquelle a droit une personne âgée de moins de 18 ans ou frappée d’une incapacité légale, en ordonner le paiement sur la somme versée au tribunal au titre de l’article 8, ou rendre toute autre ordonnance dans l’intérêt de cette personne (article 9).

Une action fondée sur la partie 1 devrait être à l’avantage des personnes à charge de  la personne blessée ou décédée (paragraphe 10(1)).  Une action fondée sur le paragraphe 6(2) devrait être intentée par l’exécuteur testamentaire ou l’administrateur de la personne décédée.  Si aucune action n’était intentée dans les six mois suivant le décès ou s’il n’y avait ni exécuteur testamentaire ni administrateur, l’action pourrait être intentée par l’une ou l’autre des personnes à charge du défunt et serait généralement assujettie à la même procédure que si elle avait été intentée par l’exécuteur testamentaire ou l’administrateur (paragraphe 10(2)).

La personne qui intenterait une action en vertu de la partie 1 devrait prendre des mesures raisonnables pour identifier et joindre comme parties à l’action les personnes qui auraient droit ou prétendraient avoir droit à des dommages-intérêts en tant que personnes à charge de la personne blessée ou décédée, et énoncer dans sa déclaration les motifs à l’appui de la réclamation de chacune de ces personnes à charge (article 11).

Les réclamations multiples présentées pour le compte des personnes à charge d’une personne blessée ou décédée pourraient être jointes ou instruites ensemble devant le même tribunal à la demande d’une des parties (article 12).  Lorsque des actions auraient été intentées pour le compte de deux ou plusieurs personnes prétendant avoir droit à des dommages-intérêts en vertu de la partie 1 parce qu’elles seraient des personnes à charge d’une personne blessée ou décédée, le tribunal pourrait rendre l’ordonnance ou la décision qu’il jugerait équitable (article 13). 

Toute action fondée sur la partie 1 du projet de loi se prescrirait par deux ans (article 14).

   B.  Partie 2 – Partage de la responsabilité (articles 15-23)

Selon les documents du Ministère, deux règles de common law ont toujours causé une grande inquiétude à cause de leur application possible aux réclamations pour négligence en matière maritime au Canada.  Premièrement, la négligence contributive, utilisée dans la common law à titre de défense, empêche le réclamant de recouvrer un quelconque montant si le défendeur est à même de prouver que le réclamant a contribué un tant soit peu aux dommages. Deuxièmement, un défendeur reconnu responsable de dommages-intérêts à l’endroit d’un réclamant, ne peut pas réclamer une contribution aux tiers susceptibles d’avoir contribué à la perte du réclamant.

Au début des années 20, les provinces de common law avaient reconnu, en vertu de leur pouvoir constitutionnel sur « la propriété et les droits civils », la sévérité des règles dépassées de la common law et les avaient remplacées par des dispositions législatives qui autorisaient les tribunaux à partager la responsabilité et à permettre aux parties aux litiges de réclamer une contribution et une indemnité à des tiers.  Le Code civil du Québec a toujours reconnu ces droits.  Toutefois, le fédéral n’a jamais édicté de lois semblables à celles des provinces sur le partage, sauf pour les dommages causés par des abordages.  Il subsiste pourtant, dans le domaine maritime, nombre de réclamations pour décès, blessures corporelles et dommages matériels qui ne découlent pas d’abordages.

Avant les années 70, la loi ne précisait pas si les tribunaux pouvaient appliquer aux réclamations en droit maritime les lois provinciales sur le partage de la responsabilité.  Dans certains cas, les tribunaux appliquaient la vieille et dure règle de common law en statuant que les lois provinciales ne pouvaient s’appliquer aux réclamations pour négligence résultant de la navigation et de la marine marchande puisque, en vertu de la Constitution, ces affaires étaient de compétence fédérale.

Dans ses arrêts Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd. (1997) et Ordon c. Grail (1998), la Cour suprême du Canada a statué que les lois provinciales sur le partage de la responsabilité ne s’appliquaient pas aux réclamations pour négligence en matière maritime et qu’il serait injuste de continuer à leur appliquer les vieilles règles de common law.  À la lumière de ces décisions, le Ministère estime qu’une nouvelle loi s’impose pour établir une série de règles uniformes qui s’appliqueraient à tous les délits civils régis par le droit maritime canadien et qui élimineraient donc l’incertitude actuelle au sujet du fondement juridique du partage de la responsabilité dans les causes en droit maritime.  En conséquence, pour la première fois en droit canadien, la partie 2 du projet de loi établirait un nouveau régime uniforme de partage de la responsabilité applicable à tous les délits civils relevant du droit maritime canadien.

