Direction de la recherche parlementaire


MR-121F

 

LES DÉFICITS BUDGÉTAIRES :
POURQUOI LES TENDANCES SONT-ELLES DIFFÉRENTES
AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS ?

Rédaction Marion G. Wrobel
Division de l'économie

Le 24 février 1994


LES DÉFICITS BUDGÉTAIRES :
POURQUOI LES TENDANCES SONT-ELLES DIFFÉRENTES
AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS ?

 

En janvier 1993, le Congressional Budget Office (CBO) (Bureau du budget du Congrès) prédisait que le déficit des États-Unis tournerait autour de 300 milliards de dollars américains jusqu'à la fin de l'exercice 1996(1), après quoi il subirait une forte augmentation qui le porterait à plus de 350 milliards à l'exercice 1998. Toujours d'après le CBO, le rapport du déficit au PIB commencerait par baisser, passant d'environ 5 p. 100 en 1992 à un peu moins de 4 p. 100 en 1995, puis progresserait de nouveau pour se chiffrer à 4,3 p. 100 en 1998. En février 1993, le Président a soumis au Congrès son projet de budget et ses projections du déficit. Il prévoyait qu'en raison de la série de compressions des dépenses et d'augmentations d'impôts contenues dans son projet, le déficit connaîtrait une baisse spectaculaire et serait ramené à 2,5 p. 100 du PIB d'ici l'exercice 1996. Selon lui, le rapport du déficit au PIB n'augmenterait pas avant l'exercice 1998 et même alors, très peu seulement.

La projection du déficit de cette année est encore plus optimiste. D'après le CBO et le projet de budget du Président, le déficit ne représentera que 2,4 p. 100 du PIB pour l'exercice 1995, soit environ la moitié de la proportion qu'il représentait à la fin de l'exercice 1992.

La situation au Canada est diamétralement opposée à celle des États-Unis. Le budget fédéral de 1993 prédisait une baisse soutenue du déficit de telle sorte que celui-ci devait représenter moins de 1 p. 100 du PIB en 1997-1998, contre 5 p. 100 en 1992. Or, c'est l'inverse qui se produit aujourd'hui. Au lieu de diminuer, le déficit a récemment grimpé à 6,4 p. 100 du PIB. On prévoit maintenant que le rapport du déficit au PIB pour 1993-1994 sera supérieur de près de 2 p. 100 du PIB à ce qui avait été prévu dans le budget de l'an dernier.

Aux États-Unis, le budget qui a été proposé par le Président l'an dernier, puis révisé et adopté par le Congrès, contenait une série de mesures de réduction du déficit qui devaient totaliser 500 milliards de dollars US sur cinq ans. Selon les données du CBO, dans les deux premières années du programme, ces mesures étaient presque toutes des augmentations d'impôts. Au Canada, dans le budget fédéral de l'an dernier, les compressions des dépenses ont été plus vastes et plus importantes que ce qui avait été annoncé dans l'Exposé économique et financier de décembre 1992. Elles étaient estimées à près de 29 milliards de dollars sur cinq ans.

Le budget des États-Unis de cette année ne contient pas beaucoup de nouvelles mesures de réduction du déficit. À l'opposé, le budget du Canada renferme de nouvelles mesures de réduction du déficit de 12 milliards de dollars au cours des trois prochaines années. Selon ces chiffres, il semblerait que les deux gouvernements ont pris cette année et l'an dernier des mesures à peu près équivalentes. Or, en un an, les perspectives financières des États-Unis se sont sensiblement améliorées, tandis que celles du Canada se sont détériorées (voir le graphique 1).

Le plan de réduction du déficit canadien reposait sur certaines hypothèses de base : frais de service de la dette stables grâce aux baisses considérables des taux d'intérêt, maîtrise des dépenses de programmes, augmentation des recettes au rythme de la reprise économique et forte croissance économique.

Il apparaît maintenant que le gouvernement ne maîtrise pas les dépenses de programmes autant qu'il l'avait pensé en 1993. Le budget de 1993 a sous-évalué les dépenses de programmes d'un montant moyen correspondant à 0,5 p. 100 du PIB pour chaque année depuis 1992-1993, et ces chiffres publiés sous-estiment les dépenses de programmes en raison de la récente réforme du système des prestations pour enfants.

