Direction de la recherche parlementaire


MR-123F

 

LES BANDES DE JEUNES : CONCLUSIONS DU
RAPPORT DU MINISTÈRE DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL

 

RédactionPatricia Begin
Division des affaires politiques et sociales

Le 30 mars 1994

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

 

CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS DE L'ÉTUDE

   A.  Composition des groupes ou bandes de jeunes : sexe, âge et situation économique

   B.  Activités des bandes et des groupes dans les écoles

   C.  Armes

   D.  Activités illégales

   E.  Jeunes susceptibles de devenir membres de bandes ou de groupes

   F.  Points de vue au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants

   G.  Comment réagir au phénomène des bandes ou des groupes de jeunes

CONCLUSION

 


LES BANDES DE JEUNES :
CONCLUSIONS DU RAPPORT DU MINISTÈRE DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL

 

Depuis plusieurs décennies, les bandes de jeunes aux États-Unis font l'objet d'études de la part d'universitaires et d'autres analystes. La pauvreté, les piètres conditions de logement, les conflits raciaux, la migration des membres du groupe minoritaire stable de la classe moyenne des quartiers urbains vers les banlieues, l'isolement, l'association avec des pairs au comportement déviant et le peu d'accès à des perspectives socialement acceptables et légitimes sont quelques-uns des facteurs qui, aux dires des criminologues et des analystes de la politique sociale, préparent le terrain à la formation de bandes de délinquants et au recrutement de leurs membres. Traditionnellement, la criminalité collective chez les jeunes n'a jamais posé de problème de justice sociale ou pénale au Canada, grâce notamment au système de sécurité sociale relativement généreux du pays et aux modèles d'immigration, de démographie et développement particuliers à ses centres urbains.

Par conséquent, il n'y a guère eu d'études empiriques, sociales, scientifiques et criminologiques d'effectuées au Canada sur le phénomène des bandes de jeunes. De plus, parce qu'aucune statistique officielle sur les actes criminels mettant en cause des bandes n'est recueillie, la nature et la portée de toute activité illégale perpétrée par des bandes de jeunes demeurent largement inconnues.

Ces dernières années, le nombre de cas de délinquance signalés par les mass-médias laisse croire à une augmentation de la violence interpersonnelle et du nombre de crimes contre des biens mettant en cause des groupes de jeunes dans les rues et les écoles de certaines villes canadiennes. Selon certains analystes de la criminalité chez les jeunes, cette impression, qui se fonde souvent sur des reportages teintés de sensationnalisme, fausse la réalité et exagère la gravité de la plupart des crimes commis par des jeunes et ne fait qu'entretenir la crainte et l'anxiété du public. D'autres soutiennent que les bandes de jeunes et la violence chez les jeunes prennent effectivement de l'ampleur et préoccupent de plus en plus les autorités policières.

En mars 1994, le ministère du Solliciteur général (MSG) a publié un rapport de recherche de Frederick Mathews intitulé Les bandes de jeunes vues par leurs membres, qui donne un aperçu du phénomène vu par les jeunes engagés dans des activités de bande illégales.

CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE

L'essentiel de l'étude a porté sur l'expérience des jeunes appartenant ou ayant déjà appartenu à des bandes ou à des groupes de jeunes dans l'agglomération de Toronto et dans le sud de l'Ontario. Le chercheur a interrogé 12 jeunes (11 garçons et une fille de 14 à 21 ans), qui ont volontairement accepté de partager leur vécu de membre d'une bande ou d'un groupe de jeunes. En outre, 21 adultes (sept agents de police, sept responsables scolaires, trois travailleurs sociaux, deux parents de membres de bandes ou de groupes de jeunes et deux victimes adultes) ont répondu aux questions du chercheur.

Dans son rapport, l'auteur souligne que ce petit échantillon de 12 jeunes participants n'est pas choisi au hasard et n'est ni représentatif ni caractéristique des membres de bandes ou de groupes de jeunes. Par conséquent, il faut considérer les conclusions de l'étude comme exploratoires et provisoires, et y voir un moyen de commencer à comprendre ce phénomène, plutôt qu'une analyse exhaustive de celui-ci. Étant donné les limites de la méthodologie utilisée, il n'est pas possible de généraliser ces conclusions ou d'y voir autre chose que la somme des expériences des jeunes qui ont accepté de participer à l'étude.

Les jeunes, c'est bien connu, socialisent en groupes. Il est évident que tous les regroupements de jeunes ne sont pas des bandes et que toutes les infractions à la loi commises par des groupes de jeunes ne constituent pas des activités criminelles organisées par des bandes. Tout au long du rapport du MSG, l'auteur utilise l'expression «bande ou groupe» «pour éviter les stéréotypes criminels et les images médiatiques exagérées qui sont ordinairement associés à l'expression «bande», ainsi que pour capter l'idée d'un continuum allant du «groupe d'amis» qui se tiennent ensemble et qui ont occasionnellement des démêlés avec la justice à des associations plus sérieuses de «groupes criminels» organisés». Le rapport ne fait pas de distinction entre les participants issus d'un groupe et ceux qui sont issus d'une bande criminelle.

