BP-370F

 

REVENDICATIONS DU STATUT DE
RÉFUGIÉ FONDÉES SUR LE SEXE

 

Rédaction  Margaret Young
Division du droit et du gouvernement
Mars 1994


 

TABLE DES MATIÈRES

L'AFFAIRE «NADA»

DIFFÉRENTES FAÇONS D'ABORDER LA PERSÉCUTION FONDÉE SUR LE SEXE

   A. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)

   B. Le droit des réfugiés à l'heure actuelle

      1. Persécution

      2. Du fait de sa religion

      3. Du fait de ses opinions politiques

      4. Du fait de son appartenance à un groupe social

      5. Pour d'autres motifs

   C. Directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

LA VIOLENCE FAMILIALE — UN CAS SPÉCIAL?

L'INCLUSION DU SEXE DANS LA DÉFINITION DE RÉFUGIÉ

ANNEXE

 


REVENDICATIONS DU STATUT DE
RÉFUGIÉ FONDÉES SUR LE SEXE

 

En 1991, un tribunal formé de deux membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendu une décision dans une affaire qui a suscité une importante controverse pendant plus d'un an. Même après que ce cas a reçu une solution satisfaisante en janvier 1993 (lorsque la femme visée par la décision a été autorisée à demeurer au Canada), les questions soulevées sont demeurées à l'avant-scène de l'actualité. Dans le présent document, nous décrivons et examinons l'affaire en question, puis nous résumons l'évolution de la situation en ce qui a trait aux revendications fondées sur le sexe dans le droit des réfugiés au Canada.

L'AFFAIRE «NADA»

«Nada» (un nom d'emprunt) a revendiqué le statut de réfugié au Canada en avril 1991 en soutenant qu'elle était persécutée dans son pays, l'Arabie Saoudite. Elle a dit être victime de persécution en raison de sa religion, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier.

La Section du statut de réfugié a rejeté sa demande dans une brève décision datée de septembre 1991(1). Dans son témoignage, «Nada» s'est décrite comme une révolutionnaire, qui n'acceptait de porter le voile en public que pour travailler ou pour ne pas peiner son père. Elle a témoigné qu'en raison de son non-conformisme, elle avait été l'objet de propos et de gestes indécents de la part de certains hommes. Elle a aussi décrit les actions des «gardiens» privés de la moralité publique, les Mutawwin'in, qui forment le Comité pour la propagation de la vertu et la prévention du vice.

Les commissaires ont estimé que le gouvernement de l'Arabie Saoudite ne tolérait pas les abus de la part des Mutawwin'in et a conclu que «Nada» n'avait pas prouvé qu'elle avait été victime ou risqué d'être victime de cette organisation. De fait, les commissaires semblent avoir considéré que les motifs de persécution n'avaient pas été démontrés.

Les commissaires ont ensuite fait au sujet de «Nada» les commentaires suivants, qui sont devenus particulièrement controversés:

Il lui faudrait bien, comme toutes ses compatriotes, se conformer aux lois d'application générale qu'elle dénonce, et ce en toutes circonstances et non seulement, comme elle l'a fait, pour étudier, travailler ou ménager les sentiments de son père qui, comme toute sa nombreuse famille, était opposé au libéralisme de sa fille la demanderesse.

Dans ce paragraphe, les commissaires semblent dire que les lois qui instituent de la discrimination contre les femmes de façon générale sont acceptables, que les femmes devraient agir de façon à plaire à leur famille et, en particulier, qu'elles devraient se soumettre à leur père. C'est cette attitude, ainsi que la décision négative elle-même, qui ont alimenté la controverse qui a suivi.

À la suite du refus de la Section du statut de réfugié, «Nada» a demandé à la Cour fédérale l'autorisation d'en appeler de cette décision, mais sa demande a été rejetée et les fonctionnaires du Ministère ont jugé qu'aucune raison humanitaire ne justifiait qu'elle demeure au Canada. «Nada» s'est alors adressée aux médias.

Les défenseurs des droits de la personne et les groupes de femmes n'ont pas mis de temps à réagir, exhortant le Ministre à élargir la définition de réfugié afin d'englober les revendications fondées sur le sexe. M. Ed Broadbent, chef du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, a plaidé avec force en faveur de cette cause: «Si nous croyons, en tant que société, que les droits des femmes font partie des droits de la personne, il est temps de cesser d'exercer de la discrimination contre les femmes dans la politique concernant les réfugiés»(2). Les médias — la presse écrite, la radio et la télévision — ont tous fait une large place à la question. Même après que le gouvernement a adouci sa position, certains groupes, en particulier le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, ont réclamé un moratoire général sur les expulsions du Canada de femmes dont les demandes avaient été rejetées et qui disaient craindre être victimes de mauvais traitements dans leurs pays d'origine(3).

Le cheminement du ministre de l'Emploi et de l'Immigration dans la controverse entourant l'affaire «Nada» est devenu en soi un sujet d'intérêt. Au milieu de janvier 1993, M. Valcourt a déclaré : «Je ne pense pas que le Canada devrait essayer unilatéralement d'imposer ses valeurs au reste du monde. Le Canada ne peut faire cavalier seul, il ne le peut tout simplement pas»(4). Et, à la même occasion, il a ajouté: «Les lois d'application générale ailleurs dans le monde ne sont pas nécessairement des lois que nous voulons promouvoir en raison de nos valeurs, mais le Canada va-t-il agir en tant que pays impérialiste et imposer ses valeurs aux autres pays»(5)?

En réponse aux pressions des partisans d'un élargissement de la définition de réfugié afin que le sexe y soit inclus comme motif de revendication du statut, M. Valcourt a dit clairement que le Canada ne voulait prendre la tête d'aucune campagne à l'échelle internationale; il a dit craindre que s'il agissait ainsi, le pays ouvrirait toutes grandes les vannes aux femmes voulant échapper à la violence au moment même où il cherchait à contrôler l'afflux de réfugiés. Il a indiqué que les femmes persécutées pouvaient invoquer la partie de la définition de réfugié visant un «groupe social» ou pouvaient être autorisées à rester au Canada pour des raisons humanitaires(6).