Ce qui est encore plus important, cependant, c'est que les projections du déficit précédentes reposaient dans une large mesure sur des prévisions de croissance réelle de plus de 4 p. 100 par an, croissance qui générerait les recettes nécessaires à la réduction du déficit. Dans le budget de 1992, le gouvernement supposait que la croissance serait de 4,5 p. 100 en 1993. Cette prévision a été corrigée à la baisse dans le budget de l'an dernier, bien que le gouvernement ait continué de prédire une croissance réelle de plus de 4 p. 100 à partir de 1994. Dans le dernier budget, le gouvernement prévoit une croissance allant jusqu'à 3,8 p. 100, mais pas avant 1995 (voir le tableau 1). Le problème est donc évident : le gouvernement fédéral a péché par excès d'optimisme quant aux perspectives économiques à court terme du Canada, et ce faisant, il a surestimé l'augmentation de ses recettes.

En fait, l'augmentation des recettes n'a pas même suivi le rythme de la croissance de la production. De 1992-1993 à 1993-1994, les recettes budgétaires ont chuté de près de sept milliards de dollars, bien que l'activité économique ait, elle, progressé pendant cette période. Cette baisse a été imputable en bonne partie à des événements ponctuels, ainsi qu'à l'instauration du crédit d'impôt pour enfants, mesure qui a converti certaines dépenses de programmes en dépenses fiscales. Quoi qu'il en soit, ce que le ministère des Finances appelle ses recettes sous-jacentes a diminué en un an de l'équivalent de 0,4 p. 100 du PIB. Ce phénomène tient peut-être en partie à la lenteur de la reprise, et serait donc temporaire, ce que le gouvernement semble supposer dans le budget de 1994. Mais il pourrait aussi être causé partiellement par l'économie souterraine, et il risquerait alors d'être permanent ou à tout le moins de durer longtemps.

Par rapport aux années antérieures et à ce que l'on observe ailleurs dans le monde, le Canada a un faible taux d'inflation. Or, étant donné que le régime fiscal du pays n'est pas pleinement indexé, le gouvernement perd maintenant une partie des recettes qu'il tirait jusqu'alors de la « taxe à l'inflation », impôt qui peut être très lucratif lorsque taux d'inflation élevé et système d'impôt progressif se combinent. Selon des estimations du ministère des Finances, une baisse d'un point du taux d'inflation entraîne immédiatement une augmentation du déficit d'un peu moins de 1,3 milliards de dollars.

S'il y a généralement un lien direct et positif entre les recettes et le PIB nominal, il en va autrement des programmes de dépenses. Très peu de ces programmes sont pleinement indexés. Ceux qui sont assujettis à la demande, comme les programmes de soutien du revenu, augmentent lorsque la croissance économique ralentit. D'autres programmes peuvent fonctionner à court terme indépendamment de l'inflation ou du PIB nominal. Ainsi, un PIB nominal inopinément faible signifie des recettes inopinément faibles, des dépenses égales ou supérieures, et, par conséquent, des déficits inopinément élevés.

À l'exception d'un seul, tous les indicateurs économiques faisant l'objet de prévisions dans le budget de cette année contribuent à des déficits plus élevés. Les prévisions de croissance ont été corrigées à la baisse pour au moins trois ans, ce qui a un effet cumulatif substantiel. On s'attend maintenant que le taux de chômage diminue plus lentement. Et un bas taux d'inflation, quoique bon pour l'économie à long terme, peut avoir à court terme des effets fâcheux sur le déficit budgétaire. La seule note optimiste pour ce qui est du déficit dans le budget de 1994 concerne les taux d'intérêt à court terme, mais compte tenu de l'évolution récente de la situation aux États-Unis, les projections à cet égard pourraient ne pas se concrétiser.

