Direction de la recherche parlementaire


  MR-150F

 

ÉCHANGE DE DROITS D'ÉMISSION ET MISE
EN OEUVRE DE L'ACCORD DE KYOTO

 

Rédaction  Lynne C. Myers
Division des sciences et de la technologie

Le 8 avril 1998

                                      


ÉCHANGE DE DROITS D’ÉMISSION ET
MISE EN OEUVRE DE L’ACCORD DE KYOTO

INTRODUCTION

La Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a eu lieu à Kyoto en décembre 1997. Les pays participants ont convenu d’objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre dans le monde, ainsi que de calendriers pour y arriver. Les points suivants résument les aspects les plus importants de l’accord.

  • Les pays développés ont convenu d’objectifs exécutoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Collectivement, les émissions de gaz à effet de serre seront réduites de façon à atteindre un niveau inférieur de 5,2 p. 100 à ceux de 1990 d’ici 2008-2012.

  • Les objectifs de réduction varient selon les pays : 8 p. 100 dans plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est et au sein de l’Union européenne, 7 p. 100 aux États-Unis et 6 p. 100 au Canada et au Japon.

  • Pour atteindre son objectif de réduction de 6 p. 100, le Canada devra réduire ses émissions de 25 p. 100 suivant le scénario du maintien du statu quo.

  • Les pays désireux de signer le protocole de Kyoto pourront le faire entre mars 1998 et mars 1999, après quoi ils devront le faire ratifier à l’échelle nationale.

  • L’accord devient exécutoire après ratification par 55 pays produisant 55 p. 100 des émissions des pays développés.

Il est clair que l’atteinte de l’objectif de Kyoto posera un énorme défi au Canada. En effet, entre la signature de la première entente cadre à Rio en 1992 et la Conférence de Kyoto en 1997, le pays n’a même pas pu s’en tenir à son modeste objectif de stabiliser d’ici l’an 2000 ses émissions de gaz à effet de serre aux niveaux de 1990. La croissance démographique et la reprise de l’économie comptent parmi les facteurs qui laissent croire que les émissions de gaz à effet de serre du Canada dépasseront, en l’an 2000, de quelque 8 p. 100 les niveaux de 1990.

Il n’en demeure pas moins que des progrès ont été réalisés. En fait, n’eût été des efforts de réduction du gouvernement, de l’industrie et des citoyens, l’écart aurait approché 13 p. 100. Néanmoins, on ne peut sous-estimer l’ampleur de la tâche qui attend le pays. D’importants virages s’inspirant de nouvelles approches, surtout dans la manière dont il produit, transporte et utilise l’énergie, devront être effectués. De nombreux analystes conviennent que le moyen le plus efficace et le plus efficient consisterait à procéder à des échanges de droits d’émission. Les négociateurs de Kyoto ont reconnu que l’échange de droits d’émission offre la souplesse nécessaire pour que les pays puissent atteindre leurs objectifs de réduction. Les dispositions suivantes du protocole de Kyoto le confirment.

  • Un régime international d’échange de droits d’émission permettra aux pays industrialisés de s’acheter et de se vendre des droits entre eux.

  • Un « mécanisme de développement propre » permettra aux pays développés d’obtenir des droits d’émission contre financement de réductions d’émissions dans les pays en développement.

  • Des projets mixtes de mise en oeuvre permettront aux pays en développement d’unir leurs efforts de réduction et de partager les droits qui en résulteront.

  • Les droits inutilisés une année pourront être accumulés et utilisés les années suivantes.

  • Les pays qui prennent des mesures pour éliminer les gaz à effet de serre dans l’atmosphère par des pratiques forestières améliorées recevront des droits d’émission.

Pour apprécier la valeur des échanges de droits d’émission comme instrument d’une politique de l’environnement, il est important d’en comprendre le principe. L’échange de droits d’émission permet en fait d’« imputer aux responsables » le coût environnemental des leurs émissions de divers polluants atmosphériques; autrement dit, cela permet d’établir ce qu’il en coûte pour émettre des polluants dans l’atmosphère. Suivant le scénario le plus courant, dit « du plafonnement et de l’échange », l’organisme de réglementation fixe un plafond ou une cible d’émissions pour chaque polluant ou groupe de polluants. Le volume d’émissions permis est ensuite réparti entre les sociétés, les régions ou les industries qui produisent ces émissions. Peu à peu, le plafond peut être abaissé de manière à réduire davantage les émissions.

Pour chaque groupe détenant un quota d’émissions, le coût des changements requis pour ne pas dépasser le niveau admissible sera différent. Dans un régime d’échange de droits d’émission, les entreprises qui pourront réduire leurs émissions au moindre coût atteindront leurs objectifs. Elles réduiront même leurs émissions à un niveau inférieur à la limite permise, dégageant ainsi un actif correspondant à la partie inutilisée de leur quota d’émission (c.-à-d. un crédit ou droit d’émission). Elles pourront ensuite vendre leurs droits à d’autres participants au régime pour qui il coûtera moins cher d’acheter ces droits que de réaliser les réductions visées.

