Direction de la recherche parlementaire


MR-126F

 

LES ACCUSATIONS AU CRIMINEL
CHEZ LES PARLEMENTAIRES

 

Rédaction  James R. Robertson
Division du droit et du gouvernement

Le 21 juillet 1994
Révisé le 14 août 1996

                                      


LES ACCUSATIONS AU CRIMINEL CHEZ LES PARLEMENTAIRES

 

Chaque fois que des membres de la Chambre des communes ou du Sénat sont accusés de conduite criminelle ou reconnus coupables d'une telle conduite, on s'interroge immanquablement sur l'effet de ces accusations et déclarations de culpabilité sur le droit de la personne de continuer à siéger à la Chambre ou au Sénat.

Pour un membre de la Chambre des communes ou du Sénat, le fait d'être accusé de conduite criminelle n'altère pas son droit de rester en fonction. Même s'il est reconnu coupable, le parlementaire ne perd son siège automatiquement que s'il est condamné à un emprisonnement de plus de deux ans. (Jusqu’au 3 septembre 1996, la période d’emprisonnement devait dépasser cinq ans). La Chambre ou le Sénat peut cependant, dans d'autres cas, prendre des mesures pour expulser le parlementaire.

La Loi sur le Parlement du Canada et la Loi électorale du Canada interdisent à certaines personnes d'accéder à la Chambre des communes. Ne peuvent en effet se porter candidats aux élections les personnes reconnues coupables d'une manoeuvre frauduleuse ou illégale en vertu de la Loi électorale du Canada au cours des cinq années précédant ces élections, les personnes qui n'ont pas le droit de voter, ou encore les titulaires de certaines fonctions (par exemple, un juge, un shérif, un procureur de la Couronne ou un membre du Conseil du Yukon ou des Territoires du Nord-Ouest). En outre, une personne ne peut être membre à la fois de la Chambre des communes et d'une assemblée législative provinciale.

Au Sénat, aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, les sénateurs doivent se conformer à certaines conditions d'âge, de citoyenneté, de domicile et de propriété pour obtenir un siège et pour le conserver. L'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit d'autres circonstances où le sénateur perdrait son siège : faillite, absence durant deux sessions consécutives du Parlement, déclaration de culpabilité de trahison ou encore de félonie ou de tout autre crime infamant.

Une fois qu'une personne est élue à la Chambre des communes, aucune disposition constitutionnelle et très peu de dispositions réglementaires ne dictent son expulsion. (La Loi sur le Parlement du Canada pose, cependant, qu'un membre élu à une assemblée législative provinciale perd automatiquement son siège aux Communes.)

L'article 750 du Code criminel, qui s'applique aux membres du Sénat et de la Chambre, prévoit que :

750.(1) Tout emploi public, notamment une fonction relevant de la Couronne, devient vacant dès que son titulaire a été déclaré coupable d'un acte criminel et condamné en conséquence à un emprisonnement de deux ans ou plus.

(2) Tant qu'elle n'a pas subi la peine qui lui est imposée ou la peine y substituée par une autorité compétence ou qu'elle n'a pas reçu de Sa Majesté un pardon absolu, une personne visée par le paragraphe (1) est incapable d'occuper une fonction relevant de la Couronne ou un autre emploi public, ou d'être élue, de siéger ou de voter comme membre du Parlement ou d'une législature, ou d'exercer un droit de suffrage.

[...]

Il convient de souligner que cet article s'applique seulement aux cas où un membre de la Chambre des communes ou du Sénat est déclaré coupable d'un acte criminel et condamné à un emprisonnement de deux ans ou plus. Par conséquent, l'article ne s'applique pas dans les cas où un parlementaire est accusé d'une infraction punissable par procédure sommaire, ou d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximum de moins de deux ans. Il peut arriver qu'un parlementaire soit accusé d'une infraction mixte (où la Couronne peut décider de procéder par procédure sommaire ou par acte d'accusation); dans ce cas, même si la Couronne optait pour l'acte d'accusation, ce n'est pas la sentence potentielle qui compterait, mais la sentence prononcée.

