PRB 00-22F INDICATEURS SOCIAUX ET ÉCONOMIQUES
Rédaction : Blayne
Haggart TABLE
DES MATIÈRES 1. Mesure de lactivité économique 2. Indicateur approximatif du bien-être social et économique D. Les faiblesses du PIB comme mesure normative 1. Le PIB exclut les activités non rémunérées 2. Certaines dépenses mesurées par le PIB ne contribuent pas à la prospérité 4. LE PIB ne tient pas compte de la répartition du revenu ni de la consommation 5. Tous les facteurs de bien-être ne sont pas dordre économique VERS UNE MESURE DU BIEN-ÊTRE SOCIAL ET ÉCONOMIQUE A. Élaborer un nouvel indicateur : une tâche difficile 3. Accords internationaux et pressions politiques B. Comment se définit un bon indicateur? ADAPTATION DU PIB : QUELQUES PROJETS EN COURS B. Indicateur de progrès véritable de Redefining Progress SOURCES ET AUTRES RENSEIGNEMENTS LE PRODUIT INTÉRIEUR
BRUT ET LES AUTRES Bien que le produit intérieur brut (PIB), ou son cousin le produit national brut (PNB), nait vu le jour quil y a 60 ans environ, il est quasiment impossible dimaginer que lon ait pu sen passer. Statistique Canada le publie chaque mois, ce qui donne lieu à une foule de rapports, de commentaires et danalyses dans les médias. Il sous-tend chacune des décisions prises par les entreprises et guide le gouvernement dans lélaboration de ses politiques. Comme mesure de lactivité du marché et de la prospérité économique, le PIB est sans pareil. Le ministère du Commerce américain, qui a déclaré en 1999 que la création du Système de comptabilité nationale était sa plus grande réalisation du XXe siècle, a fait les commentaires suivants :
En général, le PIB est toutefois considéré comme plus quun indice macro-économique positif. Il est de plus en plus perçu comme un indicateur normatif du bien-être social et économique. Pour les Canadiens, il permet de connaître létat de santé du pays. Depuis longtemps, les milieux économiques et les cercles de stratèges sinterrogent sur lutilité du PIB comme indicateur normatif du bien-être social et économique général. Dans un document quil a publié pour Statistique Canada en 1974 et portant sur les possibilités de modification du PIB, Oli Hawrylyshyn fait remarquer que par le « passé le PIB avait été très utile pour ce qui est de la "comptabilité de gestion", en fournissant aux décideurs des renseignements sur lactivité des marchés et aux analystes des données sur les variables économiques à utiliser dans leurs modèles. Le PIB est supposé désormais indiquer à la population lamélioration ou la dégradation de son niveau de vie, et ce glissement revêt une certaine importance »(2). Le désir de mesurer le niveau et lévolution du bien-être na pas tiédi. Il existe des centaines de programmes dindicateurs à léchelon municipal, régional, national et international, qui visent tous à quantifier le bien-être selon ses diverses définitions. Un grand nombre de ces programmes tentent de mesurer des facteurs pour lesquels le PIB na pas été conçu, notamment le développement durable (entre autres types de développement) ainsi que la pollution et la dégradation de lenvironnement, de même que la qualité de vie. Dans son budget de 2000, le gouvernement fédéral a affecté 9 millions de dollars à lélaboration dindicateurs relatifs à lenvironnement et au développement durables. Dans le présent document, nous analysons les avantages et les inconvénients de lutilisation du PIB comme indicateur normatif du développement social et économique. Dans la première section, nous définissons le PIB, en en soulignant les forces et les lacunes. Dans la deuxième, nous abordons les aspects positifs et négatifs des autres indicateurs sociaux et économiques, tandis que dans la troisième nous abordons trois programmes en particulier.
