Direction de la recherche parlementaire

 

PRB 98-5F

ANALYSE – LES IMPORTATIONS DE MÉLANGES
LAITIERS ET LA GESTION DE L'OFFRE AU CANADA

Rédaction :
Jean-Denis Fréchette
Division de l'économie
Octobre 1998
Révisé le 19 août 1999


L’importance économique des importations de mélanges d’huile de beurre et de sucre en vertu de la ligne tarifaire 2106.90.95 va bien au-delà du déplacement de 3,086 millions de kilogrammes de matière grasse (environ 2 p. 100 du quota national de mise en marché canadien (QMM)). Même si l’on met la valeur de ces importations (environ 20 millions de dollars) en perspective par rapport aux recettes totales des producteurs (3,8 milliards de dollars en 1997), ces données statistiques ne révèlent pas le véritable problème de fond des importations de mélanges laitiers.

Les importations de mélanges d’huile de beurre et de sucre constituent les premiers effets tangibles du système de tarification mis en place par suite des négociations de l’Uruguay Round pour permettre l’ouverture des marchés et libéraliser le commerce. L’objectif ultime de l’accord conclu lors de ces négociations est de permettre une meilleure allocation des ressources mondiales en agroalimentaire; toutefois avant que l’on puisse arriver à une telle allocation, il y a une phase de transition nécessaire, que la tarification permet de rendre plus progressive. Tous les pays connaissent les règles du jeu de la tarification et l’impact qu’elle risque d’avoir sur les marchés intérieurs, mais pour certaines industries, dans certains pays, subir les effets d’un tel impact se révèle un choc plus difficile à encaisser que prévu.

Que les importations de mélanges d’huile de beurre et de sucre en vertu de la ligne tarifaire 2106.90.95, plutôt qu’en vertu de la ligne 0404.90 ou de la ligne 2106.90.33, soient le résultat d’une erreur administrative des fonctionnaires de Revenu Canada, comme semblent le prétendre certains intervenants, ne change en rien au fait qu’un nombre croissant de mélanges ou de produits laitiers importés se retrouveront à l’avenir sur le marché canadien. D’ailleurs, l’évaluation du Tribunal canadien du commerce extérieur sur le taux de pénétration des mélanges d’huile de beurre, qui pourrait atteindre 25 p. 100 des besoins en matière grasse pour la crème glacée en matière grasse remplaçable pour le fromage fondu, ne montre qu’un volet de ce qui pourrait se produire dans les années à venir pour l’industrie laitière.

Pour les transformateurs de produits laitiers, l’utilité des mélanges laitiers demeure avant tout économique, c.-à-d. que ces mélanges permettent la production de produits laitiers à des coûts moindres, soit pour le marché intérieur, soit pour l’exportation. Pour les producteurs laitiers canadiens, l’existence de mélanges laitiers signifie qu’ils devront continuellement évaluer la flexibilité de la gestion de l’offre et leur volonté d’offrir de la matière grasse de lait à un prix compétitif. Or, le programme optionnel d’exportation, qui permet aux exportateurs d’avoir accès à de la matière grasse de lait à prix concurrentiel, connaît un succès mitigé parmi les producteurs. De même, la poursuite intentée par les États-Unis devant l’OMC contre la tarification canadienne concernant la classe 5 du lait, dont le système de fixation des prix vise à permettre aux exportateurs et transformateurs de demeurer concurrentiels sur les marchés mondiaux, pourrait bien freiner la volonté des producteurs laitiers d’offrir de la matière grasse sur la base d’un double système de prix.

Pour les décideurs publics, le défi que posent les mélanges laitiers sera de soutenir une forme viable de gestion de l’offre qui sera conciliable avec des importations croissantes (ce qui, en soi, est une contradiction), tout en faisant accepter aux consommateurs canadiens de « subventionner » la stratégie d’exportation de l’industrie laitière, qui les oblige à payer des prix intérieurs plus élevés. Enfin, pour les consommateurs, le débat sur les mélanges d’huile de beurre et de sucre montre qu’étant donné la mise au point continuelle de nouveaux produits, l’information fournie sur les produits est peut-être inadéquate et que la réglementation sur l’étiquetage des produits agroalimentaires devrait être revue et corrigée. Le fait de remplacer de la crème par de l’huile de beurre est certes légitime pour un fabricant de crème glacée qui veut demeurer compétitif, mais on peut se demander si compte tenu du fait que la réglementation n’exige que la mention « ingrédients laitiers » pour identifier la substitution par de l’huile de beurre, le consommateur peut véritablement faire un choix éclairé.

Même si le système de tarification et d’accès aux marchés continuera d’offrir un rempart contre les importations massives de produits laitiers, il y aura d’autres cas d’importations de mélanges laitiers, fabriqués délibérément ou non pour contourner les contingents tarifaires, qui viendront concurrencer la matière grasse du lait produite au Canada. De plus, la mise au point et la percée de nouveaux produits laitiers ou « quasi-laitiers » s’accentueront avec l’ouverture des marchés. Ainsi, les prochains « produits laitiers » à créer des remous pourraient bien être les oléobeurres, des substituts du beurre constitués jusqu’à 70 p. 100 d’huile végétale. Ces oléobeurres, très populaires aux États-Unis, sont vendus comme produits laitiers même s’ils s’apparentent davantage à la margarine. L’importation des oléobeurres est soumise à un contingent tarifaire de plus de 200 p. 100, mais leur fabrication au Canada, déjà autorisée dans certaines provinces, pourrait bien connaître un nouvel essor.

Ce nouvel épisode des importations de mélanges d’huile de beurre et de sucre ouvre une autre brèche dans la structure de la gestion de l’offre et oblige les décideurs à se poser de nouveau la question suivante : Où se situe l’équilibre entre la rigidité intrinsèque de la gestion de l’offre et la flexibilité nécessaire à son expansion?