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LE TERRORISME CHIMIQUE

 

Rédaction :
François Côté, Geneviève Smith
Division des sciences et de la technologie

Le 15 janvier 2002


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

L’UTILISATION DE L’ARME CHIMIQUE ET LA CONVENTION SUR LES ARMES CHIMIQUES

ACQUISITION D’AGENTS CHIMIQUES

MOYENS ET FACILITÉ DE PRODUCTION

VECTEURS DE DISSÉMINATION

AGENTS POTENTIELS

   A. Tableau récapitulatif

   B. Agents suffocants

   C. Agents vésicants

   D. Agents hémotoxiques

   E. Agents neurotoxiques

HISTOIRE DE LA GUERRE CHIMIQUE


LE TERRORISME CHIMIQUE

INTRODUCTION

Les agents chimiques de guerre sont des substances qui, par leurs effets toxiques, peuvent tuer, blesser ou provoquer une incapacité.  Sur les milliers de produits chimiques toxiques connus, quelque 70 seulement ont été utilisés ou stockés en tant qu’armes chimiques au XXsiècle et les terroristes estiment qu’un petit nombre seulement de ces produits pourraient servir à leurs fins(1).  Cependant, comme nombre de ces agents ont des utilisations civiles tout à fait légitimes, on peut se les procurer sans peine auprès de plusieurs sources, quand ils ne sont pas très faciles à fabriquer.

L’UTILISATION DE L’ARME CHIMIQUE ET LA CONVENTION SUR LES ARMES CHIMIQUES

Bien que l’histoire de l’arme chimique remonte à l’antiquité, sa première utilisation sur une grande échelle ne date que de la Première Guerre mondiale, où elle a fait plus de 90 000 victimes(2).  L’indignation publique suscitée par l’emploi de ce type d’arme durant ce conflit allait entraîner, en 1925, la signature du Protocole de Genève interdisant l’utilisation militaire des armes chimiques, mais non leur production ni leur stockage(3).  Plusieurs pays, dont le Canada, ont signé le protocole, mais en précisant qu’ils ne le considéreraient comme contraignant que lorsque la partie adverse y aurait elle-même donné son adhésion, et qu’il cesserait d’être contraignant par rapport à un pays ennemi qui n’en respecterait pas les dispositions(4).  Au cours des années qui ont suivi, toutefois, l’arme chimique a été utilisée en Éthiopie par l’Italie (pourtant signataire du protocole), ainsi qu’en Mandchourie et en Chine par le Japon (alors non-signataire).  De plus, les Alliés et les forces de l’Axe ont stocké d’importantes quantités d’agents chimiques durant la Seconde Guerre mondiale, mais rien ne prouve qu’ils en ont employé au cours de ce conflit(5).  La recherche sur l’arme chimique, qui s’est poursuivie tout au long de la Guerre froide, a permis d’améliorer considérablement son pouvoir vulnérant, et les stocks d’armes chimiques ont continué de croître partout dans le monde.  Ces armes ont de nouveau été utilisées à la fin des années 1980, au cours de la guerre entre l’Iran et l’Irak(6).  Toutefois, au fur et à mesure que le désarmement international recueillait un consensus plus large, l’appui au resserrement du contrôle des armes chimiques a gagné du terrain.

Après plusieurs décennies de négociation, la Convention sur les armes chimiques – un nouveau traité qui devait compléter le Protocole de Genève – était ouvert à la signature des pays en janvier 1993.  Le Canada a été parmi les premiers à le signer et il a adopté par la suite, en 1995, la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.  La Convention interdit l’utilisation, la mise au point, la production, l’acquisition, le stockage et le transfert d’armes chimiques.  Elle précise que les armes chimiques incluent non seulement les agents mais aussi toutes les munitions ainsi que tous les dispositifs destinés à leur dispersion(7).  La Convention entend par produit chimique toxique « tout produit chimique qui, par son action chimique sur les processus biologiques, peut provoquer chez les êtres humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents ».   Étant donné que les végétaux ne sont pas mentionnés dans cette définition, l’utilisation de défoliants – comme l’agent Orange – n’est pas interdite.  Les agents incendiaires comme le napalm ne sont pas, non plus, mentionnés parmi les produits interdits par la Convention, car leurs effets sont attribuables à l’énergie thermique et non à leurs propriétés toxiques(8).  Bien qu’interdits à des fins militaires, les agents anti-émeutes – comme le gaz lacrymogène et le gaz poivré – peuvent être utilisés à l’intérieur d’un pays pour faire respecter la loi.  En outre, les virus et les bactéries toxinogènes ne sont pas visés par cette convention, mais sont interdits, en tant qu’armes, par la Convention sur les armes biologiques et à toxines(9).