Le produit intérieur brut mesure la valeur au coût du marché, exprimée en dollars, de la production finale dun pays. Il peut être calculé de trois manières : en additionnant les revenus et les profits issus de la production de biens et services; en additionnant les dépenses en biens et services (en ajoutant les sommes dépensées en exportations et en soustrayant les sommes dépensées en importations); et en adjoignant la valeur ajoutée par le travail et le capital lorsque les intrants achetés à dautres producteurs sont transformés en extrants. Le PIB mesure les flux économiques la production et non les stocks, comme la richesse et léquipement déjà existants, et ne mesure pas les transactions financières ni les dons (les fonds qui changent de main). Le PIB permet de mesurer lactivité économique à lintérieur des frontières dun pays, tandis que le produit national brut (PNB) quantifie le revenu global des citoyens de ce pays. Le PNB ajoute au PIB les loyers, les intérêts, les profits et les dividendes entrant dans le pays, et en déduit les loyers, les intérêts, les profits et les dividendes versés à des étrangers. Pour le moment, on privilégie le PIB plutôt que le PNB, car les décideurs sintéressent habituellement au niveau dactivité économique sur le territoire du pays. Dans la plupart des cas, le PIB et le PNB sont plus ou moins équivalents, bien que dans certains pays où la présence étrangère est forte, comme lIrlande, on privilégie le PNB. Le PIB réel par habitant sert également souvent dindicateur de lévolution du niveau de vie dune population. Il représente la valeur réelle de la production de biens et services divisée par le nombre dhabitants. La collecte de statistiques visant à décrire la situation des économies nationales dans le monde occidental remonte au moins à 1665, en Angleterre, mais les statistiques utilisées pour établir le PIB et le PNB le Système de comptabilité nationale est une invention relativement récente. Le Système de comptabilité nationale (SCN) a été créé en 1939 aux États-Unis dans le but de répondre à une nécessité pressante, maximiser la production dans une économie à la veille dune guerre mondiale et faire redémarrer léconomie après la grande Crise. Contrairement au tableau nuancé que permet aujourdhui de brosser le SCN, avant le milieu des années 1930 les fonctionnaires de lÉtat ne disposaient que de données incomplètes et sporadiques sur léconomie. Selon léconomiste Richard T. Froyen, « il est étonnant dapprendre que les présidents Hoover et Roosevelt ont conçu leurs politiques visant à surmonter la grande Crise des années 1930 en sappuyant sur des données aussi grossières que les indices des cours des actions, le chargement des wagons de marchandises ou les indices incomplets de la production industrielle »(4). Cest en 1937 que le premier jeu de comptes nationaux, préparé sous la direction de Simon Kaznets (futur lauréat du Prix Nobel déconomie) a été présenté au gouvernement américain. À la même époque, léconomiste britannique John Maynard Keynes, dont la pensée a façonné plus que tout autre lordre économique de laprès-guerre, développait sa Théorie générale, qui appelait une politique économique fortement interventionniste de la part de lÉtat. Selon le prix Nobel déconomie Robert Solow, les travaux de Kuznets constituent en quelque sorte « lanatomie » de la « physiologie » de Keynes(5). Grâce au système de comptabilité nationale, le gouvernement a été en mesure de répartir les ressources avec efficience et efficacité en vue de leffort de guerre. Daprès Wesley C. Mitchell, directeur du National Bureau of Economic Research, « seuls ceux qui ont participé personnellement à la mobilisation économique à lépoque de la Première Guerre mondiale savent le nombre de façons dont les estimations du revenu national sur 20 ans, ventilé de bien des façons, ont facilité leffort de guerre lors de la Seconde Guerre mondiale et à quel point »(6). Le SCN, assise du PIB, a guidé la politique économique de laprès-guerre qui se fondait sur la théorie keynésienne. Et il est difficile den sous-estimer le succès. William M. Daley, secrétaire du commerce américain, a déclaré que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, depuis que les comptes du PIB sont plus élaborés et dun usage plus répandu, les cycles dexpansion et de ralentissement sont beaucoup moins sévères. ...Ce système a eu un effet très positif sur le bien-être économique de lAmérique en fournissant un flux constant de données économiques très utiles(7). Le succès du PIB et du SCN est attribuable à leur universalité. Le SCN est devenu une norme internationale sous légide des Nations Unies, tandis que le PIB est désormais la mesure la plus répandue du bien-être économique et, dans une large mesure, du bien-être social. 1. Mesure de lactivité économique Comme on peut le déduire de ce qui précède, le PIB fournit un bien meilleur aperçu de léconomie et, par la voie de son taux de croissance, de lévolution de cette dernière que les autres mesures existantes. Il récapitule toute une gamme dinformations économiques. Décomposé, il peut mettre en lumière les forces et les faiblesses des divers secteurs. Les décideurs et les analystes disposent ainsi dun outil commode leur permettant dorienter les politiques économiques. Le PIB est également un excellent baromètre pour ce qui est du climat des affaires. Techniquement, une récession représente deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB, mais, pour les entreprises et pour les gouvernements, cest le signal quils doivent ajuster leurs politiques. 