Par contre, l'évolution de la conjoncture aux États-Unis est davantage de nature à faire baisser le déficit de ce pays. La croissance économique y est meilleure qu'on ne s'y attendait l'an dernier, particulièrement en raison des chiffres révisés pour 1992, qui doublent le taux de croissance de cette année-là. D'un budget à l'autre, la croissance de l'économie américaine sur trois ans s'est améliorée de 1,5 points, tandis qu'au Canada elle a baissé de 2,7 points. En outre, le taux de chômage diminue plus rapidement aux États-Unis qu'au Canada. En 1995, on s'attend que le taux de chômage aux États-Unis aura diminué de 18 p. 100 par rapport au niveau de 1992; au Canada, on n'espère une amélioration que de 6 p. 100 par rapport à 1992. Par ailleurs, selon le budget américain de cette année, les taux d'intérêt à court terme seront inférieurs à ce qui était prévu l'an dernier et bien inférieurs aux taux canadiens. Le seul point noir au tableau de l'économie américaine est l'augmentation prévue de l'inflation; toutefois, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, cela pourrait en fait réduire le déficit à court terme.

Contrairement à ce qui se passe au Canada, dans les budgets américains successifs, les dépenses totales diminuent en pourcentage du PIB. Cela reste vrai même si les mesures de réduction du déficit de l'an dernier comportaient très peu de diminutions des dépenses à court terme. D'un autre côté, les recettes des États-Unis, exprimées en pourcentage du PIB, augmentent, une fois encore à l'inverse de ce qui se passe au Canada.

Dans les années 80, les budgets américains étaient devenus notoires pour les prévisions excessivement optimistes qu'ils contenaient. Les derniers budgets canadiens semblent affligés de la même maladie. Les tendances divergentes des déficits canadien et américain illustrées au graphique 1 sont dans une large mesure le reflet de prévisions économiques ajustées, de plus en plus optimistes aux États-Unis et de moins en moins optimistes au Canada.

Les tableaux 1 et 2 montrent aussi clairement que l'économie américaine réussit mieux que l'économie canadienne à produire un faible taux de chômage et à le réduire à mesure qu'elle sort de la récession. Il s'agit là d'un point important, car compte tenu de l'importance des programmes sociaux au Canada, les mauvais résultats en ce qui a trait au chômage ont de fortes répercussions, puisqu'ils font grimper les dépenses du gouvernement.

TABLEAU 1
PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES CANADIENNES

Année

Croissance réelle

Chômage

Taux d'intérêt

Inflation

Budget

1993

1994

1993

1994

1993

1994

1993

1994

1992

0,9

0,9

11,5

11,5

6,7

-

1,8

1.8

1993

2,9

2,5

11,1

11,2

5,3

5,0

2,7

1,8

1994

4,6

3,0

10,7

11,1

5,0

4,5

1,6

0,8

1995

4,3

3,8

 

10,8

5,0

5,0

1,5

1,3

1996

4,3

     

5,0

 

1,5

 

1997

4,3

     

5,0

 

1,5

 

1998

4,3

 

7,5

 

5,0

 

1,5

 

 

Les projections de 1993 concernant la croissance réelle et l'inflation sont des moyennes pour la période 1995-1998. D'après le budget de 1993, le taux de chômage sera de 7,5 p. 100 à la fin de 1998. Les prévisions des taux d'intérêt concernent les taux à court terme.

 

TABLEAU 2
PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES AMÉRICAINES

Année

Croissance réelle

Chômage

Taux d'intérêt

Inflation

Budget

1993

1994

1993

1994

1993

1994

1993

1994

1992

2,0

3,9

7,4

7,3

3,5

3,5

3,1

3,1

1993

2,8

2,3

7,1

6,7

3,2

3,0

2,8

2,8

1994

3,0

3

6,6

6,4

3,7

3,4

2,7

3

1995

2,8

2,7

6,2

6

4,3

3,8

2,7

3,2

1996

2,6

2,7

6,0

5,8

4,7

4,1

2,7

3,3

1997

2,2

2,6

5,8

5,6

4,8

4,4

2,7

3,4

1998

1,8

2,6

5,7

5,5

4,9

4,4

2,7

3,4

Graphique 1

ÉVOLUTION DES TENDANCES DANS LES DÉFICITS
CANADA ET ÉTATS-UNIS
(Projections de 1993 et 1994)

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(1) Dans le cas des États-Unis, l'exercice 1996 représente la période de douze mois se terminant le 30 septembre 1996. Dans le cas du Canada, l'exercice 1995-1996 représente la période de douze mois se terminant le 31 mars 1996.