Direction de la recherche parlementaire


MR-134F

 

DÉFENSE ANTIMISSILES ET RENOUVELLEMENT
DE L'ACCORD DU NORAD

 

Rédaction  Michel Rossignol
Division des affaires politiques et sociales

Le 27 septembre 1995
Révisé le 16 avril 1996


TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

L'ENGAGEMENT DES ÉTATS-UNIS ENVERS LA DÉFENSE ANTIMISSILES

INTÉRÊT EN EUROPE ET AILLEURS

SYSTÈMES PROPOSÉS PAR LES ÉTATS-UNIS

DÉBAT SUR LES CONSÉQUENCES DE L'ÉTABLISSEMENT D'UN SYSTÈME
DE DÉFENSE ANTIMISSILES NATIONAL SUR LE TRAITÉ SUR LES
MISSILES ANTIMISSILES BALISTIQUES

POSITION DU CANADA

LE RENOUVELLEMENT DE L'ACCORD DU NORAD


 

DÉFENSE ANTIMISSILES ET RENOUVELLEMENT
DE L'ACCORD DU NORAD

 

INTRODUCTION

Depuis la fin de la guerre du golfe Persique, les États-Unis ont abandonné l'Initiative de défense stratégique, connue également sous le nom de guerre des étoiles, et ont plutôt axé leurs efforts sur la défense contre des missiles balistiques de théâtre comme les SCUD utilisés par l'Iraq. Le déploiement de systèmes de défense antimissiles à la fin des années 90 pourrait avoir des incidences sur le rôle que joue le Canada au sein du NORAD, de l'OTAN et des Nations Unies. Comme le Livre blanc sur la défense de 1994 l'indique, c'est une question à laquelle il faut prêter attention car les armes de destruction massive, dont les missiles dotés d'ogives nucléaires, chimiques ou biologiques, menacent ou menaceront bientôt les pays amis et alliés du Canada, en Europe et ailleurs, et «il [...] se peut que le Canada veuille un jour déployer des forces dans des endroits où il pourra devoir faire face à de telles armes» (p. 21).

C'est pourquoi, selon le Livre blanc, le Canada tâche de mieux comprendre la défense antimissiles par le biais de recherches et de consultations avec des pays qui partagent ses vues. Dans le présent document, nous examinons brièvement les dernières innovations en matière de défense antimissiles et les questions dont le Canada devra s'occuper au cours des années à venir.

L'ENGAGEMENT DES ÉTATS-UNIS ENVERS LA DÉFENSE ANTIMISSILES

Encouragés par la performance de leurs missiles Patriot pendant la guerre du golfe Persique, les États-Unis ont décidé de mettre au point des systèmes efficaces de défense contre les missiles de théâtre peu après la fin de la guerre. Certains observateurs ont contesté cette décision à la lumière d'une analyse plus critique de l'efficacité des missiles Patriot. Cependant, la prolifération de la technologie relative aux petits missiles balistiques, le caractère instable des régimes en place dans des pays tels que l'Iraq et la Libye, et la capacité de ces pays de mettre au point des ogives chimiques, biologiques et nucléaires font partie des raisons invoquées pour justifier les systèmes proposés.

Pour l'exercice 1995-1996, dans le budget de la défense qu’il a proposé, le gouvernement Clinton a prévu d'attribuer la somme de 2,9 milliards de dollars à la recherche et au développement dans le domaine de la défense antimissiles. Pour leur part, les membres républicains du Congrès préconisent un appui encore plus important à la défense antimissiles, d'ailleurs l'un des grands thèmes de leur campagne «Contract with America» lors des élections législatives de 1994.

INTÉRÊT EN EUROPE ET AILLEURS

Les pays européens s'intéressent également à la défense antimissiles en raison de la menace éventuelle que représentent les États belliqueux ou instables d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient comme la Libye et l'Iraq, qui pourraient mettre au point des missiles capables d'atteindre les villes européennes. Par conséquent, les principaux pays européens ont entrepris des recherches dans le domaine de la défense antimissiles, mais n'ont pas encore décidé s'ils compteraient sur leur propre système ou participeraient avec les États-Unis aux systèmes de l'OTAN.

Entre-temps, Israël a mis au point le missile Arrow pour son propre système de défense antimissiles, tandis que les pressions s'intensifient sur le Japon pour qu'il participe aux recherches sur la défense antimissiles. En effet, la région du Pacifique constate avec une inquiétude grandissante que la Corée du Nord et la Chine poursuivent la mise au point de nouveaux missiles.

