Direction de la recherche parlementaire


MR-132F

 

PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE :
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE TYPE
LONGITUDINAL EFFECTUÉE À MONTRÉAL

 

Rédaction  Patricia Begin
Division des affaires politiques et sociales

Le 3 mars 1995

                                      


TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

CONCLUSIONS DE LA RECHERCHE

DISCUSSION


PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE :
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE TYPE
LONGITUDINAL EFFECTUÉE À MONTRÉAL

Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à vouloir que leur investissement dans la lutte contre le crime leur rapporte davantage. Les réactions traditionnelles à la criminalité — intervention policière, tribunaux, services correctionnels et aide juridique — sont coûteuses. Les dépenses gouvernementales au titre des services offerts par le système judiciaire ont atteint 9,57 milliards de dollars en 1992-1993, soit une augmentation de 34 p.100 par rapport aux dépenses de 1988-1989. Pourtant, les préoccupations en matière de sécurité publique et personnelle continuent d'être des enjeux prioritaires pour bien des Canadiens.

Les professionnels de la justice pénale, les fournisseurs de services, les analystes sociaux et les représentants de certains segments de la population sont unanimes à affirmer que le modèle traditionnel de répression du crime, qui consiste à identifier et à punir ceux qui contreviennent à la loi, a lamentablement échoué à réduire le nombre de victimes d'actes criminels et à favoriser l'instauration d'un climat de sécurité dans les collectivités au Canada. Selon ces mêmes intervenants, il faut non seulement réagir à la criminalité, mais aussi investir dans des projets de prévention de la criminalité qui mettent l'accent sur ses causes sous-jacentes.

Il existe de plus en plus de preuves du fait que les enfants qui adoptent des comportements antisociaux très marqués dès leur plus jeune âge, en particulier ceux qui sont issus de milieux économiquement faibles et de familles perturbées et ceux qui éprouvent des problèmes scolaires et sociaux à l'école, risquent de devenir des habitués du crime à l'adolescence et de le demeurer à l'âge adulte. L'observation et l'évaluation clinique permettent de repérer les enfants qui risquent de constituer une menace pour la sécurité de leur entourage, menace dont la portée ne fera probablement que s'amplifier au moment du passage de l'adolescence à l'âge adulte. Les jeunes aux prises avec de graves troubles de comportement ou d'adaptation sociale deviennent des fardeaux pour le système de justice pénale s'ils ne sont pas traités. Dès le moment où ils sont considérés comme des dangers pour la collectivité et emprisonnés, il est souvent trop tard pour les traiter de façon à leur faire acquérir des attitudes et des comportements sociaux harmonieux. Le pronostic concernant les jeunes « à risque » fait ressortir la nécessité d'intervenir tôt.

Après s'être penchés sur le lien existant entre les habiletés parentales et les piètres aptitudes sociales des enfants, des chercheurs ont émis le postulat que ces facteurs avait une incidence directe sur l'apparition de comportements délinquants. On a évalué dans quelle mesure l'entraînement aux habiletés parentales et l'entraînement des enfants à avoir de meilleurs relations sociales pouvait contribuer à atténuer les comportements agressifs et l'indiscipline ainsi qu'à prévenir la délinquance. Lorsqu'elles sont mises en oeuvre séparément, ces mesures préventives donnent des résultats inégaux. Afin de mesurer l'incidence combinée de l'entraînement des parents aux habiletés parentales et de l'entraînement des enfants à avoir des relations sociales harmonieuses, et de suivre l'évolution sociale des garçons indisciplinés durant les premières années d'école, une équipe de chercheurs de l'Université de Montréal a effectué une étude expérimentale de type longitudinal des garçons « à risque ». Les résultats de cette étude sont abordés par R.E. Tremblay et al., dans « Parent and Child Training to Prevent Early Onset of Delinquency : The Montreal Longitudinal Study », J. McCord et R.E. Tremblay (éd.), Preventing Antisocial Behaviour : Interventions from Birth through Adolescence, New York, Guilford Press, 1992 (p. 117-138).

CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Au printemps 1984, on a entrepris l'étude dans les écoles de Montréal situées dans les secteurs où se concentrent les familles de milieux socio-économiques faibles. Les enseignants de la maternelle ont alors été appelés à évaluer le comportement de chacun des garçons de leur classe à la fin de l'année scolaire. Quatre-vingt-sept p. cent d'entre eux ont rempli le questionnaire et, au total, des garçons de 53 écoles ont été choisis pour participer à l'étude longitudinale. Afin d'éviter de faire intervenir des variables culturelles susceptibles d'influer sur le comportement, on n'a retenu aux fins de l'étude que les garçons dont les parents biologiques étaient d'origine canadienne et de langue maternelle française. De même, on a pris soin de ne choisir que des garçons issus de milieux socio-économiques faibles en éliminant d'emblée ceux dont les parents avaient 14 années de scolarité ou plus.

Les garçons considérés par leurs professeurs de maternelle comme étant à risque (c'est-à-dire, indisciplinés, hyperactifs, agressifs) ont été répartis au hasard dans trois groupes par les chercheurs de l'Université de Montréal : le groupe expérimental, créé aux fins de l'étude expérimentale de la prévention; le groupe d'observation, créé aux fins de l'étude par observation longitudinale des interactions sociales des garçons indisciplinés; et le groupe de contrôle, créé pour évaluer les effets de l'étude expérimentale et du suivi longitudinal.

Des programmes d'entraînement aux habiletés parentales ont été offerts par des professionnels qui ont travaillé auprès des différentes familles pendant deux ans. Le traitement à l'intention des parents insistait sur la surveillance étroite du comportement des enfants, le renforcement positif de la sociabilité, les stratégies disciplinaires cohérentes et non violentes et la gestion des crises familiales.

Des professionnels ont animé des séances pour faciliter l'acquisition d'aptitudes sociales à de petits groupes composés de garçons indisciplinés et de pairs n'éprouvant pas de problèmes de sociabilité. En moyenne, les garçons ont suivi le traitement entre l'âge de sept ans et l'âge de neuf ans. Celui-ci visait surtout l'acquisition d'aptitudes sociales de nature à favoriser une interaction positive avec les professeurs, les parents et les pairs, la résolution de problèmes et la capacité de se discipliner soi-même. Une intervention était aussi faite auprès des enseignants des garçons traités.

À la suite du traitement, le comportement des garçons a été évalué chaque année (entre l'âge de neuf ans et l'âge de 12 ans) par les professeurs, les pairs, les mères et les garçons eux-mêmes. Pour tous les garçons appartenant aux trois groupes, on a noté les indices suivants : réussite scolaire, comportement bagarreur, comportement et rendement généraux à l'école, comportement délinquant, perception de la mère du comportement antisocial et nature de la relation parent-enfant. Ces données ont permis de mesurer l'efficacité du traitement intensif utilisé pour remédier au comportement antisocial et à l'indiscipline.

CONCLUSIONS DE LA RECHERCHE

L'entraînement des parents aux habiletés parentales et l'intervention auprès des enfants pour leur faire acquérir des aptitudes sociales avaient pour but d'atténuer les comportements perturbateurs relevés chez les garçons de la maternelle et d'éviter ainsi que ces garçons n'adoptent très tôt un comportement agressif et antisocial susceptible de les mener plus tard vers la délinquance et la violence. Les résultats des trois premières années de suivi de cette recherche expérimentale de type longitudinal sont encourageants et ont des répercussions concrètes.

À la fin du cycle primaire, le comportement des garçons indisciplinés dans le groupe de contrôle a confirmé les conclusions de recherches antérieures selon lesquelles l'agressivité physique et les difficultés scolaires sont des signes avant-coureurs de la propension à la délinquance qui peuvent se détecter très tôt dans le développement de l'enfant. La recherche a aussi confirmé que l'intervention sociale pouvait agir positivement sur l'évolution sociale des garçons indisciplinés. Comparativement aux garçons du groupe de contrôle, les garçons qui ont bénéficié du traitement intensif multidisciplinaire ont fait preuve de moins d'agressivité à l'école, ont été plus nombreux à obtenir de meilleurs résultats scolaires, ont éprouvé moins de difficulté à s'adapter à l'école et ont indiqué avoir commis moins de larcins dans les trois ans ayant suivi la fin du traitement.

