Direction de la recherche parlementaire


MR-147F

 

PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES DU CANADA :
PRINTEMPS 1997

 

Rédaction  Marion G. Wrobel
Analyste Principal

Le 19 mars 1997

                                      


PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES DU CANADA
PRINTEMPS 1997

Lorsque les chiffres du chômage de janvier 1997 ont été rendus publics, la presse a relevé la contradiction apparente entre les prédictions de forte croissance économique et un fort taux de chômage national persistant, alors bloqué à 9,7 p. 100. Avec 5 000 nouveaux emplois créés en janvier, on était très loin des 50 000 nouveaux emplois promis, ce qui permettait de douter qu’il y aurait, comme prévu, création de 300 000 nouveaux emplois au Canada en 1997. Les chiffres de février étaient pires encore : non seulement le chômage est demeuré à 9,7 p. 100, mais l’économie a perdu 19 000 emplois.

En vérité, lorsqu’on considère uniquement les taux de chômage, on n’a vraiment pas l’impression que l’économie se redresse; cela semble être de mauvais augure pour les budgets provinciaux attendus plus tard ce printemps et peut en amener certains à douter de la justesse des prévisions qui figurent dans les budgets déjà déposés. On aurait cependant tort de pécher ainsi par excès de pessimisme, car les perspectives d’avenir de l’économie nationale sont en fait très bonnes, ce qui devrait avoir des retombées très positives sur les budgets gouvernementaux.

Dans le rapport sur la politique monétaire qu’il a présenté l’automne dernier, le gouverneur de la Banque du Canada avait prédit que le taux réel de croissance de l’économie canadienne dépasserait les 4 p. 100 en 1997, ce qui était bien supérieur à la prévision moyenne du secteur privé, qui s’établissait à 3 p. 100 pour l’année. Des analyses plus récentes du secteur privé donnent toutefois à penser que la Banque ne se trompait pas de beaucoup. En janvier dernier, la Banque Scotia a prévu une croissance de 3,4 p. 100 pour 1997 et la Banque Toronto-Dominion prévoit, pour sa part, une croissance de 3,3 p. 100. La Banque Royale prévoit, quant à elle, des taux de croissance annuels moyens de 3,3 p. 100 pour 1997 et de 3,5 p. 100 pour 1998. Lorsqu’on le calcule comme la variation du quatrième trimestre d’une année au quatrième trimestre de l’année suivante, le taux de croissance prévu est de 3,6 p. 100 pour chacune des deux années. En utilisant la même mesure, la Banque de Montréal prévoit une croissance de 3,8 p. 100 en 1997. Le Conference Board du Canada est pour sa part plus pessimiste que les banques, car il a récemment prédit une croissance de seulement 2,9 p. 100 en 1997.

Les prévisions optimistes sont tout à fait crédibles quand on se rend compte que l’économie progresse déjà à un rythme encourageant. En taux annualisé, la croissance économique au Canada s’est établie à 3,3 p. 100 durant le troisième trimestre de 1996. Au quatrième trimestre, le taux annualisé est tombé à 2,9 p. 100 en raison d’un déclin du PIB en décembre, lequel a été attribué au mauvais temps et à une importante baisse des exportations par suite de la grève chez GM. La baisse temporaire des exportations a cependant été compensée par une forte poussée de la demande intérieure, qui à 1,8 p. 100 au quatrième trimestre, a été la meilleure depuis 1987. Les investissements des entreprises en machines et en matériel ont aussi affiché une hausse substantielle durant la seconde moitié de 1996, ce qui permet de penser que les bas taux d’intérêt commencent finalement à avoir un effet. À la fin de l’année, les investissements avaient progressé de 16 p. 100 par rapport à 1995. Dans un document paru récemment, Statistique Canada prédit une augmentation de 5,2 p. 100 des dépenses d’investissement totales en 1997, qui serait alimentée par une hausse prévue de 7,8 p. 100 des dépenses d’investissement du secteur privé. Les dépenses de consommation aussi ont augmenté durant le dernier trimestre de 1996, surtout dans les secteurs sensibles aux taux d’intérêt. Les prédictions optimistes de 1997 s’inscrivent donc dans la foulée des résultats déjà favorables de la dernière moitié de 1996.

L’économie américaine, source de la plus grande partie de la croissance au Canada, continue de progresser à un bon rythme. L’inflation demeure faible au Canada comme aux États-Unis, et les taux d’intérêt nominaux au pays, plus bas que jamais, semblent finalement avoir suscité une reprise de la demande intérieure.