ACQUISITION D’AGENTS CHIMIQUES

Plusieurs auteurs ont mentionné la facilité avec laquelle les organisations infranationales peuvent se procurer ou produire des armes chimiques, notamment :

Plusieurs agents chimiques qui pourraient servir d’armes ont des applications industrielles tout à fait légitimes et peuvent être achetés à des fournisseurs de produits chimiques industriels ou agricoles(11).  Par exemple, le phosgène et le cyanure d’hydrogène sont fabriqués un peu partout, dans des installations industrielles; le premier sert d’agent de chloration et le deuxième d’intermédiaire de synthèse des polymères acryliques(12).  Plusieurs insecticides et rodenticides particulièrement toxiques sont faciles à obtenir; selon certains auteurs, ils pourraient être aussi dangereux que leurs équivalents militaires(13).  En raison de leur niveau de sécurité moins élevé, les entrepôts militaires où sont stockés les agents chimiques sont plus vulnérables que les sites de stockage nucléaire, si bien que le vol d’armes chimiques y est plus probable(14).  Nombre de pays, dont certains signataires de la Convention sur les armes chimiques, conservent un important arsenal d’armes de ce type.  La sécurité des entrepôts varie considérablement à l’intérieur d’un pays et d’un pays à l’autre; même aux États-Unis, certaines de ces installations offrent, a-t-on dit, un degré de sécurité inférieur à celui des supermarchés(15).  La sécurité est encore plus faible dans les centres de recherche médicaux et scientifiques, où l’on trouve des armes potentielles de même que leurs précurseurs.

Le Canada n’entrepose pas d’armes chimiques, si ce n’est celles servant au contrôle des foules et à la répression des émeutes(16).  Cependant, le ministère de la Défense nationale (MDN) doit conserver en permanence un certain stock d’agents chimiques pour ses recherches en défense chimique et biologique au Centre de recherches pour la défense Suffield.  Les programmes de recherche, de mise au point et d’instruction du MDN dans le domaine de la défense biologique et chimique font l’objet d’un examen annuel par le Comité d’examen de programme de défense biologique et chimique, qui a pour mandat de s’assurer que les activités entreprises « ont un caractère défensif et qu’elles sont menées de façon professionnelle, sans menacer la sécurité de la population ni l’environnement »(17).  Dans son dernier rapport, le Comité conclut qu’il y a absence d’arrière-pensées dans le programme de protection chimique et biologique du gouvernement, et que rien ne prouve que des activités à caractère offensif ont été menées(18).

MOYENS ET FACILITÉ DE PRODUCTION

Les groupes terroristes peuvent aussi décider de produire leurs propres armes chimiques.  Moyennant 10 à 14 millions de dollars US, il serait possible de se doter d’une installation de production de phosgène – un agent chimique relativement facile à produire – de taille raisonnable(19).  Il est aussi relativement facile de fabriquer un agent neurotoxique, puisque les techniques qui sont mises en jeu sont à peu près les mêmes que celles utilisées pour la fabrication d’insecticides(20).  Comme nous l’avons vu, plusieurs agents chimiques peuvent être fabriqués dans des installations industrielles relativement inoffensives qui existent dans la plupart des pays(21).  Nombre d’agents dangereux sont synthétisés à partir d’ingrédients qui peuvent avoir des applications commerciales.  Par exemple, les produits chimiques qui entrent dans la composition du sarin (un gaz neurotoxique) sont utilisés dans la fabrication des ignifugeants, des additifs pour l’essence, des plastifiants, des solvants, de la céramique et des antiseptiques(22).

Il suffirait à un groupe infranational désireux de produire ses propres armes chimiques de faire appel à une personne possédant des connaissances de 2e ou de 3e cycle en chimie(23).  Il est possible de trouver la plupart des renseignements techniques nécessaires dans la littérature; par exemple, il est intéressant de noter que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont levé le secret sur la formule de fabrication du gaz neurotoxique VX, l’un des plus puissants agents neurotoxiques(24).  Il est certes possible de synthétiser des agents comme le sarin et le VX dans un laboratoire relativement rudimentaire, mais une telle entreprise ne serait pas sans risque pour la santé des préparateurs, ce qui risque de dissuader ceux qui seraient tentés de se lancer dans la production de ces substances(25).