Devant le tollé de protestations et la publicité entourant l'affaire, le gouvernement a semblé modérer sa position quant à l'élargissement de la définition de réfugié. Un adjoint du Ministre aurait déclaré que le Canada envisagerait de soulever la question aux Nations Unies, mais seulement s'il pouvait compter sur un vaste appui: «S'il y avait consensus à cet égard dans le pays, et si le gouvernement en était saisi, le gouvernement pourrait envisager de faire des représentations aux Nations Unies sur ce sujet»(7).

Quelques jours plus tard seulement, le 29 janvier 1993, le ministre Valcourt a annoncé que «Nada» pourrait rester au Canada et que le Canada envisagerait d'accorder le statut de réfugié aux femmes se disant victimes de persécution à cause de leur sexe. Il a annoncé que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié publierait bientôt des lignes directrices sur les cas en question. Selon le Ministre, les lignes directrices devaient favoriser la cohérence dans le traitement des revendications du statut de réfugié au Canada(8).

DIFFÉRENTES FAÇONS D'ABORDER LA PERSÉCUTION FONDÉE SUR LE SEXE

Pendant que la controverse faisait rage autour de l'expérience de «Nada» et des questions plus générales que cette affaire soulevait, il est devenu évident que tout n'était pas aussi clair et net qu'on aurait pu le croire au départ. Des experts ont fait valoir qu'une femme pouvait déjà se faire reconnaître comme réfugiée en raison de son sexe, même en l'absence d'une référence explicite au sexe dans la définition de réfugié. Dans la présente section nous traitons du degré de protection dont peuvent actuellement se prévaloir les femmes. Le terme réfugié est en partie défini de la façon suivante dans la Loi sur l'immigration:

«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...](9)

   A. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)

Dans l'analyse qu'il fait du sens et de l'application de la définition de réfugié dans son Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, le HCR ne mentionne explicitement ni les revendications fondées sur le sexe ni les revendications du statut de réfugié par des femmes.

En 1985, cependant, le Comité exécutif du HCR a adopté une Conclusion intitulée «Les femmes réfugiées et la protection internationale»(10). Cette conclusion attirait l'attention sur les problèmes particuliers auxquelles faisaient face les femmes et les jeunes filles réfugiées, qui forment la majorité des réfugiés du monde. En plus d'offrir des recommandations liées à la protection internationale, la Conclusion traitait des systèmes nationaux de détermination du statut de réfugié. Le Comité exécutif:

k) a reconnu que les États, dans l'exercice de leur souveraineté, étaient libres d'adopter l'interprétation selon laquelle les femmes en quête d'asile soumises à des traitements cruels ou inhumains pour avoir transgressé les coutumes de la communauté où elles vivaient pouvaient être considérées comme appartenant à un «groupe social», aux termes de l'article 1 A, paragraphe 2, de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.

Il convient de noter que l'expression «coutumes de la communauté» est passablement large et pourrait englober la violation de règles strictes qui s'appliquent uniquement aux femmes. (Bien entendu, pour que la définition s'applique, il faudrait également démontrer la violation des règles en question.) Quoique non obligatoire pour les différents États, cette recommandation reflétait l'attitude que des revendications de ce genre pouvaient être reçues et évaluées par les pays appliquant la norme de la Convention.

Dans les années suivantes, on a continué de prêter attention aux besoins des femmes réfugiées en général, et les recommandations du Comité exécutif quant aux revendications fondées sur le sexe sont devenues à la fois plus larges et plus vigoureuses. Dans les lignes directrices adoptées en 1991, au lieu que les États soient «libres d'adopter» la position de considérer les femmes comme un «groupe social» (conformément aux lignes directrices de 1985), on souligne que les femmes:

[...] qui craignent d'être persécutées ou d'être victimes d'une discrimination grave au motif de leur sexe doivent être considérées comme faisant partie d'un groupe social aux fins de détermination du statut de réfugié. Dans certains cas, on peut aussi considérer qu'elles ont pris une position, religieuse ou politique, qui transgresse les règles sociales de leur communauté(11). (les italiques sont de nous)

   B. Le droit des réfugiés à l'heure actuelle(12)

Lorsqu'on évalue les revendications du statut de réfugié, il faut prendre en considération un certain nombre de facteurs qui tiennent à la structure de la définition de réfugié(13). Le requérant doit craindre à juste titre d'être persécuté s'il est renvoyé dans son pays, et la persécution doit être liée ou attribuable à l'un des éléments qui définissent l'état civil ou politique de la personne en cause: sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques. Dans les paragraphes qui suivent nous résumons très brièvement ces divers éléments dans la mesure où ils ont trait aux revendications fondées sur le sexe. Il convient de noter que même si la persécution et au moins l'un des éléments nommés occupent une place centrale dans une revendication, de nombreuses revendications du statut de réfugié reposent sur plus d'un motif (comme cela s'est produit dans l'affaire «Nada»).

      1. Persécution

La persécution n'est pas de la discrimination ni un désagrément. Ce n'est pas non plus un préjudice passager ou isolé. Il s'agit plutôt d'un préjudice grave et soutenu qu'inflige le pays du demandeur ou que ce pays ne peut ou ne veut empêcher. Les revendications fondées sur le sexe doivent répondre à ces critères de la même façon que toutes les autres revendications.

On peut déterminer si un préjudice est suffisamment grave pour constituer de la persécution en se reportant aux définitions des droits humains fondamentaux qui figurent dans des documents internationaux de base comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La violation d'un droit stipulé dans ces documents n'équivaut pas toujours à de la persécution, bien que ce soit souvent le cas, notamment en ce qui concerne les droits suivants (pour n'en nommer que quelques-uns) : protection contre les exécutions arbitraires; protection contre la torture ou les traitements ou châtiments cruels et inhumains; protection contre l'esclavage; droit à la reconnaissance juridique en tant que personne; immunité d'arrestation et de détention arbitraires; droit à un juste procès; droit à l'intégrité de la personne; droit à la liberté de mouvement; droit de quitter son pays et d'y revenir; et droit de vote. Dans certains cas, la violation d'un large éventail de droits sociaux et économiques peut également constituer de la persécution.

