BP-321F
LE CHEVAUCHEMENT DES PROGRAMMES
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES
NATURE,
CAUSES ET CONSÉQUENCES DU CHEVAUCHEMENT C.
Conséquences RAPPORTS
ET ÉTUDES TRAITANT DE LA QUESTION A. Étude de Julien et Proulx (ÉNAP) B. Rapport du Conseil économique du Canada D. Plan de réforme de la réglementation de 1986 F. Étude du gouvernement de l'Alberta
LE CHEVAUCHEMENT DES PROGRAMMES
La question du chevauchement des programmes des gouvernements fédéral et provinciaux n'est pas un sujet nouveau. Déjà en 1937, une Commission royale d'enquête (Rowell-Sirois) a été chargée de déterminer, entre autres, à quel point la population et le gouvernement étaient affectés par de tels chevauchements. Quelque 55 ans plus tard, soit en février 1992, le Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada (Beaudoin-Dobbie) faisait mention du chevauchement dans son rapport et recommandait « que les gouvernements fédéral et provinciaux envisagent des moyens d'éliminer les chevauchements et le double emploi pour faire un meilleur usage des fonds publics » (p. 65). Compte tenu des conditions économiques difficiles dans lesquelles les Canadiens vivent présentement, il est important que les ressources existantes soient utilisées efficacement. Si les gouvernements se voient dans l'obligation de sabrer dans les dépenses, ils se doivent de le faire là où les mesures qu'ils prennent entraînent le moins de conséquences fâcheuses. On comprend que les gouvernements s'intéressent aux gains qu'ils pourraient réaliser en éliminant le chevauchement. C'est là une bonne façon de rationaliser l'appareil gouvernemental tout en provoquant un minimum de contestations. Dans ce document, nous nous proposons d'étudier le chevauchement des programmes du gouvernement fédéral et de ceux des provinces. Le document se divise en deux parties. Dans la première, nous abordons la nature du chevauchement, nous tentons d'en dégager les causes et les conséquences et nous examinons certaines solutions pour y remédier. Dans la deuxième, nous nous penchons sur les études et les rapports publiés sur le sujet et nous faisons état de quelques mesures prises pour donner suite aux conclusions et aux recommandations de ces études et de ces rapports. NATURE,
CAUSES ET CONSÉQUENCES DU CHEVAUCHEMENT ET MESURES Le terme « chevauchement » est souvent associé au terme « double emploi ». Il est important de faire la distinction entre ces deux expressions. Selon les dictionnaires, une mesure qui fait double emploi est une mesure superflue ou inutile, tandis qu'une mesure qui en chevauche une autre en est une qui se superpose en partie à cette autre. On peut donc dire que le double emploi constitue un cas extrême du chevauchement. En effet, il est très rare qu'un programme fasse double emploi. Pour qu'il en soit ainsi, il faut en effet que le même service(1) soit offert à la même clientèle(2) au deux paliers de gouvernement et qu'en plus, il soit inutile de l'offrir dans l'un des cas. Il serait par conséquent plus approprié d'employer le terme « dédoublement », qui n'implique pas de notion de superflu. À titre d'exemple de dédoublement, citons le programme d'adaptation des travailleurs âgés (PATA), qui assure un soutien financier aux travailleurs âgés ayant été licenciés. Plus de la moitié des provinces ont un programme de ce genre. Toutefois, ces programmes sont souvent complémentaires et ce, à différents degrés. Dans plusieurs autres cas, il arrive toutefois que les programmes se chevauchent. Les programmes de stimulation relatifs à l'efficacité énergétique et aux énergies de remplacement sont un bon exemple de chevauchement. Depuis la crise énergétique, les gouvernements, tant au palier fédéral qu'au palier provincial, ont mis sur pied des programmes pour inciter les consommateurs à favoriser un type d'énergie