2. Indicateur approximatif du bien-être social et économique La croissance du PIB cest-à-dire la croissance de léconomie en général, contribue de façon marquante à la prospérité du pays. Normalement, la croissance économique a pour effet de faire augmenter les revenus et lemploi. La question se pose alors de savoir dans quelle mesure lévolution du PIB reflète les niveaux et les changements de la santé sociale et économique. Si nous sommes intéressés à suivre lévolution du bien-être, le PIB peut servir à mesurer les modifications du niveau de bien-être social si les autres facteurs en jeu demeurent constants. Selon certains économistes, les variations du PIB reflètent en fait le niveau de bien-être général suffisamment bien pour quil représente une bonne mesure de lévolution du bien-être. Au début des années 1970, William Nordhaus et James Tobin ont construit une mesure du bien-être économique à laide de données portant sur la situation aux États-Unis entre 1929 et 1965. Leur point de départ était la consommation des particuliers, corrigée pour tenir compte de postes comme les « dépenses regrettables » (frais de déplacement et frais de services bancaires et juridiques, par exemple), les dépenses en soins de santé et en enseignement privé, auxquelles ils ont ajouté des facteurs comme la valeur des loisirs (mesurée comme le coût doption du travail) et les dépenses des gouvernements censées générer la prospérité. Certains de ces facteurs peuvent être matière à débat (les loisirs sont-ils vraiment le coût doption du travail? Les dépenses en services juridiques ou les frais de déplacement sont-ils vraiment « des dépenses regrettables »?). MM. Nordhaus et Tobin ont établi que la Mesure du bien-être économique (MBÉ) et le PIB étaient corrélés, tout comme leur MBÉ (corrigée pour tenir compte du stock de capital et des exigences de croissance) et le produit national net (PNN). Certains analystes comme ceux de Redefining Progress (voir ci-après) estiment néanmoins que, par suite de lutilisation de ces indicateurs, les mesures de la production et du bien-être semblent avoir divergé au cours des années 1970, si bien que le PIB ne permet plus détablir avec exactitude notre utilité globale. Le principal avantage du PIB comme mesure approximative du bien-être général tient sans doute au fait quil est facilement quantifiable. Il est en effet extrêmement avantageux pour les stratèges de disposer dun chiffre facile à calculer et à suivre et cest ce que le PIB constitue dans la mesure où il donne une idée approximative du niveau de bien-être social et économique général. D. Les faiblesses du PIB comme mesure normative
La plupart des économistes de Simon Kuznets, créateur du SCN, au président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan émettent des mises en garde contre lutilisation du PIB comme mesure du bien-être social. Selon M. Greenspan, le PIB « constitue toujours la meilleure mesure de la valeur au coût du marché des biens et services, mais pas nécessairement du bien-être ni même du niveau de vie »(9). M. Kuznets a dit au Congrès américain en 1934 que « les objectifs en matière de croissance devraient être précis et indiquer de quel type de croissance il sagit et dans quel but »(10). Ces mises en garde sont passées plus ou moins inaperçues. En 1972, William Nordhaus et James Tobin ont fait remarquer que « le PNB nétait pas une mesure du bien-être; que la politique ne devait pas avoir pour objectif laccroissement maximal du PIB et que tous les économistes le savaient pertinemment, et pourtant le fait quils recouraient au PIB chaque jour pour mesurer la tenue de léconomie semblait indiquer quils sont des adorateurs du dieu PIB »(11). Plus de 400 économistes américains, notamment le Prix Nobel Herbert Simon et le professeur Robert Eisner, ancien président de la American Economics Association, ont déclaré publiquement que le PIB laissait de côté les coûts sociaux et environnementaux et donnait donc « une image partielle et trompeuse de la véritable prospérité »(12). De par sa nature, le PIB ne mesure pas certains facteurs intéressant ceux qui désirent déterminer le niveau et les variations du bien-être économique durable. Plus lévolution de ces facteurs diverge de celle du PIB, moins la mesure du bien-être économique que donnent le PIB et sa croissance est fiable. Par ailleurs, malgré son utilité comme moyen de prendre le pouls de lactivité économique, cet indicateur na pas un format immuable, comme le mettent en lumière certaines questions techniques. 1. Le PIB exclut les activités non rémunérées On entend par activités non rémunérées la production et la consommation de biens et services hors de léconomie de marché. Le travail ménager, les soins aux enfants ainsi que le bénévolat peuvent être, à quelques exceptions près, achetés dans une économie de marché. Dans une certaine mesure, les loisirs représentent le choix personnel doffrir ses services dans léconomie de marché. Le PIB est un moyen de mesurer lactivité du marché; à ce titre, il exclut tout ce à quoi aucun prix nest associé, ainsi que les transactions ayant lieu sur le marché noir. Le travail ménager non rémunéré, le bénévolat, le soin des enfants, le troc et le trafic de stupéfiants sont quelques exemples dactivités dont le PIB ne tient pas compte, bien quelles puissent en théorie être achetées sur le marché. Ronald Colman, directeur du groupe de réflexion de Halifax, GPI Atlantic (qui est en train de mettre au point une série dindicateurs pour la Nouvelle-Écosse) estime que tout glissement dun marché à lautre sera pris en compte dans le PIB, même si les niveaux généraux de biens et services produits peuvent rester stables.