Par conséquent, les femmes qui sont constamment victimes de harcèlement ou de la violation de leurs droits fondamentaux répondraient à cet aspect de la définition de réfugié dans la mesure où l'État ferme les yeux sur ces torts ou ne fait rien pour les empêcher. Il importe de noter que les voies de fait et le viol peuvent constituer de la persécution.

      2. Du fait de sa religion

Certains pays imposent d'importantes restrictions qui touchent les femmes. Lorsque ces restrictions découlent de la religion officielle du pays, la transgression des règles peut être perçue comme un acte anti-religieux et punissable à ce titre. Toutefois, la Convention protège à la fois le droit d'avoir une croyance religieuse et le droit de ne pas en avoir(14). Par conséquent, les personnes qui transgressent les règles sociales de leur collectivité peuvent, dans certains cas, faire valoir qu'elles sont persécutées du fait de leur religion.

      3. Du fait de ses opinions politiques

Dans des cas semblables à ceux que nous venons de décrire, où les lois de l'État coïncident avec les règles de la religion officielle, le rejet des «normes culturelles/ religieuses» qui créent de la discrimination à l'endroit des femmes peut être perçu comme un geste politique. Par conséquent, des actes qui ne sont pas normalement considérés comme étant de nature «politique» à l'Ouest, comme se vêtir d'une manière qui n'est pas approuvée, constituent une prise de position que les autorités interprètent comme une provocation politique mettant en question les fondements de l'État et son pouvoir de contrôler ses citoyens(15).

Que la contestation des normes en vigueur soit classée comme transgression de nature religieuse ou de nature politique, si les mesures prises pour appliquer ces normes équivalent à de la persécution, ou si les normes elles-mêmes violent les droits humains fondamentaux reconnus à l'échelle internationale, il existe un fondement pour la revendication du statut de réfugié.

      4. Du fait de son appartenance à un groupe social

On ne s'entend pas sur ce qui constitue l'appartenance à un «groupe social». Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, le Comité exécutif du HCR reconnaît que les femmes qui ont transgressé les règles sociales de leur pays peuvent être considérées comme formant un tel groupe. Hathaway considère qu'un groupe défini par le sexe constitue un «exemple évident» d'un groupe social particulier parce que les membres de ce groupe partagent une caractéristique commune et immuable, leur sexe(16). Ce point de vue a été accepté au Canada dans l'affaire Zekiye Incirciyan(17), une veuve turque qui était persécutée dans son pays parce qu'elle ne vivait pas sous la protection d'un homme de sa famille. Le groupe social a été identifié comme étant formé des «femmes célibataires vivant dans un pays musulman sans la protection d'un homme de leur famille»(18). Cette approche a été acceptée dans d'autres décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à l'égard de femmes du Liban et de Sri Lanka(19), et, ce qui est intéressant du point de vue de l'affaire «Nada», de l'Iran(20).

En avril 1993, la Cour d'appel fédérale a statué que les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui font face à la stérilisation forcée constituent un groupe social(21). La Cour a déclaré : «Toutes celles qui entrent dans ce groupe poursuivent ou ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l'ingérence dans la liberté de procréation d'une femme est un droit fondamental qui «se situe en haut dans notre échelle de valeurs»»(22). Toutefois, seulement quelques mois plus tard, la Cour d'appel fédérale a estimé que les parents en Chine qui ont plus d'un enfant ne constituent pas un groupe social(23).

En juin 1993, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Ward(24), a établi le cadre d'évaluation d'un «groupe social» aux fins de la Convention. La Cour a défini trois possibilités:

1. les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

2. les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

3. les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique(25).

La Cour a reconnu explicitement que les revendications fondées sur le sexe entraient dans la première catégorie, ce qui confirme l'orientation du Comité exécutif du HCR, l'opinion d'Hathaway et les décisions canadiennes citées(26).

      5. Pour d'autres motifs

Les revendicatrices du statut de réfugié peuvent également invoquer leur race ou leur nationalité dans les situations où des lois de leur pays visent uniquement les femmes. Ainsi, une femme d'une certaine race, qui vit dans un pays où la majorité est de race différente, peut être persécutée tant en raison de ses origines que de son sexe.

   C. Directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

Comme nous l'avons vu dans les pages qui précèdent, le cadre d'acceptation des revendications fondées sur le sexe a été établi dans le droit des réfugiés et, effectivement, la Commission a accueilli certaines de ces revendications par le passé. Toutefois, comme l'a illustré la décision dans l'affaire «Nada» (de façon presque caricaturale), les membres de la Commission n'avaient pas tous bien compris le cadre conceptuel nécessaire à l'analyse de ces revendications. En fait, en plus de traduire un manque évident de subtilité dans la connaissance du droit des réfugiés, la décision a révélé un sexisme sans équivoque (les commissaires ont déclaré que «Nada», en tant que fille, devrait «ménager les sentiments de son père»), ce qui laisse supposer un problème plus important.

Pendant que se poursuivait le débat public, la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a élaboré ses Directives pour aider les membres de la Commission à traiter des revendications fondées sur le sexe(27). On a fait circuler l'ébauche pour fins de consultation en août 1992 et on a publié la version définitive le 9 mars 1993, Journée internationale de la femme. Les Directives, intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, forment l'annexe du présent document. Elles visent à établir le cadre conceptuel requis pour l'examen des revendications fondées sur le sexe; elles devraient également contribuer à sensibiliser les membres à certaines dimensions et questions spécifiques de ces revendications.

Les Directives de la CISR ne sont pas légalement obligatoires. Les membres de la Commission prennent leurs décisions de façon indépendante selon la loi, les faits qui leur sont présentés, les affaires similaires déjà jugées (quoiqu'ils ne soient pas liés par ces dernières) et les renseignements objectifs touchant le pays d'origine des revendicateurs. Les Directives présentent cependant un énoncé succinct des enjeux et renvoient à des situations précises et à des affaires pertinentes qui se sont déjà déroulées. Compte tenu du soin apporté à leur préparation, les membres devraient avoir de bonnes raisons pour ne pas respecter les principes qui les sous-tendent.

