91-9F

 

L'EUTHANASIE ET L'AIDE AU SUICIDE

 

Rédaction :
Mollie Dunsmuir, Margaret Smith, Susan Alter
Division du droit et du gouvernement
Sandra Harder, Division des affaires politiques et sociales
Révisé le 12 août 1998


TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  Historique

   B.  Considérations générales

      1.  Maladies chroniques et incurables
      2.   Techniques médicales
      3.  Coûts des soins de santé et vieillissement de la population
      4.  Soins palliatifs

   C.  Le droit canadien

      1.  Le Code criminel et l'euthanasie
      2.   L'aide au suicide
      3.   Les lignes directrices de la Colombie-Britannique
      4.  Le droit de refuser un traitement médicale
      5.   Le rapport de la Commission de réforme du droit du Canada
      6.   Les directives préalables
      7.   Les médecins
      8.   Le rapport du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide
      9.   Événements récents

   D.  Les États-Unis

   E.  L'euthanasie et l'aide au suicide aux Pays-Bas

   F.  L'Australie

MESURES PARLEMENTAIRES

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

JURISPRIDENCE


L’EUTHANASIE ET L’AIDE AU SUICIDE*

 

DÉFINITION DU SUJET

En raison des progrès dans le domaine des soins médicaux, les gens vivent désormais plus longtemps, et on peut retarder la mort. Mais la capacité de vivre plus longtemps s'accompagne parfois, chez ceux qui souffrent de maladies dégénératives ou incurables, d'une qualité de vie diminuée. Le désir de se voir épargner une longue agonie, l'incidence accrue de maladies incurables comme le sida et la maladie d'Alzheimer et une meilleure compréhension des moyens par lesquels la technologie médicale peut prolonger la vie et influer sur l'agonie sont quelques-unes des raisons qui ont amené les gens à vouloir mieux contrôler les décisions relatives à la vie et à la mort. Ces facteurs ont également ravivé l'intérêt pour l'euthanasie et l'interruption du traitement médical.

Le présent document traite des questions sociales et juridiques liées à ces sujets.

CONTEXTE ET ANALYSE

Les définitions de l’euthanasie et l’aide au suicide (ou suicide assisté) peuvent varier dans le cadre des discussions, mais celles qui suivent sont tirées du rapport du Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et le suicide assisté. L’euthanasie est un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d’autrui pour mettre fin à ses souffrances. L’aide au suicide est le fait d’aider quelqu’un à se donner volontairement la mort en lui fournissant les renseignements ou les moyens nécessaires, ou les deux.

L’euthanasie est volontaire lorsqu’elle est pratiquée conformément aux voeux d’une personne capable ou à une directive préalable valide. L’euthanasie est non volontaire lorsqu’elle est pratiquée sans qu’on connaisse les voeux d’une personne, qu’elle soit capable ou non. L’euthanasie involontaire, qui est assimilée au meurtre ou à l’homicide involontaire coupable, est pratiquée à l’encontre des voeux d’une personne capable ou d’une directive préalable valide.

Une personne capable est apte à comprendre la nature et les conséquences de la décision à prendre ainsi qu’à communiquer cette décision. Une personne incapable est inapte à comprendre la nature et les conséquences de la décision à prendre ou à communiquer cette décision.

   A. Historique

L'euthanasie a beaucoup attiré l'attention des médias ces derniers temps; toutefois, ni cette pratique ni la controverse qui l'entoure ne sont nouvelles. À notre époque, on insiste sur les distinctions conceptuelles qui existent entre l'euthanasie, le suicide et l'interruption de traitement; au départ, de telles distinctions n'existaient pas et l'euthanasie était généralement synonyme de suicide. La tolérance à l'égard du suicide qui s'est développée dans l'antiquité à l'époque classique traduisait jusqu'à un certain point un mépris pour la faiblesse, la maladie et l'incapacité de jouer un rôle dans la société après un certain âge. Mais, en même temps, elle témoignait du désir de mener une « vie bonne et utile », ce qui était impossible lorsqu'il y avait un déclin physique marqué. Dans l'Antiquité, les Grecs et les Romains ont réussi à dissiper l'ombre et le mystère qui entouraient le suicide et à faire en sorte que celui-ci fasse l'objet du discours et du débat publics.

L'intolérance à l'égard du suicide a commencé à prendre racine aux IIe et au IIIe siècles de notre ère et est devenue de plus en plus marquée sous l'influence du christianisme. Alors que, chez les Anciens, le suicide n'était critiqué que s'il était illogique ou sans fondement, les chrétiens ont considéré cet acte comme une provocation directe ou une entrave à la volonté de Dieu; par conséquent, les suicidés n'avaient pas droit à un enterrement en terre sacrée et leur geste déshonorait leur famille. Saint-Augustin lui-même a déclaré que « la vie et ses souffrances sont des ordres divins et doivent être acceptés en conséquence ». Au XIIIe siècle, les enseignements de saint Thomas d'Aquin ont incarné l'intolérance à l'égard du suicide. Selon saint Thomas, le suicide enfreint le commandement biblique interdisant de tuer et constitue, au bout du compte, le péché le plus dangereux, parce qu'il écarte toute possibilité de se repentir.

L'incidence des découvertes scientifiques et médicales des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles a changé la nature du débat sur le suicide. La capacité de plus en plus grande des médecins de traiter les maladies physiques et de prolonger la vie a poussé l'État à s'intéresser plus directement aux questions de la vie et de la mort dans le contexte médical. L'observation rigoureuse des principes et des enseignements religieux est devenue plus compliquée à cause des découvertes scientifiques et médicales. Des questions comme la mort assistée médicalement et l'interruption de traitement, qui sont au coeur du débat actuel, remontent à cette période. Au début du XIXe siècle, la profession médicale a longuement discuté de l'euthanasie. Les philosophes et les théologiens ont également participé à ce débat qui a surtout porté sur la question de la « qualité de la vie » et sur le droit pour un être humain de déterminer quand cette qualité s'est dégradée au point où il devient acceptable de cesser de vivre.

Récemment, c'est probablement aux États-Unis que s'est présenté le meilleur exemple de débat public sur cette question de la qualité de la vie et de l'interruption de traitement avec le cas de Karen Ann Quinlan, cette jeune femme de 21 ans qui avait subi des lésions irréversibles au cerveau après avoir consommé de l'alcool et des drogues. Les parents de Mlle Quinlan ont signé une autorisation permettant aux médecins de débrancher le respirateur qui maintenait leur fille en vie. Quand l'hôpital a refusé d'obtempérer, les Quinlan ont demandé aux tribunaux de renverser cette décision. En 1976, pour donner suite à une décision de la Cour suprême du New Jersey, le respirateur a été débranché. Mlle Quinlan est décédée en 1985, dans un foyer de soins de santé où elle avait vécu une dizaine d'années dans le coma et sous perfusion. De l'avis des experts du domaine, cette affaire a profondément marqué l'opinion publique et influé sur l'évolution des mesures législatives.

   B. Considérations générales

Lorsqu'il est question d'euthanasie et d'interruption de traitement, les liens qui existent entre le droit, la moralité et la politique sociale ne sont pas tout à fait clairs, ce qui pose des problèmes particulièrement délicats aux personnes chargées d'élaborer et d'appliquer des lignes de conduite concrètes. Une foule de facteurs sociaux devraient venir éclairer la réflexion actuelle sur la politique en matière de santé et la politique sociale ainsi que sur l'euthanasie ou l'interruption de traitement.

      1. Maladies chroniques et incurables

L'incidence accrue de maladies chroniques comme la maladie d'Alzheimer et de maladies incurables comme le sida et le cancer signifie souvent que les malades peuvent entrevoir leur avenir probable avant de perdre leurs capacités. Cette situation peut les inciter à exercer des pressions pour participer plus directement aux soins médicaux qui leur sont prodigués; dans certains cas, ils demandent qu'on les aide à mourir. De fait, dans son mémoire au comité législatif H pendant les audiences tenues en 1991 sur le projet de loi C-203, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), la Société canadienne du SIDA a exprimé l'espoir que « la mort ne soit pas plus perçue comme l'échec des soins médicaux, mais plutôt comme l'expression de la dignité, de la compassion et du respect du droit qu'a chacun de choisir ».