plutôt qu'un autre. Dans ce cas, le service (subventions pour favoriser l'emploi du gaz naturel ou de l'électricité, par exemple) et la clientèle (différents groupes de propriétaires) sont plus ou moins les mêmes et il y a donc chevauchement. D'autres programmes peuvent également être perçus, à première vue, comme se chevauchant. Ainsi, chaque province a un vérificateur général qui occupe les mêmes fonctions que celui du gouvernement fédéral. Dans ce cas, le « service » est bien le même, mais la clientèle visée est totalement différente; il n'y donc pas chevauchement. Puisque la fédération canadienne compte deux paliers de gouvernement, il est inévitable qu'il y ait des chevauchements. Depuis 1867, les gouvernements ont pris de l'ampleur et il est devenu difficile d'établir clairement les compétences de chacun. De plus, il existe des champs d'activité qu'on pourrait qualifier de zones grises. L'environnement constitue un bon exemple à cet égard. En effet, les différentes activités liées à l'environnement peuvent relever tant du gouvernement fédéral que de ceux des provinces puisque ce champ de compétence n'est pas clairement défini; ainsi, le contrôle des substances toxiques est réglementé par les deux paliers de gouvernement et il y a par conséquent risque de chevauchement dans ce domaine. Lorsqu'il y a zone grise, les risques de chevauchement sont automatiquement amplifiés. En général, on peut donc s'attendre à ce que plus les compétences sont définies, moins il y a de cas de chevauchement. Les postes constituent à cet égard un exemple bien différent de celui de l'environnement. Ce service, de compétence exclusive du gouvernement fédéral, n'a pas d'équivalent dans les provinces. Toutefois, la compétence exclusive ne garantit pas de façon absolue qu'il n'y aura pas de chevauchement: il faut encore que le secteur d'activité ne porte pas trop à controverse. Par exemple, bien que l'éducation soit de la compétence exclusive des provinces, le gouvernement fédéral utilise son pouvoir de dépenser pour créer des programmes dans ce secteur. Lorsqu'il est mentionné dans les rapports que le chevauchement et le double emploi doivent être éliminés, on peut se demander jusqu'à quel point cela est pertinent. Pour le savoir, il faut connaître les conséquences du chevauchement. Dans leur étude intitulé Analyse des conséquences du chevauchement des programmes fédéraux et québécois, Germain Julien et Marcel Proulx consacrent une grande partie de leurs réflexions aux conséquences des chevauchements. Ils distinguent quatre types de conséquences qu'il est pertinent de mentionner et d'expliquer brièvement. L'une des conséquences financières du chevauchement est la redondance des différentes activités du programme, particulièrement les activités administratives. Du point de vue des ressources humaines, par exemple, une rationalisation effectuée par suite d'une fusion des deux programmes entraînerait certainement une réduction des coûts. Les activités d'inspection sont un autre domaine où il est possible de faire des économies. Cela étant dit, la fusion n'est pas toujours souhaitable, car cela peut créer un appareil bureaucratique plus lourd et, par conséquent, entraîner une baisse de productivité qui peut s'avérer coûteuse. Une autre conséquence du chevauchement est la nécessité de recourir à la coordination intergouvernementale. Cette coordination, qui s'avère nécessaire pour qu'il y ait cohérence, constitue un coût qui est proportionnel au nombre de rencontres nécessaires pour en arriver à une entente, coût qui serait évité s'il n'y avait pas de chevauchement. 