Direction de la recherche parlementaire |
MR-135F
LE RAPATRIEMENT DE LA DETTE :
Rédaction :
Marion G. Wrobel
TABLE DES MATIÈRES
L'EXEMPLE DES OBLIGATIONS DE LA VICTOIRE L'IDENTITÉ DU CANADA SUR LE PLAN DE L'ÉPARGNE
LE RAPATRIEMENT DE LA DETTE : ENJEUX ET SOLUTIONS Les non-résidents détiennent pour plus de 100 milliards de dollars de titres d'emprunt du gouvernement du Canada, une situation que beaucoup de gens trouvent préoccupante. (La dette nette de tous les Canadiens détenue par des étrangers dépasse les 300 milliards de dollars.) Chaque fois que de mauvaises nouvelles d'ordre financier ou politique déclenchent une ruée sur le dollar canadien, les taux d'intérêt grimpent invariablement, la Banque du Canada s'efforçant de modérer, mais non de stopper, la dégringolade de la valeur externe du dollar. On reproche ensuite aux spéculateurs sur devises ou à des investisseurs étrangers mal informés et nerveux d'avoir semé la pagaille dans l'économie canadienne. Certains affirment par ailleurs que la dette détenue par des non-résidents entraîne une perte fiscale pour le Trésor, car les titulaires étrangers ont moins de chances que les titulaires canadiens de payer de l'impôt au Canada sur leurs revenus d'intérêt. Il s'ensuit que beaucoup de gens réclament le rapatriement de la dette extérieure au moyen d'un mécanisme analogue au programme des obligations de la Victoire dont le gouvernement du Canada s'était servi pour financer l'effort de guerre. L'EXEMPLE DES OBLIGATIONS DE LA VICTOIRE Pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, les dépenses et les déficits du gouvernement fédéral ont pris des proportions sans précédent. Jusqu'alors, on s'était toujours tourné vers l'étranger pour les gros emprunts, pensant que l'épargne engendrée dans l'économie canadienne ne suffirait pas à répondre aux besoins. Or, les émissions d'obligations de la Victoire se sont révélées étonnamment populaires et lucratives, permettant de mobiliser deux milliards de dollars durant la Première Guerre mondiale et neuf milliards de dollars durant la Seconde. En fait, on s'est procuré bien plus d'argent au Canada qu'à l'étranger pour financer l'effort de guerre. Certains se demandent donc pourquoi on ne pourrait aujourdhui avoir recours à un genre d'obligations de la Victoire pour rapatrier une partie de la dette détenue par des non-résidents Pour répondre à cette question, il importe de tenir compte de plusieurs facteurs. À l'époque des obligations de la Victoire, les marchés des capitaux du Canada étaient très primitifs par rapport à ceux daujourd'hui. Il était difficile de mobiliser des fonds, mais il était aussi difficile pour les Canadiens d'épargner, plutôt que de simplement amasser de l'argent. Par exemple, bien moins de gens quaujourdhui avaient alors un compte en banque. Les obligations de la Victoire et les certificats et timbres d'épargne de guerre ont donc fourni aux Canadiens un mécanisme sûr et pratique de bâtir régulièrement leur épargne. L'économie canadienne durant les années de guerre était très différente de celle d'aujourd'hui. Le pays sortait tout juste d'une très grave crise économique lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, et l'effort de guerre a exigé un extraordinaire volume de ressources. Une bonne partie de la population avait intégré les Forces armées, et les femmes entraient en grand nombre sur le marché du travail. Il y avait un contrôle des changes, un contrôle des prix et des salaires, et de nombreux produits étaient rationnés. Les Canadiens gagnaient plus d'argent que jamais, mais avaient peu d'occasions de le dépenser, la production étant axée essentiellement sur l'effort de guerre et non sur la satisfaction des besoins des consommateurs. L'économie a donc dégagé beaucoup d'épargne dans le secteur des ménages, épargne qui pouvait servir à financer les emprunts du secteur public. Ces facteurs économiques se combinant à la ferveur patriotique associée à l'effort de guerre, il n'est pas difficile de voir pourquoi le gouvernement n'a pas eu beaucoup de mal à mobiliser se procurer des fonds auprès de la population. En 1942, la dette publique nette du gouvernement fédéral était inférieure à quatre milliards de dollars et représentait moins de 40 p. 100 du PIB. Cependant, en 1944, les déficit annuels atteignaient 2,5 milliards de dollars, ce qui voulait dire que la dette nette progressait chaque année d'un montant égal à 20 p. 100 du PIB. En 1946, la dette nette représentait donc environ 100 p. 100 du PIB, mais, en 1952, elle avait été ramenée à 40 p. 100, soit à peu près