      2. Techniques médicales

La plupart des citoyens savent désormais dans quelle mesure les techniques médicales peuvent prolonger la vie, abstraction faite des questions relatives à la qualité de cette vie. Bien des gens réfléchissent donc activement aux limites qu'ils imposeront à leur propre traitement médical et à celui des membres de leur famille.

      3. Coûts des soins de santé et vieillissement de la population

Le coût de plus en plus élevé des soins de santé dans la plupart des pays est un autre facteur pertinent. Les estimations selon lesquelles les coûts des soins de santé les plus élevés sont engagés dans les derniers jours de la vie illustrent l'équilibre délicat qui s'établit entre le maintien de la vie et la volonté de contenir les dépenses en matière de soins de santé. Selon certains analystes des politiques en matière de santé, ce fait deviendra de plus en plus évident à mesure que la majorité des gens atteindront l'âge à partir duquel les coûts en matière de soins de santé et les coûts connexes s'accroissent. Cette situation pourrait s'aggraver si la population active n'est plus assez nombreuse pour fournir les recettes fiscales nécessaires à la prestation des soins de santé.

      4. Soins palliatifs

Les décisions d'orientation doivent également tenir compte de la question des soins palliatifs et des soins dans les hospices. Certains médecins craignent que le soutien à l'euthanasie active ou volontaire ne porte préjudice à la recherche de soins palliatifs de meilleure qualité et plus efficaces. Ils font valoir que les soins fournis dans les hospices aux malades en phase terminale, qui augmentent considérablement la qualité des dernières étapes de la vie, pourraient être sacrifiés en faveur d'une politique d'euthanasie active.

   C. Le droit canadien

      1. Le Code criminel et l’euthanasie

Un certain nombre de dispositions du Code criminel ont une incidence sur l'euthanasie et l'interruption de traitement.

L'article 14 du Code prévoit que :

Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.

Dans le contexte médical, un médecin qui, à la demande d'un patient, injecterait à celui-ci une substance délétère serait criminellement responsable du décès du patient.

L'article 45 a une incidence sur le droit de refuser un traitement. Il stipule que :

Toute personne est à l'abri de responsabilité pénale lorsqu'elle pratique sur une autre, pour le bien de cette dernière, une opération chirurgicale si, à la fois :

  1. l'opération est pratiquée avec des soins et une habileté raisonnables;

  1. il est raisonnable de pratiquer l'opération, étant donné l'état de santé de la personne au moment de l'opération et toutes les autres circonstances de l'espèce.

Une fois qu'il a commencé le traitement médical, le médecin est tenu de pratiquer la thérapie, dont l'interruption pourrait provoquer la mort, avec des soins, une habileté et des connaissances raisonnables. Cette obligation est clairement énoncée à l'article 217 du Code criminel, qui stipule que :

Quiconque entreprend d'accomplir un acte est légalement tenu de l'accomplir si une omission de le faire met ou peut mettre la vie humaine en danger.

D’autres dispositions du Code criminel peuvent également entrer en jeu, selon les circonstances, notamment l’article 215 (Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence), l’article 216 (Obligation des personnes qui pratiquent des opérations dangereuses), l’article 219 (Négligence criminelle), l’article 220 (Le fait de causer la mort par négligence criminelle), l’article 221 (Causer des lésions corporelles par négligence criminelle), l’article 222 (Homicide), l’article 229 (Meurtre), l’article 231 (Classification [des meurtres]), l’article 234 (Homicide involontaire coupable), l’article 245 (Fait d’administrer une substance délétère) et les diverses dispositions touchant les voies de fait et les lésions corporelles.

En théorie, on s’attendrait à ce qu’un cas d’euthanasie soit traité comme une affaire de meurtre au premier degré, puisque l’intention est de causer la mort, ce qui correspond à la définition du meurtre, et que l’acte est la plupart du temps commis avec préméditation et de propos délibéré, ce qui correspond à la définition de meurtre au premier degré. Cependant, les accusations portées en matière d’euthanasie ont souvent varié en fonction d’autres critères : le fait que l’intention première était de soulager la souffrance, l’attitude imprévisible des jurés et la difficulté, sur le plan technique, de prouver la cause exacte de la mort chez une personne qui, de toute façon, approchait de la fin de sa vie et prenait des quantités considérables d’analgésiques. Les accusations au Canada couvrent donc toute la gamme, depuis le fait d’administrer une substance délétère jusqu’au meurtre, en passant par l’homicide involontaire coupable.

      2. L’aide au suicide

En vertu de l'article 241 du Code criminel, est coupable d'un acte criminel quiconque conseille à une personne de se donner la mort ou aide quelqu'un à se donner la mort, bien que le suicide en lui-même ne soit plus un acte criminel. La validité de l'article 241 a été contestée, en 1992, au titre de la Charte canadienne des droits et libertés dans l'affaire de Sue Rodriguez, une femme souffrant de sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Lou Gehrig. Mme Rodriguez a tenté de faire abroger cet article, pour le motif qu'il empêche un malade en phase terminale de réaliser son suicide avec l'aide d'un médecin. Elle a prétendu que son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » qui, à son avis, comprend le droit relatif au contrôle de la méthode, du moment et des circonstances de la mort, lui était refusé par l'article 241.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a décidé que l'article 241 ne prive pas Mme Rodriguez de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu'il n'amoindrit pas non plus sa liberté de choix ni ne modifie sa capacité de prendre des décisions fondamentales à propos de sa vie. De l'avis de la cour, c'est la nature de sa maladie, et non le système juridique ou l'État, qui enlève à Mme Rodriguez la capacité de réaliser ce qu'elle désire. La cour a également conclu que l'article 241 n'établit pas de discrimination contre les personnes pour les motifs d'incapacité physique.

Il en a été appelé de cette décision à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, qui, en mars 1993, a rejeté l'appel par un vote de deux contre un. De l'avis des deux juges qui ont rejeté l'appel, cette affaire relève davantage du Parlement que des tribunaux. En déterminant si l'article 241 du Code criminel va ou non à l'encontre de l'article 7 de la Charte, le juge Hollinrake a soutenu que, bien qu'il soit possible que cet article prive Mme Rodriguez de son droit à la sécurité de sa personne en vertu de l'article 7 de la Charte, il n'est pas contraire aux principes de la justice fondamentale d'interdire l'aide médicale au suicide.

Le juge en chef de la Cour aurait, pour sa part, admis la requête en appel. Il a conclu que l'article 241 était contraire aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne dont Mme Rodriguez jouit en vertu de l'article 7 et indiqué que « toute disposition qui impose une période indéterminée de souffrance physique et psychologique indue à une personne dont la fin est proche ne peut de toute manière être conforme à aucun principe de justice fondamentale ».

Mme Rodriguez en a appelé de cette décision devant la Cour suprême du Canada, qui a rejeté l'appel dans une décision à cinq contre quatre. Mme Rodriguez avait soutenu devant la Cour que l'alinéa 241b) du Code criminel, qui interdit à quiconque d'aider ou d'encourager quelqu'un à se donner la mort, violait les articles 7, 12 et 15 de la Charte.

La Cour a statué, à la majorité, que, bien que l'alinéa 241b) prive Sue Rodriguez du droit à la sécurité de sa personne que lui garantit l'article 7 de la Charte, cette privation est justifiée parce qu’elle est conforme aux principes de justice fondamentale. S'exprimant au nom de la majorité, le juge Sopinka a déclaré que le respect de la vie est un principe fondamental au sujet duquel il y a un consensus important au Canada. L'interdiction de l'aide au suicide reflète ce consensus et vise à protéger les personnes vulnérables qui pourraient être incitées à se donner la mort. À son avis, permettre l'aide au suicide porterait atteinte au principe du caractère sacré de la vie et donnerait à penser que l'État sanctionne le suicide. De plus, les craintes d'abus possibles et la difficulté que pose la formulation de garanties destinées à prévenir les abus font qu'il est nécessaire d'interdire l'aide au suicide.

La majorité a également rejeté l'argument selon lequel l'alinéa 241b) infligeait à Mme Rodriguez un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte.