2. Conséquences sur l'impact des interventions gouvernementales Les deux paliers de gouvernement n'ont pas toujours les mêmes buts et les mêmes priorités sur des questions bien précises. Qu'il suffise de mentionner à cet égard le projet Grande-Baleine au sujet duquel Québec et Ottawa s'opposent parce qu'ils ne partagent pas le même point de vue quand à la pertinence de de la construction de centrales hydro-électriques. Lorsque les deux paliers de gouvernement entrent en conflit, cela diminue sensiblement l'impact de leurs interventions respectives. De plus, c'est de ces situations de concurrence et de conflit que découlent les chevauchements. 3. Conséquences pour les administrés Le chevauchement constitue un coût pour les administrés puisqu'ils doivent faire des efforts supplémentaires pour obtenir l'information dont ils ont besoin afin de bénéficier des services que leur offrent les deux paliers de gouvernement. Dans le domaine du tourisme, par exemple, les administrés ont parfois de la difficulté à déterminer à quel gouvernement s'adresser. Pour les entreprises, la réglementation peut s'avérer un cauchemar; en effet, elles doivent être au courant des lois et règlements qu'elles doivent respecter. Or, il arrive qu'en plus de se chevaucher, les règlements, à la limite, se contredisent. De plus, les tâches administratives que les entreprises doivent assumer pour obtenir des prêts et des subventions sont souvent très lourdes. Lorsque de telles démarches requièrent des ressources supplémentaires, les entreprises peuvent devoir en fin de compte refiler ce coût aux consommateurs en haussant le prix de leurs produits. Le chevauchement a une influence directe sur le niveau de responsabilité que les gouvernements assument à l'égard des citoyens. Sur ce point, il existe deux courants de pensée. Certains estiment qu'en raison des chevauchements, les citoyens ont moins d'emprise sur leurs gouvernements. Selon eux, les citoyens qui voient leurs gouvernements se lancer et se relancer la balle sont moins en mesure de pointer du doigt le gouvernement fautif; à leur avis, le chevauchement réduit donc la responsabilité des gouvernements. D'autres croient par contre que les chevauchements ont des aspects positifs. Ils estiment qu'en raison de l'existence de cette situation, les intérêts de la population sont mieux servis. Selon eux, la compétition que se livrent les deux niveaux de gouvernement rehausse la qualité des services offerts, comme c'est le cas dans le secteur privé. À leur avis, les citoyens peuvent se tourner vers l'autre gouvernement lorsque celui auquel ils s'adressent ne peut les satisfaire complètement. Pour les tenants de cette théorie, le dédoublement et le chevauchement dans un système de fédération sont un signe de santé. Après avoir constaté qu'il y a chevauchement dans un secteur donné et que cela s'avère indésirable, il faut voir quelles sont les solutions possibles pour le faire disparaître ou tout au moins pour le réduire. Il est évident que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent être d'accord sur la pertinence d'une telle mesure. Dans son rapport, le Comité Beaudoin-Dobbie suggérait, entre autres, deux moyens de rationaliser et d'harmoniser les programmes: la délégation de responsabilités administratives et la délégation de responsabilités législatives. La délégation de responsabilités administratives est un moyen que les gouvernements utilisent déjà. Dans ce cas, le gouvernement A transfère les programmes et les activités (fédéral à provincial ou vice versa) au gouvernement B. Ce dernier exécute le programme à sa façon tout en respectant les normes fixées par le gouvernement A. L'exemple le mieux connu de la délégation de responsabilités administratives est la perception par le gouvernement fédéral, au nom des provinces, de l'impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises. La délégation de responsabilités législatives requiert pour sa part la modification de la Constitution. Selon cette formule, le gouvernement A déléguerait au