au niveau d'avant-guerre. Comment a-t-on réussi ce tour de force? De 1947 à 1952, le gouvernement fédéral a enregistré des excédents budgétaires. Les excédents d'exploitation, c'est-à-dire l'excédent des recettes fiscales sur les dépenses de programmes n'ont jamais été inférieurs à 4 p. 100 et ont parfois même atteint 8 p. 100 du PIB. Cette réalisation, combinée à des taux de croissance économique élevés et à des taux d'intérêt réels bas, a permis à la dette relative de diminuer beaucoup en très peu de temps. L'état actuel de l'économie est très différent. Les Canadiens sont des épargnants et des investisseurs bien plus avertis quautrefois, et ils ont à leur disposition toute une gamme d'instruments d'épargne. Nous avons maintenant les obligations d'épargne du Canada, qui sont en fait issues des obligations de temps de guerre. Il existe aussi toutes sortes de comptes d'épargne et d'instruments comme les mécanismes de dépôt direct, les REÉR, les CPG et les fonds communs de placement (fonds mutuels). Comme nous bénéficions maintenant de l'assurance-dépôt, nous sommes moins portés à prêter au gouvernement fédéral par souci de sécurité. Nous possédons des maisons et détenons des hypothèques. Nous vivons dans une économie largement non réglementée et dans une société de consommation qui sollicite notre argent. Les gouvernements ont certes la possibilité d'emprunter notre argent, mais nous ne manquons pas d'occasions de l'épargner et de le dépenser. Pour ce qui est de compter sur le patriotisme comme motivation, il est peu probable que le rapatriement de la dette suscite la même ferveur émotive que ne l'a fait la lutte pour soustraire le monde à l'emprise de tyrans étrangers. L'IDENTITÉ DU CANADA SUR LE PLAN DE L'ÉPARGNE Les problèmes que pose le rapatriement de la dette sont illustrés par les chiffres suivants. En 1992, le secteur privé a dégagé 124 milliards de dollars d'épargne, montant qui aurait été plus que suffisant pour financer ses besoins d'investissement, qui étaient de l'ordre de 109 milliards de dollars. Malheureusement, les gouvernements du Canada ont affiché cette année-là des déficits totalisant 44 milliards de dollars, soit une somme qui dépassait largement l'excédent de l'épargne privée canadienne. Les Canadiens ont donc dû se procurer 29 milliards de dollars auprès des épargnants étrangers ou, plus exactement, ils ont dû emprunter 29 milliards de dollars de plus à ce secteur quils lui en ont fourni. Il faut aussi noter que ce recours à l'épargne étrangère en 1992 n'était pas une exception -- c'était la règle avant 1992, et ce l'est toujours. C'est pour cette raison que l'économie doit tant, tout compte fait, à des étrangers. Les chiffres ci-dessus reflètent les contraintes auxquelles est assujettie l'économie canadienne. Aux besoins d'investissement du secteur privé s'ajoutent les besoins d'emprunt du secteur public. L'offre d'épargne est constituée de l'épargne privée au Canada et des emprunts faits à l'étranger. En l'absence de réduction de la demande intérieure privée d'épargne ou d'augmentation de l'offre intérieure d'épargne, si le gouvernement fédéral empruntait moins des sources étrangères, les autres emprunteurs canadiens seraient forcés d'emprunter davantage de ces mêmes sources. Par ailleurs, si les préoccupations que suscite la dette extérieure tiennent uniquement à la stabilité du dollar ou à la perte de recette fiscales, il importe peu que ce soit le secteur public ou les entreprises qui empruntent sur les marchés étrangers. De nouveaux instruments d'emprunt du secteur public ne feraient que concurrencer ceux qui existent déjà et n'ajouteraient rien au taux d'épargne global. Ils pourraient réduire légèrement les coûts d'emprunt, mais ils auraient sans doute surtout pour effet de réduire le montant de l'épargne intérieure dont le secteur privé pourrait disposer. Par conséquent, si nous ne voulons plus avoir besoin d'emprunter sur les marchés étrangers, nous devons choisir lune ou lautre des trois solutions suivantes : réduire les investissements intérieurs; réduire les déficits publics; augmenter l'épargne intérieure. (Un excédent budgétaire dans le secteur public canadien ferait augmenter l'offre et non pas la demande dépargne.) La réduction des investissements intérieurs n'est évidemment pas une bonne solution. Chacun sait qu'on a besoin d'investissements pour créer des emplois, engendrer de la richesse et des recettes, et ainsi de suite. À moins de pouvoir démontrer que les investissements du secteur privé sont peu rentables et que le secteur public saurait mieux