Le juge Sopinka a admis que les droits à l'égalité de Mme Rodriguez, garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, avaient été violés, mais il a ajouté que cette violation était justifiée au sens de l'article premier de la Charte. Il a fait remarquer que l'alinéa 241b) a pour objet de protéger les personnes vulnérables contre le contrôle d'autrui sur leur vie. L'introduction d'une exception à l'interdiction de l'aide au suicide pour certains groupes ou certaines personnes créerait une inégalité et confirmerait l'argument selon lequel un tel geste ouvrirait la voie à la pratique généralisée de l'euthanasie (l'argument « du doigt dans l'engrenage »). À son avis, l'élaboration de garanties destinées à prévenir les abus a donné des résultats insatisfaisants et n'a pas contribué à dissiper les craintes d'abus possibles. Même si une exception était introduite pour aider les malades en phase terminale, rien ne garantirait que l'aide au suicide serait limitée aux personnes qui souhaitent sincèrement mourir.

Dans son opinion dissidente, la juge McLachlin a soutenu que l'alinéa 241b) viole l'article 7 de la Charte. Elle a conclu qu'il serait contraire aux principes de justice fondamentale de priver Sue Rodriguez d'un choix qui est accordé aux personnes non handicapées pour la seule raison que d'autres pourraient être victimes d'abus. À son avis, on se sert de Sue Rodriguez comme « bouc émissaire » pour protéger les personnes qui pourraient être persuadées, à tort, de se donner la mort.

Le juge en chef Lamer a fondé son opinion dissidente sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Il a soutenu que l'alinéa 241b) crée une inégalité du fait qu'il empêche les personnes physiquement incapables de mettre fin à leur vie sans aide, de choisir le suicide sans contrevenir à la loi; celles qui sont capables de mettre un terme à leurs jours sans aide, toutefois, peuvent le faire en toute impunité. Même s'il a dit craindre que la décriminalisation de l'aide au suicide accentue le risque que les handicapés physiques soient manipulés par d'autres personnes, il a affirmé que de telles conjectures ainsi que l'argument du « doigt dans l'engrenage » ne justifiaient pas l'imposition d'une restriction à ceux qui ne sont pas vulnérables et qui consentent librement à se donner la mort.

Le juge Cory, a appuyé, dans son opinion dissidente, le redressement proposé par le juge en chef Lamer, tant pour les motifs avancés par le juge en chef lui-même que pour ceux qu'a invoqués la juge McLachlin. Il a affirmé que le droit de mourir avec dignité devrait être protégé par l'article 7 de la Charte et que les malades en phase terminale devraient pouvoir obtenir de l'aide pour mettre fin à leur vie.

      3. Les lignes directrices de la Colombie-Britannique

En novembre 1993, le ministère du procureur général de la Colombie-Britannique a préparé des lignes directrices à l'intention des procureurs de la Couronne relativement aux accusations portées contre des personnes qui, par compassion envers le malade, participent à l'interruption de sa vie. Aux termes des lignes directrices, les procureurs de la Couronne approuveront la poursuite dans les seuls cas où la mise en accusation est probable et où la poursuite est dictée par l'intérêt public.

Pour établir s'il y a de bonnes probabilités d'une mise en accusation, les procureurs de la Couronne sont tenus de classifier la conduite de la personne partie à la mort et aux conséquences qui en découlent dans l'une ou l'autre des catégories suivantes : « euthanasie active », « suicide assisté », « soins palliatifs » ou « non-administration ou interruption de traitement ». Les facteurs dont ils devront tenir compte alors comprennent l'intention prouvable de la personne et, dans les cas touchant un médecin et son patient, le point de vue de l'Association médicale canadienne et les opinions médicales d'experts relativement à ce qui est considéré généralement comme une conduite médicale conforme à l'éthique.

Le critère de l'intérêt public suppose que l'on tiendra compte des facteurs suivants :

  • le respect par les professionnels de la santé de critères professionnels et éthiques acceptables;

  • le souci du public de protéger les personnes vulnérables;

  • l'intérêt du public vis-à-vis du respect du caractère sacré de la vie humaine, ce qui ne suppose pas le maintien de la vie à tout prix.

Conformément aux lignes directrices, les soins palliatifs et la non-administration ou l’interruption d’un traitement médical ne feront pas l’objet de poursuite criminelle quand ces soins sont dispensés selon les normes médicales reconnues et conformes à l’éthique.

      4. Le droit de refuser un traitement médical

La common law reconnaît à un adulte capable le droit de refuser un traitement médical ou d'exiger son interruption.

Dans une décision rendue en 1990, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que les instructions relatives aux transfusions de sang, données lorsqu'un malade est capable de prendre des décisions, doivent être suivies même lorsque ce malade en devient incapable. La Cour a décidé que le médecin doit observer les instructions écrites d'un témoin de Jéhovah refusant toute transfusion, même en cas d'urgence, lorsque le malade est incapable de donner son consentement. Elle a toutefois souligné que cette décision ne s'appliquait qu'à l'affaire dont elle avait été saisie et non aux maladies en phase terminale ou incurables, lorsque le malade cherche à rejeter un traitement médical au moyen d'un testament euthanasique ou de directives médicales préalables, ni aux situations où la famille d'une personne qui se trouve dans un état végétatif persistant souhaite faire cesser le traitement médical.

Dans la décision rendue en janvier 1992 dans l'affaire Nancy B., la Cour supérieure du Québec a tranché qu'une patiente adulte capable, atteinte d'une maladie incurable et clouée au lit pour la vie avait le droit de demander à son médecin de débrancher le respirateur qui la maintenait en vie. Dans sa décision, le juge Dufour a cité les articles du Code civil du Québec prévoyant que l'être humain est inviolable et que personne ne peut l'obliger à recevoir un traitement sans son consentement.

Cette affaire portait également sur la responsabilité criminelle du médecin qui, à la demande de Nancy B., devrait débrancher le respirateur. Après avoir évoqué les articles 216, 217, 45 et 219 du Code criminel, ainsi que les dispositions relatives à l'homicide, le juge a conclu que le médecin ne montrerait pas une insouciance déréglée ou téméraire s'il débranchait le respirateur à la demande de la patiente et laissait la maladie suivre son cours naturel. I1 a également statué que le médecin n'aiderait pas la patiente à se suicider et ne commettrait pas un homicide, étant donné que la mort de Nancy B. résulterait de la maladie.

      5. Le rapport de la Commission de réforme du droit du Canada

En 1983, la Commission de réforme du droit du Canada a publié son rapport intitulé Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, pour donner suite à un document de travail sur ces questions qui avait été publié l'année précédente.

La Commission a indiqué qu'un vaste consensus se dégageait au Canada à propos des trois principes fondamentaux que reflète la loi. Le premier, c'est que la protection de la vie humaine est une valeur fondamentale. Le deuxième, c'est qu'un malade a droit à l'autonomie et à l'autodétermination à propos de ses soins médicaux. Le troisième, c'est que la vie humaine doit être envisagée dans une perspective à la fois quantitative et qualitative.

Dans son document de travail et son rapport, la Commission a cherché à répondre à trois questions : Faut-il légaliser ou du moins décriminaliser l'euthanasie active?; Faut-il décriminaliser l'aide au suicide?; et Faut-il réviser certaines dispositions du Code criminel afin de préciser les limites de la légalité de l'interruption et du refus du traitement médical?

Après avoir analysé les questions en profondeur, la Commission en est arrivée à la conclusion que ni l'euthanasie active ni l'aide au suicide ne devraient être légalisés et elle a recommandé le maintien de la loi actuelle dans ces deux domaines. En ce qui concerne les soins palliatifs, elle a cependant recommandé que des modifications soient apportées pour protéger de la responsabilité criminelle une personne qui a donné des soins palliatifs ayant eu pour effet de raccourcir l'espérance de vie d’un malade. La Commission a également recommandé que le Code criminel soit modifié pour supprimer l'ambiguïté que créent certaines dispositions actuelles qui semblent obliger de façon absolue le médecin à poursuivre un traitement déjà commencé.

À la suite de la publication de son rapport sur l'euthanasie, la Commission a recommandé que l'on ajoute dans la Partie générale du Code criminel une disposition stipulant qu'aucun médecin n'est obligé de poursuivre un traitement médicalement inutile ou pour lequel le consentement est expressément refusé ou retiré. Toutefois, elle n'a pas défini ce qu'elle entendait par un « traitement médicalement inutile » ou encore par consentement.