gouvernement B un champ de responsabilité ainsi que la latitude pour légiférer dans le domaine. Il serait également possible de déléguer des responsabilités restreintes, mais qui permettraient au gouvernement qui s'en verrait doter d'établir dans une certaine mesure des règlements. Dans ce cas, le gouvernement A aurait le pouvoir de révoquer toute loi que le gouvernement B aurait promulgué. Outre ces deux solutions, il existe également les ententes fédérales-provinciales qui résultent des rencontres des différents comités et groupes de travail et qui portent sur plusieurs sujets. À titre d'exemple, signalons que le Comité consultatif fédéral-provincial sur la Loi canadienne de la protection de l'environnement (CCFP) se réunit de façon périodique afin d'étudier certaines questions spécifiques. Le but du CCFP est de voir à ce que les initiatives de réglementation se prennent de façon efficace, ce qui inclut, entre autres, un effort pour réduire le plus possible le chevauchement. RAPPORTS ET ÉTUDES TRAITANT DE LA QUESTION DU CHEVAUCHEMENT Il existe peu d'études ou rapports dans lesquels on s'est penché spécifiquement sur la question du chevauchement. La plupart des études publiées jusqu'ici se sont plutôt intéressées au chevauchement dans l'optique de la rationalisation et de l'harmonisation des programmes. La première étude qui ait traité du chevauchement est celle de la Commission Rowell-Sirois, publiée en 1937. Après avoir procédé à de nombreuses consultations, la Commission avait conclu que le chevauchement des programmes des gouvernements fédéral et provinciaux n'était pas alarmant. Pour elle, l'efficacité gouvernementale passait surtout par un souci de réduire le gaspillage administratif. Quarante ans plus tard, l'étude de l'ÉNAP, et les autres qui l'ont suivie, ont par contre donné un tout autre son de cloche. A. Étude de Julien et Proulx (ÉNAP) L'étude de l'ÉNAP, subventionnée par le ministère des Affaires intergouvernementales du Québec, portait sur le chevauchement des programmes fédéraux et québécois. Les conclusions tirées ne s'appliquent pas nécessairement à toutes les provinces, mais donnent par contre une bonne idée de la situation. Après avoir établi une liste des programmes et éliminé ceux qui concernent la gestion interne, les auteurs ont classé les programmes en 36 secteurs. Les activités des programmes ont elles-même été divisées en cinq catégories (biens ou équipements, services, aide financière, réglementation et contrôle et inventaires et recherches). Les auteurs ont tenu compte de 221 programmes fédéraux et de 244 programmes québécois et en sont arrivés à la conclusion que 197 de ces programmes se chevauchaient à des degrés divers. Le tableau 1 montre la répartition des secteurs selon la proportion des programmes en chevauchement et les catégories de compétence selon la Constitution. Comme il fallait s'y attendre, c'est lorsque les compétences ne sont pas attribuées que le degré de chevauchement est le plus élevé. Il en est toujours de même aujourd'hui. Lors des audiences du comité Beaudoin-Dobbie, on a souvent abordé la question de la clarification des compétences. On a même soutenu qu'une répartition claire des pouvoirs entraînerait à coup sûr une efficience accrue de l'appareil gouvernemental. Sur les 36 secteurs identifiés dans l'étude de Julien et Proulx, seulement deux ne faisaient pas l'objet de chevauchement à un degré ou un autre. Les auteurs ont comparé leurs conclusions à celles du rapport de Rowell-Sirois et ont pu constater que 15 secteurs regroupant 22 programmes examinés dans les deux cas faisaient l'objet de chevauchement; ils ont conclu que « leur maintien [celui des chevauchements] au niveau auquel ils ont atteint compromettrait sérieusement tous les efforts d'amélioration de la gestion des actions de l'État » (p. 58).