accroître la capacité de production de l'économie, il vaut sans doute mieux ne pas décourager les investissements privés. Il reste donc deux choix réalistes : réduire les déficits publics ou accroître l'épargne intérieure. La première solution est simple et de nombreux gouvernements la mettent aujourd'hui en oeuvre. La seconde présente davantage de difficultés, comme on a pu le constater par le passé lorsque le gouvernement fédéral a tenté de stimuler l'épargne au moyen d'incitatifs fiscaux comme les REÉR, les REÉL et les RPA. On peut vérifier par des procédés empiriques si un allégement fiscal d'un dollar dégage plus ou moins d'un dollar d'épargne supplémentaire. S'il en dégage moins, nous nous retrouvons en plus mauvaise posture quavant : les encouragements fiscaux creusent les déficits, et l'accroissement de la demande d'épargne qui en résulte dépasse l'augmentation de l'épargne intérieure. C'est probablement ce qui se produirait si le gouvernement adoptait de nouvelles mesures de ce genre puisque le dégrèvement fiscal n'est pas nécessairement associé à une augmentation de l'épargne des particuliers. Il y aurait vraisemblablement alors des virements de portefeuille, les particuliers transférant leur épargne des instruments réguliers vers les instruments constituant un abri fiscal. Ainsi, en recourant à des encouragements fiscaux pour inciter les Canadiens à épargner, on pourrait en fait accroître leur dépendance vis-à-vis des sources d'épargne étrangères! Deux démarches pourraient nous permettre de moins faire appel à l'épargne étrangère. Le gouvernement fédéral pourrait décider que, à partir d'une date donnée, il n'honorera que la dette détenue par des Canadiens. Les non-résidents qui détiennent pour environ 100 milliards de dollars d'instruments d'emprunt seraient forcés de trouver des Canadiens à qui vendre ceux-ci. Où les Canadiens trouveraient-ils alors l'argent nécessaire pour racheter cette dette? Il faut se rappeler que, en 1992, l'économie canadienne n'a engendré que 124 milliards de dollars d'épargne, alors qu'on avait besoin de 153 milliards. En l'absence de réduction de la consommation, les Canadiens seraient forcés de vendre d'autres actifs à des étrangers ou d'acheter des instruments d'emprunt du gouvernement au lieu d'investir ailleurs. Une solution plus réaliste consisterait pour le gouvernement à émettre à l'avenir uniquement des instruments d'emprunt non négociables destinés strictement aux investisseurs canadiens. Les nouvelles émissions qui seraient allées à des étrangers iraient plutôt à des canadiens. Cependant, si l'économie canadienne ne produisait pas suffisamment d'épargne pour répondre à la totalité de la demande intérieure, les instruments d'emprunt actuels négociables du gouvernement du Canada pourraient être vendus à des non-résidents pour fournir aux Canadiens les fonds nécessaires à l'achat des nouveaux instruments d'emprunt du gouvernement. Une telle stratégie pourrait accroître les coûts d'emprunt globaux du gouvernement sans pour autant réduire sa propre dette extérieure. Le gouvernement pourrait par ailleurs essayer de restreindre les emprunts que le secteur privé effectue à l'étranger. On pourrait imaginer par exemple que, à partir d'une certaine date, les paiements d'intérêt à des non-résidents ne seraient plus déductibles aux fins de l'impôt sur le revenu. Cette mesure augmenterait considérablement le coût après impôt de ces instruments d'emprunt et forcerait les sociétés canadiennes à trouver des solutions de rechange. Le secteur privé chercherait davantage à emprunter au Canada, mais ces fonds lui coûteraient plus cher. Cela susciterait peut-être une augmentation de l'épargne, mais celle-ci ne serait pas suffisante pour répondre aux besoins du secteur privé. Le secteur privé pourrait en revanche réagir en prenant des décisions extrêmement fâcheuses. En effet, si les mesures adoptées par les gouvernements au Canada étaient telles qu'il devenait trop difficile de mobiliser des capitaux pour financer des investissementsau pays, les sociétés pourraient choisir de réduire leurs investissements au Canada voire de s'installer ailleurs, là où le financement est plus simple. Ainsi, la meilleure façon de réduire la dépendance de l'économie par rapport à l'épargne étrangère consisterait probablement à réduire la demande publique de capitaux. Beaucoup de gens souscrivent à l'idée d'une réduction des déficits et de la dette publics, mais ils ne se rendent pas compte que ce serait aussi un moyen de rapatrier la dette extérieure, qu'ils considèrent à tort comme une