      6. Les directives préalables

Certaines provinces ont tenté de régler la question du traitement médical dans les cas où le patient devient incapable. Les directives préalables sont maintenant considérées comme une solution possible. Communément appelée « testament biologique », une directive préalable est un document signé par une personne capable concernant les décisions en matière de soins de santé qui devraient être prises à son égard si elle devenait incapable de prendre de telles décisions. Dans le Code civil du Québec, la directive préalable est désignée sous le nom de « mandat ».

Les directives préalables peuvent être regroupées en deux catégories, soit les instructions et les mandats. Dans le cas des instructions, une personne détermine la nature des décisions de soins de santé qui peuvent être prises à son sujet si elle devient incapable, et la façon dont elles peuvent être prises. Dans le cas d’un mandat, la personne détermine qui doit prendre ces décisions à sa place.

Les directives préalables peuvent être interprétés de deux façons :

  • Le « jugement substitué » fait appel à des critères subjectifs pour tenter de déterminer quelle aurait été la décision de la personne incapable si cette personne avait pu prendre cette décision. Le tribunal prend en considération toute opinion au sujet de l'interruption d'un traitement essentiel au maintien de la vie que la personne aurait pu exprimer avant de devenir incapable. Dans certains États, les tribunaux exigent des preuves « claires et convaincantes » de la décision antérieure de la personne incapable de renoncer à un tel traitement. Certains tribunaux ont adopté des exigences plus souples en matière de preuve et accepté les opinions occasionnelles et distantes exprimées par la personne incapable; d'autres encore ont tenu compte des convictions religieuses antérieures de la personne incapable, de ses choix de vie et des opinions de la famille et des amis au sujet du type de traitement que le malade aurait choisi.

  • Le critère des « meilleurs intérêts » comprend l'examen des bienfaits et du prix de la poursuite du traitement. Parmi les facteurs pris en considération, notons l'état actuel de la personne, la gravité de la douleur, le pronostic et les risques, les effets secondaires et les bienfaits de diverses formes de traitement. Dans certaines situations, la qualité de vie et les intérêts de la famille du malade sont également pris en considération.

      7. Les médecins

En 1995, l’Association médicale canadienne a élaboré un résumé de politique sur l’aide médicale à la mort, une expression qui désigne à la fois l’euthanasie et l’aide au suicide. Cependant, l’expression ne désigne pas le retrait ou l’interruption d’un traitement qui ne convient pas, qui est futile ou non souhaité, ni la prestation de soins palliatifs de compassion, même si ces pratiques ont pour effet de raccourcir la vie. La politique prie les membres de l’AMC de ne pas participer à des actes euthanasiques ou à l’aide au suicide.

      8. Le rapport du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide

En février 1994, le Sénat du Canada a constitué un comité spécial chargé d'étudier les questions de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Le rapport du Comité spécial, publié en juin 1995 et intitulé De la vie et de la mort, porte également sur nombre de questions connexes, y compris les soins palliatifs, les pratiques en matière de traitement de la douleur et de sédation, l'abstention et l'interruption de traitement de survie et les directives préalables.

Le Comité spécial a exhorté tous les niveaux de gouvernement au Canada à accorder une grande priorité aux programmes de soins palliatifs et à élaborer des lignes directrices et des normes nationales à ce sujet. Le Comité spécial a estimé qu'il n'y a aucune différence sur le plan moral entre l'abstention et l'interruption de traitement de survie. Dans un cas comme dans l'autre, il convient de respecter les voeux des patients capables. Le Comité a reconnu qu'il règne de l'incertitude dans la profession médicale et dans le grand public au sujet de ce qui est légalement admissible en la matière et recommandé que soit clarifiée en droit la pratique dans ce domaine.

La question de l'aide au suicide suscite davantage de différends. Certains membres du Comité ont préconisé la modification de la législation existante, tandis que d'autres se sont opposés à de tels changements. La majorité des membres ont recommandé qu'aucune modification ne soit apportée à la disposition du Code criminel qui interdit de conseiller le suicide et d'aider une personne à se suicider.

Aux fins du rapport, le Comité spécial a défini l'euthanasie comme « un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances ».

Le Comité a fait ensuite la distinction entre trois types d'euthanasie : volontaire, non volontaire et involontaire. L'euthanasie est volontaire lorsqu'elle est pratiquée conformément aux voeux d'une personne capable. Elle est non volontaire lorsqu'elle est pratiquée sans qu'on connaissance les voeux du patient. Elle est involontaire lorsqu'elle est pratiquée à l'encontre des voeux d'une personne. Aux termes du Code criminel, toute forme d'euthanasie est illégale au Canada.

La majorité des membres du Comité se sont opposés à l'euthanasie volontaire et ont recommandé qu'elle demeure une infraction criminelle assortie toutefois de peines moins sévères dans les cas où intervient un élément de compassion ou de pitié. Les autres membres du Comité ont recommandé que le Code criminel soit modifié afin de permettre l'euthanasie volontaire pour les personnes qui jouissent de toutes leurs facultés mais sont physiquement incapables de se prévaloir de l'aide au suicide.

L'euthanasie non volontaire demeurerait aussi une infraction criminelle. Le Comité a recommandé toutefois qu'une peine moins sévère soit imposée dans les cas où intervient un élément de compassion ou de pitié. Le Comité a recommandé à l'unanimité que l'euthanasie involontaire continue d'être considérée comme un meurtre aux termes du Code criminel.

      9. Événements récents

Le cas d’euthanasie le plus remarqué et le plus controversé au Canada est celui de Robert Latimer : en 1993, il a tué sa fille handicapée de 12 ans, Tracy, en la plaçant dans la cabine de son camion et en y faisant passer les gaz d’échappement du moteur. Tracy, gravement atteinte de paralysie cérébrale, ne pouvait ni marcher, ni parler, ni s’alimenter seule. Elle souffrait considérablement; M. Latimer a affirmé à la police que sa priorité était de soulager la douleur de sa fille.

M. Latimer a été accusé de meurtre au premier degré, reconnu coupable de meurtre au deuxième degré par un jury et condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. Il a par la suite, été débouté de son appel auprès de la Cour d’appel de la Saskatchewan. Cependant, en février 1996, la Cour suprême a accepté d’entendre un deuxième appel, et en juin 1996, le procureur de la Couronne du premier procès a été accusé de tentative d’entrave à la justice par subornation du jury. En février 1997, suite aux allégations de subornation du jury, la Cour suprême du Canada a ordonné que M. Latimer subisse un nouveau procès.

À la fin de 1997, M. Latimer a de nouveau été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. À l’audience de détermination de la peine, l’avocat de M. Latimer a affirmé que ce dernier devrait faire l’objet d’une exemption constitutionnelle ou que le juge devrait, dans les circonstances, considérer que la sentence minimale obligatoire de dix ans constituait une peine cruelle et inhabituelle, qui aurait violé les droits de son client aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 1er décembre 1997, dans une décision qui a surpris la plupart des commentateurs juridiques, le juge a statué qu’une peine de dix ans serait exagérément disproportionnée par rapport à l’infraction commise. Il a donc condamné M. Latimer à une peine de deux ans moins un jour, dont la moitié devait être purgée dans une prison provinciale et la moitié sur la ferme de l’inculpé. La peine a fait l’objet d’un appel.

Plusieurs autres faits nouveaux ont marqué l’année 1997 au Canada. À Toronto, un médecin qui traite les sidéens a plaidé coupable à deux accusations d’aide au suicide. À Montréal, une femme dépressive qui a noyé son fils autistique de six ans et a tenté par la suite de se suicider a fait l’objet d’une condamnation avec sursis. Selon une biographie de Margaret Lawrence, auteure canadienne de renom, cette dernière se serait suicidée. Des citations tirées de son journal personnel rendent exactement les émotions que vivent certaines personnes en phase terminale (il s’agissait dans son cas de cancer des poumons et des reins) : « la peur de souffrir, d’être un fardeau, d’être à la merci des médecins ».

