PRB 02-54F

L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE AMÉRICAIN (ALENA) :
CHAPITRE 11

Rédaction :
Bronwyn Pavey et Tim Williams
Division des sciences et de la technologie
Le 26 février 2003


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LE CHAPITRE 11 DE L’ALENA

L’ARTICLE 1110 : EXPROPRIATION ET INDEMNISATION

LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

LA PARALYSIE DU PROCESSUS RÉGLEMENTAIRE

CLARIFICATION

CONCLUSION


INTRODUCTION

Les organisations non gouvernementales (ONG) à vocation écologique craignent beaucoup que les ententes internationales régissant le commerce ne contredisent et par la suite n’éclipsent les accords internationaux sur l’environnement.  Le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange américain (ALENA) est un exemple de disposition commerciale qui non seulement contredirait les ententes internationales sur l’environnement, mais encore nuirait à la capacité des pays de mettre en œuvre des règlements, surtout dans les secteurs de l’environnement et de la santé(1).  Le présent document décrit le contenu du chapitre 11 et certains de ses aspects controversés. 

LE CHAPITRE 11 DE L’ALENA

Le chapitre 11 de l’ALENA a été conçu pour protéger les intérêts des investisseurs étrangers(2), afin de libéraliser les investissements internationaux.  Il établit un mécanisme de règlement des différends portant sur les investissements qui tente d’accorder un traitement égal aux investisseurs conformément aux principes de réciprocité internationale et d’application régulière de la loi devant un tribunal impartial.

Un certain nombre de dispositions du chapitre 11 ont soulevé des préoccupations, selon lesquelles ce chapitre pourrait notamment :

  1. contrecarrer les tentatives d’adopter de nouvelles lois et de nouveaux règlements dans l’intérêt public, surtout afin de protéger l’environnement et la santé humaine;
  2. contraindre les gouvernements à dédommager les pollueurs pour qu’ils cessent leurs activités polluantes, même si la continuation de ces activités peut nuire à la santé et au bien-être de la population(3).

Si l’article 1110 est celui qui a attiré le plus d’attention, les articles 1102 (Traitement national) et 1103 (Traitement de la nation la plus favorisée) ont également suscité des craintes(4).

L’ARTICLE 1110 : EXPROPRIATION ET INDEMNISATION

L’article 1110 est la principale cible de ceux qui considèrent le chapitre 11, d’une part, contraire au principe de la Déclaration de Rio selon lequel le pollueur doit assumer les frais de cesser ses activités polluantes et, d’autre part, susceptible de paralyser le processus réglementaire.  Selon cet article :

  1. Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d’une autre Partie, ni prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation d’un tel investissement (« expropriation »), sauf :
    a)  pour une raison d’intérêt public;
    b)  sur une base non discriminatoire;
    c)  en conformité avec l’application régulière de la loi et le paragraphe 1105(1); et
    d)  moyennant le versement d’une indemnité en conformité avec les paragraphes 2 à 6.

La principale difficulté tourne autour du sens de l’expression « équivalant à l’expropriation ».  Quelle est la différence entre, d’une part, l’exercice légitime du gouvernement, qui peut entraîner des pressions économiques sur des entreprises ou des secteurs, et, de l’autre, une situation justifiant un dédommagement(5)?  Si l’expression « équivalant à l’expropriation » est dotée d’un sens trop large, il devient difficile pour les gouvernements de prendre des règlements sans se faire poursuivre par des entreprises qui estiment avoir été « expropriées » de leur capacité de réaliser des profits.  En revanche, une définition étroite donnerait aux gouvernements une latitude plus grande pour prendre des règlements, mais en décourageant l’investissement étranger.  Le chapitre 11 prévoit aussi un mécanisme pour le règlement des différends à ce sujet, mais ce mécanisme est lui-même controversé.

LE MÉCANISME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Le processus établi au chapitre 11 pour régler les différends entre les investisseurs et les États a été passé au crible autant par les détracteurs que par les défenseurs de ce chapitre de l’ALENA.

Les lacunes du processus seraient un manque de légitimité et de transparence et l’absence d’une obligation de rendre compte.  Il ne permettrait qu’une forme très limitée d’examen, ne prévoirait aucune possibilité d’appel et ne s’appuierait que sur de rares précédents juridiques(6).

Certains ont soutenu que le processus de nomination des trois arbitres présente des défauts : les arbitres ne sont pas choisis sur une liste permanente, ce qui voudrait dire qu’il y a absence de cohérence, le choix des membres par chaque partie peut être partial et il est difficile d’éviter les conflits d’intérêts chez les arbitres.

Dans le cadre des efforts que le gouvernement canadien déploie pour que le processus de règlement des différends entre les investisseurs et l’État soit plus transparent, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international fournit des renseignements détaillés sur le chapitre 11 de l’ALENA et sur le processus de règlement des différends à la section « Règlement des différends » de son site Web.