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS DE L'ÉTUDE

   A. Composition des groupes ou bandes de jeunes: sexe, âge et situation économique

Même si la majorité des membres sont des garçons, certaines bandes ou certains groupes sont constitués de membres des deux sexes et d'autres, de filles seulement. Aux dires des répondants, les filles qui font partie de bandes ou de groupes commettent des actes de violence interpersonnelle aussi graves que les garçons.

Bien qu'aucune limite n'ait été mentionnée quant à l'âge des membres des bandes ou des groupes, il n'est apparemment pas rare que certains d'entre eux ait moins de 12 ans. Les jeunes répondants et les répondants adultes ne sont pas du même avis quant à la participation de ces membres aux activités criminelles des bandes ou des groupes de jeunes. D'aucuns laissent entendre que certaines bandes criminelles utilisent des jeunes enfants pour transporter de la drogue, s'introduire dans des maisons et voler des commerces, et que les enfants de moins de 12 ans reproduisent à l'école le comportement violent de leurs frères et soeurs ou de leurs semblables plus vieux.

Selon les répondants, les bandes ou les groupes regroupent des jeunes issus de toutes les couches de la société, que ce soit de familles à revenu moyen, à revenu élevé ou à faible revenu. Cette situation diffère de celle des États-Unis, où les membres des bandes criminelles se recrutent principalement chez les économiquement faibles.

   B. Activités des bandes et des groupes dans les écoles

Les jeunes et les adultes qui ont participé à l'étude indiquent que les activités criminelles perpétrées par des bandes dans les écoles peuvent prendre la forme de conflits violents entre des membres de bandes ou de groupes, d'extorsions, d'intimidation et de trafic de drogues. À leur avis, la présence de bandes ou de groupes dans les écoles compromet la sécurité des élèves et du personnel, nuit à l'intégrité du milieu d'apprentissage et entretient la peur. L'auteur de l'étude signale la présence de bandes ou de groupes de jeunes aussi bien au niveau primaire et au premier cycle du secondaire qu'au dernier cycle du secondaire.

   C. Armes

Les répondants, tant jeunes qu'adultes, sont unanimes à dire qu'un nombre accru de membres de bandes ou de groupes transportent maintenant des armes, dont ils se servent de plus en plus souvent pour régler des conflits entre bandes ou groupes. Comme l'école est un endroit où peut se produire ce genre de conflits, de plus en plus de membres de bandes ou de groupes y apportent leurs armes. Selon les jeunes répondants, la plupart des jeunes à l'école transportent au moins un canif sur eux pour se défendre.

Les armes transportées par les membres de bandes ou de groupes vont des couteaux aux fusils à injection, aux balles de billard glissées dans une chaussette, aux explosifs et aux armes à feu, mais les plus courantes demeurent les couteaux. Selon les jeunes répondants, les armes à feu sont faciles à obtenir, mais elles sont habituellement volées chez des parents ou des amis ou encore subtilisées lors d'une introduction par effraction.

   D. Activités illégales

L'étude montre que la plupart des crimes perpétrés par bandes ou groupes de jeunes sont constitués d'infractions contre des biens. L'éventail des activités criminelles mentionnées englobe le vol simple, l'introduction par effraction, le vol qualifié, l'incendie criminel, le trafic de drogues, l'extorsion, l'agression et les voies de fait. Le meurtre et les autres infractions plus graves sont rares et souvent perpétrés par des bandes ou des groupes criminels organisés.

   E. Jeunes susceptibles de devenir membres de bandes ou de groupes

Les répondants, tant adultes que jeunes font état de certaines situations, caractéristiques et expériences communes aux jeunes qui sont attirés par les bandes ou les groupes: des antécédents de mauvais traitements ou de négligence, la pauvreté, des familles mésadaptées, l'isolement, l'exposition à des médias, de la musique et des vidéos qui glorifient la violence et la pornographie, l'échec scolaire et la faible estime de soi. Il n'est pas étonnant que ces facteurs se retrouvent dans le milieu social des jeunes multirécidivistes et soient perçus comme de nature à les encourager à la criminalité. À l'exception de la pauvreté, ces facteurs peuvent exister à n'importe quel niveau de revenu, d'où la présence de jeunes des classes moyenne et supérieure au sein des bandes ou des groupes.

Les répondants affirment que les jeunes vulnérables sont attirés par les bandes ou les groupes pour diverses raisons: satisfaire au besoin de protection qu'ils ressentent; éprouver un sentiment de puissance, de confiance et de contrôle; réaliser des gains matériels; se désennuyer; satisfaire à un besoin de sensations fortes; et éprouver un sentiment d'appartenance et être accepté.

   F. Points de vue au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants

La Loi sur les jeunes contrevenants (LJC) suscite beaucoup de controverse et de critiques de la part d'une proportion de plus en plus importante de la population et des autorités policières. Le débat est alimenté par la croyance largement répandue selon laquelle les infractions et la récidive chez les jeunes sont attribuables à l'impuissance de la LJC à réprimer le crime.