En Colombie-Britannique, il y a eu une enquête sur le décès d’une fillette de 10 ans atteinte du syndrome de Rett, une affection neurologique rare qui cause notamment de graves troubles d’alimentation. Au moment de sa mort, Katie Lynn Baker ne pesait que 22 livres, était gravement handicapée et ne pouvait pas parler, de sorte qu’elle ne pouvait communiquer avec personne, sauf les proches qui lui dispensaient des soins. D’après le rapport du coroner, quand l’hospitalisation est devenue la seule façon de tenir la petite en vie, sa mère a cherché à savoir quelle était sa volonté face à la possibilité d’être branchée ou alimentée artificiellement. Selon l’interprétation de la mère, l’enfant a refusé d’être soumise à un traitement de ce genre. Pour empêcher que Katie ne soit soumise à un traitement auquel elle ne consentait pas, sa mère l’a retirée de chez elle et l’a emmenée ailleurs; la petite est décédée quelques jours plus tard.

Le jury a déterminé que la mort était attribuable à une malnutrition aiguë, suite à un apport nutritionnel insuffisant pendant une certaine période, causée directement ou indirectement par un tiers. Il a donc trouvé qu’il y avait eu homicide; cependant, le coroner qui présidait l’enquête a souligné que le jugement d’homicide ne suppose pas de culpabilité de la part d’une personne ou d’un agent et que dans l’enquête du coroner, le terme est neutre et n’implique ni faute ni blâme.

Un autre événement important dans cette région en 1997 a été l’arrestation, le 6 mai 1997 à Halifax, de la Dr Nancy Morrison, accusée du meurtre au premier degré d’un patient cancéreux en phase terminale. L’hôpital a consulté à ce sujet une équipe d’examen externe dont le rapport, rendu public en juillet 1997, décrit les faits principaux.

  • M. Mills souffrait du cancer de l’oesophage; après l’ablation de l’oesophage, il fallait déplacer l’estomac pour effectuer le raccord. Les trois premières interventions chirurgicales ont échoué et, le 29 septembre 1996, le patient a été transféré du Nouveau-Brunswick à Halifax.

  • Tous les traitements possibles furent tentés, sans succès. Au 9 novembre 1996, il n’y avait plus d’espoir. La famille du patient a été consultée et tous ont convenu, conformément aux pratiques habituelles dans de telles circonstances, de cesser les mesures de maintien de la vie.

  • M. Mills est mort le 10 novembre 1996. « La question est grave : il semblerait que M. Mills aurait reçu non seulement les sédatifs et les médicaments antidouleur habituellement prescrits aux patients en phase terminale afin de soulager leur douleur, mais aussi des médicaments non prévus dans le cadre de pratiques médicales responsables et acceptables ».

La situation se complique en outre du fait que l’hôpital n’a consulté ni le comité médical consultatif, ni le conseil d’administration, ni l’Ordre des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse ni le médecin légiste en chef au sujet de l’incident. Ce n’est que lorsque la Dr Morrison a été arrêtée et accusée de meurtre au premier degré que la famille de M. Mills a su qu’il s’était produit quelque chose d’inhabituel.

L’équipe d’examen externe a établi que les dirigeants administratifs et médicaux de l’hôpital avait manqué « d’esprit de décision et d’à-propos ». Elle a ajouté que les personnes impliquées qui ont agi ainsi ne sont pas de sombres individus corrompus; plutôt, elles ont voulu éviter que l’hôpital ou le médecin ne subissent des conséquences proportionnellement trop lourdes. Voilà sans doute pourquoi l’équipe a formulé la recommandation suivante :

6. Il est recommandé que les législateurs et les commissions de réforme du droit du Canada reconnaissent la nécessité d’établir, dans les articles du Code criminel touchant les peines pour meurtre au premier degré, une distinction entre les personnes qui agissent par compassion et celles qui sont mues par des intentions mauvaises ou par l’appât du gain. Nous abondons dans le sens de ceux, très nombreux, qui estiment qu’une accusation aux termes du Code criminel qui ne fait aucune distinction entre une personne compatissante et Paul Bernardo prête le flanc au ridicule et pourrait inciter les jurys à la subversion.

En février 1998, le juge Hugues Randall a refusé de citer Dr Morrison à procès, soulignant que M. Mills avait reçu d’énormes quantités de Dilaudid, de morphine et d’autres médicaments antidouleur avant même l’intervention du Dr Morrison. Ces doses, éventuellement mortelles, avaient été administrées légalement dans une tentative, qui a d’ailleurs échoué, de soulager l’intense souffrance de M. Mills après le retrait du respirateur. Le juge Randall a statué que, quelle qu’ait été l’intention du Dr Morrison quand elle a prétendument administré du chlorure de potassium à M. Mills, le décès de ce dernier aurait pu être provoqué par les doses massives de médicaments antidouleur administrés auparavant ou, puisque l’intraveineuse qui dispensait diverses drogues ne fonctionnait pas, être le résultat de causes naturelles. Le procureur de la Couronne a interjeté appel du rejet de l’accusation.

   D. Les États-Unis

Dans quelques États américains, les partisans du mouvement en faveur d'une « mort dans la dignité » ont cherché à élargir la portée des lois sur les testaments euthanasiques afin de permettre aux médecins d'aider les malades à mourir.

Dans le numéro du 5 novembre 1992 du New England Journal of Medicine, trois médecins recommandent l'adoption d'une nouvelle mesure d'intérêt public permettant le suicide réalisé avec l'aide d'un médecin. Selon eux, une telle mesure permettrait de parvenir à un équilibre entre la nécessité de répondre aux besoins des patients et celle de protéger les personnes vulnérables. Les auteurs proposent sept critères cliniques qui permettraient aux médecins de répondre aux demandes d'aide au suicide formulées par des malades compétents, incurables.

En novembre 1994, les électeurs de l’Orégon ont voté en faveur du projet de loi 16 qui permettrait à tout adulte en phase terminale qui réside en Orégon et dont l'espérance de vie diagnostiquée est de moins de six mois d'obtenir une ordonnance pour des médicaments lui permettant de mettre fin à ses jours. Les médecins seraient autorisés à délivrer une telle ordonnance, sous réserve de certaines conditions : le patient devrait demander les médicaments deux fois de vive voix et une fois par écrit, et l'avis d'un deuxième médecin devrait être demandé. De plus, il devrait s'écouler au moins 15 jours après la première demande.

Des contestations judiciaires ont empêché la promulgation du projet de loi, et, en août 1995, un juge de la Cour de district l’a déclaré inconstitutionnel et invalide. Toutefois, la Cour d’appel du neuvième circuit aux États-Unis a statué que les demandeurs n’avaient pas la capacité juridique de contester le projet de loi. Elle n’a pas tranché quant au bien-fondé constitutionnel de l’aide médicale au suicide.

En juin 1997, l’assemblée législative de l’Oregon a décidé de soumettre le projet de loi 16 à l’électorat une deuxième fois, soit en novembre 1997, auquel moment les électeurs de l’Oregon l’ont confirmé. Il semble que depuis, au moins quatre personnes en phase terminale aient invoqué ces dispositions pour mettre fin à leurs jours.

En 1994, une cour fédérale de district à Seattle avait déclaré inconstitutionnelle une loi de l’État de Washington interdisant l’aide médicale au suicide. En mars 1995, un panel de trois membres de la Cour d’appel du neuvième circuit aux États-Unis a annulé cette décision, affirmant que le droit à l’aide médicale au suicide n’a pas sa place dans « les traditions de notre nation » et est contraire à la défense de la vie humaine, « qui est l’une des principales responsabilités de notre gouvernement constitutionnel ». Cependant, en mars 1996, la cause a été de nouveau entendue devant la Cour du neuvième circuit, cette fois devant tous les juges, qui ont décidé, à 8 contre 3, que la loi de l’État de Washington interdisant l’aide médicale au suicide est bel et bien inconstitutionnelle et qu’elle viole le principe de liberté prévu en vertu des dispositions du quatorzième amendement touchant l’application régulière de la loi. La décision était exécutoire dans les neuf États de l’Ouest.

En avril 1996, un panel de trois juges de la Cour d’appel du deuxième circuit aux États-Unis a annulé à l’unanimité une loi semblable dans l’État de New York. La Cour a statué que la loi new-yorkaise, qui interdisait aux médecins d’aider les patients en phase terminale à mettre fin à leurs jours, violait la disposition relative à l’égalité de protection que garantit le quatorzième amendement; en effet, elle protégeait le droit des patients d’ordonner le débranchement d’appareils de survie, tout en interdisant un soulagement comparable à d’autres patients en phase terminale, soit les personnes capables qui ne sont pas maintenues en vie par des appareils.