Tous les membres de la Commission ont reçu des instructions explicites à cet effet. Dans la conclusion d'une note de service intitulée «Modalités pour élaborer des directives — par. 65(3) et (4) de la Loi sur l'immigration», la présidente fait observer ce qui suit :

Mise en oeuvre des directives

On s'attend à ce que les commissaires de la section du statut, de la section d'appel et de la section d'arbitrage se conforment aux directives à moins qu'il n'existe des raisons impérieuses ou exceptionnelles pour s'en écarter et adopter une analyse différente.

Les particuliers sont en droit de s'attendre à ce que les directives soient suivies à moins qu'il n'existe des raisons impérieuses ou exceptionnelles de s'en écarter.

Parallèlement, les directives ne sont pas obligatoires parce que les commissaires et les arbitres peuvent exercer le pouvoir discrétionnaire d'adopter une approche différente lorsque cela est justifié, pourvu que la raison pour laquelle ils s'écartent des directives soit justifiée dans leurs motifs de décision.

* * *

Les Directives de la CISR portent sur quatre questions de nature critique :

1. Dans quelle mesure les femmes qui disent craindre d'être persécutées en raison de leur sexe peuvent-elles invoquer avec succès l'un des cinq motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention ou une combinaison de ceux-ci?

2. Dans quelles circonstances la violence sexuelle ou un autre traitement défavorable envers les femmes constitue-t-il de la persécution?

3. De quels éléments de preuve faut-il tenir compte dans une revendication fondée sur le sexe?

4. À quels problèmes spéciaux les femmes font-elles face lorsqu'elles revendiquent le statut de réfugié?

Outre qu'elle traitent des éléments qui précèdent, les Directives proposent une répartition des revendicatrices du statut de réfugié en quatre grandes catégories. La première comprend les femmes qui craignent d'être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes. Ainsi, alors que les méthodes de persécution des femmes peuvent différer de celles utilisées dans le cas des hommes (par exemple, les femmes sont plus susceptibles d'être violées), et alors que les femmes peuvent éprouver des problèmes différents lorsqu'elles font valoir leurs revendications (par exemple, parler du viol peut leur causer de sérieux problèmes à cause de l'opprobre culturel qui s'y rattache), le fond de la revendication est le même pour chaque sexe.

La deuxième catégorie comprend les femmes qui craignent d'être persécutées à cause des activités de membres de leur famille, et non du fait de leur propre statut ou de leurs propres activités ou convictions. Dans les cas de «persécution de la parenté», on cherche à obtenir des renseignements sur la famille. En outre, on peut tenir pour acquis que les femmes ont des convictions semblables à celles des membres de leur famille et qu'elles sont persécutées pour cette raison. Un groupe familial persécuté peut être considéré comme un «groupe social» aux fins de la définition de réfugié.

Les Directives décrivent un troisième groupe de femmes, celles «qui craignent d'être persécutées à la suite de certains actes de grave discrimination ou d'actes de violence de la part des autorités publiques ou même de citoyens privés, lorsque l'État ne veut pas ou ne peut pas protéger de façon appropriée les personnes concernées» (passage souligné dans l'original). Cette catégorie couvrirait vraisemblablement les cas de mutilation génitale ou d'immolation par le feu des épouses.

Le quatrième groupe de femmes comprend celles qui craignent d'être persécutées pour avoir violé des coutumes, lois et pratiques religieuses discriminatoires à l'endroit des femmes dans leur pays d'origine. Les Directives font état de différentes traditions sociales ou normes culturelles que les femmes peuvent être accusées de violer, entre autres, choisir leur propre conjoint plutôt que d'accepter un mariage imposé, porter du maquillage, montrer leurs cheveux ou se vêtir de certaines façons. Ces femmes peuvent être considérées comme un groupe social défini par le sexe.

Les Directives indiquent que la plupart des revendications fondées sur le sexe peuvent être étudiées au regard de la religion ou des opinions politiques, et elles semblent laisser supposer que le «groupe social» devrait constituer une catégorie résiduelle, à considérer uniquement après l'examen de motifs plus précis. Dans l'analyse du champ d'application de l'expression, on explique que le fait que le groupe social en question se compose d'un nombre élevé de femmes n'est pas pertinent; ce qui est pertinent, c'est le fait que le groupe social souffre ou craint de souffrir d'une discrimination dont n'ont pas à souffrir l'ensemble de la population ou les autres femmes. On ajoute que le simple fait d'appartenir à un groupe ne suffit pas — la revendicatrice doit avoir une crainte réelle de subir un préjudice suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution si elle retourne dans son pays(28), cette crainte est fondée sur son sexe et elle ne peut vraiment s'attendre à recevoir une protection appropriée de la part de son pays.

Les Directives ont également pour objet de sensibiliser les décideurs aux problèmes particuliers relatifs à la preuve et aux autres difficultés auxquels les femmes font face lorsqu'elles présentent leurs revendications. Il peut s'agir entre autres de pressions culturelles qui empêchent de révéler des persécutions de nature sexuelle ou d'en discuter; du traumatisme psychologique persistant consécutif à de tels traitements; de la difficulté de prouver qu'il y a persécution du fait des activités de membres de la famille; et des problèmes qu'il y a à caractériser l'implication de l'État dans les sociétés où les droits des femmes sont bafoués de façon générale.

La présidente, Nurjehan Mawani, a engagé la Commission à surveiller l'impact des Directives dans les revendications individuelles du statut de réfugié et à les réviser au fur et à mesure de l'évolution du droit(29). À l'occasion du premier anniversaire de la publication des Directives, la Commission a indiqué que quelque 350 revendications fondées sur le sexe avaient été déterminées au cours de l'année. Des 170 revendications réglées, 70 p. 100 l'avaient été en faveur de la revendicatrice(30).