Tiré de: Julien et Proulx, Le chevauchement des programmes fédéraux et québécois
B. Rapport du Conseil économique du Canada En 1978, le Conseil économique du Canada s'est vu confier, par le premier ministre Trudeau, le mandat d'examiner la réglementation gouvernementale dans certains secteurs. L'étude devait porter, entre autres, sur la pertinence et l'incidence de la réglementation. De plus, le chevauchement des programmes devait être examiné puisqu'il répondait à une préoccupation des premiers ministres des provinces. Le Conseil s'est donc penché sur plusieurs secteurs, notamment les télécommunications, l'hygiène et la sécurité industrielles. Sur le chevauchement, le Conseil a conclu ce qui suit: «[...] Nous avons examiné les faits et, dans ce domaine, nous sommes encouragés de voir à quel point les ministères et les organismes gouvernementaux ont réussi à mettre de l'ordre dans les domaines qui les concernent [...]». Cependant, le Conseil a fait trois recommandations sur des points qui pourraient être améliorés. D'une façon générale, le Conseil recommandait que soient codifiés et rendus publics à tous les paliers de gouvernement les règlements à caractère routinier ainsi que les accords dans ce domaine. Cette recommandation avait pour objet de permettre de mieux saisir toute l'étendue de la réglementation et de s'y retrouver. La deuxième recommandation traitait des produits et des projets d'aménagement. Le Conseil recommandait que, lorsque les responsabilités sont partagées entre le gouvernement fédéral et les provinces sur le sujet, on puisse voir à désigner un ministère qui coordonnerait les activités des autres ministères participants. De cette façon, les entreprises perdraient moins de temps qu'elles ne le font lorsqu'elles doivent s'adresser à tous les ministères concernés. Plus spécifiquement, le Conseil recommandait finalement que le gouvernement fédéral et les provinces établissent en priorité un ensemble de normes uniformes s'appliquant à la composition des aliments. Cette recommandation avait été faite suite à une décision des tribunaux, qui permettait désormais aux provinces d'établir leurs propres normes. En septembre 1984, le premier ministre Mulroney a annoncé la création d'un Groupe de travail ministériel chargé de revoir tous les programmes du gouvernement fédéral afin de les rendre plus simples et plus accessibles. Dix-neuf groupes d'étude, composés de gens des secteurs public et privé, furent mis sur pied et chargés d'examiner 989 programmes totalisant des dépenses de 92 milliards. Ces groupes d'étude devaient chercher à voir s'il existait des programmes faisant double emploi entre deux paliers de gouvernement, qui pourraient être fusionnés, éliminés ou transférés à un autre palier de gouvernement. Les groupes devaient donner aussi un aperçu des mesures législatives nécessaires et des ressources requises pour que ces changements soient apportés. L'un des groupes s'est spécifiquement penché sur les programmes de réglementation. Bien qu'il n'en soit pas précisement fait mention dans toute la revue des programmes, le document donne en annexe une liste des programmes fédéraux jugés problématiques quant au rapport avec les provinces. Cette liste a été dressée à partir des consultations que les groupes d'étude ont tenues un peu partout au Canada. Ces cas problématiques étaient attribuables soit à une question de compétence ou de chevauchement, soit à des questions d'information, de politique, etc. Sur les 134 programmes de réglementation, 88 (66 p. cent) ont été classés comme problématiques dans au moins une des provinces ou territoires et 27 (20 p. cent) faisaient l'objet de chevauchement. Le Groupe de de travail a constaté que les programmes relatifs à l'environnement sont ceux qui se chevauchent le plus souvent; il n'a toutefois fait aucune mention à propos de la nature des chevauchements pour quelque programme que ce soit. L'une des conclusions du Groupe de travail au sujet des programmes de réglementation, c'est qu'il existe encore des chevauchements et des doubles emplois importants entre les deux ordres de gouvernement. Le Groupe a suggéré que des initiatives soient prises pour améliorer la réglementation. Plus concrètement, il a suggéré qu'une étude examine le chevauchement en matière d'environnement. Par ailleurs, le Groupe de travail a indiqué qu'à son avis, il faudrait d'abord et avant tout