Direction de la recherche parlementaire


MR-72F

 

LE FINANCEMENT AGRICOLE ET LA
MONDIALISATION DE L'INDUSTRIE
AGROALIMENTAIRE

 

Rédaction  Jean-Denis Fréchette
Division de l'économie

Le 28 novembre 1990

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

LA MONDIALISATION VUE PAR LES BANQUIERS CANADIENS

Y-A-T-IL UNE PLACE POUR LES GOUVERNEMENTS DANS
LE FINANCEMENT AGRICOLE?

LES ATTENTES DES PRODUCTEURS FACE AU FINANCEMENT AGRICOLE
DE L'AVENIR


 

LE FINANCEMENT AGRICOLE ET LA
MONDIALISATION DE L’INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE

 

INTRODUCTION

La décennie 1990 a été identifiée par les intervenants du monde agricole comme celle des défis qui, s’ils sont bien relevés, serviront de porte d’entrée au prochain siècle. Il n’est donc pas surprenant que l’Association des banquiers canadiens ait retenu le thème de la mondialisation de l’industrie agroalimentaire pour sa première conférence des années 90 sur le financement agricole. Cette conférence, qui s’est tenue à Saint-Hyacinthe du 28 au 31 octobre 1990, regroupait des gens du milieu bancaire, de l’industrie agricole, des différents paliers gouvernements ainsi que des producteurs.

Le thème de la conférence était d’autant plus approprié que tous les secteurs de l’économie sont dorénavant confrontés à la mondialisation. Les banques canadiennes, tout comme les producteurs agricoles, cherchent présentement à déterminer la place qui leur revient sur les marchés mondiaux. Cette recherche s’avère laborieuse parce que la concurrence occupe déjà une place importante sur les nouveaux et les anciens marchés, mais surtout parce que l’absence de frontières, qui servaient auparavant de jalons, rend le positionnement plus difficile.

Mais qu’est-ce que la mondialisation? Le concept n’est pas nouveau, puisque la découverte du « Nouveau Monde » par les Européens il y a près de 500 ans était une forme de mondialisation. À notre époque, la mondialisation correspond aussi à une découverte, à savoir qu’il existe une demande internationale de biens et services. Les télécommunications ont, avant tout autre secteur, démontré l’existence de ces marchés sans frontières, et le phénomène s’étend maintenant à d’autres activités économiques. Les pays industrialisés ont profité d’un certain repli sur eux-mêmes pour mettre en place leurs infrastructures de production et acquérir leur expertise mais, maintenant que les échanges de biens, de services et d’information se font plus rapidement que jamais, la forte demande globale engendre une concurrence croissante du côté de l’offre. En prenant conscience qu’il y a des possibilités de marchés au-delà de leurs horizons jusqu’ici restreints, les gens d’affaire désirent s’accaparer certains de ces marchés; les banquiers et les gens du secteur agroalimentaire n’y font pas exception.

Si la mondialisation fait actuellement miroiter de belles possibilités de développement et de croissance pour ceux qui s’y aventurent, elle est aussi freinée par de nombreux obstacles, tissés serrés sur le réseau du commerce mondial. En cette ère de mondialisation, le financement et les investissements sont des outils majeurs pour l’accessibilité aux marchés; dans cette optique, le présent document synthétise les propos des différents intervenants qui ont exposé leurs visions de la mondialisation de l’industrie agroalimentaire lors de la conférence de Saint-Hyacinthe.

LA MONDIALISATION VUE PAR LES BANQUIERS CANADIENS

Le fait d’introduire le concept de la mondialisation dans le débat entourant le financement agricole n’a changé en rien la position bien arrêtée des banquiers. Depuis vingt ans, le débat se résume à savoir qui devrait être le principal prêteur agricole au Canada et qui seraient les clients potentiels. Pour les banquiers, le partage des pouvoirs est relativement simple : les agriculteurs établis, qui ont un profil comparable à celui des gens d’affaires des autres secteurs, continueraient d’être les clients des banques, tandis que les nouveaux agriculteurs et les agriculteurs à risques constitueraient les clients des gouvernements. Cette perspective des banquiers canadiens a été reprise et partagée par un participant européen, Monsieur Pierre Tréhiou, de la Caisse nationale de crédit agricole de France, qui a affirmé que dans l’avenir une exploitation agricole « devra dégager une rentabilité suffisante ou elle ne sera pas ».

En fait, le rôle des gouvernements se limiterait, d’une part, à diffuser l’information et à favoriser la formation des agriculteurs et, d’autre part, à demeurer un prêteur de dernier ressort. Par contre, ce que la mondialisation des marchés a changé, ce sont les besoins en financement; ceux-ci sont maintenant plus importants, davantage spécialisés et fortement diversifiés. Les banquiers affirment qu’ils ont ajusté leur tir en en améliorant la qualité de leurs services à la clientèle et qu’ils ont eux-aussi appris, en même temps que les agriculteurs, que la mondialisation avait une influence croissante sur leurs univers respectifs. Cette prise de conscience les a conduits à définir une stratégie en trois points :

i)  renforcer la structure de leur capital et mettre l’accent sur la rentabilité plutôt que
    sur la croissance de l’actif;

ii)  rajuster leurs pouvoirs afin de mieux répondre aux nouvelles exigences de leurs clients; et

iii)  adopter une stratégie de créneaux à l’étranger.

Les banquiers canadiens sont convaincus que les forces du marché dicteront plus que jamais les règles du financement agricole, mais du même souffle ils affirment que l’action gouvernementale, lorsqu’elle a lieu, doit respecter les règles de la concurrence et offrir à tous les mêmes chances. Par exemple, si l’État ouvre le marché canadien aux banques étrangères, il faudra que les marchés étrangers soient réciproquement ouverts aux banques canadiennes, tout comme on l’exige en agriculture. Il est intéressant de noter combien la stratégie générale pour affronter la mondialisation semble appropriée à tous les secteurs économiques.