LA VIOLENCE FAMILIALE — UN CAS SPÉCIAL?

Les femmes qui s'enfuient de leur pays pour échapper à la violence au foyer, ou qui ont des motifs de craindre une telle violence si elles sont forcées de retourner chez elles, réclament également la protection du Canada(31). À cet égard, leur cas s'apparente à celui des autres personnes qui réclament la protection du Canada parce qu'elles craignent un préjudice sérieux si elles sont forcées de retourner dans leur pays d'origine. Les questions qui se posent sont les suivantes : Dans quelle mesure les femmes qui craignent de faire l'objet d'un traitement abusif en milieu familial peuvent-elles revendiquer la protection du Canada en vertu du système de détermination du statut de réfugié? Quelles autres avenues leur sont ouvertes au sein du système d'immigration?

Les Directives de la CISR font allusion à cette question, mais offrent moins d'indications que pour les autres aspects des revendications fondées sur le sexe. C'est peut-être inévitable parce que le sujet est relativement nouveau. En tant que groupe, les revendicatrices du statut de réfugié dans cette situation semblent entrer dans la troisième grande catégorie décrite ci-dessus (p. 13). Voici la définition complète de cette catégorie:

Les femmes qui craignent d'être persécutées à la suite de certains actes de grave discrimination ou d'actes de violence de la part des autorités publiques ou même de citoyens privés, lorsque l'État ne veut pas ou ne peut pas protéger de façon appropriée les personnes concernées. Dans le contexte du droit des réfugiés, cette discrimination peut équivaloir à de la persécution, si elle cause un grave préjudice pour la revendicatrice et qu'elle est imposée en raison de l'un des motifs de persécution énumérés dans la loi ou d'une combinaison de ceux-ci(32). (passage souligné dans l'original)

Il convient de noter qu'au moins un des motifs énumérés doit être présent. Toutefois, la violence familiale est moins susceptible que d'autres raisons d'être rattachée à la race, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques. Il reste l'appartenance à un groupe social. La question devient donc la suivante: Dans quelle mesure peut-on dire que les victimes de violence familiale forment un groupe social et, partant, peuvent être visées par la Convention?

Les Directives placent ces femmes dans un sous-groupe qui «peut être identifié du fait qu'elles sont exposées ou vulnérables pour des raisons physiques, culturelles ou autres à de la violence, y compris la violence familiale, dans un milieu qui refuse de les protéger. Ces femmes sont en butte à de la violence équivalant à de la persécution parce qu'en tant que femmes dans leur société et parce qu'elles sont si peu protégées, elles sont particulièrement vulnérables»(33). (passage en gras dans l'original)

La jurisprudence à cet égard est encore embryonnaire. Les Directives de la CISR citent trois affaires qui ont toutes été jugées vers la fin de 1992 ou le début de 1993(34). Dans l'une d'elles, la Section d'appel de la Cour fédérale soulève, sans y répondre, la question de savoir si les Trinidadiennes victimes de violence au foyer peuvent constituer un groupe social(35). Les deux autres affaires ont été décidées de façon opposée par la Section du statut. Dans la première, on a jugé que la revendicatrice était membre d'un groupe social décrit comme «les femmes et les filles zimbabwéennes non protégées et victimes de violence»(36). Dans la seconde, les commissaires ont conclu que les femmes battues qui ne bénéficient pas de la protection de l'État ne constituent pas un groupe social. Selon eux, l'existence de la persécution à elle seule ne doit pas définir un groupe social. Toutefois, d'après les Directives, les femmes battues peuvent former un groupe social du fait qu'elles sont battues. Le point de vue selon lequel un groupe social peut être défini en partie par la violence dont il est victime s'est vu renforcé dans l'arrêt Cheung, où la Section d'appel de Cour fédérale a soutenu que les femmes en Chine qui font face à la stérilisation forcée en raison de la politique de l'enfant unique peuvent constituer un groupe social. Quoique, dans l'affaire Ward, la Cour suprême du Canada ait confirmé l'arrêt Cheung, elle a rejeté l'idée générale que des gens puissent faire partie d'un groupe social du seul fait qu'ils sont victimes de la même violence(37).

Une question devient inévitable si l'on décide d'inclure les femmes victimes de mauvais traitements, celle du nombre de personnes faisant partie du «groupe social». Cependant, cette question n'est pas pertinente du point de vue du droit des réfugiés(38). Comme l'indiquent les Directives (et les experts), la race, la religion, la nationalité et les opinions politiques sont aussi des caractéristiques que partagent un grand nombre de gens(39).

La violence familiale semble de nature différente, car hélas! elle caractérise pratiquement toutes les sociétés. Si «les femmes et les filles zimbabwéennes non protégées et victimes de violence» forment un groupe social, alors c'est le cas également pour «les femmes et les filles africaines non protégées» et, partant, toutes les femmes et les filles non protégées et victimes de violence. Étant donné qu'aucun pays, y compris le Canada, ne peut garantir la sécurité d'une personne face à un agresseur déterminé, un politique laissant entrevoir que toute femme battue pourrait trouver refuge au Canada créerait un sérieux bouleversement(40).

Il convient de noter qu'on a bien pris soin de qualifier de «non protégé» le groupe social de femmes zimbabwéennes(41). L'absence de protection de la part de l'État est un élément essentiel d'une crainte bien fondée de persécution(42). On pourrait limiter le champ d'application du groupe social formé des victimes d'abus en se servant de la définition de «non protégé». À l'évidence, un État qui ne chercherait pas à prévenir les traitements abusifs dans ses lois n'accorderait pas la protection voulue. De même, si une protection adéquate était prévue dans les lois du pays, mais que les pratiques et coutumes empêchaient leur application, on pourrait considérer que l'absence de protection est suffisante pour qu'une personne revendique la protection d'un autre État.

Une décision récente de la Cour fédérale traite de la question de la protection dans le contexte de l'admission au Canada pour des raisons humanitaires(43). Sur le point d'être expulsée, la revendicatrice a demandé un sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. L'un des motifs invoqués était qu'elle avait été battue par son mari à la Dominique et qu'elle ne recevrait aucune protection dans ce pays.