réviser le fardeau global imposé par les divers paliers de gouvernement. Selon lui, les Canadiens sont trop réglementés et il serait important de réduire cette superposition de règlement. À notre connaissance, aucune étude n'a par la suite examiné l'impact du Rapport Nielsen sur la façon d'offrir les programmes. Par contre, plusieurs recommandations du rapport ont été suivies. Par exemple, c'est à la suite de la présentation du rapport que le gouvernement a lancé son Plan de réforme de la réglementation. D. Plan de réforme de la réglementation de 1986 Au printemps de 1986, le gouvernement a lancé la Stratégie de la réforme de la réglementation fédérale. D'une part, le gouvernement se propose de soumettre les nouveaux règlements à des évaluations des coûts économiques et sociaux. Il faudra faire en sorte que la population soit informée et puisse prendre part au processus de réglementation. De plus, ce processus se devra d'être moins long. D'autre part, le présent système de réglementation sera rationalisé pour être plus efficace. L'un des 10 principes directeurs de la réforme a trait directement au sujet qui nous intéresse, puisque la coopération avec les provinces, compte tenu du fardeau réglementaire existant et du besoin d'éliminer les dédoublements inutiles, sera une priorité pour le gouvernement. Pour montrer le sérieux de ses intentions, le gouvernement a créé, à l'été de 1986, le ministère d'État à la privatisation et aux affaires réglementaires. Bien que chaque ministère soit responsable de sa propre réglementation, le Bureau voit à promouvoir les objectifs du gouvernement en la matière. Pour ce qui est du rendement du programme, on note que de grandes améliorations ont été apportées depuis qu'il a été mis en place. Par exemple, le temps nécessaire moyen pour l'approbation des règlements est passé de neuf à trois mois. Selon le Bureau, de meilleurs mécanismes d'inspection et d'exécution ont été mis au point, et les règlements qui se chevauchaient ont été éliminés. Le gouvernement publie aussi, depuis 1987, un Plan de la réglementation fédérale (PRF). Cette publication donne un aperçu de la réglementation prévue pour l'année qui suit. Pour chaque règlement, on mentionne brièvement le but visé ainsi que l'incidence. Le PRF comprend aussi un Plan des évaluations de programmes de réglementation. En 1988, le Bureau de la privatisation et des affaires réglementaires a publié un document dans lequel sont énumérées les revues et les réformes de la réglementation entreprises par les différents ministères. On y fait état de 77 actions prises, dont plus de la moitié dans les domaines des télécommunications, de transport et de l'environnement. En 1991, le Bureau a été aboli, et les affaires réglementaires ont été confiées du Conseil du Trésor. À notre connaissance, aucun rapport ou document récent concernant les réalisations en matière de chevauchement fédéral-provincial n'a été réalisé. Pour réaliser son étude sur le chevauchement et le dédoublement des programmes fédéraux et provinciaux, le Conseil du Trésor (CT) s'est entretenu, en avril et septembre 1991, avec 225 personnes représentant 130 organismes. Il ressort de cette étude quatre constatations générales. Premièrement, les programmes des gouvernements fédéral et provinciaux se chevauchent dans de nombreux secteurs et, deuxièmement, ces chevauchements peuvent prendre différentes formes. À première vue, 70 p. cent des programmes se chevauchent. Dans chaque province, le tiers de tous les programmes chevaucheraient ceux du gouvernement fédéral. Pour rendre le calcul plus précis, le CT ne comptabilise pas certaines formes de chevauchement. Il n'inclut pas les programmes parallèles, c'est-à-dire les programmes qui offrent les mêmes services mais à des clients différents (par exemple les services correctionnels). Le CT ne tient pas non plus compte des programmes de transfert où différents services sont offerts à la même clientèle, par exemple, la participation financière du gouvernement fédéral au système d'assurance-santé. Une fois ces catégories supprimées, le CT conclut qu'il n'y a plus que 45 p. cent des programmes qui se chevauchent de façon directe. La troisième constatation découle de l'examen des 45 p. cent des programmes se chevauchant de façon directe. Le CT constate que dans une large mesure, les gouvernements gèrent efficacement le chevauchement. Il note que