Le 1er octobre 1996, la Cour suprême des États-Unis a accepté d’entendre un appel des décisions des deux cours d’appel. Elle avait d’abord refusé d’entendre un appel d’une décision de la Cour de l’État du Michigan qui confirmait une loi interdisant l’aide au suicide, loi qui avait été adoptée après que le Dr Kevorkian a commencé sa campagne pour aider les personnes en phase terminale à mourir.

Le 26 juin 1997, la Cour suprême a infirmé la décision des deux cours d’appel et confirmé les lois des États de Washington et de New York qui interdisent l’aide au suicide. Cependant, le fait que la Cour ait jugé ces deux lois constitutionnelles ne signifie pas qu’une loi autorisant l’aide au suicide serait automatiquement jugée inconstitutionnelle.

   E. L'euthanasie et l’aide au suicide aux Pays-Bas

Aux Pays-Bas, le terme « euthanasie » a un sens très clair et n'est habituellement pas qualifié par des adjectifs comme « volontaire » ou « involontaire ». L'euthanasie désigne l'action par laquelle un médecin agissant au nom d'un malade et conformément à des instructions très strictes met fin délibérément à la vie du malade. Elle est interdite par le code pénal hollandais, qui stipule que quiconque inflige la mort à une autre personne à la demande explicite de cette personne commet un acte criminel assorti d'une peine maximale de douze ans d'emprisonnement.

Bien qu'elle soit un acte criminel, l'euthanasie est toutefois pratiquée aux Pays-Bas et ne fait pas l'objet de poursuites tant que certaines directives sont suivies. Ces directives ont été élaborées au fil des verdicts de non-responsabilité criminelle rendus par les tribunaux lorsque des accusations d'euthanasie ont été portées contre des médecins. En vertu de ces directives, il faut remplir toutes les conditions suivantes :

  • le malade doit exprimer explicitement et de manière répétée son désir de mourir;

  • la décision du malade doit être bien informée, libre et durable;

  • le malade doit éprouver des douleurs physiques ou mentales aiguës sans perspective d'un soulagement (mais n'a pas besoin d'être en phase terminale);

  • toutes les autres solutions possibles ont été épuisées (de sorte que l'euthanasie est un dernier recours) ou le malade doit avoir refusé les autres solutions possibles;

  • l'euthanasie doit être exécutée par un médecin qualifié;

  • le médecin doit consulter au moins un autre médecin (et peut aussi consulter d'autres professionnels de la santé);

  • le médecin doit informer le coroner local que l'euthanasie a été administrée.

Jusqu'à récemment, il n'existait pas d'estimations fiables de l'ampleur de l'euthanasie aux Pays-Bas. En septembre 1991, la Commission Remmelink (une commission du gouvernement néerlandais chargée de faire enquête sur l'euthanasie et d'autres décisions médicales relatives à la fin de la vie) a indiqué que ses études scientifiques avaient révélé environ 2 300 euthanasies l'année précédente aux Pays-Bas, ce qui représente 1,8 p. 100 des décès de l'année en question. I1 y a eu beaucoup plus de demandes d'euthanasie (environ 9 000) que d'euthanasies proprement dites (environ 2 300). De plus, la plupart des malades qui ont demandé l'euthanasie (environ 70 p. 100) étaient des cancéreux en phase terminale.

En février 1993, la Chambre basse du Parlement des Pays-Bas a adopté une loi sur la procédure de déclaration des cas d'euthanasie. Cette loi ne légaliserait pas l'euthanasie, mais elle garantirait l'immunité de poursuite aux médecins qui respectent certaines lignes directrices.

En 1994, la Cour suprême des Pays-Bas a tranché un cas controversé, l’affaire Chabot, et déclaré strictement parlant le Dr Chabot coupable d’aide au suicide. La patiente du Dr Chabot, Hilly Boscher, avait 50 ans et ne voulait tout simplement plus vivre. Elle avait vécu un mariage violent, un de ses fils s’était suicidé et un second était mort du cancer. Elle a souffert de dépression pendant 20 ans et a tenté de se suicider tout de suite après le décès de son deuxième fils. Elle était décidée à se suicider mais voulait le faire humainement, de façon à ne troubler personne.

Le Dr Chabot a travaillé avec elle dans l’espoir de changer son point de vue et lui a suggéré de tenir un journal. De celui-ci est ressorti la volonté arrêtée de Mme Boscher de mourir. Même s’il n’a pas diagnostiqué de maladie physique ou psychiatrique, le Dr Chabot était d’avis que Mme Boscher vivait depuis longtemps une intense souffrance psychique, sans espoir d’amélioration. Il a envoyé des transcriptions des sessions de thérapie à sept collègues spécialistes qui se sont tous rangés à son avis. Considérant la situation sans espoir, le Dr Chabot a cru que le moindre des deux maux était de donner à sa patiente le moyen de se suicider sans douleur et de la façon la moins violente possible.

La Cour suprême a accepté le principe voulant que l’aide au suicide soit justifiée même en l’absence de maladie physique, quand il y a une souffrance émotive ou mentale intense. Cependant, elle a précisé qu’il faut faire preuve d’une extrême prudence dans ces situations à son avis, le Dr Chabot a enfreint les exigences procédurales, puisqu’aucun des sept spécialistes consultés n’a examiné personnellement Mme Boscher. Néanmoins, la Cour s’est refusée à imposer une peine au Dr Chabot, témoignant sans doute de l’ambivalence qu’inspire une situation aussi difficile. La question de l’aide au suicide pour soulager la souffrance non somatique (ou non physique) reste litigieuse.

En 1995, les tribunaux néerlandais ont tranché deux affaires semblables où des médecins ont ôté la vie à des nouveau-nés gravement handicapés; qui souffraient et allaient sans doute mourir dans les prochains mois. Dans les deux cas, le médecin a agi à la demande expresse des parents de l’enfant. Ces affaires illustrent de façon troublante l’écart qui existe entre le droit des parents de refuser un traitement pour leur enfant, même si la mort est l’issue inévitable, et leur incapacité de soulager la douleur pendant la phase terminale.

En août 1995, l’Association médicale royale des Pays-Bas a adopté de nouvelles directives en matière d’euthanasie et d’aide au suicide. C’est maintenant le patient, quand c’est possible, plutôt que le médecin, qui doit administrer le médicament. Les nouvelles directives soulignent également que le deuxième médecin consulté doit être une personne d’expérience qui n’entretient pas de relation professionnelle ou familiale avec le patient ou le premier médecin.

   F. L’Australie

En février 1995, le ministre en chef du Territoire du Nord, en Australie, a présenté à l’Assemblée législative un projet de loi d’initiative parlementaire sur les droits des personnes en phase terminale, le Rights of the Terminally Ill Bill (1995) (NT). L’intention du projet de loi était de donner aux personnes en phase terminale le droit de demander l’aide d’une personne compétente sur le plan médical pour s’ôter volontairement la vie. Un comité spécial sur l’euthanasie a été formé pour étudier le projet de loi et en faire rapport à l’Assemblée législative. En mai 1995, après avoir apporté plus d’une cinquantaine d’amendements au projet de loi, l’Assemblée législative l’a adopté dans une proportion de 15 voix contre 10. Le Territoire du Nord est ainsi devenu la première compétence au monde à légaliser l’euthanasie et le suicide réalisé avec l’aide d’un médecin.

Chose peu surprenante, le projet de loi a entraîné une controverse considérable, tant en Australie qu’à l’échelle internationale. On a exigé l’abrogation de la loi et le gouverneur général de l’Australie a été exhorté à l’annuler en vertu de la Northern Territory (Self-Government) Act, 1978; cependant, l’Administrateur du Territoire du Nord a sanctionné la loi en juin 1995 et son règlement d’application en juin 1996. Celui-ci est entré en vigueur, en même temps que la loi elle-même, le 1er juillet 1996. Entre-temps, l’Assemblée législative du Territoire du Nord avait de nouveau amendé le projet de loi, portant à trois, au lieu de deux, le nombre de médecins concernés dont un devrait être psychiatre reconnu et un autre, spécialiste de la maladie dont souffrait le patient visé.