Pour l’application de la partie 2, le « revenu » comprendrait toute somme versée par les chargeurs pour faire transporter des marchandises (fret), les tarifs payés par les passagers (prix de passage) et l’argent remis pour utiliser un navire (droit de louage) (paragraphe 15(1)). Aux termes du paragraphe 15(2), toute mention de la perte causée par une faute ou une négligence imputable à un navire serait réputée inclure toute indemnité de sauvetage et tous autres frais résultant de cette faute ou négligence, sauf une faute visée au paragraphe 17(3) dont il est question ci-après.

La partie 2 s’appliquerait à toute mesure de redressement demandée ou à toute réclamation présentée sous le régime du droit maritime canadien (au sens de la Loi sur la Cour fédérale) ou au titre de toute autre règle de droit canadienne liée à la navigation et à la marine marchande (article 16).

En vertu de l’article 17, si des pertes étaient imputables à deux ou plusieurs personnes ou navires, la responsabilité de chacun serait proportionnelle à sa faute ou négligence. S’il était impossible de déterminer les différents degrés de faute ou négligence, tous seraient également responsables (paragraphe 17(1)).  Les personnes ou navires fautifs ou négligents seraient solidairement responsables envers les personnes ou navires ayant subi la perte, à charge de compensation entre eux en proportion de leur faute ou négligence respective (paragraphe 17(2)). La responsabilité de compenser une perte ne serait pas solidaire, toutefois, si la faute ou la négligence de deux ou plusieurs navires entraînait une perte pour un ou plusieurs de ces navires, pour leur cargaison ou d’autres biens à bord ou leur causait une perte de revenus (paragraphe 17(3)).  Pour l’application de l’article 17, toute mention de la responsabilité d’un navire fautif ou négligent comprendrait la responsabilité de toute personne responsable de la navigation et de la gestion du navire ou de toute autre personne responsable de la faute ou de la négligence du navire (paragraphe 17(4)).

Quiconque serait en droit, en vertu de la partie 2, de réclamer une contribution ou une indemnité à toute personne ou à tout navire qui serait ou pourrait être tenu responsable d’une perte, pourrait a) joindre cette personne ou ce navire comme partie à l’instance devant un tribunal judiciaire, administratif ou arbitral compétent, en conformité avec les règles de procédure ou la convention d’arbitrage applicables; b) intenter une procédure devant un tel tribunal; c) en cas de transaction entre la personne ou le navire et la personne ayant subi la perte, intenter une procédure devant un tel tribunal (article 18).  Le tribunal saisi d’une procédure intentée ou continuée en vertu de l’alinéa 18c) pourrait refuser l’octroi des dommages-intérêts ou en rajuster le montant accordé s’il n’était pas convaincu que la transaction était raisonnable (article 19).  Toute demande de contribution ou d’indemnité se prescrirait par un an à compter de la date du jugement rendu ou de la transaction, selon le cas (paragraphe 20(1)).  Une réclamation fondée sur l’article 18, toutefois, ne pourrait être rejetée pour cause de prescription ou d’obligation de notification applicable à la demande initiale de contribution ou d’indemnité (paragraphe 20(2)).

La partie 2 s’appliquerait même si la personne qui avait subi une perte avait eu la possibilité de l’éviter mais ne l’avait pas fait (article 21).  Les recours conférés par la partie 2 à la personne ou au navire qui serait tenu responsable ou qui conclurait une transaction seraient assujettis à tout contrat existant entre cette personne ou ce navire et la personne à qui la contribution ou l’indemnité serait demandée (article 22).