Au niveau macroéconomique, la variable qui compte cest le niveau total des biens et services fournis, que ce soit sur le marché mesuré par le PIB ou non. Dans ce sens, le PIB ne fournit quun aperçu partiel de la réalité. 2. Certaines dépenses mesurées par le PIB ne contribuent pas à la prospérité Parfois les progrès et les reculs du PIB ne sont pas un reflet fidèle de la santé de léconomie. Si lon veut utiliser le PIB isolément comme indicateur normatif, les externalités, cest-à-dire les événements extérieurs hors de tout contrôle comme les guerres, les catastrophes naturelles et les maladies et qui mènent à des augmentations des dépenses, doivent être considérées comme des facteurs constructifs dans la mesure où elles stimulent lactivité économique. Le PIB ne tient compte daucune perte au niveau du bien-être en cas, notamment, de catastrophe naturelle ou écologique, bien que les opérations de dépollution ou la reconstruction contribuent à la fois au niveau de bien-être de la population et au PIB. Ne tenir compte que du PIB comme indicateur normatif dans de telles situations fournit une « mauvaise indication » des changements de bien-être social, car cela ne tient pas compte des effets négatifs qui ont été à lorigine de lactivité économique. En effet, « bien quils contribuent tous à laugmentation du PIB, les catastrophes "naturelles" et "humaines", les crimes et les accidents naméliorent pas le bien-être de la société »(14). Si lon devait utiliser le PIB comme seul critère de progrès, toute progression de ce dernier devrait signifier que le bien-être général sest amélioré. Et lon se retrouve avec cette situation paradoxale :
Parfois, les particuliers engagent des dépenses « défensives » qui réduisent éventuellement leur qualité de vie. Il peut sagir par exemple du coût des déplacements entre le lieu de travail et le logement, des coûts liés à la criminalité et aux accidents. Une fois encore, lorsquil sagit de dépenses involontaires (comme en cas daccident), leur contribution positive au PIB devrait être traitée comme nous lavons décrit auparavant. Lorsquil sagit dactivités délibérées, il faut user de jugement pour établir sil sagit effectivement dune dépense « négative » et dans quelle mesure. Par exemple, de longs déplacements entre son lieu de travail et son logement peuvent être fastidieux, mais résulter dune préférence personnelle (pour la vie en banlieue ou envie découter de la musique pendant le trajet) ou sexpliquer par labsence de logements abordables à proximité du lieu de travail. En fait, il est souvent difficile détablir si un facteur est complètement « négatif » ou complètement « positif ». Parce que le PIB ne mesure que les flux, et non les stocks, la consommation de ressources naturelles non renouvelables, comme le pétrole, compte comme un ajout au PIB, alors que le stock restant de réserves pétrolières nest pas considéré comme un stock. Les ressources naturelles devraient être considérées comme des stocks auxquels lon puise. Le tableau serait plus exact : lorsquelles sont découvertes, les ressources seraient ajoutées à la « richesse » du pays, dont elles seraient soustraites dès quelles seraient utilisées. Même si le PIB ne lindique pas, le Système de comptabilité nationale comporte des comptes satellites qui traitent des stocks de ressources naturelles, car, comme le capital physique et le travail, ils contribuent à la richesse dune nation. 4. Le PIB ne tient pas compte de la répartition du revenu ni de la consommation La mesure dans laquelle les particuliers et divers groupes bénéficient de la prospérité dun pays est un autre indicateur du bien-être social et économique qui y règne. Le PIB par habitant fournit une estimation grossière de la « part » qua chacun de léconomie du marché. Certains sont privilégiés par rapport aux autres. Ce nest pas en suivant lévolution du PIB que lon peut établir lampleur de la pauvreté et à quel point revenus et consommation sont inégalement répartis. 5. Tous les facteurs de bien-être ne sont pas dordre économique Le PIB ne pouvant mesurer que les facteurs auxquels un prix est associé, il exclut automatiquement ce qui ne ressort pas de la sphère de léconomie, comme la faible criminalité, la stabilité familiale et la salubrité de lair. Inversement, les coûts « négatifs » que sont le contrôle de la pollution ou les dépenses en systèmes dalarme et en frais de garderie constituent une adjonction au PIB même sils contribuent peu au bien-être général ou ny contribuent aucunement. Le PIB ne tient pas non plus compte des investissements en capital social, comme les investissements dans les collectivités ou les institutions sociales. On apporte constamment des révisions au PIB en tant que mesure de lactivité du marché, à mesure que la compréhension de léconomie évolue. Par exemple, on continue de débattre des différences entre un investissement de capitaux et la consommation, du côté des dépenses, les deux étant compris dans le même type dactivité. Le premier est bénéfique à long terme, alors que la seconde ne lest que dans limmédiat. Selon Alan Greenspan,