VECTEURS DE DISSÉMINATION

Si la production des armes chimiques peut poser des problèmes, leur dissémination en pose de plus grands encore.

Une bombe chimique explosant dans une aérogare très fréquentée tuerait sans doute des centaines de personnes; un avion d’épandage survolant à basse altitude un stade bondé d’amateurs de football ferait des milliers de victimes; un générateur de fumée placé à l’arrière d’une camionnette qui sillonnerait les rues d’une ville permettrait de tuer des dizaines de milliers de personnes par dissémination sous forme d’aérosol.  Cependant, pour parvenir à porter des attaques d’une telle ampleur contre une cible extérieure, avec un degré de réussite modéré, il faudrait utiliser des dizaines de gallons d’agents chimiques et le faire dans des conditions environnementales adéquates, même si elles ne sont pas idéales(26).

Une attaque terroriste à l’arme chimique peut se faire ouvertement ou secrètement.  Il existe plusieurs façons de déployer une telle arme, par exemple les bombes, les sous-munitions, les projectiles, les têtes explosives et les réservoirs de solution à pulvériser(27).  Plusieurs vecteurs permettent, par ailleurs, une diffusion clandestine, et les trois scénarios suivants retiennent davantage l’attention : (1) contamination des réseaux publics de distribution d’eau; (2) contamination d’aliments; (3) dispersion sous forme d’aérosols ou de vapeurs dans des espaces clos(28).

Le premier scénario a peu de chances d’aboutir pour plusieurs raisons.  Certains agents – comme les pesticides organophosphatés – se décomposent dans l’eau, ce qui les rend inefficaces en tant qu’armes(29).  Les systèmes de filtration et de purification de la plupart des installations de traitement des eaux permettent aussi de réduire les risques de contamination.  Qui plus est, étant donné les importants volumes d’eau en cause, les produits chimiques seraient automatiquement très dilués, si bien qu’il faudrait en employer d’énormes quantités pour parvenir à empoisonner les réseaux de distribution(30).  Cependant, l’approvisionnement en eau d’installations individuelles se prêterait à de telles attaques.  Dans ce genre de situation, la filtration et la dilution présenteraient un obstacle moindre à l’action terroriste(31).

Plusieurs cas de contamination de produits alimentaires par des agents chimiques ont été documentés.  En voici quelques exemples :

La diffusion d’armes chimiques en aérosol permet d’utiliser des vecteurs non explosifs.  Avec cette méthode, les espaces clos constituent des cibles idéales; la direction et la vitesse du vent de même que des observations météorologiques précises jouent alors un rôle très important dans la réussite de l’attaque.  Jusqu’ici, la seule attaque terroriste où une arme chimique a été dispersée avec succès sous la forme d’aérosol dans un espace clos a été le fait de la secte Aum Shinriky qui, en 1995, a utilisé du sarin dans le métro de Tokyo.  Alors qu’elle aurait dû faire des milliers de victimes, cette attaque a provoqué 12 morts et une quarantaine de blessures graves.   Le culte avait dépensé plus de 30 millions de dollars en recherche et en équipement, ce qui montre bien à quel point il est difficile de mener une attaque à l’arme chimique susceptible de faire un grand nombre de victimes(32).

AGENTS POTENTIELS

Les armes chimiques sont le plus souvent réparties en quatre groupes, selon l’effet qu’elles ont sur leurs victimes :

   A. Tableau récapitulatif

Agent Type d’exposition

Dose
létale
(33)

Vitesse d’action

Mode d’action

Effets

Antidotes / traitements Exemples d’utilisations commerciales des produits ou de leurs précurseurs

 

Agents suffocants

 

Inhalation

 

3 000-20 000 LCt50

 

Retardée à rapide

 

Endommagent les voies respiratoires  et provoquent une importante accumulation de liquide dans les poumons.

 

Dyspnée; irritation des muqueuses; toux, serrement       de poitrine

Finissent par provoquer une accumulation de liquide dans    les poumons, ce qui entraîne       la mort par étouffement

Vomissements, accumulation    de liquide dans les poumons

 

Aucun antidote

Il faut porter un masque à gaz et des vêtements protecteurs pour éviter l’inhalation

Traitements médicaux :

  • déplacement dans un milieu décontaminé

  • repos forcé

  • gestion des sécrétions dans           les voies respiratoires

  • oxythérapie

  • prévention/traitement de      l’œdème pulmonaire

 

Désinfectants, plastiques, pesticides, solvants, produits chimiques de synthèse, teintures et herbicides

 

Agents vésicants

 

Par contact de la peau ou par inhalation

 