SYSTÈMES PROPOSÉS PAR LES ÉTATS-UNIS

Pour répondre à la menace que pourraient constituer les missiles à la fin des années 90 et au-delà, les États-Unis ont entrepris de mettre au point trois systèmes de défense. Le premier est le Patriot Advanced Capability (3e génération) ou PAC-3, qui devrait être déployé vers 1998 et qui utilise un nouveau missile ERINT destiné à détruire les ogives ainsi que les missiles. Les deux autres systèmes sont les missiles Standard Block IVA de la Marine américaine et le Système de défense haute altitude de théâtre d'opération (THAAD).

Les États-Unis prévoient également décider d'ici 1998 s'ils mettront au point l'un des trois systèmes proposés à l'aide d'une technologie plus avancée. L'un est un système de lancement à partir d'un navire, semblable au THAAD, tandis qu'un autre porte sur un intercepteur en phase de propulsion (BPI) permettant à un avion d'utiliser des missiles ou des armes à laser aéroporté (ABL) pour intercepter des missiles peu de temps après leur lancement. Le troisième système est le Medium Extended Range Air Defense System (MEADS) qui assurerait une défense contre les missiles d'avions, les missiles de croisière ainsi que les missiles balistiques. Compte tenu des coûts élevés de ces projets, les États-Unis ont conclu une entente avec l'Allemagne, la France et l'Italie au début de 1995 pour en entreprendre conjointement la mise au point.

Au début de 1996, le département de la Défense des États-Unis a modifié un peu son programme de défense antimissiles en augmentant les fonds alloués au développement du système PAC-3 tout en réduisant substantiellement le budget pour le système THAAD. Les États-Unis semblent se concentrer sur les systèmes visant à contrer la menace que posent les missiles à rayon d’action court.

DÉBAT SUR LES CONSÉQUENCES DE L'ÉTABLISSEMENT D'UN SYSTÈME
DE DÉFENSE ANTIMISSILES NATIONAL SUR LE TRAITÉ SUR LES
MISSILES ANTIMISSILES BALISTIQUES

En décembre 1995, le Congrès américain a demandé le déploiement d’un système national de défense antimissiles dès 2003, et en mars 1996, le président de la Chambre des représentants et le chef de la majorité au Sénat ont présenté un projet de loi à cet égard, le Defend America Act of 1996. L'appui solide manifesté par le Congrès américain à la mise en place d’un tel système intensifiera le débat sur les conséquences qu'une telle mesure aura sur le Traité sur les missiles antimissiles balistiques (Traité ABM) signé par les États-Unis et l'Union soviétique pendant la guerre froide. Le traité limite la défense contre les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) à un site national afin de préserver la stabilité de la dissuasion nucléaire réciproque. Bien que la guerre froide soit terminée, les partisans du contrôle des armements et d'autres intéressés, y compris le gouvernement du Canada, tiennent à conserver le Traité ABM, ne serait-ce que pour consolider les relations pacifiques entre les États-Unis et la Russie.

On craint de plus en plus que, même si la présence de systèmes de défense dans un théâtre d'opérations à l'extérieur des États-Unis ou de la Russie n'influerait pas forcément sur le Traité, le déploiement de ces mêmes systèmes dans ces deux pays pourrait assurer à ces derniers une protection contre les ICBM et les missiles de théâtre et les inciter à cesser de réduire leurs arsenaux d'ICBM. Afin de préparer le terrain en vue du déploiement d'un système national qui ne compromettrait pas le Traité ABM, les États-Unis ont tenté de négocier une entente avec la Russie pour établir la distinction entre les systèmes de défense de théâtre et les systèmes anti-ICBM.

Cependant, en juillet 1995, la Russie a rejeté les propositions des États-Unis, qui se fondent sur la vitesse et la portée pour définir les missiles de théâtre (5 kilomètres/seconde ou moins et une portée de 3 500 kilomètres) et les missiles intercepteurs (3 kilomètres/seconde ou moins). En fait, il pourrait s'avérer difficile d'établir une distinction nette entre ces deux types de missiles puisqu'en réaction au déploiement d'un système de défense antimissiles, certains pays pourraient mettre au point des missiles d'une vitesse et d'une portée équivalentes à celles des ICBM. Si la distinction entre les missiles de théâtre et les ICBM devient de moins en moins nette, cela donnera probablement lieu à un débat houleux sur les conséquences d'une telle situation pour le Traité ABM.