D'après le juge, si la violence familiale et la protection accordée aux victimes dans leur pays d'origine constituent des questions sérieuses, il faut néanmoins faire la preuve que la requérante est victime d'abus et qu'elle n'a droit à aucune protection dans son pays d'origine (c'est nous qui soulignons)(44). En rejetant la demande de la requérante, le juge a fait état des efforts déployés récemment par le gouvernement de la Dominique pour sensibiliser ses citoyens à la question de la violence familiale et pour mener des recherches à ce chapitre. Il a signalé que le ministère du Bien-être social de ce pays prête souvent assistance aux victimes en leur offrant un abri temporaire. Reconnaissant que la police est souvent réticente à intervenir dans les «querelles domestiques», il a néanmoins conclu que, d'après la preuve déposée, il n'était pas convaincu que la Dominique était un pays se désintéressant de la violence familiale ou n'offrant aucun recours aux victimes de cette violence(45). La requérante a interjeté appel de la décision. Les cinq enfants sous sa garde au Canada ont obtenu le droit de faire entendre leur cause — qu'ils ne soient pas privés des soins de Mme Harper — en même temps.

L'affaire susmentionnée ne constitue pas un cas de détermination du statut de réfugié. Dans le contexte des revendications de ce statut, la mesure dans laquelle la notion de «groupe social» peut s'appliquer aux situations de violence familiale n'est pas évidente. On ne sait guère non plus quel critère sera appliqué pour déterminer si l'État fournit une protection adéquate ni les éléments de preuve qui seront exigés à cet égard. Dans le discours qu'elle a prononcé en 1993 à l'Université d'Ottawa, la présidente de la Commission a mentionné des décisions favorables dans des cas de violence familiale concernant des femmes de l'Équateur et du Honduras. Par contre, la Commission a rejeté la demande d'une Tunisienne parce qu'elle a jugé que son pays offrait une protection adéquate. Depuis, une Russe a été admise comme réfugiée à cause de mauvais traitements subis de la part d'un personnage du monde interlope ayant avec la police russe des rapports jugés suffisants pour le placer au-dessus de la loi(46). Même si le système de détermination du statut de réfugié n'accueille pas facilement les demandes de femmes qui disent craindre d'être sérieusement maltraitées si elles doivent rentrer chez elles, il ne s'ensuit pas que les cas vraiment dramatiques ne bénéficieraient pas de la protection du Canada (ou ne devraient pas en bénéficier). Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration dispose d'un pouvoir discrétionnaire qu'il peut exercer pour des motifs humanitaires et, de fait, c'est ce qui s'est passé dans l'affaire «Nada», quoique seulement sous la pression de l'opinion publique. L'avantage d'une telle approche est que la définition de réfugié au sens de la Convention n'a pas à être élargie pour couvrir des situations auxquelles on n'avait aucunement songé et qui cadrent difficilement avec elle.

D'un autre côté, s'en remettre au pouvoir discrétionnaire du Ministre comporte de sérieux inconvénients. Les personnes qui revendiquent le statut de réfugié font entendre leur demande, peuvent se prévaloir des services d'un avocat pour la présenter et peuvent demander aux tribunaux l'autorisation d'en appeler d'une décision négative. Par contre, l'évaluation pour des raisons humanitaires constitue une mesure administrative. Le décideur a l'obligation d'être juste, mais le requérant ne dispose que de quelques droits et ne peut être entendu en personne. Le requérant dont la demande est rejetée peut essayer d'obtenir l'appui de groupes ou d'organismes sympathiques à sa cause et se confier aux médias, mais c'est généralement là son seul recours.

L'INCLUSION DU SEXE DANS LA DÉFINITION DE RÉFUGIÉ

Jusqu'ici, nous n'avons examiné les revendications fondées sur le sexe au regard de la définition de réfugié au sens de la Convention en vigueur dans le droit international et le droit canadien, plus précisément en ce qui touche les cinq raisons qui justifient une allégation de persécution. En vertu du cadre existant, on commence par se demander, dans les revendications fondées sur le sexe, s'il y a persécution ayant pour cause la religion ou des opinions politiques; si ces raisons ne sont pas applicables, on examine le motif de l'appartenance à un groupe social.

Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, on retrouve cette façon de voir dans les Directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans certaines décisions passées concernant les réfugiés et dans la formation donnée aux membres relativement à l'application de la définition de réfugié. Les revendications fondées sur le sexe étant examinées à la lumière du droit existant, le fait que ce droit évolue pour englober de telles revendications offre l'avantage de ne pas nécessiter de nouvelles dispositions législatives. Des changements progressifs, quoique importants au bout du compte, dans les attitudes et les politiques peuvent ainsi modifier de l'intérieur le cadre existant, sans que le bouleversement paraisse révolutionnaire.

On pourrait aussi modifier la loi canadienne de façon à permettre à des personnes de réclamer la protection du Canada parce qu'elles sont persécutées en raison de leur sexe. Cette démarche offrirait plusieurs avantages. On aborderait directement, et non plus indirectement, les problèmes qui sont au coeur de ces revendications. Au lieu que les revendicatrices soient forcées de faire concorder leurs demandes avec des critères établis qui ne sont peut-être pas entièrement appropriés, elles pourraient carrément se dire persécutées du fait de leur sexe. Cet argument a peut-être moins de vigueur si la revendication doit d'abord répondre au critère de l'appartenance de la personne à un groupe social. On peut aussi soutenir que si le sexe était énuméré parmi les motifs de persécution, les revendications fondées sur le sexe seraient prises plus au sérieux et la cause des droits des femmes comme droits humains progresserait de façon très tangible. Il deviendrait beaucoup plus difficile alors d'écarter les droits des femmes comme étant de simples préoccupations «culturelles», ou de traiter les lois qui créent de la discrimination à l'endroit des femmes comme des lois d'application générale auxquelles les femmes doivent adhérer, même lorsque ces lois violent les normes internationales des droits de la personne.