Par exposition cutanée : 25-4 500

DL50

Par inhalation : 1 300-3 200

LCt50

 

Rapide (appari-tion des symptômes retardée dans le cas de l’ypérite)

 

Provoquent des cloques sur la peau et endommagent les voies respiratoires, les muqueuses et les yeux

 

Érythèmes cutanés, endommagement des voies respiratoires, blépharite

 

Décontamination soigneuse à l’eau

Prévention de l’infection par     traitement aux antibiotiques

Application de lotions et de pommades pour atténuer la démangeaison due aux érythèmes

L’ypérite n’a pas d’antidote connu

L’anti-lewisite britannique peut atténuer une partie des effets de la lewisite, bien que ce traitement puisse être toxique dans une certaine mesure

 

Papier et caoutchouc entrant dans la fabrication des produits pharmaceutiques, insecticides, plastiques, détergents, cosmétiques, lubrifiants, céramique, articles de toilettes, cires et cirages

 

Agents hémo-toxiques

 

Inhalation

 

2 000-    11 000 LCt50

 

Rapide

 

Entravent le phénomène d’échange d’oxygène dans le sang

 

Perturbation de l’oxygénation   des cellules; le cœur et le système nerveux central sont particulièrement susceptibles

En outre, le chlorure de cyanogène irrite beaucoup les yeux et les poumons

Dans les cas les plus modérés :

  • vomissement

  • étourdissements

  • respiration difficile et accélérée

Dans les cas les plus graves :

  • convulsions

  • arrêt respiratoire

  • perte soudaine de connaissance menant             à la mort

 

 

Les hémotoxiques sont particulièrement volatils; il faut laver les yeux à grande eau, retirer tout vêtement contaminé et rincer à l’eau toute partie de peau ayant été exposée

Antidotes : administration intraveineuse de nitrite de sodium et de thiosulfate de sodium à des fins de détoxication

Le R.-U. est en train de mettre au point un traitement préventif.

 

Pesticides, produits fumigatoires, produits d’électrodéposition, extraction d’or et d’argent, teintures, production de pigments et de nylon

 

Agents neuro-toxiques

 

Contami-nation par la peau et/ou par inhalation

 

Exposition cutanée : 10-1 700 DL50

Inhala-tion :     50-400 LCt50

 

Rapide à très rapide

 

Inhibent l’enzyme qui intervient dans le mécanisme de la transmission nerveuse au niveau des synapses

 

Effets perceptibles au niveau des yeux et des voies respiratoires

Nausées et vomissements possibles

Convulsions

Arythmie cardiaque

Perte de conscience et convulsions possibles dans la minute suivant une exposition à un agent fortement concentré

Paralysie et décès à terme

 

La gestion de l’exposition aux agents neurotoxiques comporte quatre étapes :

  • décontamination

  • ventilation

  • administration d’antidotes

  • thérapie de soutien

Médication possible :

  • Atropine et chlorure de pralidoxime

  • Diazepam (anticonvulsivant)

Prétraitement possible :

  • Pyridostigmine (permet de reculer considérablement le seuil de dose létale à condition que le médicament soit ingéré avant l’exposition et qu’il soit associé    au traitement thérapeutique traditionnel)

 

Insecticides, additifs pour l’essence, détergents, carburants pour missiles, plastiques, teintures, pigments, agents ignifugeants, désinfectants, solvant à peinture, céramique, azureurs optiques, adoucissants textiles, produits pyrotechniques, produits pharmaceutiques, fertilisants et pesticides

   B. Agents suffocants

Les agents suffocants sont normalement dispersés sous la forme de gaz et inhalés par les victimes.  Ils s’attaquent aux tissus pulmonaires et irritent les voies aériennes supérieures, notamment le nez et la gorge.  Les agents suffocants exercent leur action en provoquant une sécrétion continue de liquide dans les poumons, ce qui entraîne un phénomène analogue à la noyade(34).  L’agent suffocant que les terroristes seront le plus susceptibles d’utiliser dans l’avenir est le phosgène, qui est le plus dangereux de tous.  Incolore, le phosgène a toutefois une odeur caractéristique rappelant celle du foin fraîchement coupé(35).