Les réclamations découlant d’un abordage se prescriront par deux ans (paragraphe 23(1)).  Cependant, tout tribunal compétent pour juger une telle action pourrait, en conformité avec ses règles, proroger le délai de prescription de deux ans dans la mesure et aux conditions qu’il jugerait convenables (alinéa 23(2)a)).  Le tribunal pourrait aussi proroger le délai s’il était convaincu qu’au cours des deux années, il n’y avait eu aucune occasion raisonnable de saisir le navire soit dans les limites d’une province ou du Canada, soit dans les eaux territoriales du pays où le demandeur réside ou a son principal établissement, soit dans les eaux territoriales du pays dont le navire bat pavillon (alinéa 23(2)b)).  Pour l’application de l’article 23, un « propriétaire » s’entendrait de toute personne responsable de la navigation et de la gestion d’un navire ou de toute autre personne responsable de la faute ou de la négligence du navire (paragraphe 23(3)).

   C.  Partie 3 – Limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (articles 24-34)

La partie 3 du projet de loi réédicterait de façon générale les dispositions actuelles de la partie IX de la Loi sur la marine marchande du Canada qui traitent de la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (articles 574-584) et qui sont fondées sur la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes dans sa version modifiée par le Protocole de 1996. Le droit à la limitation, les limites de la responsabilité et le fonds de limitation constituent les éléments clés de la Convention, dont les dispositions pertinentes (articles 1 à 15 et 18) et celles de son Protocole de 1996 (articles 8 et 9) figurent à l’annexe 1 du projet de loi.

Le régime actuel permet aux propriétaires de navires de limiter le montant de leur responsabilité financière pour certains types de dommages survenus en relation directe avec l’exploitation d’un navire.  Il s’applique à toutes les créances maritimes et à tous les navires, y compris les embarcations de plaisance, sauf une exception notable : les créances pour dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (ces créances sont présentement visées aux dispositions de la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada qui seraient réédictées à la partie 6 du projet de loi). 

   D.  Partie 4 – Responsabilité en matière de transport de passagers par eau (articles 35-40)

Selon la documentation du Ministère, à l’heure actuelle, aucune loi au Canada ne prescrit les critères de responsabilité des propriétaires de navires (transporteurs) pour le décès ou les blessures des passagers d’un navire.   La législation en vigueur ne prévoit qu’une limitation globale de la responsabilité en matière de créances maritimes, y compris les réclamations des passagers, sans préciser les critères pouvant servir à établir cette responsabilité.  Par conséquent, il incombe aux réclamants de faire la preuve de la responsabilité civile du transporteur de la manière prévue par les règles ordinaires de la négligence.

Aucune loi au Canada, à l’exception du Code civil du Québec (qui renferme des dispositions régissant le transport maritime exclusivement intraprovincial), n’empêche le propriétaire d’un navire d’ajouter une clause dans le contrat pour se dispenser de toute responsabilité civile en cas de décès ou de blessures dus à sa faute ou à sa négligence.  Le Ministère signale que cette pratique de « dispense » est courante au Canada et qu’en général, les transporteurs étrangers en activité au Canada se dispensent eux aussi de toute responsabilité ou limitent considérablement l’étendue de celle-ci.  Ces dispenses sont présentement nulles et non avenues aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne.   Elles ne figurent pas non plus généralement dans les contrats des autres modes de transport au Canada ou sont expressément interdites; ainsi, la responsabilité des transporteurs aériens envers leurs passagers est réglementée depuis longtemps par la Loi sur le transport aérien.

Il règne donc une grande incertitude au sujet de la détermination de la responsabilité des propriétaires de navires relative aux pertes de vie ou aux blessures corporelles des passagers.  Le Ministère craint apparemment qu’un désastre majeur au Canada ne provoque une vive réaction du public, qui s’attendrait que le gouvernement intervienne rapidement et résolument pour voir à ce que des indemnités suffisantes soient accordées.  En outre, il estime que l’avènement, sur les côtes Est et Ouest, de gros transbordeurs de véhicules pouvant transporter de nombreux de passagers et la popularité croissante des croisières en eaux canadiennes et étrangères confirment l’urgence de régler le problème de la responsabilité civile dans le transport de passagers par eau.  Le Ministère note aussi que l’absence d’un régime de responsabilité civile envers les passagers suscite une inquiétude encore plus pressante depuis les accidents tragiques survenus récemment dans les eaux européennes.