La Rights of the Terminally Ill Act 1995 (NT) comprenait de nombreuses mesures de sécurité administratives et mentionnait à plusieurs reprises le traitement et les niveaux de souffrance « acceptables pour le patient ». L’article 4 énonçait l’essence de l’orientation de la loi :

Un patient souffrant d’une maladie fatale, qui vit une douleur, des souffrances ou une détresse qui lui sont inacceptables, peut demander à son médecin de l’aider à mettre fin à ses jours.

Une « maladie fatale » en était une qui entraînerait la mort du patient à moins que des mesures extraordinaires ou un traitement inacceptable aux yeux du patient ne soient appliqués. Un médecin qui recevait une demande d’aide et qui suivait toute la procédure prescrite dans la loi pouvait légalement aider ce patient à mettre fin à ses jours. Il pouvait s’agir de prescrire ou de préparer une substance qui était administrée au patient ou que celui-ci prenait de lui-même. Le médecin pouvait aussi, à tout moment et pour n’importe quelle raison, refuser d’accorder une telle aide.

Il y avait d’autres critères qu’il fallait respecter : le patient devait avoir au moins 18 ans; le patient ne devait pas disposer de soins palliatifs pouvant soulager suffisamment à ses yeux sa douleur et sa souffrance; il devait y avoir deux périodes d’attente, totalisant neuf jours, entre la première demande au médecin et le moment où l’aide était accordée.

Pour empêcher le projet de loi d’entrer en vigueur, le président de la section du Territoire du Nord de l’Association médicale australienne, le Dr Wake, et un dirigeant aborigène, le révérend Dr Gondarra, ont contesté sa validité. Ils ont argué notamment que l’exercice du pouvoir législatif par l’Assemblée législative est assujetti à l’obligation de protéger un « droit à la vie » inaliénable, profondément enraciné dans le système démocratique du gouvernement et la common law. Dans une décision majoritaire de deux contre un, la Cour a confirmé le projet de loi, affirmant qu’il ne lui incombait pas de décider si les dispositions violaient un droit fondamental puisque, en l’absence d’une déclaration des droits inscrite dans la Constitution, la question était de nature éthique, morale ou politique plutôt que juridique.

Selon certains critiques, la loi ainsi modifiée est trop lourde pour être mise en application; pourtant, la controverse a encore une fois fait rage à la fin septembre 1996, quand un homme de Darwin est devenu la première personne à invoquer la loi avec succès. Le patient en question souffrait de cancer de la prostate depuis cinq ans et, selon les rapports des médias, l’injection létale a été déclenchée par un ordinateur portatif au moyen duquel le patient a confirmé sa volonté de mourir. Trois autres personnes ont eu recours aux dispositions de la loi avant que celle-ci ne soit abrogée par le Parlement national.

En vertu de l’article 122 de la Constitution australienne, le Parlement du Commonwealth a pleins pouvoirs d’adopter des dispositions législatives qui l’emportent sur les lois territoriales. En septembre 1996, M. Kevin Andrews, simple député du gouvernement, a déposé un projet de loi d’initiative parlementaire visant à annuler la loi du Territoire du Nord sur l’euthanasie. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des représentants le 9 décembre 1996 et par le Sénat le 24 mars 1997.

Le 8 novembre 1996, un projet de loi sur l’euthanasie volontaire a été déposé devant le Conseil législatif de l’Australie-Méridionale. Lors d’un vote sur l’avenir du projet de loi tenu le 9 juillet 1997, il a été décidé à 13 voix contre 8 de poursuivre l’étude du projet de loi et à 18 voix contre 3 de le renvoyer à un comité spécial. De plus, il a été proposé d’amender le projet de loi afin qu’un référendum ait lieu avant son entrée en vigueur, s’il était adopté par les deux chambres.

Le projet de loi présente notamment les caractéristiques suivantes :

  • Seule une personne désespérément malade pourrait être euthanasiée, par exemple une personne atteinte d’une blessure ou d’une maladie qui la prive irrémédiablement de sa conscience ou détruit irréparablement sa qualité de vie, rendant cette dernière intolérable.

  • La demande devrait être formulée par une personne ayant toutes ses facultés et pourrait être une demande courante, valable sans que l’état de la personne ne se détériore davantage, ou une demande préalable, qui prendrait effet si la personne devenait désespérément malade.

  • Seul un médecin pourrait pratiquer l’euthanasie, à condition d’obtenir une autre opinion indépendante. Les deux médecins devraient être convaincus que le patient ne présente pas une dépression clinique traitable. Tout professionnel de la santé pourrait refuser de participer à l’euthanasie.

  • Il devrait s’écouler quarante-huit heures entre la demande et l’acte euthanasique.

  • La demande d’euthanasie n’aurait aucun effet sur les polices d’assurance-vie.

  • Le coroner et le Parlement devraient être informés de chaque cas de mort par euthanasie.

Le projet de loi et le comité spécial ont disparu quand des élections ont été déclenchées dans l’État, à la fin de 1997. Cependant en mars 1998, le projet de loi a été déposé de nouveau et renvoyé au Comité permanent du développement social.

MESURES PARLEMENTAIRES

Jusqu'en 1991, quand des projets de loi d'initiative parlementaire sur la question ont été déposés à la Chambre des communes, l'euthanasie n'avait été évoquée qu'occasionnellement dans les débats à la Chambre. En peu de temps, deux projets de loi ont été déposés à la Chambre des communes. D'abord le projet de loi C-203, déposé par M Robert Wenman (Fraser Valley West) le 16 mai 1991, puis le projet de loi C-261, déposé par M. Chris Axworthy (Saskatoon – Clark's Crossing) le 19 juin 1991. (M. Wenman avait déposé en mars 1991 le projet de loi C-351 qui était mort au Feuilleton à la fin de la session parlementaire.) Le projet de loi de M. Axworthy incluait la plupart des dispositions prévues dans le projet de loi de M. Wenman au sujet de l'« euthanasie passive » mais il aurait élargi leur portée pour permettre l'« euthanasie active ».

Le projet de loi de M. Wenman, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), visait à protéger les médecins de la responsabilité criminelle dans trois situations : premièrement, lorsque le médecin ne commence pas ou ne continue pas à administrer un traitement médical à la demande du malade en phase terminale; deuxièmement, lorsque le médecin ne commence pas ou ne continue pas à administrer un traitement médical à un malade en phase terminale parce que le traitement est médicalement inutile et n'est pas dans l'intérêt véritable du malade; et troisièmement, lorsque, pour soulager la douleur du malade, le médecin administre des soins palliatifs comme des médicaments pour soulager la douleur, qui sont susceptibles d'avoir comme effet secondaire de hâter la mort du malade. En résumé, le projet de loi visait à protéger les médecins qui administrent un traitement correct et conforme au code de déontologie à leurs patients en phase terminale mais qui, ce faisant, risquent d'enfreindre certaines dispositions du Code criminel.

Le projet de loi de M. Wenman n'aurait permis l'euthanasie active en aucun cas. Il aurait toutefois permis l'euthanasie passive, puisqu'un médecin n'aurait pas été tenu criminellement responsable de l'abandon d'un traitement essentiel au maintien de la vie — en débranchant un respirateur, par exemple — à la demande d'un malade en phase terminale.

Le projet de loi de M. Axworthy, par contre, n'établissait aucune distinction morale entre l'euthanasie passive — en permettant à des personnes de mourir en interrompant ou en n'entreprenant pas un traitement — et l'euthanasie active — notamment en administrant un dose mortelle d'un médicament. Ce projet de loi allait plus loin que celui de M. Wenman en incluant les mêmes dispositions disculpatrices, mais en ajoutant d'autres qui auraient légalisé l'euthanasie active dans certaines conditions. Le projet de loi proposait qu'une personne souffrant d'une affection irrémédiable puisse demander à un arbitre de lui délivrer un « certificat euthanasique » afin d'autoriser l'euthanasie.