L’exposition à de fortes concentrations d’agents suffocants peut entraîner la mort dans les heures qui suivent, le plus souvent dans les 24 à 48 heures.  Les symptômes immédiats et retardés de l’exposition sont les suivants : toux, étouffement, serrement de poitrine, nausées et parfois vomissements et maux de tête.  S’ensuit une période asymptomatique qui dure habituellement de deux à 24 heures.  Ainsi, les symptômes des dommages occasionnés aux poumons se manifestent rarement avant plusieurs heures et sont aggravés à l’effort.  Le repos et l’observation médicale sont donc essentiels(36).  Dans les premiers stades de l’œdème pulmonaire – qui est la cause du décès éventuel –, la victime est atteinte d’accès de toux, sa respiration s’accélère et devient superficielle, elle présente une cyanose et souffre éventuellement de nausées et de vomissements.  Au stade plus avancé, des expectorations spumeuses se produisent(37).  Si la victime survit plus de 48 heures, il y a de fortes chances qu’elle s’en remette, auquel cas elle ne présente ensuite que peu de séquelles, ou même aucune.  Il convient d’éviter tout contact avec ce type d’agent, surtout en portant des vêtements protecteurs et un masque à gaz intégral (qui protège le système respiratoire et yeux)(38).

   C. Agents vésicants

Les agents vésicants sont parmi les armes chimiques les plus répandues; ils comprennent les ypérites, la lewisite et l’oxime de phosgène.   Les vésicants commencent par causer des irritations, pour ensuite provoquer des lésions des yeux, des voies respiratoires et de la peau des victimes(39).  Ils entraînent la formation de cloques sur toutes les parties du corps avec lesquelles ils entrent en contact, c’est-à-dire surtout la peau, mais aussi les yeux, les muqueuses et les poumons.   Inhalés, ils s’attaquent aux voies respiratoires; ingérés, ils peuvent entraîner vomissements et diarrhée(40).  Bien que les vésicants n’occasionnent qu’un faible pourcentage de décès, il n’est pas rare qu’ils provoquent la cécité et des lésions permanentes au système respiratoire.   Les vésicants peuvent être disséminés sous forme liquide, d’aérosol, de vapeur ou de poudre(41).

Les ypérites sont caractérisées par une période latente exempte de symptômes qui se prolonge le plus souvent durant plusieurs heures selon la quantité d’agent, le mode d’exposition et les conditions ambiantes(42), ce qui fait que l’exposition peut d’abord passer inaperçue.  En revanche, la lewisite et le phosgène agissent très rapidement et produisent presque immédiatement des symptômes comme la toux et des brûlures.  À l’instar des ypérites, la lewisite provoque de sévères irritations des voies respiratoires, et les tissus nécrosés peuvent obstruer les voies aériennes de la victime.   En outre, cette dernière développe une prédisposition à des infections secondaires à cause des lésions subies(43).  Il existe peu de composés aussi douloureux et destructifs que l’oxime de phosgène :  quelques milligrammes seulement suffisent à occasionner de graves blessures, dont la guérison peut nécessiter jusqu’à trois mois(44).

   D. Agents hémotoxiques

Dispersés sous la forme de gaz, les agents hémotoxiques pénètrent dans l’organisme par inhalation et sont ensuite acheminés dans tout le corps par la circulation sanguine.  Ils bloquent l’utilisation et le transfert des molécules d’oxygène par les cellules sanguines et, privant ainsi le corps d’oxygène, provoquent la suffocation de la victime(45).  Les symptômes sont les suivants : douleurs abdominales, nausées, vomissements, étourdissements, maux de tête, confusion, faiblesse, somnolence, perte de conscience, sensation de brûlure, maux de gorge, dyspnée (essoufflement) et toux(46).

L’apparition des symptômes d’agression par un agent hémotoxique n’est pas nécessairement immédiate.  Par exemple, l’exposition à l’arsine ou au chlorure de cyanogène peut occasionner de graves lésions aux poumons, aux yeux et à la peau, mais ne pas se manifester avant plusieurs heures(47).  L’arsine peut aussi entraîner un dysfonctionnement rénal, tandis que le cyanure d’hydrogène peut endommager le système nerveux central et occasionner un dysfonctionnement des systèmes circulatoire et respiratoire de la victime(48).  Il faut éviter le contact avec ce genre d’agents en portant des vêtements protecteurs et un masque qui protège le système respiratoire et les yeux.

   E. Agents neurotoxiques

Les agents neurotoxiques peuvent être dispersés sous la forme de liquide, de vapeur, d’aérosol ou de poudre.  En bloquant l’action de l’acétylcholinestérase (une enzyme importante du fonctionnement du système nerveux), ces agents perturbent le fonctionnement des muscles(49).  Ils agissent très rapidement : une dose létale peut entraîner la mort dans les cinq minutes(50).  Les symptômes dépendent habituellement du type d’exposition.  Par exemple, en cas d’inhalation, les symptômes respiratoires apparaissent en premier; en cas d’ingestion, les premiers symptômes sont gastro-intestinaux(51).