En ce qui a trait au comportement bagarreur évalué par les professeurs, les garçons des groupes de contrôle et d'observation ont affiché une tendance beaucoup plus marquée à cet égard que ceux du groupe expérimental. Les garçons n'ayant pas bénéficié d'un traitement avaient deux fois plus de chances d'être considérés comme ayant de graves problèmes de comportement et de rendement à l'école que ceux du groupe expérimental (44 p. 100 c. 22 p. 100). Comparativement aux garçons non traités, une plus faible proportion des garçons traités ont signalé avoir commis des larcins comme s'être introduit dans un endroit dont l'entrée était interdite (40 p. 100 c. 62 p. 100), avoir volé des articles de moins de 10 $ (19 p. 100 c. 45 p. 100), avoir volé des articles de plus de 10 $ (7 p. 100 c. 20 p. 100) et avoir volé des bicyclettes (5 p. 100 c. 19 p. 100). Aucune différence significative n'a été notée entre les garçons traités et ceux non traités en ce qui a trait à l'hyperactivité, à la sociabilité et au vandalisme.

Les chercheurs notent qu'à l'heure actuelle, les effets à long terme du traitement offert sont inconnus. Ils comptent continuer à suivre l'évolution des garçons à mesure que ceux-ci avanceront en âge afin d'évaluer la durabilité de l'intervention proactive dans la prévention de la criminalité chez les jeunes.

DISCUSSION

L'expérience démontre qu'il est plus efficace de mettre en oeuvre des programmes de prévention de la criminalité et de développement social intensif à l'intention des enfants (du genre de ceux offerts dans le cadre de l'étude longitudinale effectuée à Montréal) à l'intention des enfants identifiés comme ayant un comportement anti-social (c.-à-d.perturbés, agressifs et hyperactifs) que de parquer ces jeunes, à l'adolescence, dans des établissements correctionnels. Selon bon nombre de fournisseurs de services oeuvrant dans le système de justice pour les jeunes, les peines d'emprisonnement sont impuissantes à répondre aux besoins non satisfaits des contrevenants chroniques en matière d'épanouissement personnel, à enseigner aux jeunes contrevenants à assumer la responsabilité de leurs actes ou à contribuer à la sécurité du public. Ce point de vue est étayé par le fait qu'un peu moins de la moitié (46 p. 100) des cas déférés au tribunal de la jeunesse en 1990-1991 mettaient en cause des récidivistes.

Quelques-uns des premiers modèles de traitement expérimentés aux États-Unis ont permis, à long terme, de faire fléchir le taux de criminalité chez les jeunes et de réduire les coûts d'aide sociale et de justice pénale. Le Perry Preschool Project, qui offre un programme préscolaire enrichi aux enfants pauvres affligés de multiples problèmes et à leurs familles, est l'un d'entre eux. Une évaluation du programme a montré que, comparativement à un groupe de contrôle témoin, les enfants de 3 à 6 ans qui avaient participé à l'intervention avaient plus de chances de terminer leurs études secondaires, d'accéder à l'enseignement postsecondaire et de décrocher un emploi. Il y avait aussi moins de cas de grossesse à l'adolescence, de toxicomanie et d'abonnés de l'aide sociale chez les participants et un moins grand nombre d'entre eux avaient un casier judiciaire faisant état d'arrestations et de condamnations. Une analyse des coûts-avantages montre que chaque dollar investi dans le programme préscolaire a rapporté 5 $.

Les partisans de la prévention de la criminalité soutiennent avec conviction que l'importance que nous avons toujours accordé et continuons d'accorder à l'intervention policière, aux tribunaux et aux services correctionnels, au détriment de stratégies à caractère préventif, n'a réduit ni le nombre de victimes d'actes criminels, ni la peur et la criminalité. Il est reconnu que l'adoption de mesures proactives, comme le Perry Preschool Project, sans être un remède miracle contre le crime, peut être plus efficace que les châtiments pour assurer la protection de la société à long terme.