question distincte de celle de la dette globale. Une dette extérieure élevée n'est pas une maladie, c'est simplement un des symptômes d'une maladie, à savoir des déficits publics excessifs. Il faut se garder de surestimer les avantages du rapatriement de la dette pour la stabilité de notre devise et les recettes fiscales si l'on procède par restrictions gouvernementales. Le Canada a un marché des capitaux ouvert. À l'instar d'autres sociétés modernes démocratiques et industrialisées, nous permettons à nos citoyens d'emprunter et d'investir à l'étranger. Ainsi, les Canadiens qui réussissent à investir avec profit dans des mines d'or peuvent le faire dans le monde entier, et les étrangers qui préfèrent la sécurité de titres d'emprunt publics peuvent nous aider à financer nos déficits. Les investisseurs sont dans une meilleure posture lorsqu'ils sont libres de choisir entre une multitude de placements, mais les emprunteurs eux aussi en profitent parce que le jeu de la concurrence leur donne accès à des capitaux moins coûteux. S'ils n'avaient pas accès aux capitaux étrangers, les Canadiens perdraient des occasions de placement rentables, et le coût des capitaux pour le secteur public comme pour le secteur privé serait certainement plus élevé. Notre frontière étant ouverte aux mouvements de capitaux, des fuites de capitaux peuvent avoir leur origine tant à l'intérieur du Canada qu'à l'extérieur. Les Canadiens ne sont pas moins soucieux que les autres d'obtenir un bon rendement de leurs placements et d'éviter les risques excessifs. En fait, dans les pays qui ont été aux prises avec des fuites de capitaux, les fonds intérieurs étaient en général les premiers à déguerpir, ce qui a ensuite déclenché un mouvement d'exode des capitaux étrangers. Par ailleurs, la question des recettes fiscales est dans une certaine mesure un faux problème. Le fait que les secteurs public et privé puissent se procurer des capitaux à l'étranger a augmenté les dépenses et les investissements au Canada dans une proportion bien plus grande que ce qui aurait été possible dans une économie fermée. Les revenus, les emplois et les recettes fiscales s'en sont trouvés accrus. Il est fallacieux de prétendre que les gouvernements au Canada perdent les recettes fiscales afférentes à l'intérêt versé à des non-résidents. Ces revenus d'intérêt n'existeraient pas en l'absence d'emprunts à l'étranger. En outre, la concurrence est vive sur le marché international des capitaux. Les emprunteurs canadiens ne peuvent pas réduire artificiellement les coûts d'emprunt au moyen de mesures fiscales ou autres, car les prêteurs, canadiens ou étrangers, ont un vaste éventail de possibilités. Les Canadiens sont bien sûr tout à fait libres d'acheter des obligations du gouvernement du Canada, ainsi que des instruments d'emprunt des gouvernements provinciaux ou des sociétés privées, que ce soit directement ou en investissant de l'argent dans des institutions, comme des fonds communs de placement, qui se spécialisent dans certains types de placements. Étant donné que les banques canadiennes détiennent actuellement un montant record d'instruments d'emprunt publics, nous contribuons au financement intérieur des déficits publics canadiens chaque fois que nous déposons de l'argent dans notre compte en banque. Nous faisons la même chose avec nos fonds de pension. Le gouvernement du Canada vend déjà des instruments d'emprunt non négociables comme les obligations d'épargne du Canada. Cependant, à l'instar des emprunteurs privés, il s'est rendu compte que la façon la plus facile de financer ses déficits est démettre des titres pour la majeure partie négociables et faciles à vendre. Autrement dit, il est plus facile de vendre un titre à quelqu'un si l'acheteur potentiel a la possibilité de le revendre lorsqu'il ne le trouvera plus intéressant ou quil voudra investir ailleurs. Tout gouvernement ayant une lourde dette à financer ne fera qu'accroître ses frais de financement s'il restreint la taille du marché auquel il a accès. Il s'ensuit que des instruments d'emprunt vendus à des Canadiens se retrouvent parfois entre les mains d'étrangers. Les Canadiens empruntent à des non-résidents surtout parce que leur propre économie nengendre pas suffisamment d'épargne pour répondre à leurs besoins. Des mesures publiques de rapatriement de la dette peuvent transformer la composition du passif du gouvernement, mais non le bilan lui même de l'ensemble de l'économie. En fait, si une telle mesure avait des effets sur le bilan, ils seraient probablement plus négatifs que positifs. |