Les agents neurotoxiques connus sous le nom d’« agents G » – comme le tabun, le soman, le cyclosarin et le sarin – ont une persistance de quelques jours à peine après leur diffusion; cependant, les « agents V » – dont le VX est le plus connu – persistent durant de longues périodes pouvant atteindre plusieurs mois par temps froid(52).  Les symptômes sont les mêmes pour tous les neurotoxiques : écoulement nasal, yeux embués, salivation et transpiration excessives, serrement de la poitrine, difficulté à respirer, troubles de la vision (contraction pupillaire intense), nausées, vomissements, crampes, miction et défécation involontaires, secousses musculaires et perte d’équilibre, maux de tête, confusion, somnolence, convulsions et coma(53).  Pour se protéger contre ce genre d’agents, il convient de porter des vêtements protecteurs et des masques respiratoires.  Certains hôpitaux et services d’ambulance stockent des antidotes, mais comme les agents neurotoxiques agissent très rapidement, les antidotes ne sont efficaces qui s’ils sont administrés immédiatement après l’exposition(54).

HISTOIRE DE LA GUERRE CHIMIQUE

On associe généralement l’utilisation de l’arme chimique aux progrès technologiques qui ont mené à la guerre moderne comme elle s’est manifestée au XXsiècle.  C’est l’armée américaine qui, la première, a employé l’expression « guerre chimique » en 1917 pour décrire la guerre tactique où interviennent mélanges incendiaires, fumées ou gaz toxiques provoquant irritations, brûlures, empoisonnement ou asphyxie.  À la fin de la Première Guerre mondiale, la situation avait considérablement changé : l’arme chimique avait été utilisée largement et de nombreux pays cherchaient à conclure une nouvelle convention visant à en restreindre l’usage et la mise au point.   Cependant, le recours aux produits toxiques et à la maladie en temps de guerre, contre des civils et des soldats, remonte à bien plus longtemps.  Voici un récapitulatif des principales dates de l’histoire de la guerre chimique(55).

1000 av. J.-C.

Les Chinois utilisent des fumées d’arsenic.

 

600 av. J.-C.

Les Assyriens empoisonnent des puits ennemis à l’ergot de seigle et le magistrat athénien Solon utilise des racines d’hellébore (aux vertus purgatives) durant le siège de Krissa.

 

431-404 av. J.-C.

Durant la guerre du Péloponnèse, les Spartiates auraient utilisé des fumées d’arsenic.

 

637

Les Grecs de Byzance utilisent un agent incendiaire appelé « feu grégeois » – mélange à base de pétrole, de poix, de souffre et de différentes résines – au cours du siège de Constantinople.

 

1675

Signature à Strasbourg, entre Français et Allemands, du premier accord international condamnant l’utilisation d’armes toxiques.

 

1774-1784

Découverte du chlore et détermination des propriétés et de la composition du cyanure d’hydrogène.

 

1802

Première synthèse du chlorure de cyanogène.

 

1812

Première synthèse du phosgène.

 

1822

Première synthèse du gaz moutarde ou ypérite.

 

1874

La Convention de Bruxelles sur les lois et les coutumes de la guerre impose l’interdiction générale des armes toxiques; elle interdit l’utilisation de poisons ou de gaz toxiques, ainsi que d’armes, de projectiles ou de substances susceptibles de causer des souffrances inutiles.

 

1886

Première synthèse de la chloropicrine.

 

1899

Entente relative aux restrictions concernant la mise au point d’armes toxiques lors de la première conférence de paix internationale de La Haye.  À cette occasion, les États signataires s’engagent à ne pas utiliser de projectiles qui propageraient des « gaz asphyxiants ou délétères ».

 

1914-1918

La Première Guerre mondiale est le théâtre de l’utilisation sur une grande échelle d’armes chimiques comme le gaz moutarde et le chlore gazeux.  En 1915, l’Allemagne a recours à la guerre chimique en employant des gaz contre les Français près d’Ypres.  Les troupes allemandes utilisent à cette occasion 6 000 cylindres contenant 168 tonnes de chlore contre des soldats et des civils.  Peu après, la Grande-Bretagne et la France utilisent, elles aussi, des gaz.  En 1918, un obus d’artillerie sur quatre contient un gaz quelconque.  On estime que 124 200 tonnes d’agents chimiques auront été utilisées au cours de cette guerre, dont 90 p. 100 ont été dispersées par quelque 66 millions d’obus d’artillerie.  L’utilisation des armes chimiques durant la Première Guerre mondiale causera des millions de victimes, dont plus de 90 000 morts.