Qui plus est, certains éléments tiennent à la fois de la consommation et de linvestissement, ce qui est le cas de léducation. Comme le fait remarquer Hawrylyshyn, dans ce cas il faut simplement établir les limites et cest ce que fait le PIB en dollars courants à légard de la consommation (17). VERS UNE MESURE DU BIEN-ÊTRE SOCIAL ET ÉCONOMIQUE Tous les autres indicateurs sociaux et économiques sont conçus pour mesurer certains ou la totalité des facteurs précisés plus haut et pour permettre détudier et de suivre de façon empirique lévolution daspects sociaux comme le développement durable et la dégradation de lenvironnement et de régler les problèmes que pose lutilisation du PIB comme indicateur normatif. Bien que de nombreux groupes aient proposé des indicateurs rivalisant avec le PIB ou complétant ce dernier, aucun ne sest répandu ni na même menacé le PIB. Dans la section suivante, nous décrirons les efforts de trois groupes, celui qui appuie le SCN, Redefining Progress et GPI Atlantic, groupe de la Nouvelle-Écosse, après avoir indiqué dans le détail certaines des critiques dont font lobjet les indicateurs sociaux. A. Élaborer un nouvel indicateur : une tâche difficile Parce quil sattache aux prix liés aux transactions sur le marché, le PIB permet détablir un indice complet comportant un résultat net convenu. Les indicateurs de nature sociale nont pas ces caractéristiques. Même si lon peut sentendre sur divers facteurs de qualité de vie (leau potable est une bonne chose, la criminalité une mauvaise) ou sur ce qui constitue une « croissance négative », lexhaustivité des mesures (on ne peut jamais tout prévoir) et leur importance relative sont toujours matière à débat. Par conséquent, il est très difficile de sentendre sur la composition dun indicateur global du bien-être social, car il est par nature entaché de subjectivité. Même si un indice du bien-être social et économique durable nest pas impossible à construire, sa fiabilité dépendra de la mesure dans laquelle il est accepté. Le PIB présente un problème quelque peu différent. Bien quil constitue une mesure objective et positive de la croissance économique, le fait de sen servir pour mesurer de façon approximative le bien-être social procède dun jugement de valeur à propos de limportance de lactivité du marché et de la croissance économique. Si lon se fie exclusivement au PIB, on exclut automatiquement dautres indicateurs, ce qui représente en soi un jugement de valeur (par exemple, on suppose que linégalité des revenus et la valeur du travail ménager non rémunéré ne sont pas des mesures importantes du bien-être social et que le PIB est une mesure exacte du bien-être). Il est difficile, voire impossible, dadditionner des facteurs évidents de qualité de vie, tels que le niveau de la criminalité, les loisirs et les encombrements de la route, car ils ont tous des fondements différents. On préfère y associer un prix, ce qui pose toutes sortes de problèmes de mesure. Bien que lon accepte lentement la tarification de certaines activités non commerciales, le travail ménager non rémunéré par exemple, le fait dattacher un prix à toutes sortes dactivités, des loisirs au temps perdu dans les encombrements (manque à gagner en salaires) en passant par lamenuisement des ressources est un jugement de valeur pour ce qui est des éléments dont on tient compte et du poids relatif de chacun, comme nous en avons déjà parlé. Lamalgame pose également le problème de la pondération subjective. La solution la plus simple serait de léviter complètement. Aucun chiffre, que ce soit le PIB ou autre chose, ne peut brosser le tableau nuancé du monde dont on a besoin pour prendre des décisions judicieuses. Aussi, même sil serait souhaitable pour des raisons de simplicité de disposer dun seul chiffre, il pourrait être plus pratique de se doter dune sorte de « tableau de bord », comme le suggère lInstitut international de développement durable, de Winnipeg (www.iisd.ca). À linstar du tableau de bord dun véhicule qui regroupe un compteur de vitesse, un compteur kilométrique et un tachymètre, ainsi que plusieurs témoins dalerte, le modèle de tableau de bord proposé comporterait plusieurs indicateurs, notamment le PIB, les mesures de pollution, les comptes de ressource et les niveaux de criminalité, ce qui permettrait de pouvoir mieux prendre le pouls dun pays. On aurait ainsi une meilleure idée du niveau de bien-être social et lon éviterait la simplification exagérée qui va avec lutilisation dun seul chiffre. 