Toutefois, plusieurs arguments militent à l'encontre de l'inclusion du sexe comme motif de persécution dans la définition. Le premier est que ce n'est pas nécessaire. Comme nous l'avons déjà mentionné, on peut faire droit à bon nombre de revendications fondées sur le sexe en interprétant de façon appropriée les motifs habituels de persécution. En outre, la notion de groupe social s'avère suffisamment souple pour qu'il soit possible de répondre à d'autres revendications fondées sur le sexe qui ne sont guère faciles à catégoriser. On pourrait également soutenir que si la définition actuelle donne des résultats satisfaisants (ou peut en donner grâce à des lignes directrices et à des activités de formation), il vaut mieux ne pas la modifier.

Même si l'on apportait une telle modification, son champ d'application demeurerait imprécis. Par exemple, dans quelle mesure la nouvelle définition s'appliquerait-elle aux cas de violence familiale? La modification permettrait-elle d'aider (l'intention serait-elle d'aider?) une victime de violence familiale, mettons aux États-Unis, qui pourrait prouver que, même si les politiques, pratiques et lois protectrices sont toutes en place, son mari réussira sans doute à la retrouver et à la tuer? Bref, on devrait encore trancher toutes les questions susceptibles d'être soulevées en temps utile au sujet de l'application de la définition existante aux revendications fondées sur le sexe.

Ceux qui critiquent la proposition peuvent également avancer que si l'on est prêt à inclure le sexe dans la définition, on devrait en même temps chercher à aider les membres d'autres groupes. Par exemple, les homosexuels ont déjà bénéficié d'une protection à titre de groupe social(47). Pourraient-ils faire valoir qu'ils doivent eux aussi bénéficier d'une protection particulière dans la définition de réfugié? Les partisans de l'inclusion du sexe dans la définition devraient peut-être se préparer à expliquer pourquoi il faut protéger plus spécifiquement les femmes (qui en seraient les premières bénéficiaires) que d'autres groupes, auxquels continuerait de s'appliquer la notion d'appartenance à un groupe social.

L'analyse qui précède a porté essentiellement sur la modification du droit interne du Canada pour ajouter le sexe comme motif de persécution à la définition de réfugié. Bien entendu, la définition canadienne reflète la définition internationale. Le Canada devrait-il faire campagne pour faire modifier également la Convention relative au statut des réfugiés? Les avantages seraient les mêmes que ceux que nous avons déjà mentionnés pour la situation canadienne, c'est-à-dire que cela contribuerait à promouvoir les droits des femmes et à rehausser à conscientisation. Toutefois, il est peu probable qu'une telle modification serait acceptée à l'échelle internationale, car les États considèrent déjà qu'ils reçoivent beaucoup trop de revendications du statut de réfugié. Toute proposition susceptible d'accroître le nombre des requérants éventuels aurait très peu de chances de succès. Qui plus est, il est possible que, dans le climat actuel, un débat officiel sur la définition de réfugié donne le résultat contraire à celui souhaité — c'est-à-dire une nouvelle définition plus restrictive.

Enfin, il convient de noter que, même lorsqu'on aura donné la formation requise aux membres de la Section du statut de réfugié et qu'ils seront suffisamment sensibilisés, ce ne sont pas toutes les revendications des femmes disant craindre d'être persécutées en raison de leur sexe qui seront acceptées, pas plus que ne le sont toutes les revendications des hommes. Prouver qu'on craint d'être persécuté est un fardeau onéreux pour n'importe qui. Toutefois, les femmes sont en droit de s'attendre à une application souple la définition de réfugié, compte tenu des questions qui les touchent plus particulièrement en raison de leur sexe, et sans préjugé sexiste. En outre, il semble raisonnable que les femmes qui ne sont pas admises comme réfugiées, mais qui font tout de même face à un préjudice grave si elles doivent retourner dans leur pays d'origine, puissent compter sur une attitude réceptive de la part du gouvernement et que ce dernier traite leurs dossiers un à un. Le Canada devrait être reconnaissant envers «Nada» d'avoir mis ces questions sur la place publique pour qu'on en discute et qu'on agisse.

 


ANNEXE

bp370-f 1.jpg (32744 bytes)

bp370-f 2.jpg (78017 bytes)

bp370-f 3.jpg (76783 bytes)

bp370-f 4.jpg (71595 bytes)

bp370-f 5.jpg (91865 bytes)

bp370-f 6.jpg (86080 bytes)

bp370-f 7.jpg (64936 bytes)

bp370-f 8.jpg (92155 bytes)

bp370-f 9.jpg (92266 bytes)

bp370-f 10.jpg (74769 bytes)

bp370-f 11.jpg (84893 bytes)

bp370-f 12.jpg (91432 bytes)

bp370-f 13.jpg (82564 bytes)

bp370-f 14.jpg (90359 bytes)

bp370-f 15.jpg (95325 bytes)

bp370-f 16.jpg (87509 bytes)

bp370-f 17.jpg (74656 bytes)

bp370-f 18.jpg (86507 bytes)

bp370-f 19.jpg (77297 bytes)

bp370-f 20.jpg (64492 bytes)

bp370-f 21.jpg (39622 bytes)

 


(1) Décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dossier no M91-04822.

(2) Calgary Herald, 23 janvier 1993 (traduction).

(3) Ottawa Citizen, 3 février 1993.

(4) London Free Press, 16 janvier 1993 (traduction).

(5) The House, CBC Radio, 16 janvier 1993 (traduction).

(6) Globe and Mail (Toronto), 16 janvier 1993.

(7) Ottawa Citizen, 25 janvier 1993 (traduction).

(8) Toronto Star, 30 janvier 1993.

(9) Loi sur l'immigration, LRC 1985, c. I-2, art. 2. La définition canadienne s'inspire de celle de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, dont le Canada est signataire.

(10) 1985 (Comité exécutif — 36e session), n° 39 (XXXVI). Conclusion adoptée par le Comité exécutif du programme du Haut Commissaire sur la recommandation du Sous-comité plénier sur la protection internationale des réfugiés.