dans plusieurs cas où les responsabilités sont partagées, les gouvernements oeuvrent dans des secteurs différents pour qu'au bout du compte, toutes les responsabilités soient assumées. Les interventions des deux gouvernements deviennent donc complémentaires. Le CT constate en dernier lieu que l'amélioration des programmes est possible grâce à une meilleure harmonisation fédérale-provinciale. Les définitions des tâches de chacune des administrations dans l'élaboration des programmes est un point à ne pas négliger. Le CT cite aussi les cas où les programmes de réglementation fédéraux et provinciaux ne s'harmonisent pas. Selon lui, cette situation existe particulièrement dans la réglementation sur l'environnement, les faillites, le marquage des produits et les institutions financières. F. Étude du gouvernement de l'Alberta En 1991, le gouvernement de l'Alberta a entrepris une étude dans le but de mesurer l'ampleur du chevauchement dans la province. Les programmes offerts par la province ont tout d'abord été divisés en trois sphères: domaine social, secteur économique et ressources naturelles. Vingt-trois activités ont été classées dans l'une ou l'autre de ces sphères. Ensuite, on a associé à chacune des activités les sommes versées par le gouvernement fédéral. Deux conclusions intéressantes ressortent de l'étude. Premièrement, 190 programmes seraient touchés directement ou indirectement par le chevauchement, ce qui représente 4,3 milliards de dollars ou 55 p. cent des dépenses fédérales. De ce montant, deux milliards représentent des chevauchements indirects constitués en grande partie de transferts à la province. Deuxièmement, il y aurait 57 cas(3) dans divers secteurs où la réglementation fédérale d'une part chevauche celle de la province (34 cas) ou d'autre part réduit les efforts de cette dernière dans l'accomplissement de ses responsabilités (23 cas). Toutefois, les auteurs de l'étude soulignent qu'environ 50 p. cent des cas de chevauchement sont plutôt de nature complémentaire. Les auteurs de l'étude concluent que le gouvernement doit s'attaquer aux causes fondamentales du chevauchement. Selon eux, un équilibre plus équitable entre les revenus et le pouvoir de dépenser ainsi qu'une clarification des responsabilités respectives aideraient grandement à résoudre le problème. Encore tout récemment le gouvernement a réitéré, dans le rapport Beaudoin-Dobbie, son désir d'éliminer les chevauchements. Toutefois, qu'en est-il en réalité? Des progrès notables ont-ils été accomplis à cet égard? Pour répondre à ces questions, il faut d'abord faire une distinction entre éliminer et gérer les chevauchements. Il faut tout d'abord se reporter aux causes mêmes du chevauchement. Comme il a été dit, c'est souvent l'enchevêtrement des compétences qui conduit au chevauchement. Dans son mémoire soumis à la Commission Bélanger-Campeau, l'économiste Pierre Fortin estime à 5 milliards de dollars, au niveau canadien, le gaspillage de fonds publics résultant du chevauchemen(4). M. Fortin croit que les compétences devraient être démarquées le plus nettement possible. Si tel était le cas, la plupart des chevauchements disparaîtraient d'eux-mêmes ou tout au moins après quelques négociations; on pourrait alors vraiment parler de l'élimination des chevauchements. Si les gouvernements fédéral et provinciaux continuent d'empiéter sur les domaines de compétence respective de l'autre, l'effet positif, à un certain degré, de la concurrence entre les deux paliers s'estompera, car les gouvernements misent sur la quantité de leurs interventions plutôt que sur la qualité. Les gouvernements ont les moyens d'encourager cette sorte d'inefficience. Il ne devient alors plus possible d'éliminer le chevauchement d'une façon claire et nette; on ne peut plus que le gérer. Au mieux, c'est par les différentes techniques d'harmonisation que les gouvernements réussissent à gérer les chevauchements. Il s'agit d'un processus long et coûteux puisque chaque programme doit faire l'objet d'une entente particulière à la suite de rencontres fédérales-provinciales. Les programmes de réglementation ont souvent fait l'objet d'ententes ou de réformes au cours des dernières années. L'examen des études sur le chevauchement le confirme. Contrairement à celui des programmes de services, le chevauchement des programmes de réglementation impose souvent un coût direct à ceux qui le