POSITION DU CANADA

En tant que ferme partisan des efforts déployés dans le cadre du Régime de contrôle de la technologie relative aux missiles, établi par les pays du G-7 pour limiter la prolifération de la technologie relative aux missiles, le Canada est tout à fait conscient de la menace que pose à la stabilité de nombreuses régions du monde l'accroissement du nombre de missiles balistiques. De plus, l'expérience de la guerre du golfe Persique lui a fait clairement comprendre que ses alliés, ainsi que les forces militaires des opérations du maintien de la paix des Nations Unies et d'autres opérations, pourraient avoir à se défendre contre de tels missiles. Cependant, tout en envisageant la possibilité de participer avec ses alliés à la défense contre les missiles de théâtre, le Canada doit peser soigneusement les avantages d'une telle participation tout en tenant compte des inconvénients que pourrait présenter sa collaboration à des systèmes nationaux susceptibles de compromettre le Traité ABM.

Dans le cadre de sa participation au NORAD au cours des ans, le Canada s'est surtout intéressé à la détection des bombardiers et des missiles de croisière dans l'espace aérien nord-américain, pendant que les États-Unis mettaient au point des satellites et d'autres détecteurs dans le cadre de son Defence Support Program (DSP) pour détecter les ICBM et d'autres missiles. Pendant la guerre du golfe Persique, ces satellites ont fourni des informations au NORAD sur les lancements de missiles SCUD, ce qui a permis d'alerter les batteries de missiles Patriot dans la région du Golfe. Par conséquent, le NORAD pourrait assurément jouer un rôle au sein des systèmes de défense de théâtre américains en train d'être planifiés. En effet, le NORAD pourrait apporter une contribution importante à la stabilité internationale et à la surveillance de la prolifération des missiles s'il participait à un système de surveillance multilatérale, en collaboration avec les pays de l'OTAN et même avec la Russie.

Cependant, le déploiement d'un système national par les États-Unis sans que soient prévues des dispositions pour le maintien du Traité ABM et d'autres ententes de contrôle des armements constituerait un problème épineux pour le Canada si le NORAD y participait. Il reste encore quelques années avant que l'on décide des rôles du NORAD et du Canada, le cas échéant, dans la défense contre les missiles de théâtre. Il faudra toutefois que le Canada non seulement observe très attentivement l'évolution de la situation mais fasse clairement connaître ses préoccupations.

LE RENOUVELLEMENT DE L’ACCORD DU NORAD

C’est pour tenir compte du contexte que nous venons de décrire que le Canada, lors des discussions qu’il a eues avec les États-Unis en 1995 et au début de 1996 sur le renouvellement de l’Accord du NORAD, a demandé que des modifications soient apportées à celui-ci. Les modifications visent à faire en sorte que le changement de mission du NORAD, qui passe de la défense antiaérienne à l’alerte d’attaque par avions et missiles, soit pris en considération et à assurer la participation canadienne à la planification de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et aux opérations connexes. Le 11 mars 1996, pendant un débat à la Chambre des communes sur le renouvellement de l’Accord, le ministre des Affaires étrangères a déclaré, entre autres, que l’Accord modifié comprend des dispositions assurant un mécanisme officiel pour les consultations entre les deux pays sur les nouveaux systèmes d’armement qui, comme les systèmes antimissiles, ont une incidence sur les missions du NORAD.

Le 25 mars 1996, le gouvernement a annoncé sa décision de renouveler l’Accord du NORAD. Lors d’une conférence de presse, M. Axworthy a déclaré que le Traité ABM était toujours absolument nécessaire à la stabilité internationale et affirmé que l’Accord du NORAD modifié donnera un veto au Canada sur la mise au point de systèmes d’armement qui pourraient avoir un effet négatif sur le traité.

Cependant, on ne sait pas encore vraiment quel impact le mécanisme officiel de consultations prévu dans l’Accord aura sur la mise au point d’un système antimissile national aux États-Unis. L’augmentation des tensions entre les États-Unis et la Russie, ou encore l’émergence d’une menace de la part d’un autre pays, pourrait pousser les États-Unis à accélérer le déploiement d’un système national ou à ne pas tenir compte du Traité ABM. La véritable épreuve que le Canada aura à subir pourrait survenir en l’an 2001 lorsque viendra le temps de renouveler l’Accord du NORAD, quelques années à peine avant le déploiement possible d’un système national aux États-Unis.