Les deux projets de loi ont fait l'objet de débats lors de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Celui de M. Wenman — moins controversé — a été renvoyé à un comité législatif pour examen. Même les députés qui ont exprimé des réserves à l'égard de ce projet de loi au cours des débats étaient néanmoins d'accord pour qu'il soit renvoyé à un comité, étant donné qu'ils reconnaissaient la nécessité que la question soulevée soit examinée. Le projet de loi de M. Axworthy, par contre, a inspiré de vives critiques pendant le débat en deuxième lecture et a été retiré du Feuilleton.

Après quelques semaines d'audiences en comité, le projet de loi de M. Wenman, comme celui de M. Axworthy, a connu un triste sort. Après avoir terminé ses audiences et sans envisager quelque amendement que ce soit, le comité législatif chargé d'examiner ce projet de loi a décidé d'ajourner sine die. Autrement dit, en ajournant sans fixer la date d'une réunion future, le comité a relégué le projet de loi aux calendes grecques.

En décembre 1992, M. Svend Robinson a déposé à la Chambre des communes un projet de loi d'initiative parlementaire ayant pour objet de permettre le suicide réalisé avec l'aide d'un médecin. Trois mois plus tard, soit en mars 1993, la Chambre des communes a rejeté une motion déposée par le député Ian Waddell, qui demandait au gouvernement d'envisager l'adoption d'une loi sur l'euthanasie. En février 1994, M. Svend Robinson a présenté un autre projet de loi d'initiative parlementaire afin de légaliser le suicide réalisé avec l'aide d'un médecin pour les malades en phase terminale. Le projet de loi de M. Robinson a ensuite fait l'objet d'un débat et a été rayé du Feuilleton.

Le 23 février 1994, le Sénat a adopté une motion visant à créer un comité spécial chargé d'examiner les dimensions juridiques, sociales et éthiques de l'euthanasie et du suicide assisté et d'en faire rapport. Le Comité spécial a publié son rapport, intitulé De la vie et de la mort, en juin 1995.

Le 4 novembre 1997, M. Robinson a déposé la motion M-123 pour demander la création d’un comité spécial chargé d’examiner les dispositions du Code criminel touchant l’euthanasie et l’aide médicale au suicide et de préparer un projet de loi. Or le 25 mars 1998, la motion a été rejetée par un vote majoritaire.

CHRONOLOGIE

1983 – La Commission de réforme du droit du Canada recommande que l'euthanasie volontaire active ne soit ni légalisée ni décriminalisée. Elle recommande également que l'aide au suicide rendue à un malade en phase terminale ne soit pas décriminalisée.

juin 1987 – La Commission de réforme du droit du Canada publie ses propositions de modification du Code criminel. Ces propositions comprennent la recommandation que l'euthanasie soit considérée comme un meurtre au deuxième degré (« meurtre ordinaire ») plutôt que comme un meurtre au premier degré (« meurtre prémédité »). Le meurtre au deuxième degré n'entraînerait aucune peine d'emprisonnement fixe ou minimale.

16 mai 1991 – Le projet de loi d'initiative parlementaire C-203, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), est lu pour la première fois à la Chambre des communes.

19 juin 1991 – Le projet de loi d'initiative parlementaire C-261, Loi légalisant dans certaines conditions l'administration de l'euthanasie, est lu pour la première fois à la Chambre des communes.

10 septembre 1991 – Aux Pays-Bas, la Commission Remmelink publie les résultats de la première étude exhaustive sur les pratiques euthanasiques néerlandaises.

24 septembre 1991 – Le projet de loi C-203, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), est lu pour la deuxième fois et renvoyé au Comité H. Le comité entreprend ses audiences sur le projet de loi le 29 octobre 1991.

24 octobre 1991 – Le projet de loi C-261, Loi légalisant l'administration de l'euthanasie, est débattu en deuxième lecture et retiré du Feuilleton.

6 janvier 1992 – La Cour supérieure du Québec statue, dans le cas de Nancy B., une femme atteinte d'une maladie incurable, que débrancher son respirateur à sa demande et laisser la nature suivre son cours ne constituerait pas un acte criminel.

30 janvier 1992 – Un médecin ontarien est accusé de meurtre au deuxième degré relativement au décès d'un cancéreux gravement malade. Le patient serait décédé d'un arrêt cardiaque après qu'on lui aurait administré de la morphine et du chlorure de potassium.

18 février 1992 – Le Comité législatif H sur le projet de loi C-203 ajourne sine die.

août 1992 – Scott Mataya, un infirmier de Toronto qui avait été accusé de meurtre au premier degré pour le meurtre par compassion d'un patient en phase terminale, plaide coupable à une accusation moins grave, soit celle d'avoir administré une substance nocive. Il est condamné avec sursis et se voit retirer sa licence d'infirmier.

22 mars 1993 – Les députés de la Chambre des communes rejettent une motion qui demandait au gouvernement d'envisager d'adopter une loi sur la question de l'euthanasie et de garantir l'immunité de poursuite aux personnes qui aident des malades en phase terminale à mourir.

avril 1993 – Un médecin ontarien qui a injecté une substance mortelle à un cancéreux gravement malade reçoit une sentence suspendue de trois ans après avoir plaidé coupable à une accusation d'administration d'une substance dangereuse dans le but de mettre la vie en danger. Le médecin avait d'abord été accusé de meurtre au deuxième degré, mais cette accusation a été retirée.

30 septembre 1993 – Dans une décision à cinq contre quatre, la Cour suprême du Canada rejette l'appel de Sue Rodriguez, qui contestait la validité de l'interdiction de l'aide au suicide prévue au Code criminel en vertu de la Charte canadienne des droits et des libertés.

3 novembre 1993 – Le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique diffuse des lignes directrices aux procureurs de la Couronne sur la mise en accusation de personnes ayant pris part à des cas d'euthanasie active et d’aide au suicide.

12 février 1994 – Sue Rodriguez se suicide avec l'aide d'un médecin. La police fait enquête mais ne porte pas d’accusation criminelle.

14 février 1994 – Le ministre de la Justice, M. Allan Rock, déclare que l'interruption des traitements et l'aide au suicide constituent des questions qui devraient être étudiées par le Parlement.

15 février 1994 – Le premier ministre Chrétien déclare que les députés participeront à un vote libre sur la légalisation du suicide réalisé avec l'aide d'un médecin.

16 février 1994 – Un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet C-215, Loi modifiant le Code criminel (aide au suicide), franchit l'étape de la première lecture à la Chambre des communes. Ce projet de loi fait l'objet d'un débat et est rayé du Feuilleton le 21 septembre 1994.

23 février 1994 – Un comité sénatorial spécial est constitué et chargé d'examiner les dimensions juridiques, sociales et éthiques de l'euthanasie et de l’aide au suicide et d'en faire rapport.

novembre 1994 – Robert Latimer est reconnu coupable du meurtre au deuxième degré par asphyxie de sa fille de 12 ans, Tracy, gravement handicapée; il est condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant 10 ans.

juin 1995 – Le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et le suicide assisté publie son rapport, De la vie et de la mort.

février 1997 – La Cour suprême du Canada ordonne que Robert Latimer subisse un nouveau procès.

mai 1997 – La DNancy Morrison est accusée du meurtre au premier degré d’un patient en phase terminale débranché de l’appareil de survie.

décembre 1997 – M. Robert Latimer, reconnu coupable de meurtre au deuxième degré, est condamné à une peine de deux moins un jour, malgré le fait que la peine minimale prévue par la loi est de dix ans.

février 1998 – Un juge de la Nouvelle-Écosse statue que les preuves sont insuffisantes pour qu’un jury condamne Dr Nancy Morrison, et il refuse de la citer à procès.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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Smith, Margaret. L'Affaire Rodriguez : Examen de la décision rendue par la Cour suprême du Canada sur l'aide au suicide. BP-349F. Ottawa, Service de recherche, Bibliothèque du Parlement, octobre 1993.

Van Der Maas, Paul J. et al. « Euthanasia and Other Medical Decisions Concerning the End of Life ». Lancet, vol. 338, 14 septembre 1991, p. 669-674.

JURISPRUDENCE

Nancy B. c. Hôtel-Dieu de Québec (1992), 86 D.L.R. (4th) 385 (C.S. Qc.)

Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) (1993), 24 C.R. (4th) 281 (C.S.C.).


La première version de ce bulletin d'actualité a été publiée en février 1992.  Le document a été périodiquement mis à jour depuis.