En conséquence, le projet de loi propose, à sa partie 4, d’établir un nouveau régime de responsabilité des propriétaires de navires envers les passagers pour s’assurer qu’en cas de pertes, en particulier de pertes importantes, les réclamants seront certains d’être indemnisés, au moins jusqu’à un certain point.  Le régime s’inspirerait de la Convention d’Athènes relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, conclue à Athènes le 13 décembre 1974 et modifiée par le Protocole de 1990 pour actualiser les limites de la responsabilité.  Selon les documents du Ministère, cette convention est le modèle de loin le plus fréquemment utilisé par les pays pour leurs lois dans le domaine maritime.  La partie 4 du projet de loi avait déjà été présentée dans le projet de loi C-59 : Loi sur le transport de passagers par eau (2e session, 35e législature), qui est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement en avril 1997.

Pour l’application de la partie 4, l’article 35 définirait « Convention » comme étant la Convention de 1974 susmentionnée et « Protocole » comme étant le Protocole de 1990 modifiant la Convention.  Les articles 1 à 22 de la Convention, qui sont pertinents, figurent à la partie 1 de l’annexe 2 du projet de loi tandis que les articles III et VIII du Protocole figurent à la partie 2 de l’annexe 2.  La Convention s’applique aux créances maritimes pour décès ou lésions corporelles et ses éléments clés sont le fondement de la responsabilité, la limitation de la responsabilité et les moyens de défense des propriétaires de navires.

L’article 36 étendrait le sens de certaines expressions définies dans la Convention.  Ainsi, la définition de « navire » serait étendue afin que la Convention s’applique non seulement aux navires de mer, mais aussi à tous les navires utilisés sur les lacs et dans les eaux intérieures du Canada.  La définition de « contrat de transport » serait étendue afin que la Convention s’applique aux contrats de transport de passagers et de leurs bagages en eau douce. De plus, pour l’application de la Convention à l’égard de la partie 4, l’article 19 de la Convention (qui met en corrélation la Convention d’Athènes et les autres conventions internationales sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires) s’appliquerait aux propriétaires de tout navire, de mer ou non.

Le paragraphe 37(1) du projet de loi donnerait force de loi au Canada aux articles 1 à 22 de la Convention.  L’article 18 de la Convention interdit expressément toute exonération par stipulation contractuelle.  Le paragraphe 37(2) du projet de loi étendrait l’application de la Convention au transport par eau – prévu par un contrat de transport – de passagers et de leurs bagages d’un lieu au Canada à tout lieu au Canada, que ce soit directement ou en passant par un lieu à l’extérieur du Canada, et le transport par eau de passagers et de leurs bagages sans contrat de transport.  Une exception serait prévue pour le capitaine du navire, les membres d’équipage, toute autre personne employée ou occupée à bord, en quelque qualité que ce soit, pour les affaires du navire, et toute personne transportée à bord d’un navire autre qu’un navire utilisé à des fins commerciales ou publiques.

Pour l’application de la Convention, le Canada serait un État partie à la Convention (article 38).

Le gouverneur en conseil pourrait, par règlement, obliger à contracter une assurance ou une autre garantie financière pour couvrir la responsabilité envers les passagers, visée à la partie 4 (article 39).  Il pourrait aussi déclarer par décret qu’une modification, faite en conformité avec l’article VIII du Protocole, des limites de responsabilité prévues au paragraphe 7(1) ou à l’article 8 de la Convention aurait force de loi au Canada (article 40).

   E.  Partie 5 – Responsabilité en matière de transport de marchandises par eau (articles 41-46)

La Loi sur le transport de marchandises par eau s’applique à toutes les activités entre le Canada et les autres pays adhérant aux règles de La Haye-Visby qui font partie de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles le 25 août 1924, et de ses Protocoles de 1968 et 1979.  La Loi s’applique également, mais avec certaines adaptations, au transport intérieur de marchandises par eau.  Elle prévoit aussi le remplacement éventuel des règles de La Haye-Visby par celles de Hambourg qui font partie de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, conclue à Hambourg le 31 mars 1978.  Les deux conventions s’appliquent aux créances maritimes pour les marchandises perdues ou endommagées et elles ont pour éléments clés le fondement de la responsabilité, la limitation de la responsabilité et les moyens de défense des propriétaires de navires.   Selon la documentation du ministère, comme les règles de La Haye-Visby, à la différence des règles de Hambourg, ne renferment aucune clause de juridiction,  certains problèmes se sont présentés lorsque des clauses de juridiction étrangère incluses dans des connaissements ont empêché le règlement ou l’arbitrage d’un litige au Canada.  Une modification s’impose donc pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipule que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger.