Contrairement à ce que certains disent, un tel régime n’équivaut pas à émettre des permis de polluer; il laisse plutôt le marché choisir qui effectuera vraiment les réductions et comment il y parviendra. De cette façon, il est possible d’atteindre les objectifs de réduction au moindre coût possible pour l’économie. Même si un tel régime de réduction des émissions est fondé sur les lois du marché, il dépend en fait de l’organisme de réglementation qui fixe le plafond, lequel pourra être progressivement abaissé. Comme la valeur des droits d’émission « générés » ne pourra donc qu’augmenter, les entreprises auront intérêt à faire des améliorations technologiques. Dans le régime traditionnel dit « de réglementation directe », les entreprises sont seulement incitées à ne pas dépasser la limite prescrite.

Dans plusieurs États américains, des régimes d’échange de droits d’émission ont permis de réduire la pollution. Ainsi, un tel régime a été introduit pour accélérer l’élimination du plomb dans l’essence. Un autre a été particulièrement efficace pour réduire les émissions de dioxyde de soufre conformément aux dispositions de la Clean Air Act des États-Unis. Lorsque cette loi est entrée en vigueur, on a évalué que son observation coûterait aux entreprises touchées cinq milliards de dollars US par année suivant un régime de réglementation directe et seulement quatre milliards de dollars suivant un régime d’échange de droits d’émission. Selon des estimations plus récentes, fondées sur les données des premières années du régime d’échange de droits d’émission, le coût d’observation de la loi serait à peine de deux milliards de dollars par année. Les représentants de l’industrie pensaient au départ qu’il en coûterait quelque 1 500 $ la tonne pour atteindre les objectifs. Les droits d’émission de SO2 s’échangent actuellement au prix de quelque 90 $ la tonne.

Au Canada, l’Ontario a été la première province à adopter un régime d’échange de droits d’émission. Le projet pilote d’échange de droits d’émission (PPEDE), lancé en 1996, est une initiative multipartite dirigée par l’industrie, qui a pour objet de définir les principes et les éléments d’un programme visant à créer, à reconnaître et à échanger des droits d’émission.

L’approche ontarienne, qui s’inspire de programmes semblables en cours dans le nord-est des États-Unis (Massachusetts, Connecticut, New Jersey et Michigan), diffère quelque peu du « régime du plafonnement et de l’échange » susmentionné. Plutôt que de détenir des permis d’émission, les entreprises génèrent des droits d’émission en réduisant leurs émissions en-deçà des niveaux prescrits par des mesures volontaires ou législatives. Le programme porte sur la réduction des émissions des précurseurs du smog, soit les oxydes d’azote (NOx) et les composés organiques volatils (COV). On espère toutefois que l’expérience pilote de l’Ontario permettra à cette province de participer aux premiers efforts visant à étendre l’application du principe aux émissions de gaz à effet de serre.

En vertu du projet pilote ontarien, les entreprises participantes peuvent accumuler, vendre ou échanger les droits d’émission qu’elles génèrent. L’expérience ne vise pas à réaliser une forte réduction générale, mais plutôt à évaluer les avantages écologiques et économiques d’un tel régime en Ontario. De plus, comme le smog présent dans le corridor Windsor-Québec arrive en grande partie des États-Unis sous l’action des vents dominants, la province a cherché à obtenir la participation des Américains. Dans le cadre d’un projet du PPEDE, Ontario Hydro a acheté 400 tonnes de droits d’émission de NOx de la Detroit Edison dans ce qui constitue le premier échange d’émission international en Amérique du Nord. Un certain nombre d’autres projets sont en cours, et on s’attache à en mesurer la performance.

En Colombie-Britannique, un programme qui s’inspire de l’expérience ontarienne, mais qui porte sur les émissions de gaz à effet de serre, a été récemment mis en oeuvre. Le programme a été élaboré par le gouvernement de la Colombie-Britannique, en collaboration avec des représentants d’autres gouvernements provinciaux, du gouvernement fédéral, de l’industrie et d’autres groupes d’intervenants importants. Il vise à encourager les investissements volontaires dans des projets de réduction des émissions; à favoriser la mise au point de techniques de réduction des gaz à effet de serre; à tester et à évaluer les éléments juridiques et administratifs d’un régime d’échange de droits d’émission; à mettre l’accent sur l’utilisation des principes du commerce pour atteindre des objectifs écologiques et économiques; et à jeter les assises d’un éventuel régime d’échange de droits d’émission. Dans un tel régime, parfois appelé régime d’échanges compensatoires, on encourage les entreprises à créer, à acheter et à vendre des droits d’émission, comme dans le programme ontarien. Un appel d’offres a été lancé au début de 1998, et la date d’échéance d’acceptation des propositions, fixée au 31 décembre 1999.

En mars 1998, des dirigeants canadiens et américains ont tenu un forum à Vancouver pour discuter de la question des échanges internationaux de droits d’émission. Cent cinquante représentants du milieu des affaires, de l’industrie et de groupes de défense de l’environnement y ont participé. Il en est ressorti que le principe suscite beaucoup d’intérêt, même s’il reste beaucoup à faire pour préciser son mode de fonctionnement. Il est clair que le Canada doit continuer de multiplier les expériences d’échange de droits d’émission, car ce genre de régime semble être l’une des solutions qui seront retenues dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Les deux programmes canadiens décrits ci-haut permettront au Canada d’acquérir une expérience des plus utiles en préparation du suivi de Kyoto qui doit avoir lieu à Buenos Aires en novembre 1998. Lors de cette rencontre, les participants préciseront les paramètres d’un éventuel régime mondial d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre. Il sera difficile de s’entendre sur un régime qui soit à la fois applicable et efficace, mais le principe de l’échange de droits d’émission semble des plus prometteurs.