Y-A-T-IL UNE PLACE POUR LES GOUVERNEMENTS DANS
LE FINANCEMENT AGRICOLE?

Cette question a été posée par un des participants et la réponse a été unanimement positive; toutefois l’importance de cette place demeure encore et toujours un sujet de controverse.

Par contre, tous les intervenants dans le financement agricole sont d’accord quant à la nécessité de réduire les incertitudes économiques qui hypothèquent la prise de décisions en agriculture, en commençant par la façon de financer les opérations courantes et l’investissement à long terme. Monsieur James J. Hewitt, président de la Société du crédit agricole (SCA), a confirmé la place du gouvernement fédéral dans le financement agricole en posant les jalons de la vision qu’il avait du rôle futur de la Société :

i)  en tant que source de rechange de crédit hypothécaire agricole, la SCA devrai
    livrer des produits spécialement conçus pour l’industrie agricole;

ii)  elle serait responsable de gérer les programmes de garantie du gouvernement fédéral;

iii)  enfin, elle aurait la tâche de servir de véhicule pour la livraison des programmes et des
     projets financiers du gouvernement fédéral.

De façon plus visuelle, le schéma 1 montre la place que devrait occuper la SCA dans la dynamique du financement agricole.

Reste que certains gouvernements provinciaux ont pris des orientations différentes en accordant davantage d’importance à leurs propres offices ou sociétés de crédit agricole, dont le rôle actuel repose déjà sur la vision d’avenir que l’on a pour la Société du crédit agricole du Canada. C’est le cas du Québec où l’Office du crédit agricole a développé un partenariat étroit avec les institutions commerciales afin de fournir aux agriculteurs une gamme complète de produits financiers. En 1989, les prêteurs commerciaux accaparaient 72,5 p. 100 de la dette agricole québécoise, soit le plus élevé ratio au Canada; par ailleurs, la clientèle de l’Office s’élevait à 75 p. 100 des fermes pour un volume de prêts correspondant à 57 p. 100 de tout le financement consenti au secteur agricole.

Bien qu’une stratégie nationale pour le financement agricole soit actuellement une priorité, les discussions qui se sont déroulées pendant la Conférence ont clairement laissé voir que les gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi que les institutions financières, sont encore relativement loin d’un consensus. Par contre, la forme de concurrence existant entre les prêteurs agricoles privés et publics les a forcé à améliorer leurs services et, surtout, à constater que le secteur agroalimentaire évoluait aussi au rythme de la mondialisation des marchés. Ainsi les deux prêteurs, gouvernements et institutions financières privées, deviennent de plus en plus des « évaluateurs de projets plutôt que des évaluateurs de fermes » comme c’était le cas auparavant. Finalement, on pourrait conclure que le financement agricole offert par les gouvernements sert aussi le développement agricole, par une forme de stratégie de développement régional, tandis que les banques visent essentiellement à financer les opérations agricoles, qui ont toutefois aussi un certain impact sur le développement.

 

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Source :  « Mettre au point une politique nationale de financement agricole, discours de James J. Hewitt, président de la SCA, conférence de l'Association des banquiers canadiens, Saint-Hyacinthe, 29 octobre 1990.

LES ATTENTES DES PRODUCTEURS FACE AU FINANCEMENT AGRICOLE
DE L’AVENIR

Les agriculteurs sont grandement conscients de la mondialisation des marchés. Ils la perçoivent par la concurrence accrue qu’ils doivent subir et par les changements importants dans les politiques économiques des gouvernements. De même, ils constatent que les politiques macroéconomiques des pays influent sur les modalités du financement agricole, par ex., la fixation des taux d’intérêt, mais ils prétendent que ces politiques sont peu ou pas influencées par l’économie agricole, ce qui laisse celle-ci totalement dépendante des décisions macroéconomiques.

La réalité pour les agriculteurs demeure que le financement agricole est un outil essentiel à leurs opérations et que les termes d’utilisation de cet outil devraient être mieux définis et à l’abri des fluctuations. Les agriculteurs ne croient pas qu’il y aura manque de fonds pour le financement agricole, le problème principal demeurant le coût de ce crédit et les conditions changeantes pour l’acquérir.

Pour la communauté agricole, la participation du gouvernement au financement agricole ne doit pas être perçue comme une solution de rechange au financement offert par les institutions privées, mais plutôt comme un complément à celui-ci. Les agriculteurs sont d’avis que, même si la participation des différentes provinces au financement agricole crée des disparités substantielles au niveau des services et des taux offerts aux producteurs d’une province à une autre, leur retrait de ces dernières ne solutionnerait pas le problème des taux trop élevés. De là l’importance d’un rôle bien défini, voir accru, du gouvernement fédéral dans le financement agricole, selon Monsieur Don Knoerr, président de la Fédération canadienne de l’agriculture. Les agriculteurs désirent avant tout une politique globale qui permettrait d’harmoniser tous les efforts et toutes les responsabilités des divers intervenants qui oeuvrent dans le financement agricole. les opérations agricoles exigent des capitaux énormes dont la demande ne sera qu’amplifiée par les exigences de la mondialisation des marchés. Pour relever ce défi, les agriculteurs canadiens souhaitent qu’une véritable politique de financement agricole soit mise de l’avant et que le gouvernement fédéral y joue un rôle prépondérant. Manifestement, le consensus est encore loin d’être atteint parmi les intervenants du financement agricole.