LA PARALYSIE DU PROCESSUS RÉGLEMENTAIRE

Les critiques craignent que l’expression « équivalant à l’expropriation » ait fait l’objet d’une interprétation trop large et que les entreprises recourent aujourd’hui aux dispositions de protection des investisseurs non pas pour se protéger, mais afin d’empêcher les gouvernements d’adopter des mesures législatives ou afin de demander un dédommagement pour manque à gagner futur et pour perte immédiate.  Le rapport Romanow, récemment rendu public, soulevait une question analogue(7) : si une présence accrue du secteur privé était encouragée dans le secteur de la santé, le gouvernement pourrait devoir dédommager les fournisseurs privés si par la suite la décision était prise, dans l’intérêt général, de modifier les règlements régissant leur mode de fonctionnement ou d’étatiser de nouveau les services qu’ils fournissent.

Il est également arrivé que des règlements proposés pour une raison ou pour une autre aient été abandonnés après des menaces de poursuites en vertu du chapitre 11.  En décembre 2001, le gouvernement canadien a proposé un règlement interdisant les mentions « légères » et « douces » sur les paquets de cigarettes.  Phillip Morris International Inc. (au nom de plusieurs entreprises de tabac) a remis au gouvernement du Canada un document dans lequel il contestait l’interdiction en se prévalant du chapitre 11(8).  Si le Canada avait dû dédommager Phillip Morris en vertu de ce chapitre, le règlement proposé aurait été beaucoup trop onéreux pour être appliqué, et il n’a donc jamais vu le jour.  Le règlement visant des emballages neutres pour les produits du tabac a également été mis de côté, en partie, selon certains, à cause des menaces de poursuites judiciaires en vertu du chapitre 11(9).

Les tenants du chapitre 11 signalent toutefois que très peu d’affaires ont été présentées au tribunal et que les sommes d’argent dont il est question sont très modestes comparativement aux avantages que procure à l’économie une intensification des échanges.  Cela pourrait signifier que le chapitre 11 n’a pas suffisamment de force pour paralyser le processus réglementaire(10).  En revanche, il se pourrait que les gouvernements s’abstiennent tout simplement de proposer des règlements par crainte de poursuites en vertu du chapitre 11.

CLARIFICATION

Selon le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international(11), le Canada approuve le principe de la protection de l’investisseur dans les accords commerciaux, en reconnaissant toutefois qu’il faut y apporter des éclaircissements.  Aussi, le Canada travaille avec ses partenaires de l’ALENA à clarifier certaines dispositions, ce qui à l’avenir permettra au tribunal de mieux comprendre les obligations découlant du chapitre 11 selon le sens initial que les rédacteurs entendaient lui donner.  L’ALENA comporte des mécanismes intégrés qui permettent d’apporter ce type de clarification, ou de codification, sans avoir à renégocier l’Accord.

CONCLUSION

Pour certains, le chapitre 11 de l’ALENA est désormais au cœur de la campagne contre la mondialisation, car il représente la primauté du commerce sur les ententes environnementales.  On craint qu’il paralyse le processus réglementaire, c’est-à-dire qu’il décourage les gouvernements de prendre des mesures réglementaires d’intérêt public en raison de l’importance des éventuels dédommagements qu’ils seraient tenus de verser.

Les gouvernements ont reconnu le malaise que créait l’absence de clarté des obligations découlant du chapitre 11, tout en continuant d’appuyer les dispositions de l’ALENA sur la protection des investisseurs.  Les défenseurs de ces dispositions estiment qu’il est trop tôt pour décider s’il y a problème et ils signalent les avantages économiques du libre-échange, qui d’après eux sont substantiels comparativement au coût des procès qui peuvent être intentés en vertu du chapitre 11.


(2)  Un investisseur étranger s’entend de toute personne ou entreprise qui fait un investissement dans un autre pays signataire de l’ALENA. Dans le contexte de cet accord, les investissements sont définis comme tout type d’investissement financier, de participation, de dette garantie et d’investissement étranger direct conventionnel. Voir le document de l’Institut international du développement durable et du Fonds mondial pour la nature intitulé Private Rights, Public Problems: a guide to NAFTA’s controversial chapter on investor rights, IIDD, Winnipeg, 2001. La définition d’investissement est considérée comme large par ceux qui contestent le chapitre 11.

(3)  Ibid.

(4)  Ibid.

(6)  Ibid.

(7)  Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada (Roy J. Romanow, Commissaire), Guidé par nos valeurs : L’avenir des soins de santé au Canada, novembre 2002.       

(8)  Phillip Morris International, « Phillip Morris Submission to Canada on NAFTA’s Chapter 11 Provision », 18 juin 2002.       

(9)  Bill Moyers, « Trading Democracy », transcription, NOW with Bill Moyers, 2 janvier 2002.

(10)  M. Hart et W. Dymond, « NAFTA Chapter 11: Precedents, Principles and Prospects », 2002.  Voir aussi ministère des Affaires étrangères et du  Commerce international, « Chapitre de l’ALENA sur l’investissement (chapitre 11) – Mesure de clarification »; Bulletin sur la politique d’investissement du gouvernement du CanadaNuméro 1 – septembre 2001.       

(11)  Ce paragraphe s’appuie sur l’exposé du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, « Chapitre de l’ALENA sur l’investissement (chapitre 11) – Mesure de clarification » (septembre 2001).