Les facteurs défavorables sont soit temporaires (grève importante, hiver rigoureux) ou cesseront bientôt de se faire sentir (licenciements dans la fonction publique et compressions budgétaires, restructuration économique dans le secteur privé). Quant aux facteurs favorables, ils semble être de plus longue portée. On n’a pas de raisons de penser que les taux d’intérêt et l’inflation sont sur le point de se remettre à grimper. La Banque Royale, par exemple, ne prévoit qu’une très légère progression des taux d’intérêts à court terme jusqu’à la fin de 1998. Les taux à long terme, eux, devraient augmenter davantage, mais l’économie canadienne devrait profiter de faibles taux d’intérêt et d’inflation pendant encore au moins deux ans. Il ne sera donc pas nécessaire, comme durant des cycles précédents, d’adopter une politique monétaire restrictive pour mettre un terme à un excès de spéculation. En réalité, le seul point noir à l’horizon est l’opinion de certaines personnes, particulièrement Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale des États-Unis; selon elles, les marchés boursiers sont trop optimistes et les valeurs sont par conséquent surévaluées.

On ne voit pas très bien ce que la Réserve fédérale américaine pourrait ou même devrait faire à ce sujet. D’habitude, les banques centrales se soucient surtout du niveau global de l’inflation et non des fluctuations concentrées dans des marchés spécifiques, même des marchés aussi importants que les marchés boursiers. Si ces « excès » d’optimisme tient principalement à la faible inflation sur les marchés des produits et aux taux d’intérêt peu élevés, toute intervention de la Réserve fédérale pour resserrer la politique monétaire ne ferait que réduire encore davantage l’inflation et les taux d’intérêt à long terme et pourrait susciter un optimisme encore plus grand sur les marchés boursiers dans l’avenir. Ainsi, en dépit des commentaires récents de M. Greenspan, rien dans la conjoncture actuelle n’appelle un resserrement de la politique monétaire pour contrer des pressions inflationnistes.

Une forte performance économique augmente sensiblement les rentrées de l’État et réduit les dépenses de programmes dans les secteurs sensibles à la conjoncture. Lorsqu’il s’accompagne de taux d’intérêts faibles et stables, ce fait est de très bon augure pour les déficits publics. Au Canada, les projections du déficit budgétaire total des administrations fédérale et provinciales de l’année dernière s’établissaient à 34,9 milliards de dollars pour l’exercice 1996-1997. L’objectif visé par le gouvernement fédéral en matière de déficit était de 24,3 milliards pour cette année, mais d’après le budget de 1997, le déficit sera d’au plus 19 milliards, et certains observateurs pensent même qu’il pourrait être encore moins élevé. L’excédent budgétaire de l’Alberta, attribuable à la forte croissance économique de la province et à des prévisions de recettes extrêmement prudentes, devrait, selon les projections actuelles, être supérieur de deux milliards de dollars à ce qui était prévu dans le budget. En Ontario, le déficit devrait être inférieur d’environ un milliard de dollars aux prévisions. Ainsi, malgré la controverse entourant le faux excédent de la Colombie-Britannique, les finances publiques sont en meilleure posture qu’on ne l’avait prédit l’année dernière, et les déficits totaux pourraient être inférieurs de presque 25 p. 100 aux prévisions.

La récente amélioration de la situation financière de plusieurs gouvernements a amené certains analystes à parler du « cercle vertueux » d’une politique budgétaire stricte. L’Alberta, par exemple, a déjà pris toutes les mesures difficiles qui étaient nécessaires. Grâce à une budgétisation très prudente et à une vigoureuse croissance, elle a pu rembourser une partie de sa dette et elle est maintenant en mesure d’adopter des stimulants fiscaux sous la forme de réductions d’impôt, d’augmentation des investissements publics et d’une réduction des frais de service de la dette. Pour sa part, le gouvernement de l’Ontario n’aura pas besoin d’imposer de nouvelles mesures d’austérité et continuera de réduire les impôts. Enfin, le gouvernement fédéral n’a adopté aucune nouvelle mesure de compression budgétaire.

Ce sont là des facteurs favorables à la croissance économique, mais celle-ci ne sera pas répartie également dans tout le pays. Selon la Banque Scotia, l’Alberta et l’Ontario mèneront le bal, avec des taux de croissance de 4,6 et 4,2 p. 100 respectivement (voir le graphique 1). En Ontario, la croissance sera principalement attribuable au secteur de la fabrication, qui progresse en raison de l’accroissement des exportations et d’une reprise des dépenses de consommation encouragée par les faibles taux d’intérêt et les réductions de l’impôt sur le revenu des particuliers. En Alberta, la croissance viendra surtout du secteur des ressources dont la bonne tenue suscite divers investissements importants dans les secteurs de la mise en valeur des ressources, des produits chimiques et du transport du gaz naturel. La Colombie-Britannique vient au troisième rang, avec une croissance de 2,9 p. 100, et le taux de croissance de 1997 dans cette province devrait être sensiblement supérieur à ceux de 1995 et de 1996. Là encore, le Conference Board est moins optimiste que les banques précitées, mais il prédit lui aussi que la croissance sera concentrée en Ontario et en Alberta.