 

1919

Signature du Traité de Versailles.  Celui-ci comprend un article qui réaffirme les ententes précédentes relatives aux armes chimiques et interdit à l’Allemagne de fabriquer ou d’importer de telles armes de même que de se doter de moyens permettant de les produire.

 

1925

L’utilisation des armes chimiques durant la Première Guerre mondiale a conduit à l’adoption du Protocole de Genève, qui interdit l’utilisation d’armes biologiques ou chimiques en temps de guerre, mais n’interdit pas la recherche sur la production de tels agents.  Le protocole est ratifié par presque tous les pays, à l’exception des États-Unis et du Japon.

 

1935

L’Italie utilise l’arme chimique en Éthiopie (l’Italie avait ratifié le Protocole de Genève en 1928).  Il s’agit de la première infraction ouverte au Protocole.

 

1939

Le Japon utilise le gaz moutarde et la lewisite au cours de son invasion de la Chine.

 

1939-1945

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne produit 78 000 tonnes d’agents de guerre chimique, notamment du tabun, du sarin et du phosgène.  Au cours de la même période, le Japon en produit 8 000 tonnes et les États-Unis, 146 000 tonnes.

 

Les années 1950

Militarisation du sarin par les États-Unis et mise au point d’un programme de développement de produits incapacitants.

 

Les années 1950 et 1960

Mise au point et production d’une nouvelle génération de gaz neurotoxiques, connus sous le nom d’agents V.  Ces substances sont plus persistantes que leurs prédécesseurs et sont près de 10 fois plus toxiques que le sarin.

 

1959-1975

Utilisation de défoliants et d’agents anti-émeute non létaux en grande quantité par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.

 

1967

Utilisation ouverte d’agents de guerre chimique par les deux parties de la guerre des six jours qui oppose les Arabes à Israël.

 

1967

Les Égyptiens utilisent des agents neurotoxiques au cours de la guerre civile du Yémen (l’Égypte avait signé le Protocole de Genève).

 

1970

Le Japon signe le Protocole de Genève.

 

Fin des années 1970

Des avions et des hélicoptères qui pulvérisent des aérosols de différentes couleurs attaquent le Laos et le Kampuchéa.  On estime que plusieurs de ces nuages étaient composés de trichothécène (surtout de mycotoxine T2).

 

1978

À Londres, l’agresseur de Georgi Markov, un exilé bulgare, utilise un petit dispositif dissimulé dans la pointe d’un parapluie pour lui injecter une minuscule granule de ricin.  La victime décédera quelques jours plus tard.

 

Les années 1980

L’URSS utilise des agents chimiques de guerre en Afghanistan.

 

1980-1988

L’utilisation de l’arme chimique est très répandue durant la guerre Iran-Irak, surtout par l’Irak.

 

1991

Après la guerre du Golfe, le Conseil de sécurité des Nations Unies ordonne à l’Irak de cesser ses programmes d’armement biologique, chimique et nucléaire.  La Commission spéciale des Nations unies sur l’Irak (CSNU) commence ses inspections au lendemain de la guerre.

 

1993

La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (Convention sur les armes chimiques) est adoptée à Paris.  Jusqu’ici, 174 États l’ont signée et 143 l’ont ratifiée.  La Convention est entrée en vigueur le 29 avril 1997.

 

1995

Des membres de la secte Aum Shinriky commettent un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, tuant 12 passagers et en blessant plus de 5 000.  À cause de la mauvaise qualité de l’agent utilisé et de l’inefficacité du système de diffusion, le nombre de victimes a été moindre que prévu.  Plus tard, on découvrira que le groupe a fait des expériences sur l’agent du charbon ainsi que sur d’autres agents biologiques.

 

1995

Le Canada ratifie la Convention et adopte la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.


(1) Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), Chemical Warfare Agents, 1997.  Les États signataires de la Convention sur les armes chimiques ont mis sur pied l’OIAC qui est chargée d’en contrôler la mise en œuvre.

(2) OIAC, A Brief History of Chemical Disarmament, 1999.  Pour de plus amples renseignements sur l’histoire de la mise au point et de l’utilisation de l’arme chimique, voir la section « Histoire de la guerre chimique » à la fin du présent document.

(3) Ibid.