3. Accords internationaux et pressions politiques Le recours à un autre indicateur rencontre linertie des autorités nationales et internationales. Le Système de comptabilité nationale est utilisé, cité et peaufiné depuis plus de 50 ans un peu partout au monde. Tous les pays acceptent le PIB comme une mesure de lactivité économique et, du Canada à la Chine, on cherche à en répandre lusage. Par conséquent, toute modification en profondeur de cet indicateur est peu probable parce quil est nécessaire davoir un outil permettant des comparaisons internationales. Or, pour Hans Messinger de Statistique Canada, cela « nempêche pas de chercher à établir une autre mesure »(18). B. Comment se définit un bon indicateur? Daprès lInstitut international du développement durablede Winnipeg, un bon indicateur économique présenterait les caractéristiques suivantes :
Dans certains cas, il faut créer de nouveaux ensembles de données pour construire un indice; dans dautres, on peut réutiliser les données de plusieurs façons. Le plus difficile est sans doute de créer un indicateur scientifiquement valide (problèmes de mesure et de définition). Il faut noter de nouveau que cela sapplique également au PIB dans son rôle de mesure du bien-être social. ADAPTATION DU PIB : QUELQUES PROJETS EN COURS La volonté de créer dautres indicateurs tient essentiellement à la montée du mouvement écologique. Pour faire suite aux révisions apportées en 1993 par les Nations Unies au système de comptabilité nationale, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, lOrganisation pour la coopération et le développement économiques et la Commission des communautés européennes ont adopté des lignes directrices visant à instaurer un système satellite de comptes nationaux portant sur les données écologiques et économiques, de manière à ce que les dépenses au titre de la protection de lenvironnement soient transparentes, à ce que lutilisation des ressources et la production des déchets soient chiffrées et à ce que le produit intérieur net tienne compte de la situation écologique, ce dans le but de rendre compte de lamenuisement des ressources naturelles et de la dégradation de lenvironnement.
Parce que le bilan national fait état des ressources naturelles, il est possible détablir la richesse nationale (valeur du capital dont une nation peut déduire un revenu futur). Actuellement, on tient aussi compte des machines au moyen desquelles on produit du bois duvre, mais pas le bois duvre lui-même. Dans les deux cas, il sagit dimmobilisations; bien quil soit possible pour un pays dépuiser une ressource naturelle, ce qui ne se reflétera pas dans les comptes nationaux, une nation ne peut perdre tout son capital (selon la définition actuelle). Cela tient au fait que le capital fabriqué par lhomme est pris en compte au moment de sa création et que le capital naturel « découvert » ne se reflète jamais dans un bilan. Le système des comptes satellites permet de restructurer le cadre de la comptabilité nationale pour faciliter lanalyse environnementale, de manière à ce que les dépenses au chapitre des activités de protection de lenvironnement soient explicites et à ce que lon connaisse la valeur du stock de ressources naturelles et sa variation annuelle. Il permet également de décrire linteraction entre lenvironnement et léconomie concrètement, en liant les données relatives à lutilisation des ressources et la production de déchets aux données économiques provenant du SCN. On obtient ainsi un produit intérieur net ajusté pour tenir compte de lenvironnement. B. Indicateur de progrès véritable de Redefining Progress Redefining Progress, organisme de réflexion de San Francisco (www.rprogress.org), est un des chefs de file du mouvement qui prône ladoption dautres indicateurs sociaux et économiques. Son indicateur de progrès véritable (IPV) représente le PIB corrigé de manière à tenir compte de la croissance « négative » (amenuisement des ressources et dépenses au titre de la prévention de la criminalité) par opposition à la croissance « positive ». Son objectif est de créer un indicateur à un seul chiffre qui remplacera le PIB en tant que mesure du bien-être social et économique. Ce nouvel indicateur devrait permettre de mesurer la prospérité économique et le développement durables. Il part des dépenses de consommation, corrigées pour tenir compte de linégalité des revenus, auxquelles sont ajoutés ou dont sont soustraits divers facteurs selon quils contribuent au développement économique durable et au bien-être social ou non (voir tableau 1). Son principal avantage est de permettre aux stratèges de sinterroger sur la qualité de la croissance économique, pour laquelle les mesures économiques traditionnelles comme le PIB sont sans utilité. Ainsi, le tableau que brosse lIPV de léconomie américaine