Le paragraphe 750(2) pose qu'une personne déclarée coupable d'un acte criminel et condamnée en conséquence à un emprisonnement de deux ans ou plus ne peut être membre du Parlement. Elle n'a pas le droit d'être élue, de siéger comme membre du Parlement ou de voter. Le parlementaire qui tombe sous le coup de cet article perd donc son siège. Le seul exemple d’une telle situation remonte à 1946; après que Fred Rose eut été déclaré coupable de trahison et condamné à six ans de prison, la Chambre avait déclaré son siège vacant et ordonné que des élections soient tenues dans sa circonscription.

(Dans la mesure où le paragraphe 750(2) prive une personne de son droit de voter, il pourrait peut-être contesté au motif qu'il est contraire à l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, comme l’ont été les dispositions de la Loi électorale du Canada, qui restreignent le droit de vote de certains détenus).

En dépit des dispositions légales, le Sénat et la Chambre des communes ont le droit d'expulser un de leurs membres en vertu du privilège parlementaire. Ce pouvoir a rarement été exercé, en partie parce qu'il est tellement radical. À deux reprises durant les années 1870, Louis Riel a été expulsé de la Chambre des communes; en 1891, Thomas McGreevy a été expulsé après avoir été reconnu coupable d'outrage à la Chambre. Au Sénat, la procédure pour la révocation d'un sénateur diffère quelque peu, étant donné que les sénateurs sont convoqués par le gouverneur général. Le Sénat a déjà déclaré des sièges vacants, habituellement parce qu'un sénateur s'était absenté pendant deux sessions consécutives , mais il semblerait qu'une adresse au gouverneur général demandant la révocation du sénateur soit aussi requise.

Autrefois, on considérait que la Chambre des communes avait un pouvoir absolu sur ses membres; on disait que la Chambre pouvait expulser un député n'importe quel motif jugé suffisant. La Charte canadienne des droits et libertés a probablement tempéré quelque peu ce pouvoir discrétionnaire. Manifestement, la Chambre aurait la responsabilité d'agir raisonnablement et équitablement et de donner au député concerné la possibilité de répondre aux accusations portées contre lui.

Le parlementaire déclaré coupable d'une infraction punissable par procédure sommaire ou d'un acte criminel passible d'un emprisonnement de moins de deux ans pourrait donc quand même être expulsé de la Chambre des communes ou du Sénat, mais l'expulsion exigerait la présentation d'une résolution par la chambre concernée au lieu d'être automatique.

On voit mal comment une personne en prison pour une période prolongée pourrait accomplir ses fonctions parlementaires ou servir ses électeurs de façon appropriée. (Ainsi, un sénateur condamné à un emprisonnement prolongé risquerait de voir son siège déclaré vacant du fait qu'il serait absent du Sénat pendant deux sessions consécutives.) Avant d'agir, cependant, la Chambre ou le Sénat devrait peut-être attendre l'issue de toute requête en appel. Le fait que le crime soit lié ou non aux fonctions parlementaires du député ou du sénateur pourrait aussi être un facteur pertinent, mais cette distinction n'est pas toujours indiquée ou facile à faire.

Il convient de noter qu’actuellement les personnes détenues dans un établissement de correction perdent le droit de se porter candidates à une élection à la Chambre des communes. Une personne emprisonnée pour moins de deux ans pourrait donc continuer d'être député, mais elle ne pourrait pas briguer un autre mandat tant qu'elle est emprisonnée.

On peut expulser un député de la Chambre, mais il n'est pas si facile de l'empêcher de se porter candidat à l'élection ou l'élection partielle qui s'ensuit. En 1986, l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a adopté une loi qui interdisait aux personnes reconnues coupables de certains actes criminels d'être nommées candidates ou de se présenter aux élections à l'assemblée législative pendant une période de cinq ans. La loi avait été adoptée à la suite de l'affaire William («Billy Joe») MacLean; ce dernier en a cependant contesté la validité et réussi à la faire abroger par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, alléguant qu'elle compromettait les droits que lui garantit la Charte et les droits des électeurs qui auraient été privés de voter pour lui.

En résumé, une accusation de conduite criminelle à l'endroit d'un membre de la Chambre des communes ou du Sénat ne comporte pas d'incidence en soi. Si le parlementaire est déclaré coupable, il peut continuer de siéger à moins qu'il ne soit condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. La Chambre et le Sénat pourraient décider d'expulser une personne dans d'autres circonstances, mais ce pouvoir est rarement utilisé. Certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés pourraient peut-être être invoquées en pareils cas.