subissent. Les personnes touchées sont donc plus susceptibles de s'en plaindre, et d'en déterminer ou d'en quantifier les conséquences. C'est pourquoi l'existence même de certains règlements a été remise en question. En outre, ces réformes ne touchent que peu de postes, ce qui est un facteur politique important. D'autre part, il est moins probable que les programmes de services entraînent ce genre de réactions. Prenons l'exemple des subventions accordées aux artistes, qui peuvent provenir des deux paliers de gouvernement. Puisque les artistes profitent de la situation, ils ne se plaignent pas d'avoir à remplir deux formulaires. Ce genre de programmes, qui a peu d'effets indésirables, sauf le gaspillage qu'il occasionne, ne sera pas remis en cause de sitôt à moins que le gouvernement fédéral ne décide de rationaliser sa fonction publique. Et encore là, il faudra que la diminution du chevauchement soit une de ses priorités véritables. Avec l'échec de l'entente de Charlottetown, la clarification des compétences risque d'être reléguée aux oubliettes pendant un certain temps. L'harmonisation des programmes ou la « gérance » des chevauchements risque donc d'être une mesure fort populaire au cours des prochains mois. Le gouvernement fédéral est pressé de toute part de réduire ses dépenses. Annoncer qu'il veut se pencher sur les programmes qui se chevauchent est une très bonne tactique. Premièrement, il montre qu'il désire faire quelque chose de concret et deuxièmement, qu'il le fait au nom de la lutte contre le gaspillage. Qui peut s'élever contre une telle pratique? Vu que les gouvernements se préoccupent de plus en plus du chevauchement, que pouvons-nous espérer de concret? De façon certaine, une meilleure gestion du chevauchement. Même si cette gestion est bien faite, il n'en demeure pas moins que c'est une demi-mesure. Toutefois, si l'on soutient que l'élimination du chevauchement passe à coup sûr, aux yeux des gouvernements, par la clarification des compétences respectives, on risque de parler d'éliminer le chevauchement pendant encore longtemps. Il n'est pas question de nier tout ce qui a été accompli dans le domaine; il faut toutefois s'interroger sur la volonté politique de poser des gestes qui donneraient suite à paroles maintes fois prononcées. Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada (Comité beaudoin-Dobbie). Un Canada renouvelé. Rapport du Groupe d'étude. Ottawa, Imprimeur de la Reine pour le Canada, février 1992. Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec. Les avis des spécialistes invités à répondre aux huit questions posées par la Commission. Assemblée nationale, document de travail n° 4, 1991. Conseil économique du Canada. Rationalisation de la réglementation publique (Rapport provisoire). Ottawa, 1979. Conseil économique du Canada. Pour une réforme de la réglementation. Ottawa, 1981. Fletcher, Christine. Responsive Government: Duplication and Overlap in the Australian Federal System. Canberra Federalism Research Centre, Australian National University, août 1991. Gouvernement de l'Alberta. Rebalancing Federal-Provincial Spending Responsabilities: Improving Efficiency and Accountability. Mai 1992. Groupe de travail chargé de l'examen des programmes. Programmes de réglementation. Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1986. Mai 1985. Groupe de travail chargé de l'examen des programmes. Introduction au processus d'examen des programmes. Ottawa, ministre des Approvisionnements et Services Canada, mars 1986. Julien, Germain et Marcel Proulx. Le chevauchement des programmes fédéraux et québécois: un bilan. Québec, École nationale d'administration publique, 1978. Secrétariat du Conseil du Trésor. Chevauchement et dédoublement des programmes fédéraux et provinciaux: point de vue de l'administration fédérale. Novembre 1991 (1) Nous empruntons le terme à l'étude du Secrétariat du Conseil du Trésor, Chevauchement et dédoublement des programmes fédéraux et provinciaux: point de vue de l'administration fédérale, novembre 1991, p. 1. (2) Ibid. (3) Dix-neuf cas sont liés au domaine du commerce et de la finance, tandis que 16 ont trait à la capacité de gérer les ressources naturelles. (4) Étant donné que les chevauchements touchent directement ou indirectement 60 p. 100 des programmes (selon Julien et Proulx) et qu'Ottawa et les provinces dépensent ensemble plus de 225 milliards de dollars. |