La partie 5 du projet de loi S-2 réédicterait les dispositions actuelles de la Loi sur le transport de marchandises par eau visant l’application au Canada des règles de La Haye-Visby (qui figurent à l’annexe 3 du projet de loi) et la mise en œuvre éventuelle des règles de Hambourg (figurant à l’annexe 4 du projet de loi).  Les règles de Hambourg n’auraient force de loi qu’à la date fixée par décret pour l’entrée en vigueur de l’article 45 du projet de loi (paragraphe 131(2)); après cette date, selon le paragraphe 43(4) du projet de loi, les règles La Haye-Visby ne s’appliqueraient plus.  Toutefois, une nouvelle disposition, qui ne se trouve pas dans les règles de La Haye-Visby, serait adoptée pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipulerait que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger.  Selon le paragraphe 46(1), si un contrat de transport de marchandises par eau non assujetti aux règles de Hambourg stipulait qu’une créance découlant du contrat devait être soumise à une cour de justice ou à l’arbitrage dans un lieu situé à l’étranger, le réclamant pourrait néanmoins intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent pour connaître de la créance si le contrat prévoyait le renvoi de celle-ci au Canada.  La disposition s’appliquerait si le port de chargement ou de déchargement prévu au contrat ou effectif était situé au Canada; si la partie contre laquelle la créance était présentée avait au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence; ou si le contrat avait été passé au Canada.   Le paragraphe 46(2) prévoit que, malgré le paragraphe 46(1), les parties à un contrat visé à ce dernier paragraphe pourraient désigner d’un commun accord, postérieurement à la créance née d’un contrat, le lieu où le réclamant pourrait intenter une procédure judiciaire ou arbitrale.

   F.  Partie 6 – Responsabilité et indemnisation en matière de pollution (articles 47-105)

La partie 6 prorogerait le régime actuel de responsabilité civile et d’indemnisation en matière de pollution marine par les hydrocarbures.   Elle réédicterait les dispositions en vigueur de la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada (articles 673-727) fondées sur deux conventions internationales : la Convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et la Convention internationale de 1971 portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, toutes deux modifiées par des Protocoles en 1976 et 1992.  Les dispositions actuelles régissant la responsabilité et l’indemnisation en matière de pollution marine par les hydrocarbures ont été modifiées en 1998.  Le projet de loi S-2 ne propose aucune modification du régime à l’exception d’une nouvelle disposition visant à l’adapter à la technologie moderne utilisée pour l’exploration pétrolière en mer.  Cette disposition prévoirait que la partie 6 du projet de loi ne s’appliquerait pas à une unité flottante de stockage ou à une unité flottante de production, de stockage et de déchargement sauf si elle transportait des hydrocarbures comme cargaison entre ports ou terminaux à l’extérieur des limites d’un champ pétrolifère extracôtier (paragraphe 49(2)).

   G.  Partie 7 – Validité de certains règlements (articles 106-107) 

La partie 7 ne se compose que de mesures de nature strictement administrative qui ne sont pas reliées aux régimes de responsabilité civile en matière maritime, thème principal du projet de loi.

Des erreurs techniques seraient corrigées par la validation rétroactive de certains règlements pris sous le régime de la Loi sur la Société canadienne des ports entre 1983 et 1985, pour hausser les droits de ports (article 106) et d’un règlement de 1994 pris en vertu de la Loi sur le pilotage pour majorer les tarifs perçus pendant une période de trois mois par l’Administration de pilotage des Laurentides (article 107).  Ces dispositions dissiperaient toute ambiguïté au sujet de la validité de la majoration des droits de ports et des tarifs de l’Administration de pilotage des Laurentides perçus par les administrations compétentes.

   H.  Partie 8 – Disposition transitoire, modifications corrélatives, modification conditionnelle,
                        abrogation et entrée en vigueur (articles 108-131)

La partie 8 renferme des dispositions transitoires et abrogatives, des modifications corrélatives et conditionnelles et des dispositions d’entrée en vigueur.