(11) Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiés, EC/ SCP/ 67 (22 juillet 1991), citées dans Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, 9 mars 1993, p. 12 (ci-après appelées «Directives»).

(12) Cette section s'inspire de l'ouvrage de James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Butterworths Canada Ltd., 1991 (ci-après appelé «Hathaway»).

(13) Aux fins des présentes, on tient pour acquis plusieurs de ces facteurs, nommément: que la personne qui présente une demande est à l'extérieur de son pays de nationalité ou de résidence permanente et qu'aucun motif lié à la criminalité ou à la sécurité ne disqualifie une personne qui autrement répondrait aux conditions prescrites pour l'obtention d'une protection.

(14) Ibid., p. 145.

(15) Hathaway cite une décision de 1987 de la Commission d'appel de l'immigration (Mokjgan Shahabaldin, V85-6161); dans cette affaire, le non-consentement d'une femme iranienne à porter le tchador ou à participer aux fonctions islamiques a été interprété comme l'expression d'une opinion politique.

(16) Hathaway (1991), p. 162.

(17) Commission d'appel de l'immigration, décision M87-1541X, 10 août 1987.

(18) Cité dans Hathaway, p. 162 (traduction).

(19) Ibid.

(20) SSR T89-06969, T89-06970, T89-06971. Dans sa décision de 1990, la Section du statut a conclu que les femmes et les filles qui ne se conforment pas aux normes fondamentalistes islamiques forment un groupe social.

(21) Cheung c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 314 (C.A.).

(22) Ibid., p. 322.

(23) Chan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] C.F. n° 742, Doc. A-233-92 (C.F. Appel). Le juge Mahoney, qui faisait partie des juges ayant statué sur l'affaire Cheung, a exprimé une opinion dissidente.

(24) Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 S.R.C. 689 (C.S.C.).

(25) Ibid., p. 739.

(26) Hathaway (1991), p. 162.

(27) Avec les modifications à la Loi sur l'immigration qui sont entrés en vigueur le 1er février 1993, les Directives de la Commission ont acquis un fondement législatif. Elles ont pour objet d'«assister [les membres de la section du statut et de la section d'appel] dans l'exécution de leurs fonctions» (paragraphe 65(3)). En outre, elles contribuent à rendre plus cohérent un système très décentralisé. Il convient de noter que les Directives s'appliquent uniquement aux membres de la Commission, et non aux agents des visas qui choisissent des réfugiés à l'étranger, même si elles leur ont été remises.

(28) À la page 10 des Directives, on mentionne que pour que le traitement équivaille à de la persécution, «il doit s'agir d'un préjudice grave qui va à l'encontre des droits de la personne et des libertés fondamentales des femmes». Les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne définissent de façon objective en quoi consistent ces formes de préjudice. Prière de noter que dans l'affaire Cheung (citée ci-dessous), la Cour a invoqué les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme lorsqu'elle a conclu que les Chinoises qui font face à la stérilisation forcée sont victimes de persécution. L'article 3 stipule : «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne». L'article 5 stipule : «Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».

(29) Nurjehan Mawani, «The Factual and Legal Legitimacy of Addressing Gender Issues», Refuge, vol. 13, n° 4 (juillet-août 1993), p. 8.

(30) Direction de l'immigration et du statut de réfugié, Communiqué, 9 mars 1994.

(31) La première situation est celle d'une femme qui fuit un mari violent dans son pays d'origine et se réfugie au Canada. La seconde situation est celle d'un mari violent dans un couple vivant au Canada qui retourne dans son pays d'origine (ou qui est expulsé du Canada). Dans l'un et l'autre cas, la femme craint que les traitements abusifs ne reprennent si elle est forcée de retourner chez elle.

(32) Directives, p. 3.

(33) Ibid., p. 6.

(34) Ibid., p. 14.

(35) Canada c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154 (Appel). Dans l'arrêt Mayers, la Cour a jugé que les commissaires chargés d'évaluer si la revendication avait un minimum de fondement auraient dû la renvoyer à un second palier d'audience, compte tenu du fait que le droit n'était pas fixé à ce chapitre.

(36) SSR U92-06668, 19 février 1993. Les commissaires ont jugé que le motif religieux aurait suffi pour faire valoir que la revendicatrice était persécutée. Néanmoins, ils ont estimé qu'elle appartenait à deux groupes sociaux : d'une part les femmes et les filles zimbabwéennes non protégées et victimes de violence, d'autre part les femmes et les filles zimbabwéennes obligées de se marier suivant le droit coutumier.

(37) Ward, p. 729.

(38) Même si cela n'est pas pertinent du point de vue du droit des réfugiés, il serait naïf de croire que les questions liées au nombre (l'idée d'«ouvrir les vannes») ne sont pas très pertinentes pour les gouvernements nationaux.

(39) Directives, p. 6.

(40) Il faut se rappeler que le gouvernement n'oppose pas d'obstacles substantiels à l'arrivée de revendicateurs du statut de réfugié. Les principales barrières sont les exigences relatives aux visas. En outre, les femmes qui fuient un pays pour un autre peuvent se heurter à de nombreux obstacles de nature économique, physique et sociale que les hommes ne connaissent pas au même degré.

(41) Dans ce cas, la revendicatrice avait été forcée, à l'âge de 15 ans, de devenir l'une des femmes d'un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Comme il était riche et influent, elle n'a pu, malgré des tentatives répétées, obtenir la protection de la police face à la violence physique qu'il lui faisait subir. En outre, les commissaires ont conclu que le pouvoir et l'influence de l'homme en question étaient tels qu'il était impossible pour elle de se réfugier ailleurs au Zimbabwe.

(42) Voir par exemple Hathaway (1991), p. 105.

(43) Harper c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 62 F.T.R. 96 (C.F. lre inst.).

(44) Ibid., p. 102.

(45) Ibid., p. 103.

(46) Calgary Herald, 28 décembre 1993, p. B1.

(47) Dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a également observé que les revendications fondées sur l'orientation sexuelle ainsi que sur le sexe correspondraient à la première catégorie de «groupe social».