Les jeunes qui ont participé à l'étude ne s'entendent pas sur l'efficacité de la Loi à réprimer les comportements criminels. Selon certains, le fait que les jeunes contrevenants soient traités avec plus de clémence que les contrevenants adultes leur permet d'assumer la responsabilité de leurs actes et d'adopter un mode de vie honnête. D'autres sont d'avis, au contraire, que la Loi est trop indulgente à l'égard des contrevenants violents et primaires.

Il ressort de l'étude que les membres des bandes ou des groupes de jeunes sont mal informés au sujet de la LJC, en particulier ceux qui ne sont jamais passés par le système judiciaire. L'étude montre qu'aucun des participants «ne connaît véritablement la Loi ni n'en comprend l'esprit». Certains jeunes qui ont été arrêtés et condamnés en vertu de la Loi, admettent que leur expérience du système judiciaire pour les jeunes a été plus éprouvante que ce à quoi ils s'attendaient. Les participants adultes conviennent aussi que beaucoup de jeunes entretiennent à tort l'idée que la LJC est clémente. À leur avis, la société perpétue la malheureuse réputation d'inefficacité de la LJC en répandant constamment l'impression que son application permet aux jeunes criminels de s'en tirer à bon compte.

L'étude fait état de certaines des conséquences que doivent subir les jeunes accusés et condamnés pour avoir désobéi à la loi: une absence de l'école peut faire échouer son année scolaire à un jeune; un jeune étiqueté comme contrevenant reste marqué longtemps; le fait d'avoir un casier judiciaire limite les possibilités d'un jeune; un contrevenant connu qui a mis fin à ses activités criminelles peut continuer de faire l'objet de soupçons de la part de la police et des autres membres de la collectivité; et un crime commis pendant la jeunesse n'est pas automatiquement effacé après un délai donné. Les participants adultes réclament une plus grande sensibilisation du public à l'esprit de la LJC et aux conséquences que comporte pour un jeune le fait d'être condamné pour avoir contrevenu au droit pénal. Certains se disent également favorables à une révision des peines prévues pour les crimes commis avec violence et à l'aide d'armes ainsi que pour les contrevenants primaires.

   G. Comment réagir au phénomène des bandes ou des groupes de jeunes

De l'avis des participants à l'étude, toute intervention pour remédier aux problèmes des bandes et des groupes de jeunes exige les efforts concertés d'un certain nombre d'institutions sociales - les services sociaux, la police, le gouvernement, l'école et la famille. Voici quelques-unes des solutions proposées: des services de police communautaires orientés vers la prévention du crime; des services sociaux pour les jeunes à risque et leurs familles; un programme scolaire de prévention du crime et de la violence; l'existence d'une communication ouverte entre l'école, les parents et les enfants; des mesures gouvernementales pour offrir aux jeunes des perspectives d'emploi; et une sensibilisation du public à l'orientation d'ensemble de la Loi sur les jeunes contrevenants.

CONCLUSION

La sécurité personnelle et collective est un enjeu social et juridique prioritaire au Canada. Les sondages d'opinion, les pétitions et les comptes rendus des médias électroniques et écrits laissent peu de doute quant à l'ampleur de l'inquiétude suscitée par la criminalité chez les jeunes, en particulier celle de nature violente. Cette situation incite le public à réclamer une intervention plus ferme de la part de l'État grâce à l'adoption de lois plus rigides et à l'imposition de peines plus sévères.

Même si le rapport Les bandes de jeunes vues par leurs membres comble certaines lacunes, il omet d'aborder certaines questions importantes. Combien existe-t-il de bandes ou de groupes différents? À combien estime-t-on la proportion de jeunes appartenant à des bandes ou à des groupes? Quelle est la portée de l'activité criminelle menée par les bandes ou les groupes? Quelle proportion des infractions criminelles commises par des bandes ou des groupes comportent de la violence interpersonnelle ou l'utilisation d'une arme? Quelles sont les différences fondamentales entre les bandes et les groupes? Les bandes sont-elles plus susceptibles que les groupes de s'engager dans des activités criminelles?

Le défi des législateurs confrontés aux pressions croissantes en faveur d'une réforme de la LJC consiste à trouver un juste compromis entre leur obligation de protéger le public et la nécessité de favoriser l'épanouissement des jeunes qui ont maille à partir avec la loi. Dans le lourd contexte actuel, il est crucial que la connaissance de la nature et la portée de la criminalité chez les jeunes se fonde sur des preuves recueillies systématiquement plutôt que sur les avis, les anecdotes et les expériences d'un petit échantillon non représentatif. Les recherches effectuées dans le but de favoriser l'adoption de mesures d'intérêt public sur des questions à portée sociale ayant autant de répercussions que le phénomène des bandes de jeunes, doivent définir des tendances et établir des généralisations en conséquence. Les participants à l'étude du MSG soutiennent que «les activités des bandes ou des groupes de jeunes se sont énormément accrues ces dernières années». Cette affirmation ne s'appuie toutefois sur aucune preuve, étant donné les limites de la méthodologie utilisée aux fins de cette étude.