L’adoption du projet de loi entraînerait la modification de plusieurs autres lois et  l’abrogation de certaines dispositions d’autres lois.  Par exemple, l’article 125 du projet de loi abrogerait la partie XIV (articles 645-653) de la Loi sur la marine marchande du Canada qui vise les accidents mortels, puisque ces dispositions seraient révisées et réédictées à la partie 1 du projet de loi.  Les articles 126, 127 et 128 du projet de loi abrogeraient les articles 677 et 677.1, les articles 679 à 723 et 724 à 727, respectivement, à la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada (ayant trait à la responsabilité relative aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures), puisque les mêmes dispositions se retrouveraient à la partie 6 du projet de loi. Quelques autres dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada qui figureraient dans l’une ou l’autre des parties du projet de loi seraient aussi abrogées.  De même, la Loi sur le transport de marchandises par eau serait abrogée (article 130) parce que ses dispositions seraient réédictées à la partie 5 du projet de loi dans le cadre de la refonte des régimes de responsabilité civile en matière maritime.

Les dispositions des parties 2 à 5 du projet de loi (sauf l’article 45 se rapportant aux règles de Hambourg) et celles des parties 6 à 8 (sauf les articles 125 (abrogation de la partie XIV de la Loi sur la marine marchande du Canada) et 129) entreraient en vigueur 90 jours après la date de sanction royale du projet de loi ou à la date ou aux dates ultérieures fixées antérieurement par décret (paragraphe 131(1)).  La partie 1 du projet de loi et les articles 45 et 125 entreraient en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret (paragraphe 131(2)).

COMMENTAIRE

Le nouveau régime de responsabilité civile proposé pour le transport de passagers par eau, qui est énoncé à la partie 4 du projet de loi S-2 (et qui avait déjà été présenté dans le projet de loi C-59 : Loi sur le transport de passagers par eau (2e session, 35e législature), mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement en avril 1997), a fait l’objet de documents de travail qui ont servi de base à la consultation de l’industrie et des provinces.  Selon la documentation du ministère, aucune réaction négative n’a été notée et aucun problème n’a été soulevé avant la présentation du projet de loi C-59 ni après.   Parmi les principaux groupes intéressés se trouvent les propriétaires de navires, les passagers, les assureurs maritimes et le monde du droit maritime.

Les modifications qu’il est proposé d’apporter aux dispositions actuelles de la partie XIV de la Loi sur la marine marchande du Canada concernant les accidents mortels (qui seraient réédictées à la partie 1 du projet de loi) ont déjà été présentées dans le projet de loi C-73 (2e session, 35e législature), qui est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement en avril 1997, après avoir reçu l’appui général des principaux intéressés.

Le Ministère a souligné que toutes les provinces sauf le Québec ont fait savoir qu’elles approuvaient le nouveau régime proposé pour le partage de la responsabilité qui est énoncé à la partie 2 du projet de loi.  Le Québec a exprimé sa préférence pour l’incorporation par renvoi dans la loi fédérale des règles de droit provinciales sur la négligence contributive.  Le ministère a toutefois rappelé que cette solution allait à l’encontre de l’arrêt Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd. de la Cour suprême du Canada et qu’elle ne ralliait pas le monde du droit maritime parce qu’elle ne contribuerait pas à uniformiser le droit maritime canadien.

Enfin, d’après les documents du Ministère, l’initiative de refondre les différents régimes de responsabilité en une seule loi a fait l’objet de plusieurs consultations dans le cadre du projet de réforme de la Loi sur la marine marchande du Canada et elle a reçu l’appui de la majorité des intéressés.   De l’avis du Ministère, l’adoption d’une loi unique consacrée exclusivement aux régimes de responsabilité en matière maritime permettra d’éviter la prolifération de lois distinctes qui traitent de cette question et d’améliorer l’organisation des dispositions législatives ainsi que leur compréhension par les utilisateurs.


(1) Le projet de loi S-2 est pratiquement identique au projet de loi S-17, qui a été présenté au cours de la 2e session de la 36e législature, mais qui est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement.  La seule exception est l’article 4 (partie 1), qui comportait auparavant des définitions distinctes d’« enfant » et de « personne à charge », mais qui ne donne maintenant qu’une définition modifiée de « personne à charge ».