au cours des 20 dernières années nest plus aussi rose : bien que le PIB ait augmenté considérablement au cours de cette période, lIPV affiche un recul de 45 p. 100. Là encore, ce que lon reproche à lIPV, cest la façon dont ses différentes composantes sont traitées. Par exemple, il ne tient pas compte de la plupart des dépenses de lÉtat (qui ne sont pas toutes intermédiaires ou consacrées à la défense de lenvironnement), des minéraux métalliques et des minéraux non métalliques, qui sont non renouvelables, ni des ressources renouvelables comme les forêts et la pêche et du capital humain. Par ailleurs, les prix quil attache à certains facteurs (comme les ressources non utilisées) sont souvent subjectifs. Par exemple, le chômage et le sous-emploi ont même valeur. Dautre part, les corrections dont il tient compte sont soit trop, soit pas assez restrictives. Enfin, il a le travers damalgamer de nombreux facteurs divers pour en arriver à un résultat net en dollars. Tableau 1 : Récapitulatif des méthodes dévaluation de chacune des composantes de lIPV
Nota : Le signe +/- indique si une section a été ajoutée ou soustraite de lindice. Source : Redefining
Progress, Why Bigger Isnt Better : The Genuine Progress
Indicator 1999 Update, Le groupe de réflexion de Halifax GPI Atlantic (www.gpiatlantic.org) suit une approche différente de celle empruntée par Redefining Progress. En effet, GPI Atlantic, organisme de recherche sans but lucratif fondé en 1997, est en train délaborer une série de comptes pour la Nouvelle-Écosse, qui seront intégrés de manière à produire un indice du développement durable et du bien-être. Contrairement à Redefining Progress, lindice de progrès véritable de cet organisme est un véritable indice et non un indicateur du résultat net : « constitué de 20 ensembles dindicateurs réputés et acceptables », il sera un indice général fiable permettant de suivre divers dossiers. Chacun des indicateurs qui le constituent devrait être accepté de façon générale, puisquil fera lobjet dune étude approfondie à la fois de Statistique Canada et demployés du gouvernement, duniversitaires et dexperts indépendants. Statistique Canada a décidé que lentreprise de GPI Atlantic (GPI est la traduction anglaise dindicateur de progrès véritable) sera un projet-pilote pour tout le pays. Il lappuie en lui donnant accès à ses données, en lui fournissant des conseils et en organisant des consultations de manière régulière ainsi quen revoyant les ébauches des documents produits. Les comptes de lIPV sont divisés en cinq groupes comportant des sous-groupes : lutilisation du temps (valeur du travail ménager et des soins aux enfants non rémunérés); les ressources naturelles (poisson); lenvironnement; les facteurs socio-économiques (répartition du revenu) et le capital social (coût de la criminalité, soins de santé). Certains de ces comptes ont déjà été établis, et le reste devrait lêtre dici 2001. Pour ce qui est des autres indicateurs sociaux et économiques, lingéniosité de lhomme ne fait pas problème. Il y a dans le site web de lIIDD plus dune centaine de programmes locaux, nationaux et internationaux liés à des indicateurs. Il sagit davantage dun problème de consensus et dacceptation. Cest parce quil a lappui du gouvernement que le PIB est largement accepté et est devenu lindicateur le plus souvent utilisé. Seules les autorités publiques peuvent assurer à un programme dindicateur la reconnaissance, les ressources et la base de données nécessaires pour quil devienne plus quun chiffre à la crédibilité limitée conçu pour répondre aux besoins idéologiques, financiers ou autres de son créateur. En définitive, la valeur de tous ces programmes dindicateurs sera fonction de leur utilité. Cest pour cela que le PIB est déjà devenu un guide en matière de politique économique. Dans dautres domaines, il faut dautres indicateurs. Comme le font remarquer Clifford Cobb, Ted Halstead et Jonathan Rowe, « une approximation des coûts sociaux et des coûts de lhabitat causerait moins de distorsions et deffets pervers que ne le fait actuellement le PIB; une estimation timide des coûts dun divorce ou dun crime, par exemple, produirait une image plus exacte du progrès économique que le fait de ne pas en tenir compte du tout »(19). Tout comme le Système de comptabilité nationale a permis aux stratèges davoir une vue de plus en plus nuancée de léconomie de marché, lutilisation de nouveaux indicateurs sociaux et économiques bien conçus permettrait de cerner ces questions dans un contexte social plus large. SOURCES ET AUTRES RENSEIGNEMENTS Les autres indicateurs économiques ne manquent pas de défenseurs. On trouve une kyrielle de renseignements sur le sujet dans Internet et dans les bibliothèques. Lauteur a consulté les sources suivantes pour préparer le présent document.