(4) William H. Barton, Recherche, développement et instruction dans le domaine de la défense chimique et biologique au ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Défense nationale Canada, 31 décembre 1988.

(5) OIAC (1999), A Brief History of Chemical Disarmament.

(6) OIAC, Fact Sheet 1:  The Chemical Weapons Convention and the OIAC – How They Came About, 2000.

(7) On trouvera le texte complet de la convention sur le site web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

(8) OIAC (1997), Chemical Warfare Agents.

(9) OIAC, Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?, 2000.

(10) Ron Purver, Le terrorisme chimique et biologique : la menace de terrorisme biologique ou chimique selon les sources publiées, SCRS, 1995.

(11) Ibid.

(12) John Pike, « Chemical Weapon Production », Special Weapons Primer, Federation of American Scientists, 1998.

(13) Purver (1995).

(14) Ibid.

(15) Richard Charles Clark, Technological Terrorism, Devin-Adair,Old Greenwich (CT), 1980, cité par Purver (1995).

(16) Défense nationale, Opérations des Forces canadiennes : doctrine de défense nucléaire biologique chimique pour les Forces canadiennes, B-GG-005-004/AF-011.

(17) Heather D. Durham (présidente), Colin R. McArthur et Kenneth L. Roy, Rapport annuel 2000 du Comité d’examen du programme de défense biologique et chimique (CEPDBC), septembre 2000, p. C-1.

(18) Ibid., p. 1.

(19) Pike (1998), « Chemical Weapon Production ».

(20) Elliott Hurwitz, « Terrorists and Chemical/Biological Weapons », Naval War College Review, 35:3 (mai-juin), 1982, p. 36-40, cité par Purver (1995).

(21) Pike (1998), « Chemical Weapon Production ».

(22) « The terror next time? », The Economist, 6 octobre 2001.

(23) Purver (1995).

(24) Ibid.

(25) Ibid.

(26) R.W. Mengel, « Terrorism and New Technologies of Destruction: An Overview of the Potential Risk », Annexe 2 dans Disorders and Terrorism:  Report of the Task Force on Disorders and Terrorism, National Advisory Committee on Criminal Justice Standards and Goals, Washington (D.C.), 1976, p. 443-473, cité par Purver (1995) [traduction].

(27) John Pike, « Chemical Weapon Delivery », Special Weapons Primer, Federation of American Scientists, 1998.

(28) Purver (1995).

(29) Ibid.

(30) Ibid.

(31) Ibid.

(32) « The terror next time? » (2001).

(33) La dose létale médiane approximative d’un agent aérogène absorbé par inhalation est exprimée par la valeur LCt50 (milligrammes par minute par mètre cube ou mg-min/m3); on parle aussi de temps de concentration létal.  La dose létale médiane approximative d’un agent toxique absorbé par la peau s’exprime par la valeur DL50 (milligrammes d’agent par kilogramme de poids corporel ou encore     mg agent/kg poids corporel).  Plus le chiffre est faible, plus l’agent est mortel.

(34) OIAC (2000), Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?

(35) John Pike, « Chemical Warfare Agents », Special Weapons Primer, Federation of American Scientists, 1998.

(36) Programme international sur la sécurité des substances chimiques (PISSC) et Commission de la communauté économique européenne (CCEE), Phosgène, International Chemical Safety Cards, 1993.

(37) Pike (1998), « Chemical Warfare Agents ».

(38) PISSC et CCEE (1993), Phosgene, International Chemical Safety Cards.

(39) OIAC (2000), Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?

(40) Pike (1998), « Chemical Warfare Agents ».

(41) OIAC (2000), Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?

(42) Pike (1998), « Chemical Warfare Agents ».

(43) Ibid.

(44) Ibid.

(45) OIAC (2000), Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?

(46) PISSC et CCEE, Arsine, Chlorure de cyanogène, Chlorure d’hydrogène, Cyanure d’hydrogène liquéfié, International Chemical Safety Cards, 1993.

(47) PISSC et CCEE, Arsine, Chlorure de cyanogène, International Chemical Safety Cards, 1993.

(48) PISSC et CCEE, Cyanure d’hydrogène liquéfié, International Chemical Safety Cards, 1993.

(49) Pike (1998), « Chemical Warfare Agents ».

(50) OIAC (2000), Fact Sheet 4:  What is a Chemical Weapon?

(51) Pike (1998), « Chemical Warfare Agents ».

(52) Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Basic Facts about VX, Public Health Emergency Preparedness and Response.

(53) CDC :

(54) OIAC, Nerve Agents, 1997.

(55) Sources consultées pour ce récapitulatif :