À court terme, l’achèvement des mégaprojets courants aura des conséquences fâcheuses importantes pour l’économie des provinces de l’Atlantique; ces réalisations présentent par contre des perspectives de croissance à long terme. L’économie de l’Île-du-Prince-Édouard continue de pâtir de l’achèvement du pont la reliant au continent, et la croissance de Terre-Neuve sera affectée par la fin des travaux de construction associés au projet Hibernia. Cette province devrait néanmoins enregistrer en 1997 son premier taux de croissance positif en trois ans et plusieurs initiatives touchant les ressources laissent présager une croissance plus soutenue pour le proche avenir.

Les seuls déficits provinciaux importants seront ceux de l’Ontario et du Québec, et c’est là que le contraste entre une économie en essor et une économie stagnante devrait être le plus frappant. Le budget du Québec de l’année dernière prédisait un budget équilibré pour l’an 2000, un objectif qui est maintenant inscrit dans la loi, et contenait une série de mesures de compression des dépenses. Cependant, selon plusieurs analystes, il faudra procéder à d’autres compressions substantielles pour atteindre l’objectif fixé, entre autres parce que les recettes de la province sont inférieures de plus de 700 millions de dollars aux prévisions. D’ailleurs, le récent budget des dépenses du Québec pour 1997-1998 prévoit pour 2,3 milliards de dollars de nouvelles réductions des dépenses.

Il reste possible que les prévisions de croissance du Québec soient trop optimistes. On prévoit que la croissance économique du Québec tirera de plus en plus de l’arrière par rapport à la moyenne nationale. Elle ne représentait que 83 p. 100 de celle-ci en 1995, mais on s’attend que le rapport tombe à 62 p. 100 pour 1996, pour glisser encore jusqu’à 53 p. 100 en 1997 (compte tenu d’un taux de croissance de 1,8 p. 100 en 1997 prévu par la Banque Scotia). Les prévisions du Conference Board sont encore plus mauvaises puisque celui-ci prévoit une croissance de seulement 0,7 p. 100 pour 1997. D’un autre côté, si les prévisions budgétaires du Québec établies l’année dernière pour 1996 et 1997 étaient proches de celles des analystes privés, la province prédit une croissance de 2,4 p. 100 par année pour 1998 et les années suivantes. Ces prévisions de croissance ne sont ni irréalisables, ni déraisonnables, compte tenu des tendances à long terme. Cependant, pour qu’elles aient des chances de se réaliser, il faudrait que la croissance relative du Québec par rapport à celle de l’Ontario revienne aux niveaux antérieurs. Dans les perspectives économiques régionales qu’elle a publiées récemment, la Banque de Montréal se montre plus optimiste en ce qui a trait à l’économie du Québec puisqu’elle prévoit une croissance de 2,75 p. 100 en 1997 et de 3, p. 100 en 1998. Si la conjoncture québécoise du milieu des années 90 se révèle être une aberration, les vigoureuses tendances économiques de l’économie nationale devaient bientôt se faire sentir dans cette province aussi, ce qui l’aiderait à se rapprocher de son objectif de budget équilibré, à l’instar de l’Ontario, de l’Alberta et de plusieurs autres provinces. Si tel n’est pas le cas, les plans budgétaires du Québec pourraient ne pas se réaliser.

Par contre, malgré un déficit projeté pour 1997-1998 qui devrait représenter un pourcentage du PIB légèrement supérieur à celui du Québec (voir le graphique 2) et la perte de plus de 50 000 emplois depuis six mois, l’Ontario bénéficie d’une conjoncture plus favorable, d’autant plus qu’il y aura d’autres réductions d’impôt et qu’il n’y aura pas de nouvelles compressions des dépenses. En outre, le budget de cette province étant fondé sur des hypothèses économiques extrêmement prudentes, les risques de mauvaises surprises sont minimes. Les prévisions de croissance du gouvernement de l’Ontario s’établissent à 2,8 p. 100 pour 1997 (bien moins que ce que prévoient les analystes privés) et à 3 p. 100 pour 1998.

L’autre province aux prises avec des décisions budgétaires difficiles est la Colombie-Britannique. Après que le gouvernement a admis, l’année dernière, que les chiffres du budget étaient erronés, il lui a fallu annoncer un certain nombre des mesures d’austérité; cela a causé un certain émoi car la province, habituée à une croissance économique vigoureuse, n’avait encore jamais eu, comme les autres, à prendre des mesures difficiles. La situation a maintenant changé. La tâche du gouvernement est cependant facilitée du fait que le déficit est loin d’être aussi important que ceux de l’Ontario et du Québec; les frais de service de la dette de la Colombie-Britannique ne représentent que 5 p. 100 des recettes publiques, comparativement à plus de 15 p. 100 en Ontario et au Québec. De plus, le gouvernement de la Colombie-Britannique a décidé de ne pas prendre en compte les dépenses d’investissement pour les fins du budget. Dans ce cas, l’obtention d’un budget équilibré constituera une réalisation moins importante que dans les autres provinces. 

 

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