Anderson, Victor. Alternative Economic Indicators. London: Routledge, 1991. Baker, Linda. « Real Wealth: The Genuine Progress Indicator Could Provide an Environmental Measure of the Planets Health » In E/The Environmental Magazine, mai-juin 1999, version Internet, www.emagazine.com/may-june_1999/0599feat2.html Cobb, Clifford, Ted Halstead et Jonathan Rowe.
Colman, Ronald. « Background » In Measuring Sustainable Development: Application of the Genuine Progress Index to Nova Scotia, Progress Report and Future Directions. 16 janvier 1998, http://www.gpiatlantic.org/archive/background.html Dale, Ann et John B. Robinson, éd. Achieving Sustainable Development. Vancouver: UBC Press, 1996. Hawrylyshyn, Oli. « Examen de quelques propositions récentes visant à modifier et à étendre la mesure du PNB ». Statistique Canada. Décembre 1974. Henderson, D.W. Social Indicators: A Rationale and Research Framework. Ottawa : Conseil économique du Canada, 1974. Kuznets, Simon. How to Judge Quality. New Republic, 20 octobre 1962, p. 29. Measuring Well-being: Proceedings from a Symposium on Social Indicators, Rapport final, Conseil canadien de développement social, novembre 1996. Nordhaus, William et James Tobin. « Is Growth Obsolete? » In Economic Growth, National Bureau of Economic Research General Series No. 96E. New York: Columbia University Press, 1972. Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Measuring Social Well-Being: A Progress Report on the Development of Social Indicators. Programme délaboration dindicateurs du progrès social de lOCDE. Paris : OCDE, 1976. Statistique Canada. Éconnexions : Pour lier lenvironnement et léconomie Concepts, sources et méthodes du Système des comptes de lenvironnement et des ressources. Ottawa : décembre 1997. (1) Dans « GDP: One of the Great Inventions of the 20th Century », Survey of Current Business (ministère du Commerce américain), janvier 2000, www.bea.doc.gov/bea/aw/0100od/maintext.htm. (2) Oli Hawrylyshyn, « Examen de quelques propositions récentes visant à modifier et à étendre la mesure du PNB », Statistique Canada, décembre 1974, p. 12. (3) Cité dans « GDP : One of the Great Inventions of the 20th Century ». (4) Ibid. (5) Cité dans Clifford Cobb, Ted Halstead et Jonathan Rowe, « If the GDP is Up, Why is America Down? », Atlantic Monthly, octobre 1995, p. 6 de la version Internet, www.theatlantic.com/politics/ecbig/gdp.htm. (6) Cité dans « GDP : One of the Great Inventions of the 20th Century ». (7) William M. Daley, « Press Conference Announcing the Commerce Departments Achievement of the Century », 7 décembre 1999, dans « GDP: One of the Great Inventions of the 20th Century ». (8) Cité dans Blayne Haggart, « Taking a New Look at the Bottom Line », Catholic New Times, 28 février 1999, p. 13. (9) Dans « GDP : One of the Great Inventions of the 20th Century ». (10) Simon Kuznets, « How to Judge Quality », New Republic, 20 octobre 1962, p. 29. (11) William Nordhaus et James Tobin, « Is Growth Obsolete? » dans Economic Growth, National Bureau of Economic Research General Series No. 96E, New York : Columbia University Press, 1972, p. 4. (12) Cité dans Linda Baker, « Real Wealth: The Genuine Progress Indicator Could Provide an Environmental Measure of the Planets Health », dans E/The Environmental Magazine, mai-juin 1999, édition Internet, www.emagazine.com/may-june_1999/0599feat2.html. (13) Ronald Colman, « Background », dans Measuring Sustainable Development : Application of the Genuine Progress Index to Nova Scotia, Progress Report and Future Directions, 16 janvier 1998, http://www.gpiatlantic.org/archive/background.html. (14) Hans Messinger, Measuring Sustainable Economic Welfare: Looking Beyond GDP, Ébauche préliminaire, Statistique Canada, juin 1997. (15) « If the GDP is Up, Why is America Down? » p. 8. (16) Cité dans le document du ministère du Commerce américain « GDP One of the Great Inventions of the 20th Century ». (17) Oli Hawrylyshyn, « A Review », p. 24. (18) Blayne Haggart, « Taking a New Look at the Bottom Line », p. 13. (19) « If the GDP is Up, Why is America Down? » p. 14. |